Concept-clé
Le body shaming (terme anglais qui peut se traduire par l’expression de honte corporelle) concerne toute expression en ligne qui vise à disqualifier, à stigmatiser, à marginaliser une personne ou un groupe de personnes, en raison du physique ou de l’apparence.
Soumis aux regards et commentaires des autres internautes, les critiques peuvent aussi bien concerner l’ensemble des caractéristiques visibles propres à une personne qui ne répondent pas aux normes corporelles valorisées dans la société (taille, poids, traits du visage, pilosité, cicatrice, brûlure, maladie inflammatoire chronique telle que le psoriasis, etc.) que les attributs liés à l’expression de sa personnalité (tenue vestimentaire, coiffure, barbe, tatouage, piercing, maquillage, etc.).
Certaines de ces normes sont d’autant plus faussées dans la mesure où elles s’établissent dans des contextes où les retouches photos, les filtres, les effets, etc., manipulent les images qui glorifient de fausses représentations, des physiques virtuels totalement illusoires.
Synonymes
- Discrimination liée au physique
- Lookisme
- Fat shaming
- Skinny shaming
- Grossophobie
- Maigrophobie
Quelle blessure de s’entendre dire : faut y aller pour coucher avec ça !
– une victime
Ce qu’il faut retenir…
Prolongeant les travaux de Goffman, les psychologues Dominique Picard et Edmond Marc (1989) précisent que les interactions sociales sont soumises à un ensemble de règles culturelles où le corps prend valeur de signifiant. Ainsi deux phénomènes discriminatoires liés au physique sont particulièrement moralisateurs et stigmatisants et mettent davantage l’accent sur la responsabilisation de comportements individuels que sur des raisons biologiques.
Ainsi dans le cadre de skinny shaming (maigrophobie), il est implicitement reproché aux personnes très minces de renfermer un problème de surcontrôle de leur alimentation ou de leur habitude d’exercice physique. Mais dans un contexte où la minceur apparaît plus désirable que jamais, plusieurs auteurs ont démontré qu’être trop svelte n’a jamais empêché d’être socialement accepté.
Contrairement aux personnes victimes de fat shaming (grossophobie), que l’on tient souvent pour responsables de choix alimentaires malsains, d’une mauvaise hygiène de vie, les personnes corpulentes voient régulièrement leurs droits fondamentaux bafoués tant en termes d’emploi, de logement, d’accès aux soins, etc.
Les dernières enquêtes sur le body shaming en Europe (YouGov, 2019) ont montré que 85 % des auteurs de discriminations liées au physique sont des personnes issues de l’entourage des victimes. Dans 45 % des cas, elles évoluent dans leur environnement professionnel, dans 25 % des cas dans la sphère amicale et dans 15 % des cas dans le cercle familial.
Aux origines
Pour de nombreux historiens, les premières brimades et moqueries liées au physique peuvent être imputées au roucisme. En effet, si les cheveux roux sont le résultat d’une mutation génétique (variation du gène MelanoCortin 1 Receptor), cette explication scientifique n’a que peu accompagné les représentations collectives qui se sont au contraire appuyées au fil des siècles sur des productions imaginaires peu rationnelles.
La couleur orange a longtemps été associée au feu, à sa dimension destructive et dévastatrice, poussant l’anagogie à accuser les roux d’avoir pactisé avec le mal satanique qui en côtoyant les flammes de l’enfer se seraient brulés au visage, laissant pour stigmates, leurs éphélides si caractéristiques.
Dans l’iconographie chrétienne, Judas figure de repoussoir par sa trahison est représenté comme roux, tout autant que la pécheresse Marie Madeleine qui possédée par les démons est reconnaissable par l’éclat de sa chevelure flamboyante. Ces préjugés négatifs autour des personnes rousses vont d’ailleurs se renforcer et culminer au Moyen Âge et à la Renaissance.
Les arts majeurs se sont également saisis de ces mêmes imageries pour exalter la fascination qu’exercent les femmes rousses et en construire des personnages dont l’impureté sournoise et la sensualité sulfureuse ont marqué de grandes œuvres – de Baudelaire (À une mendiante rousse), à Émile Zola (la prostituée Nana dans les Rougon-Macquart), en passant par Botticelli (La naissance de Vénus), etc.
Encore aujourd’hui, cette image lascive de la femme rousse séduisante est entretenue dans la culture populaire et la publicité.
Exemple concret
Que dit le cadre légal…
D’après l’article 225-1 du Code pénal, toute discrimination, soit « toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement […] de leur apparence physique […] de leurs caractéristiques génétiques » commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elle consiste entre autres à « refuser la fourniture d’un bien ou d’un service », à « entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque », à « refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne », etc.
La provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur apparence physique […] de leurs caractéristiques génétiques (article R625-7), la diffamation non publique (article R625-8), l’injure non publique (article R625-8-1), sont punis d’une amende prévue pour les contraventions de la 5e classe (1 500 euros d’amende).
D’après la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, la provocation publique à la haine ou à la violence à l’encontre d’une personne en raison de son apparence physique […] de ses caractéristiques génétiques (article 24), la diffamation publique (article 32), l’injure publique (article 33) commises envers une personne en raison de son apparence physique ou de ses caractéristiques génétiques sont également punies d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Pour aller un peu plus loin…
Quelques références scientifiques :
- Bernier Edith, Arsenault Benoit, Grosse, et puis ?, Marabout, coll. « Poche Marabout. Psy », 2022, 256 pages.
- Carof Solenne, Grossophobie : sociologie d’une discrimination invisible, Maison des Sciences de l’Homme, 2021, 272 pages.
- Creuzet Marine, Corps sous influence. Les réseaux sociaux, entre carcan et émancipation, L’Harmattan, coll. « Questions contemporaines », 2021, 74 pages.
- Détrez Christine, Moche ou beau ?, Manuel indocile de sciences sociales. La Découverte, coll. « Hors collection Sciences Humaines », 2019, p. 963‑970, [https://doi.org/10.3917/dec.coper.2019.01.0963].
- D’Haussy Julie, Instagrammeuses, médias et militantisme : étude exploratoire de médiascapes luttant autour de la grosseur, Études de communication. langages, information, médiations, n° 58, 2022, p. 67-86, [https://doi.org/10.4000/edc.14319].
- Gould Sloane, Body Shaming and Body Image Issues, New York, Cavendish Square Publishing, 2021, 104 pages.
- Hubert Annie, Corps de femmes sous influence : questionner les normes, Observatoire CNIEL des Habitudes Alimentaires, coll. « Les cahiers de l’OCHA », 2004, 142 pages.
- Mattiussi Julie, Faire de l’apparence physique un argument de taille contre les discriminations, Délibérée, n° 7, 2019, p. 41‑44, [https://doi.org/10.3917/delib.007.0041].
- Mun Cecilea, Kollareth Dolichan, Candiotto Laura, Rukgaber Matthew, Herbert Daniel Richard, Sánchez Alba Montes, Cassidy Lisa, Salmela Mikko, Honkasalo Julian (dir.), Interdisciplinary Perspectives on Shame. Methods, Theories, Norms, Cultures, and Politics, Lexington Books, 2019, 240 pages.
- Picard Dominique, Marc Edmond, L’interaction sociale, Presses universitaires de France, 1989, 240 pages.
- Sánchez Élise, Quand le poids est politique, Ballast, n° 11, 2021, p. 101‑109, [https://doi.org/10.3917/ball.011.0101].
- Schaffner Anna Katharina, La grossophobie, une vieille histoire, trad. Pauline Toulet, Books, 2020, n° 111, p. 54-59.