Concept-clé
Des groupes baptisés « fichas » se réunissent sur les réseaux sociaux pour divulguer et partager des photos et vidéos sexuelles de jeunes filles souvent mineures (plus rarement de garçons homosexuels), à leur insu. Des informations personnelles sur les victimes y sont associées et révélées.
Suivis d’une ville ou d’un numéro de département (ex. « ficha95 »), ces comptes ciblés se sont d’abord disséminés sur tous les départements d’Île-de-France, pour finir par déborder dans plusieurs autres régions de France.
Ils se propagent essentiellement sur les applications de messagerie par le biais de comptes Snapchat, Instagram ou encore de canaux Telegram.
Cette pratique a connu un véritable essor depuis les mesures de confinement prises en France en raison de la pandémie à coronavirus 2019. Sont en cause une augmentation du temps passé par les adolescents et jeunes adultes sur les réseaux sociaux, l’ennui et l’oisiveté directement liés aux restrictions de déplacement et couvre-feu, l’audience plus élargie, les sentiments d’impunité et d’intouchabilité en ligne, etc.
Synonymes
- Fisha
- Compte ficha
- Compte fisha
C’est des petits qui lancent ça parce qu’ils s’ennuient en confinement, mais moi ça a détruit ma vie et mon image sans aucune raison.
– une victime
Ce qu’il faut retenir…
La cyberhumiliation sexuelle :
- la souffrance psychique pour la victime est intense, car l’humiliation en ligne est incessante, diffuse et généralement sans auteur identifiable ;
- la capacité de dissémination vers un large public et d’une participation directe de l’audience (commentaires, likes, partages, etc.) renforcent le pouvoir du tribunal des foules et accentuent le poids de la condamnation morale publique ;
- la cyberhumiliation sexuelle dévie en un nouvel outil de contrôle social qui renforce les violences fondées sur le genre et les normes inégalitaires persistantes dans les discours à l’égard de la sexualité féminine.
Les stigmates de la putain :
- les comptes fichas anathématisent certains codes de comportements sexuels et mobilisent le ressort du déshonneur pour « mettre à l’affiche » ces jeunes filles qui incarnent pour eux la figure repoussoir de la catin ;
- ils assignent aux victimes une identité de marginalisation dont la sexualité est dénoncée comme transgressive : la fille de mauvaise vie, la racoleuse, la « salope », qui mérite ce qui lui est infligé. Pour eux, l’atteinte à leur image sociale et la compromission de leur dignité se justifient au regard de leur impudicité.
Aux origines
Tirant son étymologie de l’inversion des syllabes du mot « affiche » caractéristique du verlan, il s’agit principalement dans ce procédé argotique « d’afficher », de livrer à un large public des informations et images relevant de l’intime sur de jeunes filles ou des jeunes hommes, qui n’ont pourtant pas consenti à leur diffusion.
Le fonctionnement de ces groupes est simple. Le propriétaire du compte ou du canal demande aux internautes de lui envoyer des images à caractère sexuel généralement de leurs ex-copines ou toute autre fille de leur entourage. Le compte ficha accumule les contenus explicites et les diffuse. Les internautes peuvent alors assaillir les victimes identifiées de commentaires insultants, de demandes d’ajouts, de messages privés, etc.
Anticipant les signalements, ils ferment aussi vite leurs comptes et canaux qu’ils en recréent de nouveaux, rendant leur identification difficile.
Exemple concret
Que dit le cadre légal…
L’atteinte à la vie privée :
- l’article 226-1 du Code pénal : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. »
Les infractions sexuelles commises contre les mineurs :
- l’article 227-23 du Code pénal : « Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Lorsque l’image ou la représentation concerne un mineur de quinze ans, ces faits sont punis même s’ils n’ont pas été commis en vue de la diffusion de cette image ou représentation. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsqu’il a été utilisé, pour la diffusion de l’image ou de la représentation du mineur à destination d’un public non déterminé, un réseau de communications électroniques. »
Pour aller un peu plus loin…
Quelques références scientifiques :
- Bozon Michel, Autonomie sexuelle des jeunes et panique morale des adultes. Le garçon sans frein et la fille responsable, Agora débats/jeunesses, vol. 60, n° 1, 2012, p. 121‑134, [https://doi.org/10.3917/agora.060.0121].
- Delarue Alice, De quoi les comptes « fisha » sont-ils le nom ?, Le journal des psychologues, vol. 384, n° 2, 2021, p. 7-8, [https://doi.org/10.3917/jdp.384.0007].
- Dorlin Elsa, Les hommes sont des putes comme les autres, Raisons politiques, vol. 11, n° 3, 2003, p. 117‑132, [https://doi.org/10.3917/rai.011.0117].
- Földhàzi Àgi, Activités prostitutionnelles et gestion des violences : « les risques du métier », Genre, sexualité et société, n° 2, 2009, [https://doi.org/10.4000/gss.1020].
- Goffman Erving, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, trad. Alain Kihm, Éditions de minuit, coll. « Le sens commun », 1975, 180 pages.
- Haroche Claudine, Le caractère menaçant de l’humiliation, Le journal des psychologues, vol. 249, n° 6, 2007, p. 39-44, [https://doi.org/10.3917/jdp.249.0039].
- Jaspard Maryse, Les violences envers les femmes en France. Une enquête nationale, Paris, La Documentation française, 2003, p. 28-37.
- Mercier Elizabeth, Humiliation, responsabilisation et moralisation dans les discours sur le partage d’images intimes chez les jeunes, Revue Jeunes et Société, vol. 3, n° 1, 2018, p. 56‑77, [https://doi.org/10.7202/1075768ar].
- Pheterson Gail, Le prisme de la prostitution, L’Harmattan, coll. « Bibliothèque du féminisme », 2001, 216 pages.