Concept-clé
Ces sites Internet sont créés dans le but de propager, d’inciter, de promouvoir ou de justifier la haine à l’encontre de minorités (par le racisme, le sexisme, l’homophobie, etc.). Ils s’érigent comme des lieux d’informations, des espaces de discussion, des terrains de ralliement qui légitiment des rapports de pouvoir entre groupes et encouragent une infériorisation de l’Autre, voire son exclusion.
Dans ces formes de cyberviolences, une gradation peut être observée dissociant les discours de haine « ordinaires » des discours de haine « élaborés » d’après Pierre-André Taguieff. La première forme renvoie à des représentations collectives diffuses, non doctrinales qui s’alimentent souvent en l’absence de contacts réels avec le groupe minoritaire discriminé. Les discours énoncés sur les « hate sites » sont mieux structurés et plus répétitifs. Ils s’appuient au contraire sur des arguments rationalisés qui s’ancrent bien souvent dans une revendication politique, religieuse, sociale, etc.
Michel Wieviorka identifie en 1993 ce passage du discours de haine ordinaire à un discours plus élaboré comme un processus de « radicalisation » idéologique ou de « cristallisation » politique.
Synonymes
- Cyberhaine
- Site de haine en ligne
Il n’y a aucune nuance sur ce genre de site… Les arguments sont tronqués, manipulés. Ils cultivent le rejet permanent…
– une victime
Ce qu’il faut retenir…
Les hate sites mobilisent des mécanismes sociocognitifs caractéristiques d’une rhétorique qui emprunte à la propagande haineuse, avec pour ressorts principaux :
- une répétition méthodique de thèmes principaux qui portent à controverse – l’usage d’un langage ordinaire et de slogans pour susciter l’adhésion et la réappropriation (contenus socialement admissibles) ;
- une simplification exagérée, voire stéréotypée de l’histoire, des causes, des évènements ;
- une condamnation des élites corrompues et détachées des intérêts des citoyens pour légitimer ou crédibiliser de nouvelles revendications politiques ;
- une victimisation de soi versus une diabolisation de l’Autre (dichotomie nous-eux), voire une polarisation d’un groupe minoritaire clairement désigné comme « inassimilable » face à une communauté en péril, qui a pour seule défense des solutions extrémistes (en état de légitime défense) ;
- une publication récurrente de propos émotionnels et moralisateurs qui suscitent de vives réactions en ligne (les taux de clics et de rebonds étant des facteurs de référencement pour un site web) ;
- une mise en ligne stratégique de l’information en réaction à des évènements médiatiques, avec un grossissement ou une déformation des faits prétendument « objectifs » (raccourcis scientifiques, statistiques floues, sources non citées, etc.) ;
- une visibilité renforcée par la création de nombreux hyperliens, le regroupement en réseau, la citation ou la référence endogène, etc. ;
- une préservation de l’anonymat qui garantit une opacité sur les centres de décision de l’organisation (recours à des pseudonymes, création de faux profils, fourniture de fausses données personnelles, dissimulation de l’adresse IP, contenus produits automatiquement par des bots, etc.) ;
- un recours fréquent à des trolls pour adopter des comportements provocateurs et perturbateurs dans les débats en ligne.
Aux origines
Dès 1275, l’Angleterre adoptait l’infraction De Scandalis Magnatum, assignant à certaines attaques diffamatoires un caractère criminel. Cette nouvelle disposition légale prohibait la diffusion de « fausses nouvelles ou rumeurs de nature à susciter la discorde ou la calomnie entre le Roi et son peuple, ou les personnages importants du royaume ». Le propagateur devait être arrêté et mis en prison jusqu’à ce qu’il soit traduit devant les tribunaux.
Si la répression de la propagation de la haine n’est pas un fait récent, une nouvelle étude scientifique1 a permis d’établir une cartographie actuelle de la haine en ligne mettant en exergue la pleine expansion de ce phénomène sur Internet, notamment en France.
Grâce à l’aide d’outils d’analyse de données sur les réseaux sociaux qui combinent l’apprentissage machine et le traitement du langage naturel à une analyse qualitative, une dynamique des types de discours haineux les plus répandus a pu être observée contre les femmes, les personnes de la communauté LGBTQ (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et queers), les personnes handicapées et les communautés arabes françaises.
19 % des comptes qui postent le plus de discours haineux avaient un comportement automatisé ou de type bot. 13 % des comptes qui postent le plus de discours haineux sont affiliés à des idéologies ou groupes d’extrême droite.
Exemple concret
Que dit le cadre légal…
La liberté d’expression en ligne, et les diverses infractions s’y rapportant, pose le problème de la fragile porosité suivant si les propos sont diffusés sur un espace public ou non. Aussi la jurisprudence dispose que cette frontière repose sur la notion de la communauté d’intérêts et des liens qui existent entre les individus (appartenance commune, aspirations et objectifs partagés, affinités amicales ou sociales, etc.).
L’apologie de la haine raciale, la haine ethnique, la haine religieuse, la haine sur une nation, l’antisémitisme, la xénophobie, etc., relèvent de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. S’il s’agit de propos, écrits, images qui attribuent à tort des faits, des accusations qui portent atteinte à l’honneur d’une personne nommément visée ou à celui du groupe auquel on l’assimile, l’infraction de diffamation (article 32 alinéa 2) pourra être retenue, soit 1 an de prison et/ou 45 000 euros d’amende. S’il s’agit de propos écrits, images qui incitent à la discrimination, la haine ou la violence contre un groupe de personnes et qui impliquent une volonté de leur auteur de convaincre d’autres personnes et non seulement de blesser une cible, l’infraction de provocation sera alors privilégiée (article 24 alinéa 7), soit un an de prison et/ou 45 000 euros d’amende.
Celui qui sans pour autant en être l’auteur initial, relaie ou commente de manière favorable ces contenus haineux par exemple par un clic « j’aime », un « like », un « partage », un « share » ou encore un « retweet », peut être considéré comme un acte de complicité ou de co-auteur en droit pénal.
Pour aller un peu plus loin…
Quelques références scientifiques :
- Álvarez-Benjumea Amalia, Winter Fabian, Normative Change and Culture of Hate: An Experiment in Online Environments, European Sociological Review, vol. 34, n° 3, 2018, p. 223‑237, [https://doi.org/10.1093/esr/jcy005].
- Ben-David Anat, Matamoros Fernández Ariadna, Hate speech and covert discrimination on social media: Monitoring the Facebook pages of extreme-right political parties in Spain, International Journal of Communication, vol. 10, 2016, p. 1167-1193.
- Ellul Jacques, Propagandes, Paris, Economica, 1990, 364 pages.
- Gatewood Cooper, Guérin Cécile, Birdwell Jonathan, Boyer Iris, Fourel Zoé, Cartographie de la Haine en Ligne. Tour d’horizon du discours haineux en France, Institute for Strategic Dialogue, 2020, 84 pages, [https://www.isdglobal.org/wp-content/uploads/2020/01/Cartographie-de-la-haine-fr.pdf].
- Klein Adam, Fanaticism, Racism, and Rage Online: Corrupting the Digital Sphere, Palgrave Macmillan Cham, 2017, 189 pages.
- Meddaugh Priscilla Marie, Kay Jack, Hate Speech or “Reasonable Racism?” The Other in Stormfront, Journal of Mass Media Ethics, vol. 24, n° 4, 2009, p. 251-268, [https://doi.org/10.1080/08900520903320936].
- Miller Clyde Raymond, The Process of Persuasion,Literary Licensing, 2012, 236 pages.
- Schafer Joseph A., Spinning the Web of hate: Web-based propagation by extremist organization, Journal of Criminal Justice and Popular Culture, vol. 9, n° 2, 2002, p. 69-88.
- Simi Pete, Futrell Robert, Cyberculture and the Endurance of White Power Activism, Journal of Political and Military Sociology, vol. 34, n° 1, 2006, p. 115-142.
- Taguieff Pierre-André, Le racisme, Flammarion, coll. « Domioos », 1997, 127 pages.
- Wieviorka Michel, La démocratie à l’épreuve. Nationalisme, populisme, ethnicité, Éditions La Découverte, coll. « Cahiers libres », 1993, 180 pages.
- Windisch Uli, Xénophobie ? Logique de la pensée populaire, Éditions L’Âge d’Homme, coll. « Pratiques des sciences de l’homme », 1978, 182 pages.