Plus de soixante ans après la création des premiers jeux informatiques américains, Spacewar ! (MIT, 1962) et Hamurabi (IBM, 1962), fréquemment reconnus comme les pionniers du jeu vidéo1, l’industrie vidéoludique s’est octroyée depuis plusieurs années déjà la première place des industries culturelles et créatives mondiales, avoisinant les 200 milliards de dollar de chiffre d’affaires depuis 20222. En France, la progression du marché du jeu vidéo en vingt ans fut assez fulgurante : de 1,67 milliard d’euros au début du nouveau millénaire3, il en pèse désormais 5,5 milliards4. En Espagne, l’appréciation économique du secteur vidéoludique est également en hausse, soutenue par l’élaboration de stratégies destinées à mettre en valeur cette industrie culturelle à l’échelle nationale et européenne.
À l’instar de son homologue français en 19925 et après un chiffre d’affaires annuel de 1,281 milliard d’euros6, le Journal Officiel espagnol a élargi le 5 mai 20227 les dispositions de la loi 23/11 relative au dépôt légal afin de permettre aux éditeurs de fournir des exemplaires de leurs jeux à la Bibliothèque nationale d’Espagne8, représentant ainsi un pas de plus dans la légitimation du patrimoine vidéoludique. La même année, l’Espagne a demandé au Conseil de l’Union européenne d’inclure l’industrie du jeu vidéo parmi les secteurs créatifs prioritaires9, tout en reconnaissant officiellement le jeu vidéo comme une industrie culturelle aux mêmes titres que les livres et les films. En novembre 2023, toujours sous la présidence de l’Espagne, le Conseil de l’UE a approuvé des conclusions visant à soutenir la dimension créative et culturelle des jeux vidéo, en facilitant l’accès des entreprises vidéoludiques européennes au financement, en promouvant autant l’égalité entre les femmes et les hommes qu’un environnement en ligne sûr, tout en encourageant « les coproductions transfrontalières de jeux vidéo entre les États membres […] »10.
Si le jeu vidéo est assurément devenu un catalyseur de dynamiques transfrontalières à l’échelle européenne, il permet également de transcender les frontières géographiques en créant des moments de rencontre et d’échange sans précédent, dans des espaces où la notion même de frontières est souvent floue, sans pour autant être inexistante. Envisager toutefois ces échanges par la nécessité d’un déplacement physique ne semble pas opportun, d’autant que ces derniers se réalisent plutôt dans l’espace numérique, dépassant ainsi les limites géographiques traditionnelles.
Cette ambivalence s’explique notamment par la pratique vidéoludique qui autorise l’exploration de mondes ouverts virtuels. Ces derniers permettent, comme le relève Jacqueline Barus-Michel, de « voir et d’explorer des espaces inexistants, de voyager dans le passé et le futur, de parcourir des monuments disparus rendus à la fois visibles et transparents, réels, mais imaginaires »11, le tout à distance et par procuration12. Dans des open worlds comme Grand Theft Auto, le level design est ainsi conçu de sorte à ce que l’exploration puisse prendre la forme d’une activité touristique guidée, ce que relèvent Guillaume Baychelier et José-Louis de Miras :
Afin d’orienter le joueur dans ces géographies, les GTA-like ont depuis longtemps intégré des outils de géolocalisation comme le GPS ; l’application Nudle Maps dans Watch_Dogs 2, par exemple n’est autre qu’une copie de Google Malps. Tous ces outils, qu’ils soient paratextuels, extra- ou intra-diégétiques, permettent de dessiner les contours des modalités d’appropriation de l’espace de jeu qui s’assimilent nettement à des composantes primordiales de l’activité touristique13.
Dans un monde de plus en plus connecté, le jeu vidéo s’est imposé comme un média incontournable. Il offre une plateforme unique pour vivre des expériences ludiques, favorisant la découverte de cultures et de langues différentes. L’immersion dans des univers virtuels offre aux joueurs l’opportunité de se familiariser avec des contextes culturels variés ; les jeux multijoueurs, en particulier, favorisent la collaboration et l’interaction entre les joueurs, créant ainsi des communautés dynamiques et diversifiées. Il permet à ce titre de transcender les frontières physiques et virtuelles traditionnelles, en offrant la possibilité de voyager à travers des mondes et des réalités différents, de rencontrer des personnes et de vivre des expériences inédites. Mais le jeu vidéo est aussi un média qui crée de nouvelles frontières, parfois invisibles, sources de tensions, de conflits, de fractures. Ces frontières peuvent être culturelles, linguistiques, idéologiques, sociales, politiques, etc., et peuvent se manifester à différents niveaux : entre les joueurs, entre les communautés, entre les pays. Le jeu vidéo soulève donc de nombreux défis relatifs à sa dimension trans et internationale : à la fois vecteur de dépassement des frontières, il en est également le théâtre de nouvelles.
Cet article se propose d’explorer le rôle des jeux vidéo en tant que catalyseurs de dynamiques marquées par le franchissement des frontières, qu’elles soient tangibles ou intangibles, physiques ou virtuelles. En devenant un vecteur de rencontres, les jeux vidéo ont ainsi peu à peu délaissé leur statut de divertissement pour devenir de véritables moyens de communication et d’échanges entre différentes cultures et nations.
Franchir les frontières digitales des univers virtuels
Parmi les éléments moteurs d’un franchissement des frontières, qu’elles soient physiques ou virtuelles, la notion de « communautés de joueurs » est assez intéressante en ce qu’elle peut être rattachée à celle de « communauté d’interprétation » développée par Stanley Fish14, puis reprise par Jean-Pierre Esquenazi, la définissant comme « un collectif qui réagit devant un objet symbolique de façon commune »15. L’utilisation du pluriel pour qualifier ces communautés – et non une seule et indivisible – est nécessaire et vise, comme le relève Esquenazi, à « partager le public en différentes communautés d’interprétations attachées à des stratégies interprétatives spécifiques »16. Qu’il s’agisse des collectionneurs de jeux rétro prêts à arpenter tous les vide-greniers de la planète pour trouver le saint graal ; des fans inconsidérés d’un constructeur ou d’un studio – et des guerres communautaires qui y sont régulièrement rattachées – des casu ne cherchant qu’à passer un peu temps entre amis en local ou en ligne ; ou bien des hardcore gamers prêts à tout pour battre les records de speedruns et à diffuser en direct sur Twitch ou YouTube leur performance : tous ces usages et interactions participent à la construction de mondes sociaux par les membres de ces communautés. Une construction méthodique qui s’appuie selon Alain Coulon, « sur des ressources culturelles communes qui permettent non seulement de le construire mais de le connaître »17.
Être membre d’une communauté implique la maîtrise d’un langage commun, des accounts, ce que Sébastien Genvo explique dans Le Jeu à son ère numérique : « la notion de membre en ethnométhodologie ne renvoie pas tant à l’appartenance sociale qu’à la maîtrise d’un langage commun sur laquelle repose l’affiliation à un groupe »18[18]. Genvo explique à ce titre que les membres sont ceux « qui ont la compétence interactionnelle de partager et de recevoir les accounts propres à l’ensemble social auquel ils appartiennent du fait de leur travail quotidien de construction du sens commun »19.
L’avènement des jeux en ligne et plus largement du monde en réseau ont considérablement favorisé l’émergence de communautés en ligne dont les prémices remontent aux années 1960, lorsque les premières idées d’informatique coopérative virent le jour au MIT et dans d’autres universités. Tandis qu’une nouvelle conception de l’informatique comme « outil individuel de travail intellectuel » émergeait en lieu et place d’un « instrument capable d’assurer des calculs scientifiques complexes ou de gérer d’énormes bases de données », Patrice Flichy explique qu’une autre conception voyait à son tour le jour : « Au même moment, d’autres informaticiens imaginaient de connecter les ordinateurs entre eux, c’est-à-dire de faire évoluer l’informatique vers une technique de communication »20.
Qu’il s’agisse du développement des jeux de rôles massivement multijoueur en ligne, plus communément appelés MMORPG21, ayant popularisé en jeu des expériences sociales par la création de guildes, ou bien des rencontres In Real Life, qu’elles soient caritatives, festives ou compétitives, la diversité des interactions possibles est aussi vaste que les communautés qui les appliquent. On peut sans trop exagérer considérer que désormais, le franchissement des frontières physiques est généralement précédé par celui des frontières digitales. Si les compétitions eSport se développent de plus en plus dans des conditions similaires aux autres sports, dans des stadium remplis du supporters, rappelant l’époque des LAN party, la grande majorité des interactions a lieu dans des univers virtuels accessibles à distance.
Développée par Lisbeth Klastrup au début des années 2000, la définition de ces univers est assez intéressante en ce qu’ils sont une « représentation persistante, en ligne, offrant la possibilité d’une communication synchrone entre les usagers, et entre les usages et le monde, dans le cadre d’un espace conçu comme un univers parcourable »22. Qu’il s’agisse de World of Warcraft pour les MMORPG ou bien de Second Life pour les simulateurs de vie, ces derniers représentent des environnements virtuels que les utilisateurs peuvent accéder à tout moment. Le changement de serveurs peut dans ces là s’apparenter à un franchissement de frontière en ce que les utilisateurs découvriront de nouvelles versions de ces univers impactés par les communautés qui les habitent. Ces environnements virtuels offrent également la possibilité de communiquer en temps réel, à travers le chat du jeu (WOW, Call of Duty, Fortnite, etc.), mais aussi à travers des canaux de communication externes (Discord) ou moddés in game (les smartphones sur GTA Online). Enfin, ces environnements sont conçus comme des univers parcourables, signifiant ainsi que leurs utilisateurs peuvent les explorer comme s’ils se promenaient dans le monde réel. La spatialité s’avère donc être, comme le relève Julien Rueff, « une dimension incontournable de ces dispositifs techniques »23. Si l’auteur n’oublie pas d’indiquer que ces mondes exigent une connexion Internet pour être accessibles et que par conséquent ils « s’apparentent nécessairement, d’un point de vue technique, à des applications client-serveur », il explique à juste titre que pour définir adéquatement ces mondes numériques, deux autres éléments doivent être ajoutés à la proposition de Klastrup :
D’une part, ces environnements numériques se démarquent par leur capacité à accueillir simultanément un grand nombre de sessions individuelles […] D’autre part, les usagers évoluent dans ces espaces numériques sous la forme d’un avatar, c’est-à-dire d’une représentation numérique personnalisée selon leurs désirs et pourvue d’un pseudonyme.24
Si Rueff prend principalement pour exemple les MMORPG et les métavers, il est possible d’adapter ce constat avec d’autres types de jeu. À ce titre, Fortnite et Death Stranding offrent deux exemples diamétralement opposés de franchissements de frontières digitales dans des mondes persistants.
Développé par Epic Games et ayant connu un succès phénoménal depuis sa sortie en 2017, Fortnite est un jeu de survie en ligne mêlant jeu de tir et construction de plateformes (murs, sols, escaliers) offrant une verticalité durant les phases de confrontation. Si le mode Battle Royale existe toujours et voit s’affronter 100 joueurs sur une carte qui évolue de saison en saison, le mode Créatif, introduit en 2018, a quant à lui permis aux joueurs de créer leurs propres univers et de les partager avec le reste du monde. Les joueurs peuvent ainsi utiliser des codes créateurs, clés permettant de déverrouiller les portes menant à des mondes différents, chacun avec ses propres règles et défis. En 2023, ce mode a été étendu pour inclure des éléments Lego dans le but de créer un nouveau jeu de type sandbox (ou bac à sable), similaire au très populaire Minecraft. Dans le monde numérique de Fortinite, les frontières géographiques sont ainsi effacées, permettant aux joueurs du monde entier de se rassembler pour des expériences uniques. Les événements saisonniers, en particulier les concerts en partenariat avec des musiciens renommés (Travis Scott, Aya Nakamura, Ariana Grande) sont un exemple frappant de cette réalité. Ces concerts virtuels réunissent des millions de joueurs sur des serveurs dédiés, créant ainsi une expérience de concert mondiale sans précédent. D’une durée de dix minutes, le concert du rappeur de Houston, Travis Scott, transformé en personnage virtuel pour l’occasion, a rassemblé 12,3 millions de participants simultanés lors de la première représentation, le 23 avril 202025. Sur l’ensemble du week-end de cet événement, 27,7 millions de joueurs uniques ont assisté en direct aux cinq concerts de l’artiste26. Les participants, présents par procuration – et vêtus pour l’occasion de leur skin préféré – peuvent y interagir avec l’environnement du jeu, avec la musique et entre eux, transcendant ainsi les barrières linguistiques et culturelles. Ces événements illustrent la capacité de Fortnite à créer des expériences partagées à l’échelle mondiale, redéfinissant ainsi notre conception de la communauté et des événements en direct.
Sorti le 8 novembre 2019, Death Stranding a quant à lui divisé le public en raison de gameplay consistant à livrer des colis, principalement à pied, dans un monde postapocalyptique où la topographie est difficile d’accès et où les joueurs doivent subir et traverser des zones dénuées de toute infrastructure, bouleversant notre rapport aux mondes ouverts. Les villes y sont isolées, le terrain, sauvage, y est escarpé et les survivants se sont réfugiés dans des bunkers souterrains ou vivent dans des refuges, à l’écart de toute civilisation. Dans Death Stranding, les joueurs incarnent Sam Porter Bridges, interprété par l’acteur Norman Reedus, dont la mission est de réunifier cette société fragmentée, hersât d’une Amérique détruite. Fondé sur la contrainte qui se manifeste à travers l’hostilité du monde exploré, une hostilité aussi bien naturelle qu’humaine, le système du jeu procure ainsi, selon Bernard Perron, une expérience motrice intense dans la pratique ludique27. Le voyageur virtuel se trouve face à un univers inhospitalier ; son voyage n’est autre qu’un péril durant lequel il ne cessera d’échapper aux terroristes installés dans la région et aux échoués, des créatures qui apparaissent lors de fortes intempéries. Chaque étape du parcours nécessite un travail cartographique dont l’objectif est de permettre la traversée de ces espaces torturés. Chaque déplacement sur la carte demande un long travail préparatoire destiné à éviter l’espace lui-même. Il s’agit d’établir des tracés qui prennent en compte les conditions météorologiques, la distance du parcours, la topographie des lieux (rivières, montages, reliefs, etc.) Faire abstraction de ce travail revient à mettre en danger le personnage qui chutera lorsque la pente sera trop raide, ou sera emporté par la rivière s’il s’entête à la traverser sans en avoir analysé la profondeur et la force du courant. Parcourir l’espace de jeu se transforme dès lors en activité de mapping où la carte fait advenir, selon Julien Béziat, « un monde imaginaire, permet sa découverte progressive […] et atteste d’une souveraineté, donc d’une maîtrise des territoires imaginés »28.
Développé par Kojima Productions, sous la direction de Hideo Kojima, Death Stranding est centré sur le thème de la connexion. Son gameplay asynchrone permet aux joueurs de transcender les frontières traditionnelles des jeux vidéo, en autorisant ces derniers à intervenir indirectement dans le monde des autres joueurs, en construisant des structures (ponts, échelles, abris) ou en traçant des routes qui persistent dans le jeu et peuvent être utilisées par d’autres. Cette contamination d’un monde à l’autre incite les joueurs à s’entraider pour améliorer leur expérience : certains construiront des routes pour faciliter le passage des véhicules dans des zones accidentées, tandis que d’autres installeront des bornes destinées à stocker du matériel sur la carte pour quiconque se retrouverait en difficulté. Ces structures aident ainsi les autres joueurs à surmonter les défis environnementaux et à progresser dans leurs propres univers, créant ainsi une expérience collaborative et interconnectée.
Le mapping devient ici une expérience communautaire : à l’instar de l’application Waze, les joueurs deviennent de véritables agents sociaux29 qui peuvent indiquer aux joueurs des univers parallèles les zones de danger sur la carte. Ces indications se matérialisent dans le monde du jeu par l’installation de nombreux panneaux qui demeureront présents dans chaque monde tant que les joueurs continueront à les soutenir avec des likes. Ces statistiques interdépendantes et inhérentes au nombre de likes démontrent selon Barbaros Bostan et Sercan Şengün « l’intégration innovante des mécaniques de jeu, soulignant l’importance de former des connexions avec les autres pour faciliter l’avancement de ces statistiques et construire collectivement l’avenir »30. Et les auteurs d’ajouter qu’atteindre le plus haut grade de porteur, « The Great Deliverer », nécessite « du temps, de la patience et de la persévérance »31, l’un des auteurs de l’article ayant quant à lui atteint ce grade « après avoir joué pendant 148 heures, accumulant 548 007 likes de la part d’autres joueurs »32.
Death Stranding redéfini ici la notion de frontière dans le monde des jeux vidéo. En permettant aux joueurs d’interagir indirectement avec les mondes des autres, il crée un espace de jeu qui n’est pas limité par les frontières physiques ou numériques traditionnelles. Les actions des uns peuvent avoir des impacts significatifs sur le monde des autres même s’ils ne partagent pas le même espace de jeu en temps réel. Cela crée une dimension transfrontalière unique où les joueurs du monde entier peuvent contribuer à la progression et à l’expérience des autres, faisant de cette œuvre une petite révolution dans le monde des jeux vidéo, où la collaboration et la connexion sont au cœur de l’expérience de jeu.
Franchir les frontières IRL : le jeu vidéo vecteur de rencontres et d’interactions
Si les jeux vidéo permettent aux joueurs de s’immerger dans des mondes virtuels, d’adopter de nouvelles identités et de vivre des expériences inédites, ils offrent également aux joueurs la possibilité de collaborer et de rivaliser avec d’autres joueurs du monde entier. Cependant, les jeux vidéo ne se limitent pas à l’espace virtuel. Ils ont également réussi à franchir la frontière entre le virtuel et le réel, en créant des opportunités pour les rencontres et les interactions dans la vie réelle (In real Life). Que ce soit à travers des événements caritatifs, des tournois eSport ou des matchs de foot, les jeux vidéo ont réussi à créer un pont entre le réel et le virtuel.
ZEVENT : le jeu pour la charité au-delà des frontières
Un exemple frappant de cette tendance est le ZEvent, événement caritatif annuel organisé depuis 2016 à Montpellier et diffusé sur la plateforme de streaming Twitch. Créé par Adrien Nougaret (ZeratoR) et Alexandre Dachary (Dach) dans le but de rassembler des streamers français pour collecter des dons au profit d’associations caritatives, le ZEvent consiste en un marathon de jeux vidéo, d’animations et de défis sur trois jours. Ayant débuté comme un projet modeste, le ZEvent est devenu l’un des événements de jeux vidéo les plus importants et les plus influents, non seulement en France, mais aussi dans le monde entier. Il a démontré le pouvoir des communautés de joueurs lorsqu’elles se rassemblent pour une cause commune33. En 2019, un premier record mondial pour un événement caritatif lié aux jeux vidéo est obtenu : plus de 3,5 millions d’euros ont ainsi été collectés pour l’Institut Pasteur34. L’édition 2021 pulvérise à son tour ce record, avec plus de 10 millions d’euros récoltés pour l’ONG Action contre la faim, tandis qu’un nouveau record d’audience francophone sur Twitch venait lui aussi d’être obtenu, avec un pic à plus de 707 000 spectateurs35. Bien que le ZEvent soit ancré dans la communauté francophone, son impact et sa portée dépassent les frontières des pays en bénéficiant aux organisations internationales telles que Save the Children et Médecins Sans Frontières. Comme Death Stranding qui explore de façon asynchrone la générosité des joueurs par le partage de ressources entre les univers, les événements caritatifs transcendent les frontières sociales en ce qu’ils réunissent, en présence et à distance, une communauté qui, indépendamment de l’origine ou du statut social de ses membres, interagit et coopère.
Les tournois eSport : quand le virtuel devient réel
Plus de 50 ans après la toute première compétition officielle de jeux vidéo, en octobre 1972 à l’Université de Stanford, appelée Intergalactic Spawewar Olympics[36]36, la pratique compétitive et organisée de jeu vidéo s’est institutionnalisée dans de nombreux pays. En France, la loi pour une République numérique adoptée le 28 septembre 2016 par le Parlement et promulguée le 7 octobre 2016 par le Président de la République, François Hollande, a permis d’encadrer les compétitions de jeux afin de sécuriser juridiquement leur organisation, de clarifier le statut social des joueurs professionnels et d’encourager le développement du secteur dans le pays37. Depuis la fin d’année 2016, celui qui était jusque-là un simple amateur peut aussi devenir professionnel, avec « un statut adapté, tenant compte des spécificités de [son] métier »38.
Pratique émergente « en passe de devenir une pratique sociale majeure »39 au point qu’elle fut envisagée comme discipline aux Jeux Olympiques de Paris 2024, puis inclue dans un plan d’action plus large visant à structurer et mobiliser l’écosystème pour accueillir l’Olympic Esports Week dans la foulée des JO40, l’eSport correspond selon Xue, Pu, Hawzen et Newman à « toute compétition de jeu vidéo multijoueur organisée, où les individus et les équipes se rassemblent dans les stades et les arènes pour participer à des tournois sanctionnés, en temps réel, largement diffusés, financièrement incités et largement assistés »41. Reconnues comme des événements officiels, avec des règles et des règlementations strictes, les compétitions eSport se structurent au même titre que d’autres sports traditionnels. Ces tournois offrent ainsi une plateforme internationale pour la compétition, l’interaction et l’échange culturel, tout en offrant des opportunités de carrières inédites. Les récompenses financières sous forme de CashPrize et la diffusion en temps réel de ces compétitions permet à un public mondial d’y participer, attirant de nombreux joueurs talentueux et motivés.
L’une des plus récentes manifestations fut la Coupe du Monde de Fortnite, officiellement connue sous le nom de FNCS Global Championship42, qui s’est tenue à Copenhague du 13 au 15 octobre 2023. La compétition a réuni au total 75 duos de joueurs, classés par zone géographique (Europe, Amérique du Nord, Brésil, Asie, Océanie, Moyen-Orient) pour un CashPrize de 4 millions de dollars. En 2023, la compétition a ainsi été remportée par le duo américain Cooper (États-Unis) et Mero (Canada) avec un total de 330 points, soit une cinquantaine de plus que le duo polonais Kami-Settu (271 points)43, obtenant par la même occasion un prix d’un million de dollars. Le système de points de cette compétition est conçu pour récompenser à la fois la stratégie de survie et les compétences en élimination. Une Victoire Royale rapporte ainsi dix points, tandis que chaque élimination rapporte un point. Ce système de points assure que chaque match est imprévisible, avec des joueurs qui s’efforcent constamment d’équilibrer leur approche entre la prudence et l’agressivité, le tout sous les acclamations d’un public à la fois présent dans le stade, mais aussi ingame à l’instar des concerts de Travis Scott.
L’influence des rencontres physiques sur les dynamiques transfrontalières dans le monde du streaming : du concept de germench à l’Eleven All Stars France-Espagne
L’importance des rencontres physiques dans le contexte des dynamiques transfrontalières ne doit pas être sous-estimée. Il est essentiel de se rappeler que les jeux en ligne facilitent principalement des interactions virtuelles entre les joueurs. La tendance à la disparition progressive des modes locaux dans les jeux de simulation automobile illustre parfaitement que le tout en ligne est désormais une réalité incontournable. Cependant, l’organisation d’événements physiques par les streamers ajoute une nouvelle dimension à ces interactions, en transcendant une fois encore les frontières virtuelles en rapprochant les communautés de joueurs.
Dans le monde du streaming vidéoludique, une interaction unique se déroule chaque jour. Des milliers de streamers se connectent à des plateformes comme Twitch ou YouTube, animés par le désir de jouer à des jeux vidéo et discuter avec leur public. De façon plus générale, le streaming est une « pratique numérique en ligne consistant pour des vidéastes (des streamers) à se filmer en direct dans un flux vidéo (le stream) continu, interactif et diffusé auprès d’une audience qui le commente (les viewers) »44. Bien que présent sur d’autres plateformes numériques comme YouTube ou Facebook, le streaming et ses usages se concentrent principalement sur la plateforme Twitch, « fer de lance des contenus en direct, du travail émotionnel digital et des nouveaux modes de sociabilité en ligne »45. Nathan Ferret explique à ce titre que le streaming est intrinsèquement lié à l’interactivité et à la proximité avec le public, grâce à divers dispositifs de communication (chat instantané, retour caméra et audio, possibilité de faire des dons). Citant notamment les travaux de Samuel Coavoux et Noémie Roques46, Ferret introduit sa réflexion sur le fait que cette interactivité favorise un « régime de proximité » entre les streamers et leurs viewers, allant jusqu’à envisager la plateforme Twitch autour d’une dynamique de transformation de la condition ethnographique en un bien de consommation, où la coprésence quotidienne et l’immersion prolongée dans divers lieux virtuels connectés sont au cœur de l’expérience des utilisateurs.
Streamers et viewers passent ainsi des heures à partager leurs expériences de jeu, dans un monde dynamique où il est possible de naviguer librement d’un chat à l’autre, et d’un flux à l’autre. Cette mobilité est parfois encouragée par les streamers eux-mêmes qui choisissent de mettre fin à leur diffusion, incitant ainsi leurs spectateurs à se diriger vers d’autres streams. Cette pratique, connue sous le nom de raid, permet à d’autres streamers de bénéficier d’une augmentation de leur audience. Elle favorise ainsi une collaboration mutuellement bénéfique entre les différentes communautés de stream, renforçant ainsi l’interconnectivité et la solidarité au sein de cet écosystème.
L’un des exemples les plus atypiques remonte à l’émergence d’une nouvelle communauté baptisée Germench et créée en 2014 par le streamer allemand exe_de. Cette communauté a été initiée durant la diffusion simultanée (restream) d’un marathon de speedrun en anglais, l’Awesome Games Done Quick (AGDQ) sur des chaînes Twitch françaises et allemandes. L’objectif pour ces streamers était de commenter le marathon dans leur langue officielle afin de permettre à leur public de profiter pleinement de l’événement. Lors de ce marathon, le restream français (@LeFrenchRestream47) a subi une attaque DDoS (Distributed Denial of Service, ou attaque par déni de service en français), visant à rendre la diffusion indisponible en saturant les serveurs avec un grand nombre de requêtes. Au lieu de se tourner vers le flux original, les viewers français ont choisi de rejoindre en masse le restream allemand, conduisant par la même occasion à la fusion des communautés françaises et allemandes autour du concept de Germench, contraction des mots German et French. L’effervescence engendrée par cette rencontre entre deux communautés séparées par la frontière de la langue fut telle qu’en hommage à cet événement, le terme anglais Hype,omniprésent dans les chats, fut traduit en allemand par Rummel et régulièrement employé par ces deux communautés. Le nouveau restream officiel allemand de la Games Done Quick fut quant à lui nommé GermenchRestream en lieu et place de GermanRestream48.
Alors que la plupart des interactions entre les créateurs de contenu et leur public se font en ligne, marquées par les frontières invisibles du numérique, de nouvelles initiatives ont récemment vu le jour, ouvrant des opportunités inédites de franchissement des frontières par le jeu. Si la deuxième édition du GP Explorer a assurément marqué un tournant dans le paysage du Twitch français, avec un pic à plus de 1,3 million de personnes sur la chaîne de Squeezie, il a également suscité l’engouement de 60 000 viewers qui se sont déplacés physiquement au Mans pour découvrir la course d’une vingtaine de créateurs de contenus en Formule 4, le 9 septembre 202349.
L’impact social du GP Explorer est assez similaire à celui d’une autre rencontre sportive développée par un streamer français de jeu vidéo, Amine : l’Eleven All Stars. Opposant les créateurs de contenus français et espagnols autour d’un match de football, cette rencontre a eu lieu au stade Jean-Bouin à Paris le 19 novembre 2022. Théâtre d’une rivalité grandissante entre les deux pays, exacerbée par l’eSport etles réseaux sociaux, l’Eleven All Stars fut un véritable succès, tant physique que numérique. Sur les gradins, plus de 20 000 spectateurs ont répondu présents pour soutenir leur équipe menée par le créateur de contenu espagnol Mario Alonso Gallardo, dit [DjMaRiiO] et français Amine. La chaîne Twitch de ce dernier, qui retransmettait l’événement en direct, comptabilisa plus d’un million de viewers à son pic, établissant avant le GP Explorer un premier record français sur la plateforme.
Les prémices de cette confrontation peuvent être retracées jusqu’aux Pixel Wars50,événement qui a lieu depuis 2017 sur le subreddit r/Place du réseau social Reddit51 et durant lequel les utilisateurs du monde entier peuvent créer un tableau de 2000 pixels sur 2000, en y plaçant un pixel toutes les cinq minutes. Très vite, de nombreuses communautés ont pris d’assaut les quelques coins encore vierges de cette immense toile numérique afin d’y apposer leur appartenance sociale, culturelle et politique. En France, cela est passé par la création et la défense, pixel par pixel, de symboles français comme le drapeau tricolore, la tour Effel, l’arc de Triomphe et le footballeur Zidane. Des alliances entre les pays se mirent en place, notamment entre la France et l’Espagne, portées entre autres par les streamers Kamet0 et Rubius, avant de très vite se transformer en véritable guerre de position sous fond d’accusation de fraudes à base de scripts et de bots. Si la disparition progressive de cette toile éphémère finit par effacer les vestiges de cette guerre entre la France et l’Espagne52, celle-ci s’est poursuivi sur un autre champ de bataille, celui du terrain de foot, marqué par la défaite espagnole, deux buts à zéro.
Des frontières qui persistent ?
Malgré l’optimise relatif que suscite l’étude des dynamiques transfrontalières par le jeu vidéo, il est important de reconnaître que des frontières, parfois invisibles, persistent. Qu’elles soient sociales, institutionnelles ou familiales, ces dernières continuent de façonner notre expérience de jeu. La socialisation par le jeu peut dès lors faire l’objet de limitations53 en ce que les relations entre joueurs peuvent être conditionnées aussi bien par la diversité linguistique et culturelle qui caractérisent le monde du jeu vidéo en ligne que par sa dimension économique et familiale.
Les free to play comme Fornite ont par exemple développé tout un modèle économique sur l’achat d’objets qui peuvent, comme le rappellent Pierre Taquet, Lucia Romo et Olivier Cottencin à la suite de Lin et Sun54, « être aussi bien décoratifs ou expressifs, changeant l’apparence d’un personnage ou la manière de communiquer avec d’autres joueurs »55, les auteurs ajoutant qu’il est possible d’acheter de la monnaie virtuelle utilisée dans le jeu, à l’instar des VBucks dans Fortnite. La valorisation sociale par le jeu prend dès lors une signification autre en ce qu’elle témoigne d’un désir des joueurs de faire partie de l’élite, quitte à dépenser d’importantes sommes pour acquérir les skins de Travis Scott, Son Goku et John Wick, disponibles sur la boutique du jeu pour « un temps très limité ». Le lobby du jeu, qui sert traditionnellement de salle d’attente avant le lancement d’une partie, s’est ainsi transformé en un espace social dynamique, c’est-à-dire une plateforme où les joueurs peuvent marquer leur statut social au sein de la communauté par les skins et les danses qui en sont les indicateurs. Autrement dit, le jeu peut exacerber les frontières sociales entre les joueurs, en accentuant les divisions basées sur l’accès aux ressources premium.
Malgré l’évolution de la perception du jeu vidéo en tant que forme légitime de divertissement et d’expression artistique, il est encore souvent considéré par les institutions comme une source potentielle de danger, en lieu et place des écrans. Il s’agit là d’une frontière institutionnelle qui remonte aux années 1980 et qui a été ravivée en mai 2019 par la reconnaissance du trouble du jeu vidéo (gaming disorder) dans le cadre de la onzième révision de Classification Internationale des Maladies proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé56.
Ce trouble a été caractérisé par « la perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables »57. Ce constat va de pair avec l’exemple des free to play en ce que cette « perte de contrôle » peut se manifester par l’achat compulsif d’éléments cosmétiquesou bien de boîtes à butin (loot box) dont le mécanisme repose sur une loterie, comme le rappellent Taquet, Romo et Cottencin à la suite de Marco Josef Koeder et Ema Tanaka58 : « Certains [Free to Play] utilisent un mécanisme de loterie dans laquelle il est possible d’obtenir au hasard un objet virtuel par le biais de la monnaie virtuelle utilisée dans le jeu ou en dépensant de l’argent réel, les meilleurs objets ayant une probabilité de gain plus faible »59.
Cette stigmatisation des jeux vidéo comme « abîmes pour l’attention des élèves »60, dangers « pour la santé de l’enfant »61 et risquant « d’abrutir davantage qu’ils n’éveillent l’intelligence »62, a été mise en lumière en 1998 par les frères Le Diberder. Si ces derniers expliquaient que les jeux vidéo allaient bientôt tenir « dans l’imaginaire européen un rôle aussi important que celui du cinéma »63, ils ont également dû jouer un rôle de conseillers en proposant dans L’Univers des jeux vidéo « un petit guide pratique [de dix conseils pour] faciliter le bon apprivoisement des jeux vidéo par la famille »64.
Inviter les parents à écouter leurs enfants décrire leurs expériences de jeu et à leur demander d’expliquer les stratégies qu’ils utilisent ; les encourager à maintenir une bonne posture, idéalement sur une chaise avec un dossier ; les accompagner lors de l’achat d’un jeu, d’en examiner les couvertures et d’en diversifier le genre sont quelques-uns des conseils proposés par les frères Le Diberder pour permettre aux parents de suivre de près les activités de jeu de leurs enfants. Si les frontières institutionnelles et familiales existent autour du jeu vidéo, celles-ci semblent s’estomper grâce à l’instauration d’une responsabilisation des acteurs du jeu vidéo, notamment en France, avec la création du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir (SELL) qui propose dorénavant des chapitres dédiés dans ses éditions de L’Essentiel du jeu vidéo. Dans son édition de 2020, le SELL expliquait à ce titre que pour « faciliter la mise en place des règles d’utilisation des jeux vidéo au sein des familles, l’ensemble des plateformes de jeux proposent un dispositif de contrôle parental destiné à protéger le jeune public de contenus et fonctionnalités inadaptés à leur âge »65. À ce titre, la mise en place de la classification PEGI66 (Pan European Game Information) initiée en 2003 et désormais utilisée dans plus de 35 pays européens est un marqueur là encore de la dimension transfrontalière, ici à l’échelle européenne, du jeu vidéo.
L’attention des parents vis-à-vis de la pratique vidéoludique de leurs enfants démontre elle-aussi un franchissement des frontières au sein de la famille. En 2016, 56 % des Français pensaient déjà que le jeu vidéo favorisait le développement de l’enfant ; 62 % le considéraient comme une activité positive et 76 % le voyaient comme un loisir pour toute la famille67. Si cette tendance tend à se confirmer d’année en année avec d’une part, une participation parentale accrue aux activités vidéoludiques de leur enfant, et d’autre part une connaissance plus précise du contrôle parental et de la classification PEGI, certains défis peuvent encore être relevés.
En 2023, 68 % des parents déclaraient être attentifs à la pratique du jeu vidéo de leurs enfants68. Si seulement 7 % d’entre eux restent à côté d’eux au moment de l’activité, 27 % choisissent les jeux auxquels ils peuvent jouer et 34 % leur déconseillent certains jeux. La pratique du jeu vidéo comme activité commune et partagée représente quant à elle 69 % des parents français, qui jouent au moins occasionnellement avec leur enfant, tandis que 94 % d’entre eux déclarent connaître l’existence des systèmes de contrôle parentale. Paradoxalement, si seulement 45 % des parents appliquent ces systèmes, 72 % portent davantage attention au système de classification PEGI lorsqu’ils achètent les jeux vidéo à leur enfant69.
Un certain optimisme reste donc omniprésent ; ces chiffres soulignent la prise de conscience des institutions et des familles de l’importance du jeu vidéo dans le développement et l’épanouissement de l’enfant tout en soulignant l’importance de continuer à sensibiliser et à éduquer les parents sur l’utilisation efficace des outils de contrôle parental pour garantir une expérience de jeu sûre et bénéfique pour leur enfant.
Conclusion
L’impact des jeux vidéo comme vecteur de franchissement des frontières, tant physiques que virtuelles, est indéniable. Des jeux comme Fortnite et Death Stranding ont créé des univers où les joueurs du monde entier peuvent interagir et collaborer, indépendamment de leur emplacement géographique. Des événements tels que ZEvent, le GP Explorer et l’Eleven All Stars, initiés par des joueurs et des créateurs de contenu, ont conduit à la formation de communautés qui ont dépassé les frontières du monde numérique pour se rassembler, tandis que d’autres se sont formées à la suite d’un événement inédit à l’image du restream qui a donné naissance au Germench.
Sur le plan institutionnel, la reconnaissance progressive de l’eSport a quant à elle transformé le paysage du jeu compétitif, en ce qu’il est désormais une plateforme mondiale reconnue et organisée. La disparition progressive d’une stigmatisation du jeu vidéo comme mal sociétal au profit d’une collaboration européenne menée récemment par l’Espagne, et dont les prémices remontent assurément à l’élaboration du système de classification PEGI, témoigne là encore d’un désir avoué de transcender les frontières par le jeu vidéo et dont le cours d’été transfrontalier du 17 juillet 2023, organisé à la Cité des arts de Bayonne, en est la manifestation. Enfin, si les jeux vidéo ont redéfini la manière dont nous interagissons et nous nous connectons à l’échelle mondiale, il est essentiel de ne pas occulter certains défis qui leur sont inhérents. La barrière linguistique reste à ce titre un obstacle majeur à l’interaction entre les joueurs, bien que des outils de traduction simultanée voient de plus en plus le jour. La promotion de l’équité et de l’inclusion, bien qu’elle soit prévue au programme des actions gouvernementales, reste encore faible au regard des nombreux cas de harcèlement sur les plateformes de streaming, notamment auprès des femmes. Bien qu’elle soit régulièrement employée pour stigmatiser le jeu vidéo, la dépendance au jeu, tout comme celle aux écrans, est une réalité qui peut avoir des conséquences néfastes sur la santé mentale et physique des joueurs, ainsi que sur les rapports au sein de la famille. Dès lors, si les jeux vidéo ne créent pas de nouvelles frontières stricto sensu, ils contribuent tout au moins à déplacer celles qui existent déjà.
Bibliographie
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Divers
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Notes
- L’une des dernières études qui mentionne ce constat date de 2020 publiée par Blanchet et Montagnon.
- NewZoo, 2023.
- Le Monde, 2003.
- Dans le bilan du marché français 2022 publié par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs en 2023 on observe qu’en 2016, le chiffre d’affaires du jeu vidéo en France était de 3,6 Mds d’€ ; en 2017, il est passé à 4,5 Mds d’€, puis à 5,2 Mds d’€ en 2018. Malgré une légère stagnation en 2019 (5 Mds d’€), sans doute liée à l’arrivée des nouvelles générations en fin d’année 2020 (PlayStation 5 et Xbox Series), 2020 et 2021 ont marqué une forte évolution de 12 % par rapport à 2019, avec un chiffre d’affaires respectif de 5,6 Mds d’€.
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- Présidence espagnole du Conseil de l’UE, https://spanish-presidency.consilium.europa.eu/fr/actualites/conseil-protection-dimension-culturelle-creative-secteur-jeux-video [consulté 06/2024]
- Barus-Michel, p. 27.
- C’est le cas notamment des modes « Discovery Tour » des jeux Assassin’s Creed développés par le français Ubisoft, disponibles depuis l’épisode Origins (2017). Ces derniers permettent de visiter librement la Grèce antique, l’Égypte ancienne et l’ère viking ; les combats et missions des jeux y sont délibérément évacués au profit de visites guidées supervisées par des historiens : https://www.ubisoft.com/fr-fr/game/assassins-creed/discovery-tour [consulté 06/2024]
- Baychelier, De Miras, 2019, p. 57-58.
- On peut ici évoquer l’expérience réalisée par Fish, 2007, auprès des étudiants d’un cours de poésie religieuse du XVIIe siècle et qui consistait à démontrer le concept de « communauté d’interprétation » en leur demandant d’attribuer un sens à ce qu’ils pensaient être un poème de l’époque.
- Esquenazi, 2010, p. 36.
- Esquenazi, 2003, p. 16.
- Coulon, 1996, p. 86.
- Genvo, 2009, p. 184.
- Ibid., p. 185.
- Flichy, 2001, p. 56.
- Pour Massively Multiplayer Online Role-Playing Games.
- Klastrup, 2003, p. 101.
- Rueff, 2011, Texte consultable en ligne.
- Ibid.
- Le Parisien, https://www.leparisien.fr/high-tech/fortnite-un-concert-du-rappeur-travis-scott-rassemble-plus-de-12-millions-de-joueurs-24-04-2020-8305215.php [consulté 06/2024]
- Tiraxa, https://www.jeuxvideo.com/news/1215936/fortnite-des-millions-de-personnes-reunies-pour-le-premier-concert-virtuel-de-travis-scott.htm [consulté 06/2024]
- Perron, 2018.
- Béziat, 2014, p. 80.
- Bostan, Şengün, 2023.
- Ibid., p. 106.
- Ibid.
- Ibid.
- Il existe peu d’études sur la pratique vidéoludique comme vecteur de générosité et de charité si ce n’est celle d’Ethan Tom, 2019, qui examine en quoi les jeux prosociaux peuvent influencer les attitudes charitables et de donation. Cette étude ne s’intéresse toutefois qu’à l’analyse comparative entre Lemmings et Tetris.
- Le Creuser, https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/herault/montpellier/zevent-2019-gamers-pulverisent-leur-record-plus-trois-millions-dons-institut-pasteur-1726369.html [consulté 06/2024]
- Chernier, Le Figaro, https://www.lefigaro.fr/culture/zevent-la-creme-de-twitch-recolte-un-record-de-10-millions-d-euros-pour-action-contre-la-faim-20211101 [consulté 06/2024]
- Karsenti, Bugmann, 2018.
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- Ibid.
- Karsenti, Bugmann, 2018, p. 76.
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- Xue, Pu, Hawzen, Newman, 2016 cités par Karsenti, Bugmann, 2018, p. 76.
- FNCS : Fornite Champion Series.
- Bernabeu, E.sport.fr, 2023, https://e.sport.fr/resultats/fncs-global-championship-cooper-et-mero-remportent-la-coupe-du-monde-a-1-000-000-723118.shtm [consulté 06/2024]
- Ferret, 2022.
- L’auteur reprend notamment ici le travail de Woodcock et Johnson, 2019.
- Coavoux, Roques, 2020, p. 169.
- Le French Restream, https://lefrenchrestream.fr/archives.php [consulté 06/2024]
- Voir à ce sujet le site officiel de GermenchRestream, https://germench.de/ [consulté 06/2024]
- 20minutes.fr, https://www.20minutes.fr/high-tech/4052289-20230909-gp-explorer-2-course-auto-squeezie-bat-record-audience-twitch-france [consulté 06/2024]
- Voir à ce sujet l’entretien d’Amine par l’Equipe : Arrive, Parbaud, https ://www.lequipe.fr/Esport/Actualites/Amine-je-vais-a-la-bataille-devant-20-000-personnes/1365673 [consulté 06/2024]
- Reddit, https://www.reddit.com/r/place/?rdt=64423 [consulté 06/2024]
- Voir à ce sujet le récit compté par Numérama : https://www.numerama.com/politique/910477-pixel-war-sur-reddit-on-vous-raconte-la-bataille-entre-la-france-et-lespagne-et-le-denouement.html [consulté 06/2024]
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- Taquet, Romo, Cottencin, 2017, p. 65.
- Propos tenus par Lionel Bordy, recueillis par Genvo, 2003, p. 24.
- Ibid., p. 26. Genvo reprend ici la une du grand quotidien populaire anglais, The Sun, « Nintendo a tué mon fils », datant de l’hiver 1992 et déjà citée par Alain et Frédéric Le Diberder, 1998, dans L’Univers des jeux vidéo : « Un jeune garçon venait de succomber à une crise d’épilepsie après avoir joué à Super Mario Bros. Ce sont les lumières violentes et changeantes de l’écran qui avaient provoqué la crise » (p. 208).
- Genvo, 2023, p. 27.
- Le Diberder, Le Diberder, 1998, p. 233.
- Ibid., p. 222-223.
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- Ibid.