L’écologisation des pratiques et l’évolution des conditions du débat démocratique autour des projets d’urbanisme et d’aménagement sont des éléments de contexte qui interrogent la place de l’urbaniste, son éthique, sa responsabilité ainsi que sa capacité à assumer la prise en compte de ces différents changements dans sa pratique professionnelle. C’est au cœur de la pratique professionnelle que se joue la résolution des contradictions inhérentes au contexte contemporain de transitions. Comment assumer des objectifs de renaturation et de non-artificialisation des sols quand la pratique de l’urbanisme visait jusqu’alors l’organisation d’une urbanisation en extension peu consciente des espaces agricoles, naturels et forestiers qu’elle impactait ? Comment assumer le partage d’expertises et de compétences dans le cadre d’un urbanisme plus participatif et négocié tout en restant le garant d’un certain intérêt général ? Ce dernier chapitre questionne le changement de posture, attendue ou en cours, des urbanistes et des aménageurs à travers quatre contributions (Chapitre 9 : Maéva Bigot ; Chapitre 10 : Noémie Lago ; Chapitre 11 : Julien Aldhuy et Guillaume Lacroix ; Chapitre 12 : Xavier Messager). Deux de ces contributions ont été élaborées par des praticiens (M. Bigot et X. Messager) dans une écriture qui se démarque des codes académiques pour avancer des propositions conceptuelles et méthodologiques à l’appui d’une analyse réflexive de leurs expériences pratiques. L’une des qualités de cette approche de « praticien réflexif » selon l’expression consacrée par le philosophe américain Donald Schön est d’éclairer l’action pratique de l’intérieur sous un prisme invisible par le chercheur parce qu’il relève de l’implicite d’une théorie mise en action. Or, dans le contexte actuel d’injonction à la transition, l’évolution des pratiques relève autant de la capacité des praticiens à réfléchir dans et sur l’action en prenant du recul sur leur activité professionnelle à l’appui de différents dispositifs réflexifs (communications, publications, enseignement, formation continue) que de celle du milieu académique à produire des théories à visée opératoire pouvant être remobilisées dans l’action et à offrir aux praticiens les conditions de cette réflexivité sur l’action. Cet accompagnement académique du praticien réflexif passe alors par la mise à disposition de dispositifs réflexifs, telles que l’organisation des Rencontres internationales en urbanisme rassemblant un public mixte, et au développement d’une recherche impliquée dans l’action où le compagnonnage entre praticiens et chercheurs permet d’éclairer rétrospectivement les conditions de l’action voire de les transformer dans le temps même de l’action.
À l’appui de ces deux positionnements, du chercheur impliqué dans l’action et du praticien-réflexif, les deux premiers chapitres de cette dernière partie s’inscrivent dans le prolongement de notre seconde partie en interrogeant l’apport de nouveaux savoir-faire et le changement de posture opéré par l’urbaniste dans le contexte d’action participatif de l’urbanisme et de l’aménagement de l’espace.
La contribution de M. Bigot, psychologue sociale et environnementale, s’appuie sur une expérience d’urbanisme participatif dans un quartier de région parisienne pour éclairer l’apport et les limites de sa pratique professionnelle à la mission de départ centrée que la conception d’un projet événementiel, la gestion de l’attente des travaux à venir et la préfiguration d’actions et de méthodes en matière de concertation. Ce chapitre vient ainsi éclairer les postulats, les méthodes et les concepts opératoires d’une pratique émergente en urbanisme et aménagement de l’espace. Partant d’une considération sur les relations, en évolution, de l’humain à son environnement, elle explicite ce en quoi une approche par la santé commune de l’environnement et de la société (initiative One Health : une seule santé) mobilisée à travers le concept opératoire de « vulnérabilité psychique et relationnelle » a permis de déplacer la mission pour porter une attention accrue aux relations entre les parties prenantes du projet : habitants, ville et bailleur social.
La contribution de N. Lago analyse pour sa part l’évolution de la posture de l’urbaniste au prisme d’un urbanisme participatif envisagé à partir l’un de ses instruments : la mise en place d’un budget participatif à Mons en Belgique en 2021. Hors des cas où l’urbaniste est lui-même un habitant contributeur, deux principales postures d’urbaniste sont identifiées dans le cadre de l’expertise technique et de l’évaluation finale des projets. La contribution identifie des pistes d’évolutions pour que ces expertises puissent à l’avenir favoriser le processus de participation citoyenne sur lequel ils interviennent en phase finale sans interférence avec les citoyens. Loin de remettre en question leur expertise, ces propositions visent à la constituer en élément d’accompagnement des citoyens contributeurs et d’information des citoyens votants dans une perspective de montée en compétences. Celle-ci vise, d’une part, à les autonomiser lors du choix des projets et, d’autre part, à optimiser la mise à disposition des informations techniques pour faciliter leur compréhension et leur appropriation par les citoyens porteurs de projets. Le rôle de l’expert n’est pas remis en question, mais en lui confiant un rôle de pédagogue, sa posture de sachant est déportée.
Les deux derniers chapitres abordent la dimension opérationnelle de l’urbanisme d’une part, en éclairant l’évolution d’une pratique historiquement liée à l’administration publique vers un management assimilé à celui du secteur privé pour s’inscrire de manière réactive et flexible dans un contexte d’action incertain et changeant, d’autre part, en questionnant les modalités de l’action publique et l’évolution vers des relations plus transversales, en mode « projet ».
La contribution de G. Lacroix et J. Aldhuy interroge les conditions d’aménagement d’une ancienne base aérienne au sein de l’entité métropolitaine du Grand Paris. C’est ici la posture de l’aménageur, une Société publique locale (SPL) qui est analysée et son approche de l’aménagement apparentée aux logiques entrepreneuriales des start-up. Tendue vers un objectif de performance, la SPL se caractérise par son agilité et sa recherche d’efficacité. Son équipe restreinte s’appuie sur un réseau d’acteurs publics et privés, professionnels et académiques. Elle est très investie dans le projet d’aménagement dont les contours opératoires sont encore incertains et impliquent de s’adapter en continu. Les auteurs observent là un comportement qui dénote significativement de celui des acteurs publics en s’interrogeant sur son caractère précurseur ou de simple exception.
Face à la montée de nouveaux acteurs entrant dans le champ de l’urbanisme, la contribution de X. Messager, architecte-urbaniste et directeur en collectivité territoriale, qui conclut cet ouvrage, questionne les conditions de l’action publique en urbanisme et aménagement et la mobilisation des métiers de la conception spatiale face aux enjeux de création d’une nouvelle urbanité. Il insiste sur le rôle des architectes, urbanistes et paysagistes, identifiées pour leur capacité à opérer en « mode projet », c’est-à-dire à l’interface de différents champs d’action sectoriels et thématiques et en positionnant la mise en forme de valeurs d’intérêt général comme un horizon commun à l’intervention de chacun. Ils apparaissent pourtant comme sous-représentés dans la fonction publique, garante de l’énoncé des règles et de l’élaboration des commandes qui précèdent l’action aménagiste. Face à ce constat, la contribution se constitue comme un plaidoyer pour que ces professionnels trouvent leur place et un certain niveau de responsabilité dans les collectivités.