Les pratiques de l’urbanisme et de l’aménagement s’écologisent en faisant évoluer leurs outils et leurs méthodes pour répondre aux objectifs de non-artificialisation et de renaturation des sols. Elles se démocratisent avec la montée de démarches incluant les populations qui coopèrent, tantôt en participant à des champs de l’aménagement et de la création d’habitats autrefois réservés aux experts, tantôt en négociant avec la puissance publique pour tenter de construire un intérêt partagé. Traversés par ce double mouvement, les métiers se transforment avec l’émergence de nouvelles postures professionnelles sensibles au paysage et à l’environnement. L’accompagnement des démarches participatives conduit l’urbaniste à se départir de la figure de l’expert surplombant tandis que dans le même temps certains habitants ou associations montent en compétences et se professionnalisent. Enfin, l’approche de projet en ce qu’elle s’appuie sur des transversalités de savoir-faire au sein des administrations et entre secteurs public et privé remet en question les routines des acteurs publics de l’urbanisme et de l’aménagement.
Cet ouvrage qui rassemble les contributions transmises à l’issue de trois ateliers tenus lors des Rencontres internationales en urbanisme (RIU) de Bordeaux en 2022, reflète des changements en cours dans les pratiques de l’urbanisme en réponse à la double injonction à des approches plus écologiques et collaboratives. Centré sur ces deux aspects et sans prétendre à l’exhaustivité, il n’en relève pas moins des changements structurants qui, en interpellant les pratiques, interrogent les formations préparatoires aux métiers rassemblées au sein de l’Association pour la promotion de l’enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme (APERAU). Dans deux articles (Chapitre 3 : Romeyer et al. ; Chapitre 11 : Aldhuy et Lacroix), la recherche conçue en étroite articulation avec l’action pratique s’appuie sur la formation d’étudiants en urbanisme impliqués par des stages ou des ateliers pédagogiques et dont les apports viennent soutenir l’argumentation scientifique notamment par des représentations graphiques. Ces recherches-actions-formations sont facilitées par la position d’interface des formations APERAU à la jonction des activités scientifiques et opérationnelles. Si la recherche mobilise la formation, inversement comment les formations fédérées par l’APERAU mobilisent-elles les produits de la recherche en re-questionnant (ou non) les contenus pédagogiques en urbanisme et aménagement ?
À l’issue de cet ouvrage, trois défis liés à l’évolution des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être en urbanisme et aménagement se précisent :
- la connaissance et l’interprétation de nouveaux savoirs issus des sciences de la nature (pédologie, hydrologie, écologie, etc.) dans les démarches de projet spatial au service de la préservation et la recréation de sols fertiles favorable à la biodiversité ;
- la connaissance des outils et des démarches opératoires facilitant les opérations d’habitat et d’aménagement participatives,
- la capacité à mettre en œuvre une transversalité de savoirs et de savoir-faire à travers la conduite et la gestion de projet.
En France, en Belgique, en Suisse, au Québec, autour de la Méditerranée et en Afrique de l’Ouest, les formations proposent dans leur ensemble des enseignements sur la ville durable ou sur le respect et la préservation de l’environnement. Les apports spécifiques en matière d’écologie et d’environnement appliqués à l’urbanisme et à l’aménagement se révèlent cependant limités. En France, en Belgique et en Suisse, ils se matérialisent principalement par des modules sur les politiques et le droit de l’environnement et en matière d’approche paysagère de la composition spatiale. Au Québec, la planification, la gestion et l’évaluation environnementale sont des contenus optionnels. En France, quelques masters spécialisés approfondissent cette dimension environnementale en dernière année à l’EUP, École d’urbanisme de Paris (M2 Environnements urbains), et à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional (IUAR) d’Aix-Marseille (M2 Projets de paysage, aménagement et urbanisme), à l’institut de Géoarchitecture de Brest (M2 Aménagement et environnement) et à l’Institut d’aménagement, d’urbanisme et de géographie (IAUGL) de Lille (M2 Environnement et ville durable). Seuls deux cursus, à l’Institut d’aménagement, de tourisme et d’urbanisme (IATU) de Bordeaux (M1 et M2 Paysage, évaluation environnementale et projets de territoire et troisième année de licence préparatoire) et à Polytech Tours (cycle d’ingénieur Génie de l’aménagement et de l’environnement avec des enseignements de tronc commun sur la gestion des milieux aquatiques), proposent une formation en trois ans avec une intégration sensible des questions écologiques et environnementales appliquées à l’urbanisme et à l’aménagement.
L’intégration de la participation citoyenne à l’urbanisme et à l’aménagement fait l’objet d’un traitement bien plus limité. Elle ressort peu des programmes d’enseignement : en France et au Québec seulement et généralement sous la forme d’une option. À l’EUP, un parcours de Master 2 (Master 2 Alternatives urbaines, démarches expérimentales et espaces publics) est dédié aux démarches de ré-appropriation des espaces publics par les habitants. Dans le champ de la production immobilière et d’habitat, la question de la participation est intégrée aux formations d’urbanisme spécialisées en particulier à l’EUP, à Paris Nanterre et au Havre où cette entrée participe clairement des maquettes pédagogiques.
La maîtrise des logiques et des outils du projet spatial est au cœur des formations labellisées par l’APERAU qui reposent sur la pratique de l’atelier pédagogique. Les enquêtes menées par le Collectif national des jeunes urbanistes (CNJU) en France confirment la montée et l’adéquation de ce savoir-faire avec les attendus professionnels. Elles témoignent ainsi d’une progression continue des urbanistes pilotes ou coordinateurs de projet urbain et de territoire lors de la dernière enquête (2018), ces derniers étant largement majoritaires au sein des répondants (59 %) alors que l’analyse et la prospective territoriale demeuraient depuis 2010 le cœur de métier déclaré par plus de la moitié des jeunes urbanistes. Si les formations initiales des jeunes urbanistes sont aujourd’hui lacunaires sur les deux fronts de changement abordés dans cet ouvrage, le développement de la formation continue, encore marginale ou strictement liée à la formation initiale, pourrait accompagner la montée en compétences dans un métier en renouvellement continu où les pratiques apprises à l’école, sans être celles d’hier, ne seront pas celles de demain.