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Du patrimoine aux campus en projets •
Introduction

En préférant à la classique formule « L’université et la ville » une forme plurielle « Villes et Universités », nous souhaitons souligner le fait que chaque université s’inscrit dans la particularité de la ville qui l’accueille1. La ville, certes, préexiste presque toujours à « son » université : mais là n’est pas notre objet, et aucune des villes traitées par la suite ne doit l’entièreté de sa réputation ou de son développement à l’Université, à l’instar d’Oxford, Göttingen, ou Salamanque. Il s’agira de villes plus anciennes, mais aussi plus vastes, multifonctionnelles et hétérogènes que ne l’est l’espace universitaire au sens propre. Serait-ce par leur spécificité proclamée – allusion aux valeurs de liberté, indépendance ou d’autonomie – que les universités transforment les villes2 ? Même si l’université tend à se penser comme « communauté » voire « cité » au sens le plus noble et absolu du terme, sa réalité historique et géographique est aussi celle d’un équipement urbain soumis à autant de vicissitudes que le sont les prosaïques centres hospitaliers ou commerciaux, pôles de transports… Le rappeler nous permet d’aborder cette seconde partie consacrée aux « campus en projets » de façon concrète.

Si patrimoine il y a, celui-ci est autant à entendre dans son sens historique et symbolique, que dans ce qu’il implique de lourdeurs et de complexités face à tout type de mutations. Sous la Troisième République, à une époque où l’échelle de ces équipements était moindre, Louis Liard (1846-1917), qui fut un acteur important des « facultés bordelaises » avant de piloter au niveau de l’État la rénovation des Universités françaises, manifestait ainsi son insatisfaction quant à la configuration des bâtiments académiques : « à l’ordre dispersé, nous avons préféré la concentration derrière la même façade, sous le même toit de services dissemblables peu faits pour cohabiter ensemble […] C’est un peu par la faute des professeurs […] Mais c’est aussi celle des architectes ». L’ambitieuse mission en matière de recherche que le régime républicain développe alors aurait selon lui demandé des bâtiments plus flexibles et moins monumentaux, compatibles avec des : « ateliers légèrement construits, pourtant facile à remplacer le jour ou la Science y aurait avantage3 ». L’article ci-dessous d’Alexandre Frambéry-Iacobone qui porte sur l’histoire des facultés de droit et science politique de Bordeaux, puise les racines de son analyse dans un XIXe siècle finalement mal outillé en matière de programmation immobilière. Malgré l’appel de Louis Liard, témoin de cet épisode fondateur de la trajectoire bordelaise, les difficultés de réalisation s’inscrivent dans la longue durée.

« Loin des yeux, loin du cœur » : la formule titre par laquelle s’ouvre cette seconde partie résume une distorsion tendancielle entre imaginaires urbain et universitaire, également dans l’agglomération bordelaise ; une discordance dans les représentations qu’il faut savoir considérer si l’on souhaite « réconcilier » les deux entités à travers leur aménagement. C’est une évidence : tout au long du XXe siècle en France, la construction et l’aménagement universitaires ont été difficilement et tardivement intégrés aux politiques urbaines, et ceci dès l’activation de ces dernières par la loi de 1919 sur la planification urbaine, ou à travers les ultérieures grandes anticipations d’un siècle qui connut simultanément révolution urbanistique et universitaire. Les réussites ponctuelles demeurent finalement peu nombreuses face à l’accélération générale des mutations, dans une France où la destinée des universités se cale aussi sur celle de métropoles qui les dépassent. Morcelée en facultés, l’université s’est-elle immiscée trop tôt dans les interstices d’une ville qu’elle n’a jamais eu capacité à contraindre ? N’en est-elle demeurée pour tout dire une entité à part, dont les « libertés » s’accommodent mal de directives et stratégies d’aménagement ? L’espace universitaire, conçu finalement comme un aparté fonctionnel, ne constitue-t-il pas une hétérotopie, douce et résiliente à la fois, dans la grande ville contemporaine ? Si les universités « transforment les villes », cela ne peut s’opérer finalement qu’en finesse, et sans doute dans le temps long. Risquons cette remarque : les universitaires – nous en faisons partie – qui étudient ces phénomènes n’auraient-ils pas parfois tendance à surestimer les effets de la présence universitaire dans la ville, voir la consistance de la dialectique ville/université ? Les cas étudiés en première partie de cet ouvrage alimentent assez bien ces interrogations, à commencer par la longue histoire du campus bordelais, en ouverture et clôture de cette section.

Nous irons ensuite avec Pascale Philifert à Nanterre, en région parisienne. Une région pour laquelle Loïc Vadelorge avait montré comment la planification des années 1960 avait traité de manière assez confuse et non programmée, improvisée même, la question, exactement contemporaine, de l’éclatement de l’Université parisienne4. Pourtant, quelle grande métropole européenne peut-elle revendiquer une familiarité plus profonde et ancienne avec l’élément universitaire que Paris ? Les deux grands moments de création universitaire – les années post 1968 et les années 1990 – illustrent bien la complexité des interactions. Si la naissance de l’Université de Nanterre fut un fameux épisode de l’éclatement d’un système issu du Moyen Âge, la démonstration conduite par Pascale Philifert dans les pages qui suivent montre le long et patient travail de liaison d’une Université nouvelle avec son territoire d’implantation. Le réaménagement au long cours du campus de Nanterre, tout comme l’inclusion en cours du campus bordelais dans un grand projet métropolitain, nous montre à quel point l’aménagement universitaire appelle une ingénierie de projet complexe, une détermination de pilotage sans faille.

Au même titre que d’autres grandes infrastructures métropolitaines au développement incrémental, les Universités peuvent-elles être autre chose que des chantiers permanents ? La comparaison avec des Universités relevant de contextes très différents nous apprend en réalité beaucoup. Les cas des Universités camerounaises, étudiés par Jacques Yomb et Lionel Rodrigue, en plein essor aujourd’hui, pose des questions plus amples encore, mais toutes très urbaines : le logement étudiant ou la mutation écologique de l’équipement et du fonctionnement universitaire. L’héritage universitaire plus court dans un pays du sud, mais aussi la croissance accélérée des villes comme de leurs universités, amène à poser les questions plus largement.

La question très difficile en France du logement étudiant, amène à élargir les enjeux immobiliers. L’immobilier universitaire – mis à l’ordre du jour depuis les réformes amorcées en 2007 – témoigne bien d’une nouvelle phase de mise en mouvement des universités françaises, désormais articulées par obligation au développement urbain ou métropolitain. Jean-Christophe Videlin nous rappellera qu’une université est aussi un patrimoine bâti et foncier, et que la prise en compte de ce dernier est un enjeu significatif de l’adaptation de l’institution aux évolutions rapides. Un héritage assez spécifique à la France demeurant le rôle joué par l’État, quelle place laisser aux acteurs privés ? Faut-il voir à travers la « valorisation » en cours un processus rampant et inavoué de privatisation ? L’acteur local entend jouer aussi un rôle accru, et c’est là assurément une autre mutation de long cours, par exemple en métropole bordelaise. Après les « plans campus » du début du siècle et la quête de la bonne échelle territoriale5, l’inscription de l’élément universitaire dans les grands projets donnera-t-il la juste mesure et le juste tempo de l’enjeu universitaire ? C’est ce que décrit l’article, en partie prospectif d’Émeline Demoulin et Manon Espinasse, à propos du projet Bordeaux Inno Campus.

Notes

  1. Loïc Vadelorge et al., L’université et la ville. Les espaces universitaires et leurs usages en Europe du XIIIe au XXIe siècle, PUR, 2018.
  2. Hélène Dang Vu, « Pourquoi les universités transforment-elles la ville ? », Territoires et Universités, Les Annales de la recherche urbaine, 109, 2014.
  3. Il fut professeur de philosophie à la faculté de Lettres et maire-adjoint de Bordeaux chargé de la rénovation des facultés, avant de devenir l’inamovible directeur de l’enseignement supérieur (1884-1902) sous le III République. Louis Liard, Universités et facultés, Paris, A. Colin, 1890, p. 42-43, cité par Christophe Charle : « Genèse du centre multidisciplinaire de Tolbiac dans le contexte universitaire des années 1970 », dans Florence Bourillon et al., De l’Université de Paris aux Universités d’Île-de-France, PUR, 2016.
  4. Loïc Vadelorge, « La genèse de la carte universitaire francilienne : du Padog aux Villes nouvelles (1960-1974) », dans Florence Bourillon et al., De l’Université de Paris aux Universités d’Île-de-France, PUR, 2016.
  5. Olivier Ratouis, « Bordeaux, les échelles urbaines d’une université en quête d’unité », Territoires et Universités, Les Annales de la recherche urbaine, 109, 2014.
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Pessac
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EAN html : 9791030011395
ISBN html : 979-10-300-1139-5
ISBN pdf : 979-10-300-1140-1
Volume : 32
ISSN : 2741-1818
Posté le 18/06/2025
3 p.
Code CLIL : 3669; 3076;
licence CC by SA

Comment citer

Viala, Laurent, « Du patrimoine aux campus en projets. Introduction », in : Mansion-Prud’homme, Nina, Schoonbaert, Sylvain, dir., Villes et universités. Quels patrimoines pour quels avenirs partagés ?, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, collection PrimaLun@ 32, 2025, 97-100, [en ligne] https://una-editions.fr/du-patrimoine-aux-campus-en-projets-introduction [consulté le 20/06/2025].
Illustration de couverture • Maquette d’étude du quartier de l’Esplanade (mai 1959). C.-G. Stoskopf architecte (avec intégration du projet de R. Hummel pour le campus) (Archives d’Alsace-Site de Strasbourg, fonds Stoskopf, 60J62).
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