Indépendamment des catégories sociales au Cameroun, le problème du logement se pose avec acuité en milieu rural comme en milieu urbain. Cette situation est amplifiée par un exode rural dense pour les villes et une démographie galopante en permanence. Mais le nombre également sans cesse croissant des jeunes qui frappent aux portes de l’enseignement supérieur a aussitôt contraint les pouvoirs publics à multiplier les universités publiques pour faire face à cette demande. Conséquemment à cette situation et dans les villes qui abritent ces nouvelles universités, le problème de logement se pose non seulement pour les étudiants, mais également pour tout le personnel qui accompagne le fonctionnement de ces nouvelles institutions. Face à cette situation, les stratégies se sont multipliées de part et d’autre par tous les acteurs en présence pour essayer de résorber le problème de logement. Mais la volonté manifeste des pouvoirs publics de multiplier les logements pour étudiants a été freinée par la crise économique des années 1980. À celle-ci, il faut aussi ajouter les politiques publiques pas toujours à même capables de favoriser la participation de tous à la mise sur pied d’une participation active des acteurs en présence tel que le secteur privé par exemple. Mais loin de faire l’inventaire de toutes les difficultés ayant concouru à la mise sur pied du logement estudiantin, il est question dans cette recherche de rendre compte de la socio économie du logement dans les nouvelles villes universitaires au Cameroun. Sur ce sujet, on note que :
Le début des années 1990 est marqué par des réformes institutionnelles qui ont considérablement bouleversé le paysage universitaire camerounais. L’augmentation vertigineuse du nombre d’étudiants et la massification consécutive de l’enseignement supérieur ont contribué non seulement à la redistribution des enseignements, mais surtout à la production d’une nouvelle géographie des espaces universitaires à la faveur des campagnes et villes moyennes qui connaissaient depuis au moins deux décennies des évolutions considérables tant sur le plan social que spatial. Aussi ; l’Université se présente-t-elle comme un espace où la massification des effectifs constitue un facteur important dans les stratégies d’aménagement du territoire, un précurseur d’importantes mutations socio-spatiales dans la dynamique de développement urbain au Cameroun1.
Pour y parvenir, les questions suivantes sont formulées pour atteindre notre objectif : quelles sont les mutations observées sur l’économie du logement dans les villes accueillant les universités nouvellement créées ? Autrement dit, quelles sont les stratégies mises sur pied par les villes universitaires face à la demande sans cesse grandissante de logements pour les étudiants ? Pour mieux répondre à cette préoccupation sur le logement, la présente réflexion se présente selon quatre articulations majeures. D’abord, une revue de la littérature sur le logement dans les villes accueillant les nouvelles universités. Ensuite, le cadre théorique et la méthodologie, l’offre en matière du logement estudiantin et enfin le marché du logement estudiantin proprement dit.
Revue de la littérature sur le logement estudiantin au Cameroun
Le manque de logements au Cameroun en général et celui des étudiants en particulier se pose avec acuité. Malheureusement et au fil des ans, les pouvoirs publics se sont montrés incapables d’apporter une solution durable à cette préoccupation. Et même les logements construits à cette fin sont parfois dans un état de décrépitude non négligeable. Les conduites capitalistes qui guident les uns et les autres dans ce secteur d’activité ne les amènent pas toujours à tenir compte de la qualité du logement. Pourtant, avec l’évolution de la société dans son ensemble :
Le logement décent est une exigence sociétale importante au centre de toute organisation humaine. Au Cameroun, la notion de logement décent est plus une exception qu’un principe : conséquence de nombreuses pesanteurs qui altèrent le développement du domaine du logement entraînant par ricochet, « l’ingouvernabilité » d’une société camerounaise de plus en plus complexe. Par ailleurs, dans un secteur qui se résume en plusieurs maux : illégalité, anarchie, crise spéculation foncière, cherté des intrants etc., l’action publique ne peut être que laborieuse. Ainsi, l’analyse du rapport entre la politique publique de logement et la crise de l’État au Cameroun permet de mettre en évidence le caractère perturbateur de la crise de l’État sur la politique publique de logement. Et parallèlement de relever qu’une mauvaise formulation de ladite politique, influe sur l’État entraînant ainsi le désordre dans l’espace public. Néanmoins, la crise de l’État et la politique publique du logement se présentent comme étant des fenêtres d’opportunités pour le Cameroun car, la crise n’est pas en soi une fatalité. C’est au contraire la fin d’un monde et la venue d’un monde nouveau qui remettra l’Homme debout2.
Conscients de leur incapacité à contrôler ce secteur, les pouvoirs publics ont par exemple homologué les prix se rapportant au logement universitaire, mais cette mesure a été difficilement suivie (tabl. 1)3. Dans le quotidien des étudiants, ces prix contenus dans le tableau ci-dessous sont restés théoriques et donc, inappliqués. Les propriétaires des logements universitaires fixent les prix à leur gré et ce, indépendamment de leurs positions sociales et même de celles des apprenants. Le tableau ci-après se veut encore plus explicite, il fait ressortir les prix réels, appliqués sur le terrain (tabl. 2)4. Cet appétit du gain pourrait tout aussi bien justifier le nombre sans cesse croissant d’étudiants en quête d’un logement. Loin de vouloir faire l’inventaire de l’évolution de la population estudiantine au Cameroun, il est tout de même important d’en avoir une idée. La première université publique au Cameroun a vu le jour en 1962, « cette première université du Cameroun, basée à Yaoundé, n’accueillait alors qu’environ 300 étudiants originaires de toutes les régions du Cameroun. En 1977, près de 10 000 étudiants sont inscrits »5. Mais en 1978 et au regard de la demande sans cesse croissante, les pouvoirs publics ont commencé à multiplier les centres universitaires d’abord à Douala et à Dschang et plus tard, un peu partout dans le pays. L’année 1993 marque un tournant important dans l’histoire du système universitaire camerounais avec notamment une augmentation substantielle de l’offre de l’enseignement supérieur. Pour l’année académique 2022-2023, 157 405 nouveaux étudiants se sont inscrits sur les campus des onze universités publiques du Cameroun, portant l’effectif total réel à 551 206 étudiants (Archives MINESUP 2023, C.T du 28 février 2023).

Cadre théorique et méthodologie
Dans le cadre de la présente recherche, nous avons retenu la théorie de l’encastrement et de celle du lien social pour les raisons suivantes. La notion d’encastrement ou plutôt la théorie de l’encastrement social, fait suite aux travaux de Granovetter, imposées comme centrales dans la nouvelle sociologie économique6. Il s’agit dans cet article de montrer l’importance de cette théorie dans la lecture du lien marchand construit entre les nouvelles villes universitaires et le logement des étudiants, sans toutefois oublier les autres acteurs en présence dans ce secteur d’activité. Il faut ajouter que la théorie de l’encastrement social inclue une approche historique, une construction sociale du marché du logement dans les nouvelles villes universitaires, donc une vertu heuristique qui a été soulignée, par exemple par Jacques Le Goff7. Autrement dit, pour l’auteur précédemment cité (Le Goff), la culture sur l’économie du logement est une construction quotidienne qui s’adapte sur les opportunités de terrain. Elle permet donc de mettre en évidence un double mouvement caractérisant les rapports entre économie et société, dont les grands traits sont synthétisés par Jean-Louis Laville8. C’est donc dire que le problème du logement estudiantin est encastré dans la société et ce, indépendamment de l’espace de vie, car loin d’être une spécificité pour cette catégorie sociale, il se pose avec acuité dans la société camerounaise en général. C’est ce qui justifie les conduites stratégiques des uns et des autres sur le droit de se loger. L’analyse des réseaux est donc utilisée par les acteurs en présence afin de saisir les facteurs explicatifs de la formation institutionnelle, car selon Granovetter, on peut définir les universités dans ce cas comme étant des « réseaux sociaux figés ». Cette façon d’envisager les institutions à partir de la reconstruction des conditions d’agrégation des actions individuelles et collectives est néanmoins envisagée. Les activités marchandes sont donc au cœur de la présente problématique, elles recouvrent l’ensemble des activités économiques de la dépendance entre les acteurs en présence. Bref, par encastrement théorique, nous désignons l’inscription de l’économie du logement dans des règles sociales, culturelles et politiques qui régissent certaines formes de production et de circulation des biens et services. Notre théorie rend compte de l’insertion des actions économiques dans des réseaux sociaux, qu’il convient de cerner à partir des relations personnelles et des structures présentes dans le logement en général. Elle analyse empiriquement les savoirs et les savoir-faire que les acteurs en présence mettent en œuvre dans ces villes universitaires pour réaliser ce qu’ils ont à faire dans leur vie quotidienne. Bref, la théorie de l’encastrement social rend compte du fait que l’économie du logement est ancrée à chaque terroir ou territoire. Enfin, la théorie du lien social peut être analysée comme un concept et en même temps une théorie sociologique. C’est un ensemble d’échanges sociaux qui lient différents acteurs en présence dans des situations sociales bien déterminées. Ils sont cependant appréhendés à travers des paradigmes respectifs différents selon chaque sociologue. Indépendamment des différentes approches sociologiques, le lien social désigne l’ensemble des relations qui unissent des individus faisant partie d’un même groupe social et/ou qui établissent des règles sociales entre individus ou groupes sociaux différents. L’expression, utilisée au pluriel, laisse penser aux relations sociales concrètes dont le lien social est tissé. Notons cependant qu’il : « est donc constitué de quatre grosses fibres de sociabilité inégalement enchevêtrées dans les divers types de rapports sociaux : la complémentarité, la compétitivité, la contradiction et le conflit9 ».
Pour mieux cerner la problématique retenue dans ce travail, nous avons pu asseoir une méthode essentiellement qualitative. Ce choix étant justifié par le fait que, nous montrons comment le marché du logement des étudiants dans les nouvelles villes universitaires au Cameroun se construit, déconstruit et se reconstruit. Les données sont collectées dans quelques nouvelles villes universitaires, Bertoua, Ebolowa, Garoua et même Douala. Les guides d’entretien individuel et de groupe sont à l’origine de la collecte des informations, à ceux-ci, il faut également ajouter les guides d’observation et les protocoles documentaires. Notre échantillon est constitué de cinquante individus intervenant d’une manière ou d’une autre dans le logement des étudiants dans les villes universitaires retenues dans cette recherche. La logique de recherche est essentiellement inductive, ce d’autant plus que nous partons des études de cas pour tirer des conclusions générales afin de comprendre les nouvelles villes universitaires camerounaises dans leur ensemble. Enfin, quant à l’analyse des données recueillies, elle est compréhensive, il est question de rendre compte des conduites, des stratégies mises sur pied par les intervenants dans le marché logement universitaire.
L’offre des pouvoirs publics et du secteur privé en matière de logement des étudiants
La création de nouvelles universités au Cameroun n’a pas toujours pris en compte les préoccupations relatives au logement des étudiants. Comme nous l’avons signalé plus haut, il faut remarquer que ce déficit du logement universitaire n’est pas propre à cette seule catégorie. Dans l’ensemble des villes camerounaises, le problème du logement social est permanent et les pouvoirs publics éprouvent d’énormes difficultés à y apporter des solutions durables. La forte pression exercée par les jeunes ambitieux de faire les études universitaires et les crises économiques récentes n’ont fait qu’aggraver cette situation. « Les pressions exercées par la forte demande d’accès à l’enseignement supérieur, conjuguées à la faiblesse voire l’absence de programmes économiques, ont fait de l’université au Cameroun, une composante majeure de l’espace socioéconomique urbain, en l’absence d’un véritable projet d’aménagement urbain10 ». Dans bon nombre de cas, il n’existe pas de logement universitaire, et quand bien même c’est le cas, quelques centaines de chambres sont seulement disponibles pour des milliers d’étudiants. À l’université de Douala par exemple, les trois cents chambres de la cité universitaire destinées aux étudiants ont été transformées en bureaux et distribuées aux enseignants. Dans les villes de Garoua, Ebolowa et Bertoua pour ne citer que celles-ci, les cités universitaires publiques sont presque inexistantes, favorisant ainsi le développement et la spéculation du marché du logement estudiantin vers et dans le secteur privé.
Conscient de leur incapacité à résorber le problème du logement estudiantin dans les villes universitaires, les pouvoirs publics ont aussitôt reconnu le rôle incontournable que peut jouer le secteur privé dans l’accompagnement des étudiants. Dans toutes les villes universitaires, il s’observe au quotidien pour ceux détenant des capitaux financiers non négligeables, une construction de logements universitaires sans précédent. Face à la demande sans cesse croissante, bon nombre de personnes se lancées dans ce secteur pour faire fructifier leurs revenus au mépris des différentes réglementations en vigueur.
La dynamique du marché du logement estudiantin dans les villes universitaires
Multiplication des mini-cités et économie de la transformation
Qu’il s’agisse du secteur privé ou du secteur public en matière du logement estudiantin, l’offre reste inférieure à la demande et cette dernière crée sa propre dynamique. La difficulté des pouvoirs publics à contrôler et à réguler le logement universitaire privé a conduit à des dérapages quotidiens, des conflits interpersonnels, des abus d’autorité, des effondrements d’immeuble etc. Ainsi et face aux difficultés de se loger plusieurs stratégies sont mises sur pied par les étudiants :
Devant la crise du logement, cinq étudiants de nationalité gabonaise ont trouvé une parade. Ils ont eu l’ingénieuse idée de louer une maison de cinq chambres. Ils se partagent les frais de loyer et les charges (eau, électricité, gardiennage). Cette formule de location des maisons est l’une des solutions imaginées par les étudiants devant la rareté des cités. En ce début d’année académique, trouver une chambre à « Ange Raphaël » est un véritable casse-tête. La problématique du logement se pose à la fois en termes de disponibilité et de prix11.
Malgré les actions permanentes du secteur public et privé, se loger pour les étudiants reste complexe : « La cité universitaire n’existent plus ! Les chambres sont transformées en bureaux pour les enseignants ! Les étudiants se débrouillent comme ils peuvent et sont à la merci des opérateurs immobiliers privés » (un étudiant de l’université de Douala, septembre 2023).
Autour des universités créées, ceux qui ne peuvent pas construire de nouvelles structures pour accueillir les étudiants, se lancent dans la transformation de ce qui existait déjà (maisons, garages, motels, hôtels etc). Ces nouvelles constructions présentent deux visages majeurs. Certaines présentent des limites en termes de qualité, car : « seul le gain préoccupe certains propriétaires : amasser assez d’argent dans les brefs délais est leur seul intérêt d’une part, d’autre part, certaines se modernisent tout de même au fil du temps, mais restent réservées en conséquence aux personnes ayant les moyens élevés12 ». Avec une absence quasi-totale des pouvoirs publics et avec le règne de la corruption, on note que : « La proportion de logements “autoconstruits” dans les villes de Yaoundé et de Douala est impressionnante : plus de 90 % à Yaoundé13 et plus de 80 % à Douala14 ». Ces pourcentages témoignent de l’inégalité de l’échange entre les pouvoirs publics et la société civile d’une part à cause de leur incapacité à satisfaire la demande locale et d’autre part à cause des procédures complexes, pas toujours faciles à respecter par les personnes les moins nanties. Des enquêtes réalisées récemment ne sont guère reluisantes à ce sujet, mais témoignent plutôt de la permanence et du développement de l’habitat informel. Ci-dessous, quelques-unes des constructions mentionnées plus haut qui sont, soit des maisons en transformation ou dans le meilleur des cas des constructions nouvelles aux abords des nouvelles universités (fig. 1).
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Espaces fonciers disputés et hausse des prix du mètre carré
S’il est vrai que la demande et la spéculation foncière sont déjà d’actualité partout au Cameroun, il n’en demeure pas moins que la création des nouvelles universités a amplifié les appétits sur le foncier, surtout dans les proximités de celles-ci. Ainsi, les prix sur le foncier se sont multipliés et devenues hors de portée pour les personnes aux revenus moyens. Celles des personnes qui détiennent encore des espaces libres ou des maisons voisines aux universités, sont pour beaucoup tentées de les vendre parfois au dépend des autres membres de la famille. Dans certains cas, les personnes ayant vendu leurs terrains vont s’installer en périphérie ou en péri-urbain en s’achetant de nouveaux terrains où les prix sont encore abordables. Et dans le pire des cas, c’est la vie dans la rue et la naissance des conflits au sein des familles. Vivre donc dans les villes universitaires est un parcours de combattant, « Il est difficile de vouloir s’acheter un terrain à (ange Raphaël) à Douala ! les prix ont été multiplié par dix ! n’en parlons plus du loyer, il coûte tout aussi cher (les chambres, les studios etc..). Nous les étudiants, nous rencontrons d’énormes difficultés pour trouver les logements, tout est fait pour avantager les riches » (un étudiant de l’université de Douala). Le tableau ci-dessous renseigne par exemple sur les spéculations foncières dans les villes universitaires (tabl. 3).

L’analyse de ce tableau montre la dynamique des prix du foncier en général et dans les abords des zones universitaires en particulier. Les prix contenus dans celui-ci sont hors de portée du camerounais moyen avec une conséquence notoire sur les prix du logement en général. Dans notre argumentaire, nous ne signifions pas que seule la création de nouvelles universités a eu un impact sur la valorisation du foncier, mais qu’elle a participé et continue d’ailleurs à augmenter la valeur foncière. D’ailleurs à ce sujet, Graciela Schneir note que : « Le processus d’accès illégal au sol constitue un trait caractéristique de l’urbanisation. Occupations collectives ou individuelles de terre, ventes frauduleuses, lotissements hors normes sont les solutions que trouvent les secteurs populaires face à un marché de terre et de logement qui les exclut. Ces pratiques rompent avec le fonctionnement formel de la ville, en dehors des mécanismes institutionnels d’attribution du sol urbain » Sans toutefois oublier que, très souvent, ceux qui décident d’entreprendre des travaux de construction n’ont pas toujours les moyens de leurs ambitions. Par conséquent, les chantiers sont généralement confiés à des acteurs du circuit non règlementé qui maîtrisent à peine les règles de l’art : « L’inexistence ou la lâcheté d’un cadre normatif des produits et des activités entrant dans le secteur du bâtiment, le faible pouvoir d’achat des populations et surtout le peu de sensibilisation aux questions de normes et de qualité, ont ouvert des brèches permettant à des aventuriers, aussi bien au niveau local que des entreprises étrangères de prendre le contrôle du secteur des constructions au Cameroun15 ». Mais malgré le fait que les pouvoirs publics essaient de règlementer le secteur du logement, les prix pratiqués sur le terrain sont contraires à ceux du tableau cité précédemment plus haut.
Naissance des petits métiers autour des universités et logements universitaires
Dans une approche socioéconomique, la création de nouvelles universités et par ricochet de nouveaux logements a conduit à la naissance de petits métiers tout autour de ces nouvelles structures. Ces petits métiers soutiennent la vie des habitants des dites localités tant pour les étudiants que pour les autres catégories sociales. En s’appuyant sur la théorie de « l’industrie-industrialisante », bon nombre d’entrepreneurs vont trouver aux quartiers abritant les universités des espaces marchands pouvant favoriser le développement de plusieurs types de commerce. Toutes les activités s’y rencontrent et ce, indépendamment des secteurs, espace de rencontre entre le formel et l’informel. Ci-après, quelques images des personnes exerçant de petits métiers tout autour de l’université de Douala (fig. 2).
Les propos qui suivent se veulent plus explicites : « Avec la présence de l’université dans notre environnement, toutes ou presque les activités en milieu urbain sont présentes ici, même s’il est vrai que beaucoup sont dans l’informel pour ne pas dire secteur de la débrouillardise. Vous pouvez observer que, toutes les routes environnantes à l’université sont occupées par de personnes aux portraits divers et variés » (une étudiante de l’université d’Ebolowa). Dans un contexte où il manque des cités universitaires qui auraient pu offrir plusieurs types de services aux étudiants et aux autres types de personnels de l’université, les activités informelles se sont imposées au grand jour au point que les pouvoirs publics sont parfois devenus de simples observateurs. Cette situation a eu pour conséquence l’omniprésence de l’insécurité dans les quartiers situés aux alentours des universités étudiées. Ainsi, on a pu noter que : « Nous sommes en insécurité dans notre quartier, les bandits ne sont pas inquiétés, ils font ce qu’ils veulent. Ceci est amplifié par le fait que, nous ne savons pas qui est étudiants et qui ne l’est pas ? quel est le statut réel de ceux qui habitent notre cité. Bref, c’est Dieu qui nous garde pour dire vraie » (un étudiant de l’université de Bertoua). Cependant, il n’en demeure pas moins que cette économie parallèle est au cœur de nombreux changements et mutations observés çà et là dans l’appropriation des espaces de vie estudiantine observés. Cette rencontre entre de nombreuses dynamiques conduit à des batailles de reconnaissance pour les uns et les autres en quête de survie. De ce dynamisme qui naît entre les acteurs en présence, se créé un nouveau champ dans lequel se déploient divers types d’échanges. Autrement dit, ces lieux de rencontre sont considérés comme des « espaces intermédiaires », complexes par leur mode de fonctionnement. Pour cette raison : « La sociologie de ces mondes ici présentée, fait ressortir, une approche en termes d’économie, d’espaces et de cultures – permet de penser les porosités, les imperméabilités, entre les différents mondes de la production mais aussi la difficulté des acteurs à percevoir, et à se raconter leurs places et leurs trajets. […] Ainsi, au-delà du travail en soi, ou de son absence, c’est plus largement la question des mondes sociaux eux-mêmes qui est posée ; et la possibilité offerte aux acteurs de se saisir, ou non, de leur propre destin16 ».
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Crise sur la finalité et la nature du lien social sur le logement
La nature et la finalité du lien social sur le logement social dans les nouvelles universités sont essentiellement en crise, partant du fait que la régulation publique à ce sujet est relative. Dans un contexte où les propriétaires des mini-cités fixent les conditions de logement à leur guise, les étudiants qui ne bénéficient d’aucune bourse éprouvent d’énormes difficultés à s’offrir un logement décent. Dans cette situation, le lien social est essentiellement compétitif et conflictuel par les finalités de l’échange entre les acteurs en présence dans le dit secteur (logement estudiantin). S’il est vrai que les pouvoirs publics ne peuvent à eux seuls répondre à la demande sur ce type de logement, il n’en demeure pas moins qu’il faut une régulation institutionnelle afin d’obtenir un résultat à « somme positive ». En l’absence de celle-ci : « La crise du lien social provoque ainsi un écart, une fracture […] et les partisans de l’innovation individuelle que sont les élites de toute sorte dont l’objectif est d’accroître leurs gains par tous les moyens, induisent d’une certaine manière l’exclusion sociale17 ».
Conclusion
Dans cet article où il était question de rendre compte du logement estudiantin dans les nouvelles villes universitaires au Cameroun, plus d’une observation est faite. Se loger en général au Cameroun et pour les étudiants en particulier est une action complexe. Cette situation a été amplifiée par la crise économique des années 1980 qui a ainsi limité les moyens d’investissement des pouvoirs publics. Au niveau de l’éducation, les universités publiques vont subir de plein fouet un retrait progressif de l’État en matière d’investissement. De nouvelles universités publiques sont certes créées, mais sans une prise en charge effective d’une partie du logement estudiantin par exemple. De nombreuses personnes se sont infiltrées dans ce secteur du logement au point que les apprenants ne savent plus parfois à quelle scène se vouer. Cette situation est amplifiée par une demande sans cesse croissante de jeunes qui frappent aux portes d’entrée dans les universités chaque année. Au sein de ces secteurs formels et informels, avec l’entrée en jeu du secteur privé guidé par l’appât du gain, « le secteur informel de l’habitat résiste bien à cette nouvelle crise et semble avoir dans l’avenir, des jours encore meilleurs18 ». Les nouvelles villes éprouvent donc d’énormes difficultés à accompagner les étudiants en matière de logement au point que ces derniers sont amenés à développer leurs propres stratégies au mépris de la qualité de leurs conditions de vie.
Notes
- Joseph Pascal Mbaha, Gaston Ndock Ndock, « Universités et territoires au Cameroun : entre croissance, diffusion spatiale et logiques de production urbaine », p. 113-133, dans Dominique Meva’a et al., Urbanisation et Développement humain au Cameroun : Peut-on prétendre à l’émergence urbaine à l’horizon du centenaire (2060) ? CERAD-ACP/ SS-CAD/ vol. n° 1, Éd. Européennes, 2015.
- Roger Bessala, Politique publique de logement et crise de l’état au Cameroun, Paris, Éditions universitaires Européennes, 2011.
- Données de terrain collectées et compilées dans le cadre des travaux dirigés des étudiants de master au département de sociologie. Ceci à base d’un guide d’entretien, d’un questionnaire et d’un guide d’entretien, bref, une recherche sur une méthode mixte.
- Idem que le tableau 3.
- Pascal Joseph Mbaha et Gaston Ndock Ndock, op. cit.
- Pierre Steiner, « Encastrements et sociologie économique », dans Isabelle Huault (dir.), La construction sociale de l’entreprise : autour des travaux de Mark Granovetter, Éditions Management et Société, Colombelles, 2002 p. 1675-1677.
- Jacques Le Goff, La bourse ou la vie. Économie et religion au Moyen-Âge, Paris, Hachette-Pluriel, 1986.
- Jean-Louis Laville, « Encastrement et nouvelle sociologie économique : de Granovetter à Polanyi et Mauss », Revue Interventions économique, 38, 2008. [http://journals.openedition.org/interventionseconomiques/245].
- Guy Bajoit, Sociologie relationnelle, Paris, PUF, 1992.
- Pascal Joseph Mbaha, Gaston Ndock Ndock, op. cit.
- Brice Mbeze, « Cameroun : Universités : Surenchère autour des logements », Cameroun Tribune, 304, 2015, p. 3.
- Jacques Yomb, « Lien social, socioéconomie foncière et habitat en milieu urbain camerounais », Les cahiers du MECAS de l’université de ABOU BEKR BELKAID TLEMCEN (Algérie), 8, 2012, p. 52-59.
- MINUH (1990), ancien ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat au Cameroun. Peter Geschiere, Piet Konings, Itinéraires d’accumulation au Cameroun, Paris, Karthala, 1993.
- Moïse Nzemen, Tontines et développement ou le défi financier de l’Afrique ? Yaoundé, Presses universitaires du Cameroun, Yaoundé, 1988. Mouafo, Le marché du logement à Douala. Contribution à l’étude des mécanismes immobiliers dans les villes d’Afrique Noire. Thèse de Doctorat 3e cycle de géographie, Yaoundé, 1986.
- Un trimestriel d’information, d’échanges et des professionnels du bâtiment, un magazine qui renseigne sur le bâtiment en 2009.
- Laurence Roulleau-Berger, « Espaces intermédiaires, économies urbaines et lutte pour la reconnaissance », dans Guénola Capron, Geneviève Cortes, Hélène Guetat et al., Liens et lieux de la mobilité : ces autres territoires, Paris, Belin, coll. Mappemonde, 2005.
- Jacques Yomb, « Mutation des campagnes et production de l’habitat en milieu rural Camerounais : exemple de l’arrondissement de Pouma et du canton Yassoukou, littoral, dans Repenser l’habitat sous les tropiques, IRESMA, 5, vol. 1-2, 2015, Yaoundé, p. 237-256.
- Chrispin Pettang, Pour un nouveau modèle de production de l’habitat en République du Canzerour. Thèse de doctorat en sciences de l’ingénieur, ENSP, Yaoundé, 1993.