Cette nouvelle aborde la violence conjugale sous un angle inattendu : il est moins question de la victime, Remigia – ou de son bourreau de mari, le Noiraud – que de celui qui l’a vengée, Juan Vela, seul coupable aux yeux de la justice. Si le texte ne prend pas sa défense, il souligne le décalage entre les faits et leur caractérisation par un système judiciaire fruit d’une culture patriarcale. Ainsi, l’accusé ne peut avoir agi que par jalousie et son crime est forcément passionnel ; pourtant il s’en défend, il a agi « sans passion ». Son crime n’entrant pas dans les cases prévues par la justice, il ira au bagne et son avocat, peu passionné par cette histoire, ne l’aidera pas.
Les expressions/les culturèmes
La Cárcel Modelo : la Prison Modèle (traduction littérale). Il s’agit ici de la Prison dite « Modèle » de Madrid, inaugurée en 1884 après sept années de chantier. Elle remplaçait l’ancienne prison, vétuste, datant du XVIIIe siècle (appelée El Saladero) et avait pour vocation de devenir un modèle de modernité pénitentiaire à l’échelle du pays, d’où son nom de prison « modèle ». Sur son modèle, fut construite notamment celle de Barcelone, inaugurée en 1904.
Les dialogues
Il y a essentiellement du dialogue dans cette nouvelle, entre deux personnages de classes sociales très différentes : l’avocat d’un côté, et l’accusé, de l’autre, un homme du peuple dont le parler se caractérise par l’utilisation de vulgarismes lexicaux et syntaxiques, comme dans la nouvelle précédente. On remarque notamment la suppression systématique du -d- intervocalique (namorao, denegría, etc.), des abrègements (soñación, usté, tié, etc.), des déformations articulatoires (secioné, etc.) ainsi que le recours fréquent à des marqueurs discursifs (vamos, pues, etc.). Ce parler a été rendu en utilisant les mêmes stratégies que dans « Dans nos campagnes ». Quatre exemples ont été soulignés : soñación, aphérèse d’ensoñación, a été compensée par la syncope « M’sieur » ; namorao, qui cumule la perte du -d- intervocalique et une aphérèse du -e, a été rendu par une transposition avec l’utilisation d’un verbe familier (« s’amouracher ») ; le marqueur vamos a été rendu par le syntagme « disons que » ; enfin la déformation secioné a été calquée : « sécionné ».
Il y a dans le récit du texte source une marque de discours rapporté en italique (la señá Remigia), qui fait écho au parler de l’accusé. Bien qu’isolée, elle a été traduite dans le texte cible (« m’ame Remigia ») car elle s’insère parfaitement en contexte, à côté de la désignation populaire des acteurs par leur surnom (Costilla, Negruzo). On a privilégié l’usage de l’italique, comme pour les autres surnoms.
Les noms propres/les surnoms
Tous les surnoms ont été traduits, deux littéralement (« la Côtelette », « le Pantin »), le troisième sans tenir compte de la déformation articulatoire (Negruzo au lieu de Negruzco) : « le Noiraud ». Ils contribuent à oraliser et colorer le dialogue.
Sin pasión
El defensor, el joven abogado Jacinto Fuentes, se encontraba desorientado. Si el mismo defendido le desbarataba los recursos empleados siempre con tanto provecho…, se acabó; no había manera de sacarle absuelto, y tal vez entre aplausos de la muchedumbre.
Sans passion
Le jeune avocat de la défense, Jacinto Fuentes, n’en revenait pas. L’accusé ruinait lui-même les méthodes qu’il avait toujours employées avec succès… c’était fichu ; il n’y avait pas moyen de le voir tiré d’affaire, ni, sait-on jamais, que la foule l’acclame.
–¿Qué trabajo le cuesta a usted decir la verdad? –preguntaba insistente al asesino, que, con la cabeza baja, el demacrado rostro muy ceñudo, estaba sentado sobre el camastro de su tétrica celda en la Cárcel Modelo
–. Confiese que se encontraba…, vamos, enamorado de la mujer, de la Remigia…
– Qu’est-ce que cela vous coûte de dire la vérité ? demandait-il avec insistance à l’assassin qui, la tête basse, le visage émacié et l’air renfrogné, était assis sur la paillasse de sa lugubre cellule de la Prison Modèle. Avouez que vous étiez…, disons…, amoureux de cette femme, de cette Remigia.
–No, señor. ¡Ni por soñación!
–exclamó sinceramente el criminal–. Pero… ¿qué iba yo a andar namorao
de la pobre de Remigia, que parece una aceituna aliñá, tan denegría como está de carnes, con lo que el marido, mi vítima, le arreaba a todas horas? Lo digo como si me fuese a morir: en ese caso de arrimarme, primero me arrimo a un brazao de leña seca que a la Remigia. Por éstas, que no se me ha pasao nunca semejante cosa ni por el pensamiento.
– Non m’sieur, même pas en rêve ! s’exclama le criminel avec sincérité. Enfin… comment s’amouracher de cette pauv’ Remigia, avec sa tête d’olive, tellement elle a la peau noire, à force que son mari, ma victime, la cognait à longueur de journée ? Je vous l’dis comme si ma dernière heure était venue : j’préfère un fagot de bois sec plutôt qu’la Remigia pour vivre à la colle. Pareille idée m’a jamais traversé l’esprit, ça non.
El abogadito, de recortada y perfumada barba, que había realizado tantas conquistas en sus años, relativamente pocos, se quedó confuso al notar que aquel hombre vigoroso y mozo también no mentía. Acostumbraba Fuentes explicárselo todo o casi todo por la atracción que ejerce sobre el hombre la mujer, y viceversa, y sus derroches de elocuencia los tenía preparados para el caso natural de que el oficial de zapatero Juan Vela, Costilla
de apodo, hubiese matado a Eugenio Rivas, alias el Negruzo
, por amores de la señá Remigia
, mujer de este último y dueña de un baratillo muy humilde en la calle de Toledo.
Le jeune avocat, à la barbe bien taillée et parfumée, qui avait multiplié les conquêtes malgré son jeune âge, fut surpris de constater que cet homme, bien bâti et aussi vif que lui, ne mentait pas. Fuentes avait pour habitude de tout expliquer, ou presque tout, par l’attraction que la femme exerce sur l’homme, et vice versa, et il se tenait prêt à déverser son éloquence pour une affaire classique où l’apprenti savetier Juan Vela, dit la Côtelette, avait tué Eugenio Rivas, alias le Noiraud, par amour pour m’ame Remigia, épouse de ce dernier et patronne d’une humble échoppe de la rue de Tolède.
Sólo con la clave amorosa podía el defensor reconstruir el drama lógicamente. Vela era huésped de los esposos Rivas. Nada más infalible que la inclinación o el «lío» entre el huésped y el ama. El marido, bruto y vicioso, desloma a golpes a su mujer, acaso por celos. En la casa hay un hombre que lo presencia y que está prendado de la mártir. La pasión le exalta; el espectáculo le es intolerable, y un día, ante tratamientos más horribles, al ver que el marido enarbola una silla para descargársela a la mujer en la cabeza, se interpone, ve rojo, empalma la faca y la sepulta, una, dos, tres veces, en el cuerpo del verdugo. ¿Quién no hubiese hecho lo mismo? ¿Quién, ante el martirio de una mujer que se ama, no se arrojaría a matar, ciego, anulada la voluntad, suprimido el albedrío, impulsado irresistiblemente por la violencia de la pasión que todo lo arrolla? ¿Quién responde de sí mismo en tales ocasiones, ante tales conflictos del alma?
Seul le mobile amoureux permettait au défenseur de reconstruire le drame logiquement. Vela logeait chez les époux Rivas. Rien de plus solide que l’attirance ou la « liaison » entre le client et la patronne. Le mari, une brute épaisse pleine de vices, passe son temps à rosser sa femme, par jalousie peut-être. À l’intérieur, un homme en est témoin, il est épris de la martyre. La passion l’enflamme ; le spectacle lui est intolérable, et un jour, où le mari redouble de violence et brandit une chaise pour la briser sur la tête de sa femme, il s’interpose, voit rouge, empoigne son coutelas et l’enfouit, une fois, deux fois, trois fois, dans le corps du bourreau. Qui n’eût agi de la sorte ? Qui, face au martyre de la femme aimée, ne perdrait pas la raison et son discernement et ne serait point amené à tuer, aveuglément, entraîné inexorablement par la violence d’une passion dévastatrice ? Qui répond de ses actes en de telles circonstances, face aux conflits de l’âme ?
Por estos caminos contaba dirigir su brillante peroración forense el abogado, seguro –a poco que apretase por varios lados, especialmente en algunos periódicos donde disponía de amigos– de un triunfo más sobre los ya obtenidos en su carrera refulgente, que le llevaba hacia un bufete lucrativo. Y he aquí que toda la combinación se venía a tierra, y a la poesía del crimen pasional, ardiente, típico, sustituía la prosa de un vulgar asesinato.
C’est cette voie que l’avocat comptait emprunter pour sa plaidoirie, sûr de récolter un nouveau triomphe dans cette brillante carrière qui lui promettait un avenir radieux et lucratif. Il suffirait qu’il fasse jouer ses relations, notamment dans certains journaux. Et voici que tout son plan s’écroulait, et la poésie du crime passionnel, sulfureux, primitif, laissait place à la prose d’un vulgaire assassinat.
–Entendámonos –murmuró, haciendo con la mano derecha la señal de esperar–. Usted no tenía nada con la Remigia; la Remigia… no le seducía a usted. Bueno. Y entonces, amigo Juan, ¿cómo me explica usted el hecho de autos? ¿Por qué montó usted al Negruzo? ¿Había mediado entre ustedes alguna cuestión?
– Comprenons-nous bien, murmura-t-il, en lui faisant signe d’attendre de la main droite. Il n’y avait rien entre Remigia et vous ; Remigia ne vous attirait pas. Très bien. Alors, mon cher Juan, comment expliquez-vous cette décision de justice ? Pourquoi avoir liquidé le Noiraud ? Aviez-vous un différend ?
–No, señor. Cuestión, ninguna. Al contrario; en el taller nos llevábamos perfectamente. Aquella mañana, la del día en que pasó el «disgusto», estuvimos echando unas copas en la taberna del Pelele
, y me las pagó, por cierto, él.
– Non, m’sieur, aucun différend. Au contraire ; à l’atelier, on s’entendait à merveille. Ce matin-là, le jour de la « dispute », on a été boire des coups chez le Pantin, et d’ailleurs c’est lui qui a payé.
–¿Estaban ustedes, o uno de ustedes, embriagados cuando ocurrió el hecho?
– Étiez-vous ivres tous les deux ou seulement l’un de vous quand c’est arrivé ?
–Tampoco, tampoco. Yo nunca lo he tenío por costumbre, y el Negruzo, que la cogía a menudo, entonces no la cogió, porque total fueron dos copillas, y de mañana, y la cosa pasó al retirarnos.
– Non, non. Moi c’est pas mon habitude et le Noiraud, qui s’en prend souvent des belles, n’était pas ivre, on avait juste bu deux p’tits verres, de bon matin, et ça s’est passé après.
–Siendo así, ¿cómo se comprende…?
– Mais dans ce cas, comment expliquez-vous… ?
–Fue de esas cosas…, vamos
, de esas cosas que hace un hombre…, sin saber muchas veces ni por qué las hace. Verá usté… Yo tomé posada en casa del Negruzo porque él se empeñó, diciéndome que estaría muy bien y muy bien. Tocante al hospedaje, no tengo na que decir: su buen cocido, su buena cena, la cama aseá, y todo según corresponde. Pero a mí me llevaba el demonio viendo el trato que le daba aquel tío a su mujer delante de mí. Que la matase allá en su alcoba, malo será; pero nadie tié que meterse; para eso era su señora. En mi cara… era cosa de avergonzarme. Estar un hombre presenciando que a una mujer la hacen tajás, y dejarlo… vamos, que se le requema a uno la sangre. Yo en jamás le levanté la mano ni a mi madre ni a mis hermanas cuando vivía con ellas. Es mala vergüenza para un hombre el sacudir a las hembras, y más si son como la Remigia, que se cae de puro honrá.
– Ben, ça s’est passé… disons que ça fait partie des choses qu’un homme peut faire, souvent sans savoir pourquoi. Je m’en vais vous expliquer… J’ai pris une chambre chez le Noiraud parce qu’il a insisté, il m’a dit que j’y serais vraiment très bien. Concernant le logement, rien à redire : un bon repas à midi, un bon repas le soir, la chambre proprette et tout comme il faut. Par contre, les façons que c’type avait avec sa femme, ça m’rendait fou. Qu’il la tue dans sa chambre, c’est pas bien mais c’est leur affaire, après tout c’est sa femme. Mais sous mon nez… c’est honteux. Voir qu’une femme s’fait cogner et rien faire quand on est un homme… eh ben, ça vous échauffe le sang. Moi, j’ai jamais levé la main sur ma mère ni sur mes sœurs quand j’vivais avec elles. C’est pas correct qu’un homme brutalise les femmes mais c’est pire si elles sont comme la Remigia, parfaitement honnêtes.
Así se lo dije al Negruzo muchísimas veces, y si hubiese quedado con vida él no lo negaría, que por amonestao no quedó. ¿Sabe usted, don Jacinto, lo que me contestaba el fresco? Que la Remigia era tan fea, que le chocaba que la saliesen defensores. «¿Para qué se quieren las feas y las flacas esmirriás en el mundo?», era lo que decía. Y yo le replicaba: «Pues mira: cuando atices leña a la Remigia, procura que no esté yo elante, porque un día me atufo y hago una barbaridá»; y se reía, se reía a carcajadas: «Anda, que le ha salío un galán a la Remigia.» Y usted dirá –prosiguió el asesino– que siendo la Remigia tan buena, no se entiende por qué la pegaba su hombre… Pues ahí está lo que me sacó de mis casillas. Ver que no había motivo; pero ¿qué motivo?, ni como el que dice tanto así de la sombra de pretexto. Que si la sopa de fideos era un engrudo…, que si los garbanzos estaban duros…, que si los chicos lloraban…, que si faltaba un botón a la blusa… Todo mentira las más veces…; y un descuido lo tiene cualquiera, me se figura. En fin, que el día de la cosa…, de la desgracia…, porque en medio de todo, desgracia fue…, pues el Negruzo entró en su casa de mal talante, y sin reparar que estaba yo allí, y también el mayor de los niños, una criatura de ocho años, la tomó con la Remigia, y por primera providencia le pegó dos puñetazos en el pecho. Y como ella se echó a llorar, la dio una patá en una pierna que la tiró al suelo, y ya que la vio en el suelo, alzó una silla para darla Dios sabe dónde… Y entonces, un servidor…; na…, el demonio… Me lo hubiese comido, vamos; le di tantas, sin saber lo que estaba haciendo, que me contaron después que hasta le «secioné»
una oreja y tres dedos de la mano… No, por avisado no fue; que se lo advertí veces. ¡Y no hubo más!… ¡Ah! Sí. El chico pequeño, cuando yo me harté de dar, vino a mirar a su padre, que ya no se movía, y me dijo muy calladito: «¡Bien hecho!»
Je lui ai dit franco au Noiraud, et plus d’une fois, et s’il était encore en vie, il pourrait pas nier qu’on l’avait averti. Vous savez pas, don Jacinto, ce qu’y m’répondait, le coquin ? Que la Remigia était tellement laide qu’il en revenait pas qu’on puisse la défendre. « À quoi servent les moches et les maigrichonnes sur terre ? », voilà ce qu’y disait. Et moi, je répliquais : « Ouais, ben, fais en sorte que j’sois pas là quand tu mets une torgnole à la Remigia, parce qu’un jour ça va m’chauffer et j’peux faire une bêtise » ; et il riait, il éclatait de rire : « V’là ti pas que la Remigia s’est trouvé un soupirant ! ». Et vous m’direz, poursuivit l’assassin, si la Remigia est si parfaite, pourquoi qu’son homme la tabassait… ? Pardi, c’est ça qui m’a fait sortir de mes gonds. Savoir que c’était pour rien, rien du tout, pas même pour l’ombre d’une raison comme on dit. Un coup, les vermicelles étaient trop cuits… ou les pois chiches pas assez… un autre, les enfants pleuraient… ou il manquait un bouton à la chemise… Des mensonges la plupart du temps ; et tout le monde peut s’tromper, j’imagine. Bref, le jour où c’est arrivé, le malheur…, parce qu’au final, c’est bien d’un malheur qu’on parle, eh ben, le Noiraud est rentré chez lui de mauvaise humeur et sans voir que moi et son aîné de huit ans on était là, il s’en est pris à la Remigia et il lui a collé direct deux coups d’poing dans la poitrine. Comme elle s’est mise à pleurer, il lui a fichu un coup d’pied dans une jambe pour la faire tomber, et là, en la voyant par terre, il a pris une chaise pour la lui briser Dieu sait où… Et c’est là que j’ai voulu, ou plutôt, le démon… j’l’aurais bouffé ; j’ai pas réfléchi et je m’suis tellement acharné que, d’après ce qu’on m’a dit, je lui ai même sécionné une oreille et trois doigts… Ah ça, il l’a bien cherché, c’est pas faute de l’avoir prévenu. Et ça a été terminé ! Ah ! J’allais oublier, son gamin, quand j’en ai eu assez de cogner, il est v’nu voir son père qui bougeait plus et m’a dit tout bas : « Bien fait ! ».
El abogado, silencioso y ceñudo, reflexionaba:
L’avocat, silencieux et soucieux, réfléchissait :
–Se hará lo posible… Pero como no se trata de un crimen pasional, no me atrevo a que usted esté muy esperanzado… ¿Por qué no dice usted, cuando llegue el caso, que andaba usted prendado de la Remigia?
– On fera le maximum… mais comme il ne s’agit pas d’un crime passionnel, je ne veux pas vous donner de faux espoirs… Pourquoi ne pas dire, quand ce sera votre tour, que vous étiez épris de Remigia ?
–Porque sólo con verla, señor, no lo creerán… Y tampoco es mu regular eso de calumniar a una mujer decente.
– Parce qu’en la voyant, m’sieur, personne me croira… et c’est pas non plus ben correct de rabaisser une femme décente.
«Pues lo que es éste, de presidio no se escapa», pensó el defensor malhumorado, y resolviendo ya, en su interior, no «apretar» en aquel asunto borroso y deslucido.
« Eh bien, celui-là, il ira au bagne », pensa le défenseur de mauvaise humeur, et résolu, déjà, dans son for intérieur, à ne pas faire « jouer ses appuis » dans cette affaire confuse qui ne le passionnait guère.