UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Appréhender la nature en ville à travers le tronçon de rue :
une double approche méthodologique et projectuelle
du cas d’Aix-en-Provence

par

Matrice première de constitution et d’évolution des tissus urbains, le réseau des rues et des voies constitue un élément clé de la morphologie urbaine (Kostof, 1992, Panerai et al., 2004). Quasi inamovible dans sa structure topologique, celui-ci fait néanmoins l’objet de transformations régulières de ses usages, statuts et configurations spatiales, en fonction de l’évolution des paradigmes aménagistes et sociétaux (Romeyer, 2017 ; Alonzo, 2020). Dans un contexte appelant à une meilleure prise en compte des enjeux de préservation de la biodiversité dans le champ de l’urbanisme (Clergeau, 2020), de nouvelles « écologies de la rue » (Appleyard, 1981), moins anthropocentrées, tendent à se dessiner (Moxon, 2019). Au sein de celles-ci, le réseau viaire s’appréhende comme un support privilégié non plus seulement à une diversité d’usages et d’appropriations humaines, mais encore à l’épanouissement de dynamiques écologiques d’habitat et de dispersion. À cet égard, « la rue est alors à penser aussi comme un corridor et peut être intégrée à un réseau de trames vertes » (Héran et al., 2022, p. 102). Représentant un potentiel considérable d’espaces mobilisables au service de la transition écologique, sur lequel la puissance publique dispose par ailleurs souvent d’une large capacité d’action et de régulation, qu’en est-il alors de la prise en compte de ce réseau viaire dans un contexte de crises environnementales ?

C’est la question à laquelle a cherché à répondre le projet BioRev-Aix, pour biodiversité et réseau viaire à Aix-en-Provence, financé par le ministère de la Transition écologique dans le cadre du programme biodiversité, aménagement urbain et morphologie (BAUM), initié en 2019 par le plan urbanisme construction architecture (PUCA). BAUM met au cœur de ses attentes l’enjeu de conciliation entre « densification du bâti, organisation des constructions, et déploiement dans la matrice construite de la ville, d’un réseau d’espaces à caractère naturel, propice à l’accueil et au maintien de la biodiversité la plus riche possible » (https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/biodiversite-amenagement-urbain-et-morphologie-a1586.html). Invitant à un double croisement, entre acteurs et chercheurs, d’une part, et entre disciplines de l’aménagement et discipline écologique, d’autre part, ce programme a ainsi fait travailler pendant près de 4 années (2019-2023) un ensemble de 6 équipes pluridisciplinaires. Ces dernières ont adopté des méthodologies variées, privilégiant d’un projet à l’autre des approches qualitatives ou quantitatives, ou encore des approches mixtes, comme cela a pu être le cas ici.

Au sein de ce programme visant à la mise en évidence de « quelques grands principes d’organisation urbaine favorable à la biodiversité et au bon fonctionnement écologique » (idem.), le projet BioRev-Aix ambitionne de traiter la rue comme objet transversal permettant de jeter des ponts entre écologie des paysages et écologie des communautés, mais aussi entre aménagement des territoires et aménagement urbain. À cet égard, il s’interroge sur la capacité du réseau viaire à être support de fonctionnements urbanistiques et écologiques suivant sa double structuration (i) topologique, en tant que réseau de « liens » et (ii) morphologique, en tant que réseau de « lieux » (Jones et al., 2007).

Impliquant quatre laboratoires de recherche d’Aix-Marseille Université (TELEMMe, IMBE, LIEU, LPED), ce projet émet alors l’hypothèse que la relation entre les fonctionnements urbanistiques et écologiques du réseau viaire est inféodée à deux paramètres principaux :

  • la morphologie territoriale et urbaine caractérisée par des interrelations entre des structures viaires et des formes bâties (constructions) et non bâties (espaces ouverts non minéralisés, parcs, jardins, etc.), extrêmement variables dans leurs configurations et leurs usages ;
  • les modes de gestion des espaces à caractère naturel [ECN] (Clergeau, 2007) présents sur le réseau viaire.

Pour asseoir sa démarche et pratiquer ses terrains, le projet BioReV-Aix profite d’un écosystème de recherche-action favorable : la ville d’Aix-en-Provence. Celle-ci se caractérise, en effet, par une structure urbaine particulièrement lisible, du fait du caractère archétypal de ses différents quartiers issus de périodes de production de bâti distinctes. Elle se situe à proximité directe de grands réservoirs de biodiversité (montagne Sainte Victoire, plateau de l’Arbois). Elle enregistre par ailleurs une démarche d’écologisation progressive des pratiques d’aménagement et de gestion de ses espaces verts, comme en témoigne l’obtention du label « EcoJardin » pour le parc Christine Bernard et la mise en œuvre de son parc naturel urbain. Aix-en-Provence présente enfin une unité de gestion propice à l’investigation. Un grand nombre de services techniques stratégiques sont encore organisés en régie dont la voirie, les infrastructures et les espaces verts et de fortes logiques partenariales entre les chercheurs de BioRev-Aix et les acteurs municipaux sont depuis longtemps engagées.

Au sein de ce projet structuré autour d’un ensemble de tâches interconnectées, faisant ainsi la part belle aux « frottements interdisciplinaires » (Groupe sur l’urbanisme écologique, 2022) entre disciplines de l’aménagement, ici urbanisme et géographie, et de l’écologie, la présente contribution se centre sur les enjeux méthodologiques qui se sont posés aux urbanistes de ce projet dans leur appréhension de la rue comme double support d’analyse interdisciplinaire, et outil de projet.

Le développement s’articulera autour de trois grands temps. Il reviendra d’abord sur l’unité spatiale développée afin de permettre l’interrogation interdisciplinaire de l’objet « rue », ici au centre des attentions : le « tronçon ». Il s’attachera ensuite aux modes d’analyse in situ appliquées à un ensemble de ces segments de voie, choisi au regard de leur potentiel de contribution à l’amélioration des connectivités écologiques. Il s’intéressera enfin à la manière dont ces analyses de terrain ont pu nourrir l’identification de trois situations de projet distinctes, ainsi que la recherche de leviers de renaturation ad hoc.

Du réseau viaire au « tronçon » : la construction d’un objet d’études interdisciplinaire

Figure urbaine relevant à la fois de l’universel et de l’extrême proximité, le réseau viaire se caractérise par sa grande hétérogénéité. En effet, si certaines rues mesurent plusieurs kilomètres de long, d’autres se déploient seulement sur quelques mètres. En outre, plusieurs morphologies peuvent se succéder au sein d’une seule et même rue. Cette infinie variété des formes localement prises représente, à ce titre, un véritable « défi à la classification » (Allain, 2004).

Le développement d’un cadre d’analyse permettant la caractérisation à la fois fine et systématique de ces interrelations à l’œuvre entre des structures viaires et des formes bâties (constructions) et non bâties (espaces ouverts non minéralisés, parcs, jardins, etc.), elles-mêmes extrêmement variables dans leurs configurations et leurs usages, est pourtant apparu comme une nécessité au travail interdisciplinaire entre urbanistes et écologues. La réponse à cet enjeu de construction d’une unité de travail commune s’est appuyée sur les derniers développements des recherches sur la morphologie urbaine interrogeant la structure de la ville depuis la rue. En effet, la disponibilité croissante des données géospatiales et les progrès parallèles de la science des données géographiques, ont participé à l’émergence de nouveaux développements dans le champ de la morphologie urbaine, renouvelant les approches d’inspiration principalement qualitative issues des trois grandes écoles anglaise, française et italienne, fondatrices du champ (Moudon, 1997).

L’analyse structurelle du réseau viaire a ainsi fait l’objet de nombreuses investigations, en appui sur la théorie des graphes et dans la lignée des travaux pionniers de la Space Syntax (Hillier & Hanson, 1984). De manière générale, un graphe est un objet mathématique construit comme un ensemble de sommets reliés par des arêtes. Plus précisément, un graphe viaire modélise la manière dont les voies urbaines (liens) se croisent et s’entrecroisent autour d’un ensemble d’intersections (nœuds). L’analyse structurelle par graphe d’un réseau viaire permet alors d’en définir les caractéristiques topologiques et topographiques et, ce faisant, d’en identifier les nœuds et liens les plus centraux (Lagesse, 2015). Ceci confère à ces modèles mathématiques pionniers une capacité prédictive avérée vis-à-vis de certains fonctionnements urbains (flux de transports, valeurs foncières, etc.). Leur utilisation en tant que descripteur de morphologie urbaine est toutefois limitée par leur incapacité à intégrer certains éléments essentiels des tissus urbains (bâti, parcellaire, topographie, etc.) ainsi que les caractéristiques géométriques des voies considérées (géométrie, largeur, etc.).

C’est ainsi que d’autres travaux ont profité du développement des bases de données SIG pour proposer de nouveaux outils, plus contextuels, de caractérisation morphologique du réseau viaire. En la matière, les outils de caractérisation automatisés du paysage viaire urbain (streetscape), proposé par Harvey et al. (2017) puis par Araldi et Fusco (2018), ouvrent à une prise en compte de l’espace-rue appréhendé par le piéton. Du fait de leur évidente complémentarité, ces deux niveaux d’analyse, structurelle et morphologique, du réseau viaire ont été conjointement mobilisés dans le cadre du projet BioRev-Aix.

Si l’analyse structurelle du réseau viaire par l’intermédiaire de graphes peut s’opérer de manière assez directe, en appui sur de nombreux programmes dédiés tels SDNA (Cooper & Chiaradia, 2020), ou encore Morphéo (Lagesse, 2015), etc., le choix d’une unité d’échantillonnage morphologique adaptée au croisement d’analyses à la fois urbanistiques et écologiques du réseau viaire a nécessité plus d’attention. Les réflexions méthodologiques qui s’en sont suivies ont alors conduit à la production d’une unité d’analyse morphologique originale, pensée pour accompagner les modélisations, les échantillonnages ainsi que l’interprétation des données produites par les collègues écologues du projet à partir de 3 taxons distincts, choisis pour la variété de leurs modes et échelles de dispersion : la flore des rues, la malacofaune (escargots), les écureuils. Prenant le nom de « tronçon » de rue, il s’agira maintenant d’en préciser les modalités de construction.

Le « tronçon » correspond à un linéaire de voie urbaine (hors route et sentier) inclus entre deux intersections, et auquel a été appliquée une zone tampon (buffer) de 30 m de part et d’autre de son axe central (cf. figure 1). À noter que cette valeur seuil a été déterminée à partir des caractéristiques connues du réseau d’Aix-en-Provence (écartement maximal de façade à façade relevé dans la base de données).

Figure 1. Exemple de découpage d’une portion du réseau viaire aixois en un ensemble de tronçons.
Figure 1. Exemple de découpage d’une portion du réseau viaire aixois en un ensemble de tronçons.

Construit à partir de la couche « Route nommée » proposée par la base de données BD TOPO développée par l’Institut géographique national (IGN), un ensemble de 5460 tronçons a ainsi pu être généré à l’échelle du territoire d’études, dont le périmètre se concentre sur le centre-ville et les premières couronnes périurbaines aixoises (cf. figure 2). Ce périmètre a été choisi dans le but de concentrer les recherches sur les spécificités de l’urbain plus ou moins agglomérées, laissant ainsi de côté l’urbain diffus.

Figure 2. L’ensemble des rues du périmètre BioReV-Aix découpées en tronçons.
Figure 2. L’ensemble des rues du périmètre BioReV-Aix découpées en tronçons.

Une fois l’ensemble des tronçons spatialisés à l’échelle du territoire d’études, il s’est ensuite agi de leur imputer un ensemble d’indicateurs permettant de les caractériser et de les comparer en termes morphologiques. En appui sur le logiciel de système d’information géographique QGIS ainsi que sur le programme Python de morphométrique urbaine Momepy développé par Martin Fleischmann (2019), un ensemble de valeurs a ainsi pu être associé à chacun des tronçons. Les différents indicateurs de morphologie urbaine mobilisés ont été synthétisés dans le tableau récapitulatif ci-dessous (cf. figure 3) :

Figure 3. Liste des différents indicateurs imputés dans les tronçons.
Figure 3. Liste des différents indicateurs imputés dans les tronçons.

L’enjeu a ensuite été de regrouper les différents tronçons en un ensemble à la fois raisonné, par leur construction objectivée, et raisonnable, par leur nombre limité, de classes morphologiques. Celles-ci ont été construites par l’intermédiaire d’une analyse statistique multivariée de type analyse en composantes principales (ACP), réalisée à l’aide du logiciel R. Pour ce faire, le choix a été fait de s’appuyer sur un ensemble de six variables morphologiques jugées représentatives :

  • le « pourcentage d’emprise bâti » ;
  • la « hauteur moyenne du bâti » ;
  • le « niveau de contiguïté du bâti » ;
  • le « degré d’ouverture du bâti » ;
  • la « largeur moyenne du tronçon » ;
  • et enfin le « profil du tronçon » (cf. figure 4).
Figure 4. Les 5460 tronçons générés à l’échelle du territoire d’études, ici discrétisés suivant leur profil, équivalent au ratio : Hauteur moyenne du bâti/Largeur moyenne du tronçon.
Figure 4. Les 5460 tronçons générés à l’échelle du territoire d’études, ici discrétisés suivant leur profil, équivalent au ratio : Hauteur moyenne du bâti/Largeur moyenne du tronçon.
Figure 5. Représentation de l’ACP des tronçons de rues sur les variables de morphologie urbaine. Ouverture : ouverture de la rue ; largeur : largeur de la rue ; contig. : contiguïté du bâti ; hauteur : hauteur du bâti ; profil : profil du bâti ; %bâti : surface de bâti du tronçon/superficie totale du tronçon.
Figure 5. Représentation de l’ACP des tronçons de rues sur les variables de morphologie urbaine. Ouverture : ouverture de la rue ; largeur : largeur de la rue ; contig. : contiguïté du bâti ; hauteur : hauteur du bâti ; profil : profil du bâti ; %bâti : surface de bâti du tronçon/superficie totale du tronçon.

À partir des résultats de l’ACP (cf. figure 5), une approche dite de « clustering » visant à la génération statistique de classes de tronçons ayant des caractéristiques similaires a ensuite été mise en œuvre. Différents découpages en classes morphologiques ont ainsi été spatialisés (de 2 à 7 à classes) sur le territoire d’études (cf. figure 6).

Figure 6. Représentation des tronçons de rues selon les catégories de tissus urbains. Violet : Tissus d’habitats collectifs continus ; orange : Tissus d’habitats collectifs discontinus ; Rose : Tissus composites ; vert : Tissus d’habitats pavillonnaires.
Figure 6. Représentation des tronçons de rues selon les catégories de tissus urbains. Violet : Tissus d’habitats collectifs continus ; orange : Tissus d’habitats collectifs discontinus ; Rose : Tissus composites ; vert : Tissus d’habitats pavillonnaires.

À la fois synthétique et représentatif de la diversité morphologique du territoire aixois considéré, le choix d’un découpage en 4 classes a été retenu. Celui-ci a été validé par confrontation de la répartition spatiale des classes morphologiques obtenues avec d’autres classifications morphologiques, dont celles produites par les agences d’urbanisme du territoire métropolitain (AUPA et AGAM), mettant en lumière leur concordance globale. Une classe dite « 0 » a par ailleurs été créée manuellement avant de réaliser l’analyse en composantes principales (ACP). Celle-ci regroupe tous les tronçons non bâtis du secteur considéré.

La spatialisation de ces quatre classes morphologiques sur le territoire aixois fait ainsi ressortir la structure urbaine particulièrement lisible d’Aix-en-Provence, en lien avec le caractère archétypal des différents quartiers qui la composent, eux-mêmes issus de périodes et logiques de production distinctes. Cette concordance générale entre les classes et la réalité territoriale a non seulement permis de confirmer la pertinence urbaine et territoriale des 4 contextes morphologiques statistiquement construits par l’ACP, mais encore leur association a posteriori à autant de grandes catégories de tissu urbain :

  • les tissus d’habitat collectif continu (en violet sur la figure 6) ;
  • les tissus d’habitat collectif discontinu (en orange sur la figure 6) ;
  • les tissus d’habitat pavillonnaire (en vert sur la figure 6) ;
  • les tissus composites (en saumon sur la figure 6).

À la suite de cette catégorisation, une modélisation du secteur considéré de la ville d’Aix-en-Provence sous la forme d’un graphe spatial hexagonal a été réalisée par François Hamonic dans le cadre de sa thèse de doctorat en informatique portant sur le développement d’algorithmes favorisant la conservation et la restauration des habitats et paysages écologiques (Hamonic, 2023). L’algorithme ainsi développé dans le cas aixois a permis l’identification des tronçons de rue d’Aix-en-Provence où il serait le plus efficace de planter des arbres afin d’améliorer l’aire d’habitat atteignable par un écureuil roux (Hamonic et al., 2023). Cette espèce commune de rongeur arboricole a été choisie pour sa capacité à utiliser les arbres du réseau viaire pour se mouvoir à travers la ville.

La mise en œuvre de l’algorithme précédemment cité a conduit à l’identification d’un ensemble de 1569 tronçons dit « à potentiel » dont la renaturation doit permettre une amélioration substantielle de la connectivité écologique des canopées et, ce faisant, de l’aire d’habitat atteignable par les écureuils roux dans la ville (cf. figure 7).

Figure 7. Sélection des tronçons présentant le potentiel de renaturation le plus important et où la densification du réseau écologique pourrait être la plus efficace du point de vue du modèle écureuil.
Figure 7. Sélection des tronçons présentant le potentiel de renaturation le plus important et où la densification du réseau écologique pourrait être la plus efficace du point de vue du modèle écureuil.

Cette spatialisation des tronçons où la densification du réseau écologique serait la plus efficace pour améliorer la connectivité d’ensemble pour l’espèce considérée donne à voir le potentiel associé aux situations de frange ville-nature, mais aussi l’importance des liaisons de périphérie à périphérie. Elle invite plus largement à ne pas seulement envisager les projets de végétalisation comme de simples outils de compensation de la forte minéralité des espaces urbains centraux, mais bien, dans une perspective d’urbanisme écologique, comme un vecteur d’interpénétration entre ville et nature (Chalas, 2010).

Après cette première sélection, il s’est ensuite agi d’identifier des tronçons à étudier de manière plus fine et qualitative. Il a pour cela été décidé de sélectionner des tronçons à potentiel à la fois représentatifs des 4 classes morphologiques précédemment identifiées, mais aussi des différents types de voies considérées, ici interrogées du point de vue du rôle plus ou moins fort joué par chacun de ces tronçons en matière de trafic routier. Cette donnée a été intégrée par la prise en compte du niveau d’« Importance » associé à chaque tronçon de voie au sein de la BD TOPO, allant du niveau 2 (« voies de liaisons inter-départements »), au niveau 5 (« voies circulables permettant de desservir l’intérieur d’une commune ») (IGN, 2021, p. 334). Au regard des caractéristiques des tronçons identifiés comme à potentiel, 35 d’entre eux ont finalement été sélectionnés (figure 8), afin de faire l’objet d’analyses plus fines, en appui sur une grille d’analyse ad hoc dont il convient maintenant d’interroger les ressorts de la constitution.

Figure 8. Carte des 35 tronçons à potentiel retenus pour la phase projet.
Figure 8. Carte des 35 tronçons à potentiel retenus pour la phase projet.

De l’identification de tronçons à potentiel de renaturation à leur analyse in situ

En lien avec leurs contextes périphériques d’insertion, les premiers arpentages des 35 tronçons à potentiel investigués ont rapidement mis en lumière la place prépondérante occupée en leur sein par la végétation sise dans l’espace privé. Afin de bien prendre cet élément en considération dans l’analyse, il a été décidé de soumettre cet échantillon à une grille d’analyse permettant la triple caractérisation in situ de leur potentiel écologique, de leur valeur d’usage et de leur morphologie fine, intégrant la question des interfaces entre espaces publics et espaces privés.

Figure 9. Exemples de situations rencontrées au cours des premiers arpentages au sein des 35 tronçons retenus pour la phase projet.
Figure 9. Exemples de situations rencontrées au cours des premiers arpentages au sein des 35 tronçons retenus pour la phase projet.

Pour pallier le manque, constaté dans la littérature, d’outils globaux permettant une étude conjointe et normée des valeurs écologiques, des valeurs d’usage, et des caractéristiques morphologiques de tronçons de voies, l’enjeu a alors été de développer une grille d’analyse spécifiquement applicable à cette échelle. Afin que celle-ci soit la plus réplicable possible tout en bénéficiant des apports d’outils ayant déjà fait l’objet d’une validation scientifique, le choix a été fait de prendre autant que possible appui sur des outils déjà existants. Après différentes recherches, comparaisons et tests d’outils, deux ont été retenus, du fait de leur bonne adaptation à l’échelle du tronçon, de leur complémentarité, et de leur relative simplicité d’utilisation :

  • l’indice Renatu, centré sur la composante écologique ;
  • et la grille PEDS, mettant l’accent sur la valeur d’usage.

Afin de compléter le volet morphologique de ces deux premiers outils, un troisième a été créé pour l’occasion : la grille « frontage ». L’outil BioRev-Aix (cf. figure 10) spécifiquement développé dans le cadre de ce projet se compose alors de l’addition des trois grilles susnommées qu’il s’agira maintenant de présenter, en centrant toutefois le propos sur la grille « frontage ».

Figure 10. La composition de la grille BioReV-Aix.
Figure 10. La composition de la grille BioReV-Aix.

L’indicateur Renatu comme grille d’analyse de la valeur écologique

Pour caractériser la valeur écologique des tronçons de rue étudiés, il a été décidé d’utiliser l’indicateur Renatu (pour RENATUration) développé dans le cadre du projet éponyme, lauréat de l’appel à projets 2014 du programme Infrastructures de transports, territoires, écosystèmes et paysages (ITTECOP). La grille d’analyse correspondante (Pech et al., 2022) a été développée pour caractériser la biodiversité potentielle des espaces verts intégrés aux infrastructures de transport urbaines, industrielles et linéaires (ITUIL). Composée de neuf indices à évaluer sur une échelle de 0 à 5, cette grille est apparue répondre aux problématiques propres à BioRev-Aix. D’une part, elle a déjà été testée sur plus de 100 sites différents et bénéficie donc d’une certaine robustesse scientifique. D’autre part, elle a été pensée pour être rapide à mettre en place et facilement appropriable. Ses concepteurs recommandent de l’utiliser en période de floraison, ce qui correspond à la période des relevés de terrain effectués.

Une grille d’analyse de la valeur d’usage

Développée dans le courant des années 2000 par Andrea D. Livi Smith et Kelly J. Clifton au sein de l’université du Maryland [États-Unis] (Clifton et al., 2007), la grille d’analyse Pedestrian Environmental Data Scan (PEDS) a été conçue pour mesurer les caractéristiques environnementales liées à la marche dans divers contextes urbains aux États-Unis. Cet outil s’appuie sur une grille d’analyse comprenant 35 critères normés. Conçu pour pouvoir être rapidement mis en œuvre, cet outil se trouve cité dans de nombreux articles scientifiques. Parmi l’ensemble des grilles et outils consultés, celle-ci s’est révélée être la plus adaptée aux besoins, car succincte, complète, scientifiquement validée et accompagnée d’un protocole d’observation clair pour l’analyse des tronçons de rue.

Une grille d’analyse des frontages

S’ils ont permis de valider la pertinence d’une application conjointe des grilles Renatu et PEDS à la qualification des tronçons à potentiel, les tests réalisés in situ ont également mis en lumière le manque d’éléments de caractérisation de la nature des interfaces entre espaces publics et espaces privés. Cette question des relations entretenues entre l’ensemble bâti parcellaire et le réseau viaire a fait l’objet d’un fort réinvestissement dans le champ de l’urbanisme. Ceci notamment au travers de la question des « rez-de-chaussée » qui, en tant qu’éléments d’interface, ont fait l’objet de nombreuses publications ces dernières années (Masboungi, 2013). Ce regain d’intérêt s’est également accompagné de la diffusion des idées et travaux de l’architecte-urbaniste danois Jan Gehl autour du concept de « ville à échelle humaine » (Gehl, 2012), mettant en particulier l’accent sur l’importance des façades urbaines comme éléments d’animation urbaine, génératrices d’usages et de pratiques.

Si de telles conceptions sur l’importance des interfaces entre ensemble bâti parcellaire et espaces publics s’appliquent de manière assez évidente aux secteurs urbains les plus centraux où le bâti tend à s’aligner sur la rue au niveau de la limite de propriété, celles-ci peuvent également être étendues à des secteurs où l’implantation du bâti à l’alignement n’est plus forcément l’usage. Les différents retraits en présence peuvent alors ménager de la place pour d’autres formes d’usages et d’appropriations qui, malgré leurs régimes privés, peuvent pourtant pleinement participer de l’agrément de l’espace public en termes de sociabilité, mais aussi de végétalisation. Ainsi, et, quel que soit l’espace urbain considéré, la question de l’interface publique/privée entre ensemble bâti/parcellaire et espaces publics apparaît, en tant qu’échelle intermédiaire entre le logement et la ville, à la croisée de multiples enjeux d’ordres tant urbanistiques qu’écologiques. L’encouragement à la réappropriation « citoyenne », mais accompagnée par la collectivité, de ces espaces privés de bord de rue constitue d’ailleurs le cœur du propos de l’architecte-urbaniste Nicolas Soulier (Soulier, 2012). Celui-ci propose de remobiliser à leur sujet la notion nord-américaine de « frontage », qu’il définit comme suit :

« Un frontage est formé par le terrain privé situé entre la limite de propriété et la façade du bâtiment en retrait tournée vers la rue ; les éléments de cette façade jusqu’à la hauteur du 2e étage ; les entrées orientées vers la rue ; une combinaison d’éléments architecturaux tels que clôtures, perrons, vérandas et galeries d’entrée » (Soulier, 2012, p. 126).

Nicolas Soulier complète par ailleurs cette définition en différenciant le frontage public, le frontage privé et la ligne de frontage, que constitue « la limite d’une propriété privée qui la sépare du domaine public de la voirie » (Soulier, 2012, p. 126). Au regard d’un contexte urbain périphérique d’investigation où les alignements sur rues sont minoritaires, l’apport d’une grille dédiée à la qualification de ces espaces de frontage apparaît donc pertinente à mobiliser en complément des grilles Renatu et PEDS.

Les recherches bibliographiques opérées n’ayant pas permis d’identifier de grille d’analyse « clé en main », répondant aux attentes, le choix a alors été fait de créer une grille ad hoc, à la fois inspirée de travaux existants et capitalisant sur les retours de terrains issus des arpentages. Parmi les principales sources d’inspiration à cette troisième grille, plusieurs travaux peuvent en particulier être cités, aux premiers rangs desquels le Smart Code (Duany Sorlien & Wright, 2012) [cf. figure 11], outil nord-américain d’aménagement issu du courant du New Urbanism et structuré autour d’un transect rural-urbain mettant au cœur de sa réflexion la notion de frontage, ainsi qu’un mémoire de fin d’études de l’Institut d’urbanisme de Grenoble s’intéressant à l’analyse des frontages du Plateau-Mont-Royal à Montréal (Vettorel, 2017).

Figure 11. Extrait de la caractérisation des typologies de frontages privés du Smart Code (Duany Sorlien & Wright, 2012).
Figure 11. Extrait de la caractérisation des typologies de frontages privés du Smart Code (Duany Sorlien & Wright, 2012).

Certains critères d’observation des frontages proposés par ce dernier (qualification de leur appropriation paysagère, sociale, et le rapport que les bâtiments entretiennent avec le sol) ont notamment été adaptés au contexte aixois. Les essais et arpentages de terrains ont également permis de faire remonter l’absence de certains critères pourtant jugés importants au sein des grilles Renatu et PEDS, tels que la présence de flore spontanée en pied d’arbres. Pour ne pas effectuer de modifications au sein de ces deux premières grilles, ces quelques critères dont l’absence a été jugée préjudiciable ont ainsi été ajoutés à la grille frontage. L’outil résultant se compose de quatre grandes parties : caractérisation du réseau viaire, caractérisation du frontage public, caractérisation de l’interface entre le frontage public et privé et caractérisation du frontage privé. Pour chacune de ces parties, il est possible de passer certains éléments qui ne seraient pas pertinents. À titre d’exemple, si le tronçon étudié se trouve dans une résidence privée (ce qui était le cas de près d’un tiers des tronçons étudiés), il est possible de passer l’étape d’observation du frontage public.

Les 35 tronçons à potentiel retenus pour l’étude de terrain ont donc été analysés grâce à la grille BioRev-Aix. Pour cela, un questionnaire agrégeant les critères des trois grilles a été créé avec l’outil Google Forms, puis rempli directement sur le terrain. Ainsi soumis à une grille d’analyse croisant considérations écologiques, considérations d’usages, et considérations morphologiques, cette caractérisation fine a finalement donné lieu à l’identification de 3 situations de projet distinctes, elles-mêmes associées à des préconisations de renaturation, que ce troisième et dernier temps sera l’occasion de présenter.

De la mise en avant de situations de projet à la proposition d’outils de renaturation ad hoc

À la suite de cette caractérisation par la grille BioRev-Aix, une recherche des principaux axes de ressemblance et de distinction entre les 35 tronçons à potentiels analysés a été opérée. Pour ce faire, une nouvelle ACM a été conduite sur l’ensemble des données obtenues par l’application des trois grilles. Une nouvelle approche de clustering a ensuite conduit à l’identification de trois situations-types, dont les photographies des figures 12, 13 et 14 ci-dessous témoignent. Ces dernières représentent les cinq tronçons les plus représentatifs de chaque classe (les « parangons ») relevés par le logiciel de statistiques R utilisé pour cette analyse.

Figure 12. Photographies des tronçons les plus représentatifs de la situation de routes périurbaines.
Figure 12. Photographies des tronçons les plus représentatifs de la situation de routes périurbaines.
Figure 13. Photographies des tronçons les plus représentatifs de la situation de voies de desserte privées.
Figure 13. Photographies des tronçons les plus représentatifs de la situation de voies de desserte privées.
Figure 14. Photographies des tronçons les plus représentatifs de la situation de boulevards périurbains et des voies de desserte publiques.
Figure 14. Photographies des tronçons les plus représentatifs de la situation de boulevards périurbains et des voies de desserte publiques.

La classe 1 a ainsi été associée à des situations de routes périurbaines, la classe 2 à des situations de voies de desserte privées, et la classe 3 à des situations de boulevards périurbains et de voies de desserte publiques. Ces trois situations de projet ont ensuite été interrogées en termes de leviers d’intervention ad hoc, eux-mêmes nourris par un ensemble de recherches bibliographiques, un travail de benchmark et des observations de terrain. Au regard des spécificités propres à chacune des 3 situations de projets ainsi identifiées, les perspectives de renaturation des routes périurbaines ont ainsi été envisagées au travers de références de projet de l’ordre de l’ingénierie écologique ; celles des voies de desserte privées au travers de préconisations mobilisant outils incitatifs et partenariaux, et celles des boulevards périurbains et des voies de desserte publiques, au travers de propositions d’interventions spatiales.

Préconisations de renaturation des routes périurbaines

Les arpentages et relevés de terrains ont montré que la plupart des tronçons relevant de la situation des routes périurbaines se caractérisent par un niveau de végétalisation déjà assez substantiel (cf. figure 12). Leur fonction de liaison périphérique se traduit néanmoins par la présence d’un trafic important et de vitesses de circulation élevées qui limitent les possibilités de traversée de la faune. Du fait du caractère éminemment routier des tronçons de voies considérés et de l’absence constatée de pratiques piétonnes sur ces espaces ne présentant pas de riveraineté bâtie, les leviers d’intervention envisagés se sont focalisés sur l’amélioration, pour la faune, des connectivités longitudinale et transversale de la voie. Puisant dans le champ de l’ingénierie écologique, les préconisations formulées en matière de connectivité longitudinale visent d’une part le renforcement des corridors écologiques présents le long de ces axes, par la création de haies multi-strates sur les talus et bas-côtés et, d’autre part, la diversification des essences plantées. Ceci afin de reconnecter les milieux naturels et de limiter les effets négatifs induits par la fragmentation des habitats. En ce qui concerne la connectivité transversale, les recommandations portent sur la mise en place des corridors écologiques transversaux aux axes routiers. L’aménagement de passage à faune afin de compenser la rupture des écosystèmes engendrée par les axes routiers serait ainsi à envisager. Ces passages à faune existent sous différentes formes, souterraines et aériennes, afin de permettre les déplacements d’espèces de tous types et de toutes tailles (écoducs, crapauduc, passages à microfaunes voire éco-ponts sur les autoroutes, etc.). Il est toutefois nécessaire de bien cibler celles que l’on souhaite aider à traverser afin de bien adapter les caractéristiques du passage à leur morphologie et à leur comportement. L’écureuil roux ayant pour rappel présidé à l’identification des tronçons à potentiel, bénéficie déjà pour sa part d’un dispositif de passage dédié : l’écuroduc.

Préconisations de renaturation des voies de desserte privées

Les tronçons associés aux situations de voies de desserte privées se sont révélés être le plus souvent situés dans des résidences privées inaccessibles depuis l’espace public. Il s’agira alors ici de présenter des outils permettant à la puissance publique d’exercer une influence positive sur la gestion de la végétation dans ces espaces sur lesquels elle ne dispose pas de la maîtrise foncière, au-delà du seul éventail d’outils offerts aux collectivités, en particulier dans le cadre des plans locaux d’urbanisme communaux (PLU) ou intercommunaux [PLU-I] (Larramendy & Chollet, 2022). Portant sur la mise en place d’actions incitatives et partenariales de préservation des continuités écologiques situées au-delà de l’espace public, les leviers de végétalisation présentés ici se fondent sur diverses expériences françaises conduites par des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), et en particulier des métropoles. Parmi celles-ci, le plan de végétalisation du parc résidentiel collectif mis en place dans le cadre du plan Nature adopté en 2021 par la métropole de Lyon peut constituer une source d’inspiration majeure. Partant du constat que plus de 70 % de ses espaces verts se trouvent dans le parc privé, il s’est agi de faire prendre conscience à leurs propriaitaires de leur rôle crucial en matière de végétalisation des espaces urbains. La métropole de Lyon a alors lancé une nouvelle politique publique de végétalisation de son parc résidentiel collectif, tant dans les copropriétés privées que dans les espaces gérés par des bailleurs sociaux. Pour inciter les acteurs concernés à s’impliquer, la métropole de Lyon finance ainsi une partie des travaux de végétalisation sur les espaces collectifs en pleine terre, allant de 30 à 65 % du prix du projet. Le pourcentage de prise en charge varie selon la priorité des quartiers en termes de végétalisation, des essences et de la provenance des végétaux plantés. Si l’exemple de la métropole de Lyon est particulièrement ambitieux, d’autres démarches incitant le secteur privé à végétaliser les espaces dont il est gestionnaire ont été développées dans d’autres métropoles françaises. Ainsi en est-il de la charte « Tous unis pour plus de biodiversité » mise en place par l’Eurométropole de Strasbourg afin de lancer des actions en faveur de la biodiversité en partenariat avec des communes, des bailleurs sociaux et des entreprises. Ou encore du pacte « bas carbone » développé par la ville de Lille afin de faire adopter des engagements concrets, notamment en faveur de la végétalisation, aux acteurs publics et privés de la fabrique urbaine. Prenant conscience du rôle clé des acteurs privés dans la végétalisation, les métropoles françaises ont donc de plus en plus recours à des projets de végétalisation incitatifs et partenariaux afin d’amener les acteurs à se mobiliser en faveur de la végétalisation des espaces dont ils ont la gestion.

Préconisations de renaturation des boulevards périurbains et des voies de desserte publiques

Les tronçons associés aux situations de boulevards périurbains et des voies de desserte publiques peuvent être décomposés en deux sous-classes distinctes : les boulevards périurbains et les voies de desserte publiques. Les premières se distinguent des secondes par une plus grande largeur et par un trafic automobile plus important. Du fait de leur double statut de tronçon habité et appartenant au domaine public, la question de la renaturation de ces deux situations de projet a ici été abordée au travers d’un ensemble de propositions spatialisées de végétalisation. Sur la base d’une revue de projets similaires développés sur le territoire national, les principaux leviers identifiés en la matière concernent la plantation, la diversification des strates et des essences existantes, la préservation de la flore spontanée, l’élargissement des pieds d’arbres en bandes plantées, la connectivité entre les canopées, et enfin la végétalisation des abords de voirie incluant les bas-côtés, les terre-pleins centraux, les places de parkings, les bandes de séparation entre modes doux et circulation automobile, etc. Il s’agira ici de s’intéresser à la manière dont ces préconisations générales ont pu être appliquées aux spécificités des tronçons considérés.

Concernant les boulevards périurbains, généralement composés de plusieurs voies de circulation, et dont les habitations se situent en retrait de plusieurs mètres par rapport à la chaussée, les propositions d’interventions sont les suivantes, illustrées ci-après par l’intermédiaire de la figure 15) :

  • planter des arbres sur les trottoirs afin d’augmenter la surface de canopée et sa connectivité ;
  • diversifier les essences et augmenter le nombre de strates existantes ;
  • favoriser le développement de dynamiques végétales spontanées ;
  • transformer les pieds d’arbres en bandes plantées ;
  • végétaliser les terre-pleins centraux ;
  • végétaliser les talus et les bas-côtés des axes routiers ;
  • séparer les voies douces et automobiles par des bandes plantées et des arbres d’alignement.
Figure 15. Propositions de renaturation des boulevards périurbains (réalisation : Mathilde Pham).
Figure 15. Propositions de renaturation des boulevards périurbains (réalisation : Mathilde Pham).

Quant aux voies de desserte publique dont les profils en travers se sont révélés plus étroits, les propositions d’interventions sont les suivantes, illustrées ci-après (figure 16) :

  • créer des continuités entre les végétations présentes dans l’espace public et dans l’espace privé ;
  • transformer les pieds d’arbres en bandes plantées ;
  • délimiter les places de parking par des fosses plantées ;
  • mettre en place des permis de végétaliser ;
  • diversifier les essences et augmenter le nombre de strates existantes.
Figure 16. Propositions de renaturation des voies de desserte publiques (réalisation : Mathilde Pham).
Figure 16. Propositions de renaturation des voies de desserte publiques (réalisation : Mathilde Pham).

Afin de végétaliser les espaces publics en général, et ce type de voie en particulier, il peut également être possible pour les collectivités de s’appuyer sur des dispositifs mêlant encadrement et incitation, type « permis de végétaliser ». Ayant connu un fort développement au cours de la dernière décennie, ces derniers peuvent être définis comme des « dispositifs d’incitation au jardinage dans les espaces publics développés par les municipalités françaises et qui ont pour objectifs de faire produire des jardins aux citadins » (Ramos, 2021). Dans la commune d’Aix-en-Provence, un permis de végétaliser a été mis en place en 2021, mais il n’est pas forcément connu des habitants et usagers aixois. Si ces dispositifs permettent de faire participer les habitants et usagers à la production de la ville, son fonctionnement nécessite donc un important travail de sensibilisation auprès du grand public. À noter que ces démarches « par le bas » de végétalisation des rues peuvent également être mises en place par des associations ou des collectifs intéressés aux enjeux de biodiversité urbaine et/ou de qualité de l’environnement urbain (telles que Strasbourg ça Pousse, Belle de Bitume à Nantes, Guerrilla Gardening à Paris, etc.). Dans les contextes périphériques étudiés, marqués par la présence de nombreux jardins privés, l’intérêt des riverains à s’impliquer dans du jardinage public n’est toutefois pas garanti et devrait donc être envisagé au cas par cas.

Conclusion

Cette contribution a présenté la démarche adoptée par les urbanistes du projet BioRev-Aix dans leur appréhension de la rue comme double support d’analyse interdisciplinaire, et outil de projet. Le parti pris initial d’appréhender la nature en ville à travers la rue s’est traduit par une approche écologique de la morphologie urbaine, qui a elle-même conduit à la mise en lumière de deux échelles de réflexion et d’actions prometteuses :

  • le tronçon de rue comme unité morphologique cohérente et permettant d’appréhender la nature urbaine de manière à la fois multiscalaire et contextuelle, faisant tenir ensemble la prise en compte de la rue comme lieu/habitat et celle de la rue comme lien/corridor. Proposé par les urbanistes, le tronçon a été positivement approprié par les écologues du projet, qui y ont vu un moyen d’affiner leur appréhension de la morphologie urbaine, souvent lue au seul prisme du « gradient d’urbanisation » (Flégeau, 2020).
  • le frontage comme élément d’interface entre espaces publics et espaces privés. L’analyse de tronçons localisés dans la périphérie aixoise a en effet fait ressortir l’importance d’intégrer les logiques qui composent avec l’espace privé. Si la morphologie urbaine influe effectivement sur le fonctionnement de la biodiversité en ville, l’aménagement du réseau viaire doit donc être réfléchi de façon à favoriser la préservation des écosystèmes attenants, indépendamment de leur statut foncier (public ou privé).

À partir d’une réflexion sur la manière dont les fonctions urbaines et les fonctions écologiques peuvent s’articuler au sein du réseau viaire, le projet BioRev-Aix a ainsi cherché à développer des outils en faveur d’une amélioration globale des continuités écologiques, en appui sur un ensemble d’interventions ponctuelles. Au travers de sa double approche méthodologique et projectuelle, il espère avoir pu contribuer aux différentes réflexions à l’œuvre en faveur des territoires et de l’avènement d’un urbanisme plus écologique.


En savoir plus

Biodiversité, Aménagement Urbain et Morphologie – BAUM

Biodiversité, Aménagement Urbain et Morphologie – BAUM

Le programme ITTECOP


Bibliographie

Allain, R. (2004). Morphologie urbaine. Géographie, aménagement et architecture de la ville, Paris, Armand Colin.

Alonzo, E. (2020). L’architecture de la voie : histoire et théories, Marseille, Parenthèses.

Appleyard, D. (1981). Livable streets, Berkeley, University of California Press.

Araldi, A., Fusco G. (2019). From the street to the metropolitan region: Pedestrian perspective in urban fabric analysis. Environment and Planning B: Urban Analytics and City Science, 46(7), 1243–1263. [en ligne] https://doi.org/10.1177/2399808319832612

Chalas, Y., (2010). La ville de demain sera une ville-nature. L’Observatoire, 37, 3-10. [en ligne] https://doi.org/10.3917/lobs.037.0003

Clergeau, P. (2007). Une écologie du paysage urbain, Rennes, Apogée.

Clergeau, P. (dir.) (2020). Urbanisme et biodiversité. Vers un paysage vivant structurant le projet urbain, Rennes, Apogée.

Clifton, K. J., Livi Smith, A., & Rodriguez D. (2007). The Development and Testing of an Audit for the Pedestrian Environment. Landscape and Urban Planning, 80(1–2), 95–110. [en ligne] https://doi.org/10.1016/j.landurbplan.2006.06.008

Cooper, C. H.V., Chiaradia A. J. F. (2020). sDNA: 3-d spatial network analysis for GIS, CAD, Command Line & Python, SoftwareX, 12, article 100525. [en ligne] https://doi.org/10.1016/j.softx.2020.100525

Duany, A., Sorlien, S., &Wright, W. (2012). Smartcode Version 9.2, CreateSpace.

Fleischmann M. (2019). momepy: Urban Morphology Measuring Toolkit, Journal of Open Source Software, 4(43), 1807. [en ligne] https://doi.org/10.21105/joss.01807

Flégeau, M. (2020). Formes urbaines et biodiversité – Un état des connaissances, Paris, Éditions du PUCA.

Gehl, J. (2012). Pour des villes à échelle humaine, Montréal, Écosociété.

Hamonic, F. (2023). Algorithmes pour la conservation et la restauration des habitats et paysages écologiques, Thèse de doctorat en Informatique, Aix-Marseille Université.

Hamonic, F., Couëtoux, B., Vaxès, Y., & Albert, C. (2023). Cumulative effects on habitat networks: How greedy should we be?, Biological Conservation, 282. [en ligne] https://doi.org/10.1016/j.biocon.2023.110066

Harvey, C., Aultman-Hall, L., Troy, A., & Hurley S. E. (2017). Streetscape skeleton measurement and classification, Environment and Planning B: Urban Analytics and City Science, 44(4), 668–692. [en ligne] https://doi.org/10.1177/0265813515624688

Héran, F., Clergeau, P., & Younès, C. (2022). « Revivifier les rues », dans Groupe sur l’urbanisme écologique, Réinventer la ville avec l’écologie. Frottements interdisciplinaires, Rennes, Apogée, 86-103.

Hillier, B., Hanson, J. (1984). The Social Logic of Space, Cambridge, Cambridge University Press.

IGN. (2021). BD TOPO® Version 3.0 Descriptif de contenu, Saint-Mandé, IGN, 334

Jones, P., Boujenko, N., & Marshall, S. (2007). Link and Place: A Guide to Street Planning and Design. Londres, Landor Press.

Kostof, S. (1992). The city assembled; The Elements of Urban Form Through History, Londres, Thames and Hudson.

Lagesse C. (2015). Lire les Lignes de la Ville : Méthodologie de caractérisation des graphes spatiaux, Thèse de doctorat en Géographie, Université Paris Diderot-Paris VII.

Larramendy S., & Chollet M. (2022). Végétal et espaces de nature dans la planification urbaine – Recueil de fiches actions, Plante & Cité, Angers,

Lord S., Negron-Poblete P. (2014). Les grands ensembles résidentiels adaptés québécois destinés aux aînés. Une exploration de la marchabilité du quartier à l’aide d’un audit urbain. Norois, 232, 35-52. [en ligne] https://doi.org/10.4000/norois.5157

Masboungi, A. (dir.) (2013). (Ré)aménager les rez-de-chaussée de la ville, Marseille, Parenthèses.

Moudon, A. V. (1997). Urban morphology as an emerging interdisciplinary field, Urban Morphology, 1(1), 3–10.

Moxon, S. (2019). Drawing on nature: a vision of an urban residential street adapted for biodiversity in architectural drawings, City, Territory and Architecture, 6(6). [en ligne] https://doi.org/10.1186/s40410-019-0105-0

Panerai, P., Castex, J., Depaule J-C., & Samuels I. (2004). Urban Forms: The death and life of the urban block, Oxford, Architectural Press.

Pech, P., Lefèbure, A., Thuillier, L., About, C., Frascaria-Lacoste, N., Jacob P., Riboulot-Chetrit, M., & Simon, L. (2022). RENATU : un outil d’évaluation du potentiel écologique d’un site industriel ou urbain pour des utilisateurs non spécialisés, Revue Française De Gestion Industrielle.

Ramos, A. (2021). Faire jardiner sans jardin : mécanismes et limites des dispositifs municipaux de jardinage tactique dans la rue, Thèse de doctorat en Aménagement et urbanisme, université Paris Nanterre.

Romeyer, B. (2017). Refaire la rue pour recomposer la ville ? Mise en regard de deux projets de réaménagement de rues artérielles à Londres et Lyon, Flux, 109-110, 142-166.[en ligne] https://doi.org/10.3917/flux1.109.0142

Soulier, N. (2012). Reconquérir les rues : exemples à travers le monde et pistes d’actions, Paris, Ulmer.

Vettorel, L., (2017). Frontage : Le Plateau-Mont-Royal, Un Paysage Résidentiel, Projet de fin d’études, Institut d’urbanisme de Grenoble, Université Grenoble-Alpes.

Rechercher
Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9791030011302
ISBN html : 979-10-300-1130-2
ISBN pdf : 979-10-300-1131-9
Volume : 29
ISSN : 2741-1818
Posté le 20/12/2024
25 p.
Code CLIL : 3677
licence CC by SA

Comment citer

Romeyer, Benoit, Montel, Noémie, Pham, Mathilde, Consales, Jean Noël, « Appréhender la nature en ville à travers le tronçon de rue : une double approche méthodologique et projectuelle du cas d’Aix-en-Provence », in : Bonneau, Emmanuelle (éd.), L’urbanisme en transition : écologisation et coopérations, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, collection PrimaLun@ 29, 2024, 49-74, [en ligne] https://una-editions.fr/apprehender-la-nature-en-ville-a-travers-le-troncon-de-rue/ [consulté le 19/12/2024].
doi.org/10.46608/primaluna29.9791030011302.5
Illustration de couverture • illustration des rencontres organisées par l’Atelier des horizons possibles (© Emmanuelle Bonneau, 2021).
Retour en haut
Aller au contenu principal