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Creepshot

Creepshot

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Le creepshot est une pratique voyeuriste qui vise à photographier à la dérobée un cliché sexuellement suggestif d’une femme (décolleté plongeant identifié sous le terme de downblousing, cuisse dénudée, sous-vêtement apparent…) et de le diffuser sur Internet via les réseaux sociaux, plateformes vidéo ou de mobile à mobile.

Il s’agit avant tout d’une pulsion scopique qui se manifeste par le plaisir sexuel que l’on peut éprouver en soustrayant des images intimes qui appartiennent à quelqu’un d’autre, puis en les partageant sur la toile auprès d’un public demandeur.

Ces instantanés se focalisent essentiellement sur des vues réduites et morcelées du corps des femmes et attestent d’une vision prédatrice en les référençant méthodiquement par zone anatomique (fessier, poitrine, entrejambe, etc.) par type de vêtements (legging, short, jupe courte, etc.), par lieux (plage, sport, etc.), par origine nationale ou ethnique (asiatique, allemande, etc.), ou encore par âge (adolescente, milf, etc.).

nuage de mots-clés autour de la thématique "sexe"
  • Diffusion non consensuelle d’images intimes

Quelle violence de découvrir que des photos de moi, de mon intimité, avaient été prises à mes dépens et circulaient sur le net !
– une victime

Dans le cadre bien précis de cette forme de cyberharcèlement, les prouesses de chasse du photographe creeper sont largement encouragées par son réseau de diffusion et d’autant plus saluées si les clichés dérobés témoignent que la victime n’a manifesté aucun soupçon.

Plusieurs auteurs ont fait une alarmante analogie entre la vision prédatrice véhiculée dans ces creepshots et les comportements associés au concept de culture du viol qui minimisent, voire normalisent les violences sexuelles.

De manière parallèle, peuvent ainsi être identifiés :

  • une chosification des corps des femmes (perçu comme un objet sexuel) ;
  • des logiques d’appropriation et de contrôle patriarcales (sentiments de domination, etc.) ;
  • un déni du consentement (clair, libre et éclairé) ;
  • le comportement à risque de la victime (victime blâmée pour ses vêtements provocants, faute d’imprudence, etc.) ;
  • une banalisation de la violence (« effet cockpit » où les auteurs des faits ne réalisent pas directement les dommages occasionnés sur leurs victimes, photos érigées comme des trophées, etc.).

La légende de Godiva est certainement l’un des premiers mythes écrits à faire état d’une pratique de voyeurisme. Datant de 1569, un récit publié dans « Chronicles of England » rapporte que Léofric, comte de Mercie avait fondé un prospère monastère dans la cité de Coventry. Chaque pèlerin y pénétrant devait s’acquitter d’une lourde taxe. Lady Godiva, son épouse était très pieuse et l’implorait en vain de lever ce droit de péage qui accablait les habitants de la ville.

Devant sa trop grande insistance, la légende raconte que le comte convint de lever ces taxes dès lors que sa femme accepterait en contrepartie de traverser la cité nue sur un cheval. Escortée de deux chevaliers, cette dernière s’y résolut, avec pour seule parure sa longue chevelure. Pour montrer leur reconnaissance envers la dame, les habitants acceptèrent de chœur de s’enfermer chez eux pour ne surtout pas la regarder passer.

Seul un tailleur, prénommé Tom (d’où l’expression actuelle « Peeping Tom » pour identifier un voyeur), brava l’interdit en faisant un trou dans ses volets et épia avec concupiscence le passage de l’épouse. Si le comte fut contraint de respecter ses engagements, l’indiscret fut quant à lui frappé de cécité en guise de châtiment divin.

Que l’histoire soit avérée ou romancée, la procession de Godiva commémore cette légende chaque année dans la ville de Coventry depuis le XVIIe siècle. Mais indépendamment de cet ancrage culturel, l’expression « Peeping Tom » a également été reprise dans la littérature juridique anglo-saxonne sous l’appellation cette fois-ci des « Peeping Tom Laws » (notamment dans les états de l’Alaska, de la Californie, de la Louisiane, etc.) pour qualifier les affaires de voyeurisme.

Photographies de victimes floutées de fesses de femme prise contre leur consentement.
Captures d’écran de victimes.

Tout comme la pratique de l’upskirting, la qualification du creepshot a également posé un problème juridique en France. En effet, sans contact entre l’auteur des faits et la victime, l’agression sexuelle ne pouvait être retenue, ni celle d’atteinte à la vie privée par captation d’images présentant un caractère sexuel, car les faits se déroulaient généralement dans un espace public (rue, centres commerciaux, etc.).

Aussi l’amendement 135 du 28 juin 2018 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a prévu l’insertion dans le Code pénal du délit de captation d’image impudique :

  • article 226-3-1 : « constitue une captation d’images impudiques le fait d’user de tout moyen afin d’apercevoir ou tenter d’apercevoir les parties intimes d’une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a caché à la vue des tiers, lorsqu’il est commis à l’insu ou sans le consentement de la personne. La captation d’image impudique est punie d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes ».

Quelques références scientifiques :

  • Archard David, Sexual Consent, Routledge, 1998, 200 pages.
  • Bauer Nancy, How to Do Things with Pornography, Harvard University Press, 2015, 232 pages.
  • Buchwald Emilie, Fletcher Pamela R., Roth Martha, Transforming a Rape Culture, Minneapolis, Milkweed Editions, 1993, 424 pages.
  • Burns Anne, Creepshots and Power: Covert Sexualised Photography, Online Communities and the Maintenance of Gender Inequality, in : Bohr Marco, Sliwinska Basia, The evolution of the image. Political Action and the Digital Self, Routledge, 2018, p. 27-40.
  • Davisson Amber, Booth Paul, Controversies in Digital Ethics, Bloomsbury Publishing, 2016, 392 pages.
  • Dunn Suzie, Forms of TFGBV, Centre for International Governance Innovation, coll. « Technology-Facilitated Gender-Based Violence », 2020, p. 5-16, [https://www.jstor.org/stable/resrep27513.10].
  • Oliver Kelly, Rape as Spectator Sport and Creepshot Entertainment: Social Media and the Valorization of Lack of Consent, American Studies Journal, n° 61, 2016, p. 1-16, [https://doi.org/DOI 10.18422/61-02].
  • Powell Anastasia, Henry Nicola, Sexual Violence in a Digital Age, Londres, Palgrave Macmillan, 2017, 317 pages, [https://doi.org/10.1057/978-1-137-58047-4].
  • Schulhofer Stephen J., Unwanted Sex: The Culture of Intimidation and the Failure of Law, Harvard University Press, 1998, 336 pages.
  • Wenzel Anna, Male privilege, Greenhaven Publishing, 2019, 128 pages.
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Chapitre de livre
Pessac
EAN html : 9791030008425
ISBN html : 979-10-300-0842-5
ISBN pdf : 979-10-300-0843-2
Volume : 1
ISSN : en cours
6 p.
licence CC by SA

Comment citer

Dulaurans, Marlène, « Creepshot », in : Dulaurans, Marlène, Violences en ligne : décrypter les mécanismes du cyberharcèlement, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, collection V@demecum 1, 2024, 63-68 [en ligne] https://una-editions.fr/creepshot/ [consulté le 15/07/2024].
10.46608/vademecum1.9791030008425.13
couverture de l'ouvrage Violences en ligne de la collection V@demecum
Illustration de couverture • Design Roman Vinçon et Nicolas Ruault
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