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De Sartre à Lordon :
la tâche de repenser la place de la subjectivité dans le marxisme

De Sartre à Lordon :
la tâche de repenser la place de la subjectivité dans le marxisme

Traduit par Thierry Capmartin.

Faire taire la différence. Prélude grec

Introduction : le primat néolibéral dans les pratiques de la construction de soi

S’il faut prendre acte du fait que « nous ne vivons pas simplement dans une économie capitaliste mais dans une société capitaliste1 », c’est parce qu’il est bien difficile, tout particulièrement depuis le prisme de la philosophie politique, de pouvoir même imaginer un autre horizon possible. Et la tentation est grande de céder, tôt ou tard, au très thatchérien « Il n’y a pas d’alternative. » – sorte de « principe de réalité » à la mode néolibérale, dont est lesté un imaginaire social déjà très largement configuré, pour ne pas dire colonisé par le « réalisme capitaliste2 ». Pour mener à bien une telle tâche, il faut partir d’une « analyse concrète », de la « situation concrète », ou à tout le moins du cadre structural et historique qui conditionne notre actualité (sa représentation commune, en tout cas), et dont le caractère hégémonique semble étouffer d’avance tout projet de vie collective qui, à l’exception de quelques expérimentations très locales, aurait pour ambition de se développer dans les marges de l’ « universalité mercantile » ou de celles de la sphère – aujourd’hui totalement généralisée – d’une compétition globale. C’est pourquoi nous ne croyons pas, pour le dire avec les mots de Deleuze, « à une philosophie politique qui ne serait pas centrée sur l’analyse du capitalisme et de ses développements3 », surtout si la tâche qui lui incombe est de contribuer à la constitution d’un « imaginaire antidote4 ». Or pour que la philosophie politique ne se borne pas à « interpréte[r] » le monde mais puisse contribuer à le « transformer5 », sa tâche spécifique doit consister en une analyse – parallèlement à celle des structures de domination sociale – des divers ressorts idéologiques mais aussi passionnels à travers lesquels les hommes sont tendanciellement déterminées à adhérer à de telles structures ou, si l’on préfère, « à désirer leur propre répression6 ». On se tient là dans une perspective résolument déterministe, mais non fataliste : non fataliste car elle fait encore le pari d’une action historique possible et, partant, de la modificabilité du cours de l’histoire ; déterministe parce qu’elle refuse malgré tout de faire de l’« homme-auteur-de-ses-actes » la force motrice du changement historique.

Comme l’on vient de le rappeler, notre temps historique se caractérise par l’hégémonie du capitalisme néolibéral. Mais ce que révèle l’analyse de ce régime d’accumulation, au même titre que celle du cadre institutionnel correspondant destiné à stabiliser ses contradictions internes, c’est qu’un tel régime souffre d’un mode de fonctionnement qui pousse à l’extrême ce que Le Capital thématisait déjà comme « subsomption réelle du travail sous le capital ». C’est par ce syntagme que Marx décrivait en effet le fonctionnement du capital, propre à la seconde époque de l’histoire de l’accumulation capitaliste, comme procès de mobilisation et de subordination totale, non seulement de l’activité productive en tant que telle, mais aussi de l’ensemble restant des « sphères sociales » (depuis la science, la technologie, la culture, le droit et la politique jusqu’à la subjectivité elle-même), au cycle d’auto-valorisation du capital7. Autrement dit : si le capitalisme postfordiste pousse à l’extrême le processus de la subsomption réelle décrit par Marx, c’est précisément parce que sa viabilité dépend en dernière instance d’une expansion continue du marché et de la compétitivité sociale, cette dernière exigeant à son tour une profonde reconfiguration anthropologique dans un sens adaptationniste : l’homme doit apprendre à s’adapter à un monde marchand foncièrement évolutif et incertain. Mais pour qu’une telle chose soit possible, il faut que chaque individu s’appréhende lui-même comme une « unité de production » dans un rapport concurrentiel avec d’autres unités de production. Où l’on comprend la volonté du néolibéralisme de s’immiscer au plus profond de l’intimité des sujets pour remodeler, tant au plan du consommateur qu’au sein de l’entreprise, l’imaginaire et le paysage passionnel d’agents socio-économiques8 appelés à opérer dans un environnement passablement agonistique. Il s’agit ni plus ni moins d’enrôler des sujets pour « reconfigurer les désirs individuels [et] les aligner sur le désir-maître du capital9 ».

Étant donné la relative efficacité d’une telle opération anthropogénique, tout se passe comme si les subjectivités néolibérales mettaient en évidence par la répétition des conduites l’actualité toujours prégnante du diagnostic spinozien. Car si plus que jamais ces subjectivités semblent condamnées à devoir « combattre pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut10 », c’est bien parce qu’elles ont intériorisé massivement l’exigence, entretenue par la « gouvernementalité entrepreneuriale », de devenir des entrepreneurs de soi : « “entreprise” [étant] le nom que l’on doit donner au gouvernement de soi à l’âge néolibéral11 ». On aperçoit ainsi qu’avec son projet d’engendrer l’ « homme nouveau » le capitalisme néolibéral remet sur le tapis deux éléments intimement liés et d’une importance déterminante pour ce qui nous occupera par la suite : premièrement que le « secret du bon gouvernement » consiste à « mener les hommes de telle façon qu’ils ne croient pas être menés, mais vivre selon leur libre décret et conformément à leur complexion propre12 », ce qui suppose de restaurer – dans l’imaginaire collectif – la figure anthropologique qu’on avait conçue au sein de la métaphysique libérale du sujet, en mettant tout particulièrement l’accent sur le libre-arbitre (de la volonté) et la capacité d’autodétermination individuelle qui l’accompagne. Et deuxièmement, que cette subjectivité « libre » et « autonome » est devenue dans nos sociétés contemporaines le champ de bataille politique par excellence.

Un diagnostic partagé : la subjectivité comme impensé du le marxisme

Or s’il nous a paru nécessaire de faire un tel détour, c’est parce que celui qui concerne la subjectivité délimite un champ de bataille politique que le projet de transformation sociale le plus remarquable de l’histoire moderne a eu paradoxalement tendance à négliger très largement, sauf rares exceptions. De sorte que s’il y a bien quelque chose dont il nous faut prendre acte sur cette question, c’est de l’existence d’un « manque (agujero) » ou d’un « vide dans le marxisme13 » qui tient précisément à la place et au rôle qu’il assigne au sujet individuel dans son projet de transformation sociale. Selon la formule lapidaire de la Critique de la raison dialectique, le marxisme n’en a pas fini d’être « l’horizon indépassable de notre temps », au moins pour deux raisons : premièrement « parce que les circonstances qui l’ont engendré ne sont pas encore dépassées14 » ; et deuxièmement parce qu’il « totalise » notre temps en nous le rendant intelligible. De sorte que l’homme, grâce au marxisme, découvre que son existence s’enracine dans la réalité socio-économique et que son déploiement, loin de coïncider avec la constitution d’une sphère de subjectivité autosuffisante et hermétique au monde extérieur, est également indissociable du processus de totalisation historique dans lequel il est pris. Car la grande découverte du « Marx de la maturité », comme l’a bien vu Althusser, c’est d’avoir « “ouvert” à la connaissance scientifique un nouveau “continent”, celui de l’Histoire15 » et d’avoir corrélativement montré – dans le sillage de Hegel et contre Feuerbach – que l’histoire comme procès de totalisation est « un procès sans sujet16 ». En d’autres termes, ce que l’homme découvre avec le marxisme c’est que la (re)production matérielle de son existence est sociale, que cette activité (re)productrice s’inscrit dans un cadre structurel intrinsèquement contradictoire (à l’image de l’antagonisme matriciel « forces productives/rapports de production » et que, finalement, ces structures ou « rapports sociaux fondamentaux » – qui définissent ce cadre au sein duquel l’homme déploie son existence et réalise des actes – sont la plupart du temps subis, et non choisis. C’est le cas notamment du « rapport salarial », qui en fournit le prototype, sous l’effet d’une double séparation des producteurs, et des moyens et du produit de la production. C’est ainsi que l’homme découvre finalement qu’il est d’abord le produit du monde socio-historique avant d’être producteur de ce dernier. Telle est la leçon du matérialisme historique, que Marx résume de la manière suivante :

Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure [Überbau] juridique et politique à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées.17

On peut donc déduire de ce qui précède que le grand mérite du marxisme consiste en la restauration des droits de l’objectivité sur le dos des « robinsonnades » d’une subjectivité pensée à travers le prisme de la métaphysique libérale. Mais à ce stade, la question qui se pose immédiatement c’est de savoir quel genre de relation on peut établir entre l’homme et le monde, entre le subjectif et l’objectif. Car une chose est de montrer que l’existence humaine se déploie et se constitue au sein de structures sociales qu’il n’a pas choisies ; et une autre, très différente, d’en conclure que l’homme se dissout tout simplement dans ces structures en question. Ou si l’on préfère : que la subjectivité n’est qu’un épiphénomène de l’infrastructure matérielle et de ses contradictions internes – comme le soutient la vulgate marxiste aux yeux de Sartre ou comme le laisse entendre une certaine lecture structuraliste « minéralisante » du matérialisme historique, pour Lordon. Mais ce que nous voulons souligner c’est que c’est précisément contre cette seconde ligne interprétative – qui conduit d’une manière ou d’une autre à une sclérose du marxisme – que ces deux penseurs s’élèvent. Si le marxisme continue d’être l’horizon indépassable de notre temps, il n’en demeure pas moins qu’il « s’est arrêté18 », comme le faisait déjà remarquer Sartre en 1960 ou qu’il s’est « minéralisé19 », comme l’indique aujourd’hui Lordon. Si bien qu’on dirait que le marxisme a été et est encore victime d’une sclérose dont, parmi tous les noms qu’on a pu lui donner (« économisme », « déterminisme mécaniste », « mono-causalisme », etc.), on pourrait ne retenir ici que celui d’« objectivisme », tant il semble convenir à nos deux auteurs pour nommer et le retard dont souffre le marxisme, et l’effacement du subjectif qui lui est consubstantiel. Ce même objectivisme qui, en négligeant l’« hétérogénéité [réelle] de la totalité sociale » et par là même celle des groupes et des individus, finit par les rendre

soluble[s] dans un « processus total » dans lequel chaque élément viendrait occuper sa place de manière à exprimer (donc de manière à pouvoir finalement être réduit à) une contradiction économique principale conçue à l’instar de l’Idée ou de l’Esprit du temps hégélien, comme un principe simple dont l’unité́ ne serait jamais compromise par la pluralité́ des pratiques sociales dans lesquelles il se « manifeste ».20

Trop rapidement résumé, tel est le diagnostic commun qu’établissent, mutatis mutandis, Sartre et Lordon : de même que pour le premier, le marxisme « arrêté » débouche sur la « chosification » de l’homme, c’est-à-dire la réduction – comme le soutenait Lénine – de la conscience au rang de simple « reflet de l’être21 » (ou « simple reflet de la matière22 »), de même, le marxisme « minéralisé » conduit pour le second à la réduction des agents au rang de « simples supports passifs23 » de structures (ou de « rapports sociaux fondamentaux ») qui le dépassent. Ceci étant posé, il s’agira pour ces deux penseurs de rendre au marxisme – selon deux modalités distinctes néanmoins – l’élan et la vitalité initiale qui lui ont été ôtés. Pour ce faire, il faut avant tout purger le matérialisme historique de cette gangue objectiviste qui tend justement à exclure « le moment du “sujet” et de la liberté humaine24 ». Subjectivité qui se présente alors dans le marxisme « arrêté » ou « minéralisé » comme une sorte d’impensé ou de lacune. À quoi il faut ajouter que, aussi bien pour Sartre que pour Lordon, la question ne saurait consister à « rejeter le marxisme […] au nom d’un humanisme idéaliste25 » ou, ce qui revient à peu près au même, à renoncer au soupçon marxien « que nous ne sommes pas exactement tels que nous croyons être26 » pour faire un pont d’or aux sciences sociales humanistes qui, s’efforçant de recouvrer leurs compétences herméneutico-critiques, conduisent « les hommes à croire en leur capacité d’auto-origination, à se croire non seulement simples opérateurs, mais authentiques auteurs de leurs actes27 ». Ce que cherchent Sartre et Lordon réunis, c’est tout au contraire d’enrichir le marxisme et, en dernière analyse, de lui redonner une dynamique tout en œuvrant en son sein. Tel serait – à condition bien sûr de s’en tenir à un niveau d’analyse très général – le commun objectif de Sartre et de Lordon, car le marxisme, loin d’être terminé ou pleinement réalisé, indique un horizon qu’il reste à « fonder28 » (Sartre) ou à « compléter29 » (Lordon). Dans les deux cas, il s’agit de remédier à cette carence lourde qui pèse – comme nous le disions – sur le « moment de la subjectivité », mais sans que cette opération implique qu’il faille jeter le bébé (matérialisme historique) avec l’eau du bain (objectivisme du marxisme dogmatique ou du structuralisme minéral). À condition d’admettre qu’il y a là une communauté de vues stratégique, émergent deux modalités tactiques, bien distinctes pour repenser le lieu et le rôle de la subjectivité à l’intérieur du marxisme ; elles conduisent à leur tour à deux façons tout aussi différentes de concevoir de quoi une telle subjectivité doit être faite.

Totalité et subjectivité : Sartre, la fondation du marxisme en termes existentialistes

Avant de déterminer dans quelle mesure la lecture sartrienne de Marx peut contribuer à rénover le marxisme, il est loisible de souligner d’abord que l’intérêt que Sartre porte à la pensée marxienne a surgi très tôt et en dépit de l’orientation résolument phénoménologique, subjectiviste, de sa première philosophie ; orientation qui ne devait pas a priori le prédisposer à emprunter par la suite les chemins du matérialisme historique. Pour autant, il convient de revenir à cet extrait de La Transcendance de l’Ego où apparaît déjà en filigrane un des principaux axes critiques autour duquel sera construite la (re)lecture sartrienne de Marx et du marxisme. Dans les termes de Sartre : « Il m’a toujours semblé qu’une hypothèse de travail aussi féconde que le matérialisme historique n’exigeait nullement pour fondement l’absurdité qu’est le matérialisme métaphysique.30 » Ainsi donc, ce que Sartre a en ligne de mire n’est rien d’autre que l’objectivisme propre à ce « matérialisme du dehors » contre lequel il reviendra à la charge des années plus tard, car ce dernier implique de « réduire les mouvements de l’esprit à ceux de la matière et, corrélativement, d’ « éliminer la subjectivité en réduisant le monde, avec l’homme dedans, à un système d’objets reliés entre eux par des rapports universels31 ». Si, quant à eux, Marx et le « marxisme de l’intérieur » (entendons : le matérialisme historique) ne commettent pas une telle erreur, c’est parce qu’ils sont porteurs d’une anthropologie qui, malgré ses développements insuffisants, permet de penser l’homme et le monde comme totalité complexe et irréductible à chacun de ses constituants, se tenant loin de tout réductionnisme objectiviste (mais aussi subjectiviste). Et en effet, ce qui aux yeux de Sartre se révèle particulièrement intéressant dans la proposition de Marx – cela même que le marxisme dogmatique a perdu de vue –, c’est son sens du « concret ». Ou pour le dire dans une terminologie de tonalité clairement existentialiste : la totalité constituée par le rapport entre l’en-soi et le pour-soi, étant entendu que c’est cette totalité relationnelle qui en dernière instance fait le thème central de L’Être et le néant – et non pas l’en-soi et le pour-soi pris séparément.

Mais cette totalité relationnelle, qui ne peut l’être « qu’à titre de totalité détotalisée32 » et qui pour cette raison menace de faire de l’homme une « passion inutile33 », est très exactement ce que le marxisme dogmatique (ou le « matérialisme du dehors34 ») a cessé de penser, en le transformant de facto en « un Savoir pur et figé35 ». Pour remédier à cette paresse36 qui grève le marxisme arrêté et qu’on peut attribuer – comme on l’a déjà suggéré – à son désintérêt patent pour l’« homme concret » (dont le marxisme avait paradoxalement contribué à tracer les linéaments complexes37), Sartre considère lui que le marxisme n’a pas d’autre alternative, pour renouer avec son impulsion initiale, que d’incorporer la réflexion menée par l’existentialisme sur la « réalité humaine ». Pour lui, la question revient finalement à « reconquérir l’homme à l’intérieur du marxisme38 ». Or une telle chose n’est possible que dans la mesure où les catégories qu’il utilise pour décrire la formation sociale capitaliste (exploitation, aliénation, fétichisme, réification, etc.) sont mutatis mutandis un décalque de celles que l’existentialisme (athée) en général et l’auteur de L’Être et le néant en particulier mobilisent pour thématiser et mettre en évidence les structures existentielles de cette « réalité humaine ». En somme, le marxisme doit être fondé sur l’existence concrète – c’est-à-dire sur « le projet pensé à sous la catégorie de l’action39 » – et historialisé également comme praxis. Une praxis, d’abord individuelle, que Sartre pense encore – dans le sillage de Kojève – comme « négation du donné, tant de celui qu’on est soi-même (en tant qu’animal ou en tant que “tradition incarnée”) que de celui qu’on n’est pas (et qui est le Monde naturel et social)40 ».

Mais en dépit de l’attention évidente que Sartre porte à cette question, il n’en reste pas moins difficile de fonder le marxisme en régime existentialiste. Ou ce qui revient au même, mais énoncé en sens inverse : comment passer d’une philosophie originairement phénoménologique et individualiste à une philosophie matérialiste donnant le primat à la totalité social-historique sans avoir recours à une série de médiations ? Bien qu’une telle tentative puisse sembler à première vue une sorte de « saut dans le vide », il n’y a pas vraiment de « solution de continuité41 », comme on peut le voir dans l’ouvrage posthume des Cahiers pour une morale. Dans ces Cahiers, que Pierre Verstraeten avait justement qualifiés de « bancs d’essai », Sartre met à l’épreuve trois manières d’articuler la subjectivité à l’histoire. Brièvement résumé : il semble que les deux premiers axes interprétatifs indiquent respectivement « une histoire sans subjectivités » puis « des subjectivités sans histoire ». Tandis que la première solution évoque un processus de totalisation de l’existant à partir duquel les consciences entrent dans l’histoire, au prix d’un renoncement à leur projet existentiel individuel sous l’emprise d’une conscience-maître qui leur impose le sien propre ; la seconde, en revanche, parie sur une détotalisation de l’existant. Cette dernière laisse les consciences conduire en parallèle leur projet existentiel respectif, mais les condamne malgré tout à renoncer à un projet collectif qui les ferait entrer dans l’histoire. Peu satisfait par ces deux approches, Sartre finira par tracer une troisième voie, davantage suggérée que véritablement théorisée dans les Cahiers, dont le but est de penser l’articulation de l’individuel et du collectif, « de la Totalité et de la singularité », seule capable de construire un sujet collectif respectueux des limites de la subjectivité. C’est-à-dire de fournir les conditions de possibilité « d’une fusion réelle et ontologique de toutes les consciences en une », mais sans que cette fusion ne suppose un quelconque renoncement à l’individualité, clause d’autant plus imprescriptible que l’idée d’existence comme projet individuel est une constante chez Sartre que « même l’intégration des dimensions historiques et dialectiques, dans la suite de l’œuvre, ne fera pas disparaître42 ». Telle est donc la troisième voie que la Critique de la raison dialectique se chargera d’explorer et de conceptualiser.

Pour le dire vite, la voie qu’emprunte le second Sartre ressemble à « une tentative de concilier Kierkegaard avec Marx43 ». De sorte que face à l’oubli des hommes en « chair et en os » (souffrants, laborieux, à la peine, etc.) par le marxisme dogmatique qui débouche sur la conception d’une « humanité objectivée44 » – ou sur « [la dissolution des hommes concrets] dans un bain d’acide sulfurique45 », pour reprendre l’expression sartrienne –, Sartre ambitionne, lui, de réintroduire « l’irréductibilité et la spécificité du vécu46 » au sein de la totalité structurelle et historique pour montrer que « l’homme est […] le produit de la structure, mais pour autant qu’il la dépasse47 ». Formule paradoxale, qui donne à penser que l’homme, loin d’accepter de se laisser enfermer dans de multiples déterminations (sociales, économiques, politiques et culturelles, etc.) dont il est l’objet en vertu de sa situation, est caractérisé en dernière analyse par l’acte de dépassement (ou de transcendance) vis-à-vis de tout ce qui vient le limiter. Ce qui revient à dire que la « conscience malheureuse » n’est pas un « moment » de la conscience, mais son essence même, qui tient dans ce refus perpétuel de se laisser définir et limiter par toute forme de détermination. Car l’essence de la conscience sartrienne c’est précisément de n’en avoir aucune, de consister dans ce rien translucide qui troue l’opacité de l’être et qui, privée de la substantialité du cogito cartésien – n’étant pas une res – est condamnée à ne jamais pouvoir coïncider avec elle-même. C’est pour cette raison que Sartre considère l’action, et non pas l’introspection ou la réflexivité, comme la meilleure manière, pour ne pas la dire la seule, de se connaître soi-même, le Moi n’étant qu’un produit secondaire, toujours susceptible d’être recréé – par la conscience qui le porte sur ses épaules. En d’autres termes, l’homme sartrien n’est pas originairement un ego spéculatif, mais un homo faber dont la liberté avant que d’être intellectuelle est profondément créatrice. En vertu du pouvoir de néantisation auquel s’identifie la conscience, l’homme sartrien devrait toujours avoir la capacité de se réinventer lui-même à partir du monde et ce que les autres ont fait de lui. Mais peut-on encore vraiment parler de conscience – et partant de liberté – dans ces termes, c’est-à-dire en faisant l’économie du Je et du Moi ? Une « philosophie de la conscience » n’implique-t-elle pas nécessairement une « philosophie du sujet » ? Il y a là une ambiguïté, sinon une impossibilité, que Deleuze mettra bien évidence :

Malgré la tentative de Sartre [pour déterminer un champ transcendantal impersonnel producteur du Je et d’un Moi], on ne peut pas garder la conscience comme milieu tout en récusant la forme de la personne et le point de vue de l’individuation. Une conscience n’est rien sans synthèse d’unification, mais il n’y a pas de synthèse d’unification de conscience sans forme du Je ni point de vue du Moi.48

Structures et passions : le projet lordonien de compléter Marx avec Spinoza

Afin de combler cet « emplacement vide » que le Sartre de Critique de la raison dialectique situait « au cœur de la philosophie marxiste49 », le projet lordonien se donne pour tâche de combiner le structuralisme marxien des rapports (tel qu’il est conçu en tout cas dans Le Capital) avec l’onto-anthropologie spinoziste de la subjectivité désirante (thématisée dans la partie iii et dans la première moitié de la partie iv de l’Éthique). Car si Marx décrit bien le fonctionnement de la formation sociale capitaliste, reste qu’il n’explique pas – ou n’explique pas suffisamment en tout cas – comment le capitalisme fait fonctionner les hommes à l’intérieur de ses structures50. Par conséquent, pour Lordon la question revient à
(re)constituer à l’intérieur du structuralisme marxien, et à la faveur d’un détour par Spinoza, l’« anthropologie manquante de Marx ». Anthropologie dont le centre n’est autre que le conatus, c’est-à-dire l’énergie fondamentale (et donc source de tout dynamisme) qui met en mouvement – et par là même historialise – des structures sociales « [apparemment] minérales et inhabitées, ou disons simplement peuplées d’agents conçus comme leurs supports passifs51 ». Tel est le projet lordonien consistant donc à hybrider Marx avec Spinoza, auquel l’auteur renvoie à travers le syntagme « structuralisme des passions », et qu’on peut développer brièvement comme suit :

Il y a des structures, et dans les structures il y a des hommes passionnés ; en première instance les hommes sont mus par leurs passions, en dernière analyse leurs passions sont largement déterminées par les structures (…) [de sorte que] les structures s’expriment en les individus sous la forme de désirs – et Marx se prolonge avec Spinoza (chapitre III).52

Pour pouvoir penser et rendre intelligible l’action des hommes dans l’histoire, c’est-à-dire autant celle qu’ils mènent « le plus souvent dans une direction qui reproduit les structures » que celle qu’ils accomplissent – beaucoup moins fréquemment – dans une autre direction « qui les renverse pour en créer de nouvelles », Lordon réalise une « double opération53 ». Il tient ensemble le meilleur du structuralisme – entendons : le soupçon évoqué plus haut que « nous ne soyons pas exactement tel que nous croyons être » –, évitant de retomber ainsi dans ce subjectivisme naïf auquel se laissent aller les sciences sociales humanistes, et l’« idée de subjectivité », qu’il sauve mais « débarrassée de tous les corrélats (cogito, libre arbitre, capacité d’autodétermination, etc.) qui nourrissent ses métaphysiques habituelles54 ». Et ce, afin de ne pas reconduire l’objectivisme consubstantiel au structuralisme minéral, dont Sartre avait déjà remarqué la présence au sein du marxisme dogmatique. Il s’ensuit que l’anthropologie manquante de Marx ne peut s’incarner que dans une « vision antihumaniste (théorique) de l’homme55 » et consister en une anthropologie anti-subjectiviste. Ce qui constitue, soit dit en passant, la seule façon, d’après Lordon, de faire pièce à un imaginaire néolibéral qui est en passe de coloniser la totalité des esprits – comme nous l’avons déjà mentionné : seule cette anthropologie concrète permet de rompre en effet avec le « noyau dur métaphysique » (c’est-à-dire avec l’« idée de l’homme56 ») autour duquel est construit cet imaginaire en question. Et s’il faut bien reconnaître que Lordon s’appuie sur cette anthropologie pour en finir avec l’idée de l’homme comme individu rationnel et calculateur (qui est le modèle largement promu par la théorie néo-classique puis néolibérale, laquelle s’en accommode au moins de manière officielle et publiquement), il n’empêche que la critique lordonienne déborde ce cadre anthropologique étroit. Loin de s’en tenir à l’homo œconomicus, elle remonte jusqu’à ce qu’elle considère être la racine constitutive de ce rétrécissement, jusqu’au subjectum, pour montrer ainsi jusqu’à quel point l’idée de « sujet souverain » comme legs classique de la métaphysique libérale est ce à quoi s’alimente copieusement l’imaginaire néolibéral. Ce dernier devenant dès lors l’ennemi à combattre avec l’idée conjointe de l’homme comme être radicalement et constitutivement auteur de ses actes.

Et tout se passe d’une certaine façon comme si Lordon prenait le relais de Sartre, mais pour mettre à la place de cet « être qui se définit par l’action57 », non plus le pour-soi (encore lourd, on l’a dit, d’une persistante ambiguïté, en dépit de sa refonte sartrienne), mais bel et bien le conatus, ce dynamisme par lequel « chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être58 ». On sait en effet que Sartre, après avoir conclu L’Être et le Néant par une théorie de l’action, en vient à concevoir la praxis elle-même comme le trait distinctif propre de l’homme, et ceci jusqu’à l’affirmation qu’« avec la Critique de la raison dialectique, le faire devient un irréductible, l’homme est fondamentalement praxis59 ». Mais à ce stade, l’opération réalisée par Lordon, en tant qu’elle est sous-tendue par cette « vision antihumaniste (théorique) » à laquelle nous faisions allusion un peu plus haut, n’a pas d’autre alternative que de désubjectiviser l’homme, ou pour le dire dans les termes de Deleuze et Guattari, de donner à comprendre que l’homme est toujours déjà « produit comme résidu » : compris désormais comme subditum (« sujet d’un souverain » ou « sujet subordonné ») l’homme « n’est [plus] lui-même au centre, occupé par la machine [désirante], mais sur le bord, sans identité fixe, toujours décentré60». En d’autres termes, on dirait que Sartre n’a pas été assez loin dans la déconstruction de l’Ego – comme Je et comme Moi –, qu’il s’est contenté de purifier le champ (transcendantal) de la conscience en l’expurgeant de ces « transcendants » que sont pour elle le Je et le Moi, n’accomplissant ainsi que la moitié du chemin alors qu’il s’agissait de mener l’opération initiée dans La Transcendance de l’Ego jusqu’à ses ultimes conséquences. C’est-à-dire encore : de mettre en lumière ce qui, de prime abord, se présente à nous comme un véritable scandale philosophique : la conscience elle-même n’étant en dernière analyse qu’un produit résiduel qui se fait pas passer pour point de départ, tout particulièrement – mais pas seulement – dans le régime du faire, en tant qu’elle se contente à première vue de « recueillir des effets » dont elle ignore les causes, essayant de « combler son ignorance en renversant l’ordre des choses, en prenant les effets pour les causes61 ».

Formulé différemment : si la croyance en un homme doué d’une « agency supposée toujours libre et capable de tout si elle le “veut”62 » n’est qu’une illusion (dont la source se situe dans la conscience elle-même saisie originairement comme « conscience immédiate et dissimulante63 »), c’est que ce qui est premier dans l’ordre des choses (humaines) n’est pas la liberté (pas même celle d’une volonté qui ne “veut” pas suffisamment ou qui pourrait “vouloir” plus), mais l’esclavage qui, s’ignorant comme tel, se croit libre. « La servitude volontaire, écrit Lordon, n’existe pas. Il n’y a que la servitude passionnelle. Mais elle est universelle.64 » De sorte que l’homme (dont la force motrice est le conatus) est inéluctablement enchaîné à ses passions – qui sont l’autre nom de ce « conatus essentiel et essentiellement intransitif [qui] en vient à se transformer en un désir intransitif [de tel ou tel objet]65 » Cela ne signifie évidemment pas que la liberté disparaisse. Bien au contraire, mais sa signification change : on passe d’une conception de la liberté comme attribut fixe et inaliénable que lui impose paradoxalement sa dimension humaine – c’est une telle conception, dont le « premier Sartre » est emblématique, qui alimente l’idée chez lui que l’homme est « condamné à être libre66 » – à une conception de la liberté humaine comme nécessité conquise, autrement dit comme résultat d’un processus de libération dans la nécessité, qui a besoin pour se consolider de la médiation d’une « conscience médiate et instruite67 ». Qui requiert, pour le dire en termes spinozistes, l’intervention de la raison comme pouvoir de comprendre et aussi comme source « productrice d’idées adéquates, c’est-à-dire d’une connaissance des effets accompagnée de la connaissance des causes68 ». C’est la raison pour laquelle on pourrait dire du structuralisme des passions de Lordon ce que Ricœur dit lui-même à propos de l’ « herméneutique démystifiante […] des maîtres du soupçon », à savoir que cette dernière « dresse la rude discipline de la nécessité. C’est la leçon de Spinoza : on se découvre d’abord esclave, on comprend son esclavage, on se retrouve libre dans la nécessité comprise.69 »

Une « action sans acteur » : du conatus (et des affects) comme moteur (et direction) de l’histoire

Une fois posé que ce qui est premier dans l’ordre des choses (humaines) n’est pas la liberté mais la nécessité (entendons : la servitude passionnelle ou causalité affective), on s’aperçoit d’une chose : s’il est vrai qu’il y a changement et par suite histoire en tant qu’il y a action, il n’en reste pas moins vrai qu’il y a action non pas – pour paraphraser Lordon – du fait d’acteurs toujours déjà libres et capables de tout pourvu qu’ils le “veuillent”, mais bien du fait du conatus et des affects. Voilà ce qui rend possible chez Lordon une théorie de l’« action sans acteur70 » dans le cadre d’un « structuralisme énergétique71 » et, au demeurant, sa réconciliation avec l’histoire et ses discontinuités. Par ailleurs, « l’immense avantage de l’onto-anthropologie spinoziste [est] de proposer une théorie de l’action individuée mais non-subjectiviste.72 », c’est-à-dire « une théorie énergétique de l’action73 » où l’homme, loin de se révéler d’abord comme conscience capable de transcender des déterminations, est conatus, puissance d’agir finie produisant des effets dans un certain nombre de directions déterminées par les affects (fondamentalement des affects de joie et de tristesse) auxquels l’exposent les rencontres mondaines. Ce qui revient à dire que l’homme n’agit pas par libre décret, mais bien parce que quelque chose d’extérieur (les affects) le détermine, ce qui explique que, à travers le prisme originaire de la conscience immédiate et dissimulante, il vive comme contrainte ce qui l’attriste et comme libre consentement ce qui le réjouit. Par ailleurs, l’apport incontournable du structuralisme marxien des rapports consiste à donner le cadre structurel au sein duquel se déploient le conatus et les forces désirantes et où se dessine également le paysage passionnel, “statistique” pour ainsi dire, qui détermine tendanciellement – et non pas de façon mécanique et inéluctable – les hommes à agir dans la direction opportune, c’est-à-dire dans une direction favorable à la reproduction des structures sociales.

On souligne tendanciellement parce que structures et passions, production sociale et production désirante, loin de former une totalité close et bien ordonnée, renvoient plutôt aux deux versants « distincts mais inséparables » d’un seul et même système métastable (d’une même « totalité détotalisée », dirait Sartre) où, pour le dire en termes deleuziens, les structures sociales tentent de « codifier » les flux passionnels tandis que les forces désirantes de leur côté tendent à « décodifier » les canaux institutionnels dans lesquels ils sont initialement appelés à transiter. On voit donc que dans une société comprise comme totalité à la fois structurée et dynamique (ouverte au changement et par là même à l’histoire), il se produit une sorte de « mouvement de deux mouvements74[74] » ou, si l’on veut, un « coefficient d’affinité » entre structures et passions, « machines sociales » et « machines désirantes » qui, loin d’être fixé une bonne fois pour toutes, est toujours susceptible de variations. Comme l’indiquent Deleuze et Guattari :

On peut parler d’un coefficient d’affinité plus ou moins grand entre les machines sociales et les machines désirantes, suivant que leurs régimes respectifs sont plus ou moins proches, suivant que les secondes ont plus ou moins de chance de faire passer leurs connexions et leurs interactions dans le régime statistique des premières.75

Un coefficient d’affinité donc, toujours susceptible de varier, et de varier en règle générale non seulement régionalement ou localement76 (occasionnant ainsi, quand il varie à la baisse, des révoltes et des conflits sociaux ici et là), mais aussi globalement (sa valeur approchant alors zéro) au point de précipiter un radical découplage entre les deux régimes de production sociale et désirante. C’est ce qu’on appelle aussi une révolution. Finalement, ce dont le structuralisme lordonien des passions permet de rendre compte, en profonde résonance avec la « machinerie du désir » conçue par Deleuze et Guattari, c’est du fait que « ce sont les forces désirantes qui travaillent le plus souvent à la reproduction des structures, mais qui de la même façon « sont à l’origine de la sédition de l’ordre établi77 » suite à la baisse du coefficient d’affinité évoquée précédemment. Sédition comme rupture avec le cours normal et statistique de l’agir humain (événement, dirait Deleuze), qui ne désigne pas l’irruption extraordinaire de liberté, sorte de saut miraculeux hors de l’ordre de la causalité (affective), mais doit être conçue désormais comme la simple conséquence de « la poursuite de la causalité passionnel dans de nouvelles directions78 ». Bref, il n’est plus question d’interroger les actions libres dont seraient prétendument capables des subjecta reclus dans leur insularité égotique, mais les « mouvements [auxquels] les puissances conatives sont affectivement déterminées » au sein des structures où elles se déploient. « Disposer d’une question de cette nature, souligne Lordon, offre en tout cas le moyen de sortir de l’antinomie des structures minérales vouées à la reproduction et de l’agency supposée toujours libre et capable de tout si elle le « veut » – pour conclure non sans ironie – (on ne comprend d’ailleurs guère qu’elle ne « veuille » pas plus souvent…).79 » Or c’est d’une telle antinomie ou disjonction exclusive que le second Sartre entend se délivrer : en effet, il n’hésite pas d’une part à qualifier de « vieillis80 » les cadres conceptuels ouvertement phénoménologiques et subjectivistes où s’inscrivait la philosophie de L’Être et le néant et, d’autre part, à s’en prendre au réductionnisme dans lequel tombe inévitablement le « matérialisme métaphysique » qu’il avait déjà critiqué auparavant dans La Transcendance de l’Ego puis « Matérialisme et révolution ».

La praxis individuelle comme ressort ultime du procès historique : une anthropologisation de la dialectique

Au fond, éviter le double écueil de l’objectivisme et du subjectivisme était déjà le projet que poursuivait Sartre dans Critique de la raison dialectique. Le premier débouche – comme on l’a vu – sur la dissolution de la conscience dans un vulgaire monisme matérialiste, la condamnant à n’être qu’un « reflet de la matière ». Le second suppose une conception substantialiste du cogito que Sartre a combattue dès La Transcendance de l’Ego – ravalant le Moi au rang de « construction imaginaire et limite irréalisable81 » –, tout comme il s’est élevé contre une conception idéaliste d’une liberté non située – ayant pour principal inconvénient de passer à côté de l’« homme concret », l’homme besogneux et à la peine dans des conditions qu’il ne s’est pas choisi. Il n’empêche que Sartre aura eu beau fustiger une conception humaniste, bourgeoise et individualiste du sujet, au point de soutenir que « l’Homme n’existe pas », il a malgré tout conservé deux propositions qui constituent le fonds inaliénable de L’Être et le néant. Premièrement que la conscience en tant que pouvoir néantisant est liberté ; et deuxièmement, le fait qu’« il n’y a de liberté qu’en situation », de même qu’ « il n’y a de situation que par la liberté82 ». D’où le maintien du primat de la liberté sur la nécessité chez le second Sartre : la liberté étant pensée à partir de la catégorie de l’action comme praxis et la nécessité, comme cette « expérience de l’aliénation » qui est la résultante de « la praxis des autres par la médiation de la matière travaillée83 ». Tel serait en effet le leitmotiv qui traverse toute l’œuvre de Sartre, y compris après sa « rencontre » avec le marxisme, qu’on pourrait finalement formuler comme suit : « Il faut partir de l’homme mais en rappelant qu’il est toujours à faire. […] “ L’essentiel n’est pas ce qu’on a fait de l’homme, mais ce qu’il a fait de ce qu’on a fait de lui.”84 »

Si l’on se souvient du syllogisme de l’action tel que nous l’avons évoqué, on s’aperçoit que Sartre partage avec Lordon l’idée qu’il y a du changement et, par après, un processus historique en tant qu’il y a de l’action. Mais on doit aussi immédiatement remarquer que Sartre, bien qu’il parte des mêmes prémisses, n’envisage jamais à titre de conclusion de ce syllogisme l’idée que l’action – impulsée par le devenir historique – puisse consister en « une action sans acteur ». Impossibilité, on l’a vu, qui procède précisément du primat que Sartre n’a eu de cesse d’accorder à la liberté sur la nécessité. Il l’énonçait déjà dès L’Être et le néant : « Les seules limites qu’une liberté rencontre, elle les trouve dans la liberté.85 » Autrement dit, il semble que Sartre ne renonce jamais à l’idée qu’il y ait de l’action parce qu’en dernière analyse il y a des acteurs, et ce en dépit de l’accent qui est mis sur cette lourde et insistante contre-finalité qu’est le « champ practico-inerte86 » pesant continuellement sur l’agir humain. Avec tout ce que cela implique pour les praxis individuelles en termes de dévoiement des fins poursuivies et de perte de sens corrélative, en un mot, d’aliénation. Conséquent avec l’arrière-plan existentialiste qui sous-tend son marxisme hétérodoxe, Sartre entend que seule une liberté peut-être aliénée, que seul un être libre peut réclamer la liberté dont il a été dépossédé : « Si l’homme n’est pas originellement libre, mais une fois pour toutes déterminé́, on ne peut même pas concevoir ce que pourrait être sa libération.87 » Or s’il faut bien reconnaître que la tâche entreprise par Sartre d’esquisser une « interprétation marxiste de sa philosophie » le conduit vers une « déconstruction […] de la notion de sujet88 », il n’empêche que le sujet sartrien, même « détrôné, dissous et déconstruit […] n’est pas abandonné89 ». Il est toujours, en dernière instance, ce « projet » suspendu à une liberté ontologique qui ressemble à bien des égards à ce saut miraculeux hors de l’ordre des déterminations passionnelles structurelles à quoi nous faisions allusion précédemment.

C’est pourquoi, lorsque Sartre utilise des formules telles que « actes sans auteur », « constructions sans constructeurs » ou « totalisations sans totalisateur90 », il le fait non seulement pour mettre en évidence l’impossibilité qu’il y a à rayer d’un trait de plume les effets de déviation et d’anonymisation exercés par les structures sociales sur les praxis humaines, mais aussi en guise de concession pour réaffirmer en même temps le primat indépassable de la liberté individuelle. Et c’est de cette manière qu’il redécouvre « en l’homme son humanité véritable, c’est-à-dire le pouvoir de faire l’Histoire en poursuivant ses propres fins91 ». Mais une chose est de ne pas être « disposé à dissoudre l’homme dans des structures qui le dépassent92 », par anti-fatalisme ; et une autre – bien différente – est de considérer que toute approche structuraliste, parce qu’elle serait déterministe, conduit forcément à la dégradation de l’histoire en fatum et, finalement, à l’abolition de toute action historique. En fait, une des raisons pour lesquelles Sartre n’est pas ou ne semble pas disposé à abandonner l’idée qu’il y ait de « véritables auteurs de leurs actes » a à voir, on l’a suggéré, avec la critique qu’il adresse à ce qu’il considère être l’erreur fondamentale du marxisme dogmatique, à savoir : la déshumanisation de leur propre conception de l’histoire et de la dialectique. On aimerait souligner ici à quel point cette critique – qui vient apparemment confirmer l’adhésion de Sartre à la thèse selon laquelle il y a action parce qu’il y a des acteurs – est redevable de l’influence exercée par le geste kojévien, qui avait consisté, on s’en souvient, à « anthropologiser » la dialectique hégélienne et à travers elle la négativité, étant entendu que « l’humanisation du néant implique qu’il n’y ait rien de négatif dans le monde hors de l’action humaine.93 ». Ce dernier point ne fait aucune difficulté pour Sartre, lui qui soutenait déjà en 1946 que « ce qui caractérise [la matière], c’est son inertie. Cela signifie qu’elle est incapable de rien produire par soi-même94 ». Suivant Kojève, Sartre fait lui aussi du pouvoir de négation l’attribut exclusif de cet être individuel libre qu’est l’homme concret, tant et si bien que « c’est par l’homme, par la praxis humaine que la dialectique vient au monde95 ». Si le mouvement de l’histoire est dialectique, c’est parce que la praxis individuelle elle-même – et rien qu’elle – est dialectique. En tant que « trou » par lequel la négativité s’immisce dans l’opacité matérielle du monde (naturel et social), la praxis se définit à son tour comme

passage de l’objectif à l’objectif par l’intériorisation ; le projet comme dépassement subjectif de l’objectivité vers l’objectivité, tendu entre les conditions objectives du milieu et les structures objectives du champ des possibles représente en lui-même l’unité mouvante de la subjectivité et de l’objectivité, ces déterminations cardinales de l’activité.96

Par conséquent, l’objectivité telle que Sartre la conçoit comporte deux versants : le premier renvoie à cet objectivité de départ qui nous est donnée à la naissance, pour ainsi dire, et qui définit notre situation ; le second correspond à l’objectivité d’arrivée, qui coïncide avec la réalisation – toujours partielle et inachevée – du champ des possibles. Entre les deux vient s’intercaler à titre de médiation le moment de la subjectivité, celui de la praxis comme principe de négation de ce qui naturellement et/ou socialement donné. De telle sorte que le donné initial finit par être dépassé vers une nouvelle objectivité (et ainsi ad infinitum) à travers cet acte proprement humain de conservation-dépassement. Par ailleurs ce que révèle une telle approche théorico-conceptuelle c’est l’impossibilité de parvenir à comprendre quelque chose du processus objectivo-historique en faisant l’impasse sur l’action humaine ou la praxis individuelle en tant principes de la négation du donné. Car la disqualification du moment de la subjectivité comme moteur du devenir historique est précisément le fait du marxisme « arrêté » ou « minéralisé » lorsqu’il réduit la dialectique à n’être qu’une loi immanente de l’histoire. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’il ne lui reste plus qu’à s’en remettre au dogme selon lequel la transformation de l’homme n’adviendra que « dans un sujet différent et libéré des chaînes économiques qui l’entravent97». Sartre, de son côté, n’est pas disposé à dissocier la scène de l’histoire et celle de l’action des hommes, que l’adage de Vico tenait déjà à réunir : « Ce sont les hommes qui font l’histoire. » Formule que le jeune Marx ratifiera, mais en insistant sur ce qui vient en limiter la portée : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de plein gré, dans des circonstances librement choisies ; celles-ci, ils les trouvent au contraire toutes faites, données, héritage du passé.98 » Ce schéma convient parfaitement à Sartre, dans la mesure où il exprime en le transposant au champ historico-social le thème existentialiste de la liberté individuelle ne pouvant exister qu’en situation, constamment en proie à une nécessité qui menace de l’aliéner mais qui, en même temps, est capable de se reprendre en refaisant activement tout ce que l’on a fait d’elle.

Conclusion. Néant humanisé ou désir désubjectivé ?

Mais en procédant de la sorte, et malgré des réflexions profondes sur les collectifs (« série », « groupe en fusion », « institution »), Sartre maintient finalement une sorte d’atomisme social qui sert de toile de fond à sa réélaboration du marxisme. Arrière-fond en vertu duquel il est amené à reconduire l’énoncé humaniste (théorique) selon lequel « l’Histoire est un procès d’aliénation qui a un sujet, et ce sujet c’est l’homme.99 » Or à travers cet énoncé – qui nous apparaît comme le corollaire de cet atomisme –, Sartre risque malgré lui de donner les outils idéologiques permettant de réactualiser la figure anthropologique dont se nourrit l’imaginaire néolibéral : celle du projet (de « l’entreprise de produire sa vie ») qui, en dépit de l’adversité ambiante, ambitionne d’atteindre des objectifs, lesquels, une fois réalisés, en appellent d’autres suivant le fil d’une logique d’autodépassement qui résonne étrangement, faisant écho à l’expérience vécue du “libre” entrepreneur (entrepreneur de soi), dont on dira qu’il « subit les contraintes économiques, mais, [qu’]en même temps, au travers de son entreprise il a conscience d’être “un acteur” de la vie économique.100 » Telle serait au fond la matrice sartrienne : celle d’une liberté ontologique qui, pour autant qu’elle est socialisée et historialisée, c’est-à-dire confrontée à l’insistante contre-finalité du champ practico-inerte, peut se reprendre et relancer du même coup le procès historique.

Lordon, lui, insiste sur la radicale hétéronomie comme trait définitoire et définitif de la condition humaine, et conformément à ce strict déterminisme, propose de comprendre le devenir historique comme effet combiné d’une « dialectique de l’horizontalité (immanence) et de la verticalité́ (transcendance), des “structures des affects” et des structures “macro-économiques”101». Si l’homme (compris ici comme « l’intégrale » des déterminations socio-passionnelles que sa « complexion » résume hic et nunc) agit tendanciellement dans le sens d’une reproduction des structures sociales, cette dépendance du chemin n’en supprime pas pour autant la possibilité – toujours ouverte en principe – d’une expérience de l’indignation susceptible d’alimenter à son tour des désirs de sédition, tout particulièrement lorsque l’armature institutionnelle (politique, juridique, culturelle) ne parvient plus à réguler et stabiliser le régime d’accumulation intrinsèquement contradictoire par nature. Ou si l’on veut, lorsque devient patente toute la distance qui sépare les promesses ronflantes d’émancipation et la réalité crue d’une aliénation généralisée (comprise comme « fixation » dans les limites d’un « spectre étriqué » d’objets de désir et de jouissance102). « Crise d’hégémonie » – comme dirait Gramsci – qui, au lieu de d’indiquer l’irruption magique d’une « causalité libre » au sein de la matérialité opaque des structures, préfigure plutôt le découplage significatif des régimes de production sociale et de production désirante et, se faisant, l’émergence d’une nouvelle subjectivité désirante armée d’une sorte de « contre-libido103 », à la faveur de laquelle ce qui était désirable jusque lors, ne l’est plus et devient intolérable. C’est là peut-être qu’il faut chercher les germes d’une alternative réelle (au réalisme capitaliste).

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  • Sartre, J.-P., 2013, « Matérialisme et révolution », Situations III, Paris, Gallimard.
  • Sibertin-Blanc, G., 2010, Deleuze et l’Anti-Œdipe. La production du désir, Paris, PUF.
  • Sibertin-Blanc, G., 2009, « L’effet anti-humaniste de l’existentialisme dans le marxisme », Études sartriennes, n3, p. 55-92.
  • Spinoza, 1965a, Éthique, Paris, GF.
  • Spinoza, 1965b, Traité théologico-politique, Paris, GF.
  • Spinoza, 1966, Traité politique, Paris, GF.
  • Worms, F., 2009, La Philosophie en France au XXe siècle, Paris, Folio.

Notes

  1. Lordon, 2010b, p. 114.
  2. Cf. Fisher, 2018.
  3. Deleuze, 1990, p. 232.
  4. Lordon, 2013, p. 273.
  5. Marx, 2008, p. 219.
  6. Deleuze et Guattari, 1972, p. 125.
  7. Canavera, 2022, p. 3-4.
  8. Désir de « reformater » (resetear) l’homme, qui est motivé dans le camp des théoriciens néolibéraux par le rejet de l’« ontologie naturaliste » venant du libéralisme classique et réaffirmée par les néo-classiques : le marché n’est pas un fait naturel, pas plus que l’homme n’est un compétiteur né. Par conséquent, de même qu’il faut construire le cadre juridico-politique (les « règles du jeu ») au sein duquel prennent place les processus économiques (le « déroulement de la partie »), il faut également reconfigurer ses agents (les « joueurs »). Sur ces différents points, cf. Canavera, 2023.
  9. Lordon, 2013, p. 88-89.
  10. Spinoza, 1965b, p. 21.
  11. Dardot et Laval, 2010, p. 409.
  12. Spinoza, 1966, chap. X, § 8, 1965, p. 109.
  13. Taberner et Rojas, 2002, p. 44 et suiv. Nous traduisons.
  14. Sartre, 1960, p. 29.
  15. Althusser, 1997, p. 443.
  16. Ibid., p. 453-456.
  17. Marx, 1972, p. 4.
  18. Sartre, 1960, p. 25.
  19. Lordon, 2013, p. 12, 101 et 124.
  20. Renaud et Sibertin-Blanc, 2009, p. 77-78.
  21. Sartre, 2013, p. 160.
  22. Gervais, 1969, p. 289.
  23. Lordon, 2010b, p. 29.
  24. Worms, 2009, p. 242.
  25. Sartre, 1960, p. 59.
  26. Lordon, 2013, p. 130.
  27. Ibid., p. 249.
  28. Sartre, 1960, p. 135.
  29. Lordon, 2010b, p. 10.
  30. Sartre, 1996, p. 86.
  31. Sartre, 2013, p. 138.
  32. Sartre, 1960, p. 56.
  33. Sartre, 2000, p. 662.
  34. Sartre, 1960, p. 124.
  35. Ibid., p. 25.
  36. Sartre parle en effet d’un « marxisme paresseux », ibid., p. 43.
  37. Cf. « C’est l’homme concret qu’il [Marx] met au centre de ses recherches, cet homme qui se définit à la fois par ses besoins, par les conditions matérielles de son existence et par la nature de son travail, c’est-à-dire de sa lutte contre les choses et contre les hommes. » Sartre, 1960, p. 21.
  38. Ibid., p. 59.
  39. Caeymaex, 2010, p. 152.
  40. Kojève, 1968, p. 494.
  41. Aragüés, 2005, p. 22 et suiv. Nous traduisons.
  42. Worms, 2009, p. 222-223.
  43. Gervais, 1969a, p. 272-273.
  44. Worms, 2009, p. 242.
  45. Sartre, 1960, p. 37.
  46. Ibid., p. 18.
  47. Cité par Maniglier, 2005, p. 428.
  48. Deleuze, 1969, p. 124. Nous soulignons.
  49. Sartre, 1960, p. 59.
  50. Lordon, 2010b, p. 10
  51. Lordon, 2013, p. 12.
  52. Ibid., p. 11-14.
  53. Canavera, 2021, p. 297 et suiv. Nous traduisons.
  54. Lordon, 2010a, p. 128.
  55. Lordon, 2013, p. 128.
  56. Ibid., p. 273.
  57. Sartre, 2000, p. 475.
  58. Spinoza, 1965a, III, 6, p. 142.
  59. Gervais, 1969, p. 84.
  60. Deleuze et Guattari, 1972, p. 27.
  61. Deleuze, 1981, p. 29.
  62. Lordon, 2013, p. 101.
  63. Ricœur, 1965, p. 43.
  64. Lordon, 2010b, p. 35.
  65. Lordon, 2003, p. 121.
  66. Sartre, 2000, p. 598.
  67. Ricœur, 1965, p. 43.
  68. Canavera et Aragüés, 2021, URL : http://www.implications-philosophiques.org/politique-et-affects-chez-frederic-lordon
  69. Ricœur, 1965, p. 43-44.
  70. Lordon, 2013, p. 129.
  71. Lordon, 2003.
  72. Lordon, 2007, p. 140.
  73. Lordon, 2003, p. 127.
  74. Expression forgée à l’origine par Badiou pour rendre compte de l’« ontologie vitaliste de Deleuze » (cf. Badiou, 1998, p. 64), mais dont il nous semble qu’on peut user ici pour insister sur le caractère « bicéphale » de la formation sociale telle que la comprend Lordon.
  75. Deleuze et Guattari, 1972, p. 217.
  76. Raison pour laquelle G. Sibertin-Blanc indique justement ceci : « Le problème du rapport entre les deux régimes de production doit alors être posé en termes, non de compatibilité ou d’incompatibilité globales, mais de rapports de puissance, de porosités et de contradictions assignables dans telle ou telle formation historique singulière : de la production désirante qui la travaille, qu’est-ce qu’une société donnée est capable de supporter, de tolérer, de favoriser, “invente, laisse ou fait passer” ? ». Sibertin-Blanc, 2010, p. 47-48.
  77. Canavera, 2021, p. 302. Nous traduisons.
  78. Lordon, 2013, p. 12.
  79. Ibid., p. 101.
  80. Sartre, 1960, p. 24.
  81. Howells, 1993, p. 219.
  82. Sartre, 2000, p. 534.
  83. Gervais, 1969b, p. 91.
  84. Ibid., p. 103. Le fin de la citation rapporte des propos de Sartre recueillis dans « Jean-Paul Sartre répond », L’Arc, 30, 1966.
  85. Sartre, 2000, p. 570.
  86. Rappelons que par « practico-inerte » Sartre désigne l’ensemble des produits de la praxis humaine en tant qu’ils se figent dans l’inertie de la matière et qui, se faisant, en viennent à constituer, à l’image du mode de production, une sorte de monde étranger et autonome, capable d’exercer en retour une action qui entrave aussi bien les praxis individuelles que collectives ; bref, comme le dit Sartre lui-même, une « antipraxis ». Cf. Sartre, 1960, p. 235.
  87. Sartre, 2013, p. 207.
  88. Howells, 1993, p. 224.
  89. Ibid, p. 226.
  90. Sartre, 1960, p. 102 et 134. Autant de formules semblables sinon identiques à celles que l’on retrouve sous la plume de Lordon. Mais quand ce dernier les emploie c’est précisément pour fustiger le virage humaniste (théorique) survenu dans les années 1980-90 dans le champ des sciences sociales. Lequel restaure « la figure de l’acteur […] dans son primat théorique […] oublieux des forces sociales, des structures et des institutions. (Lordon, 2013, p. 9-10) », avec tout ce que cela implique par ailleurs en termes de reconduction et d’amplification de l’ « individualisme méthodique » – déjà largement promu par la théorie néo-classique et qui va comme un gant à la doctrine néo-libérale, tant il s’accorde à sa conception a-sociologique de l’individu et de la société.
  91. Sartre, 1960, p. 102.
  92. Howells, 1993, p. 226.
  93. Descombes, 1979, p. 47.
  94. Sartre, 2013, p. 145.
  95. Lévêque, Jean Lévêque. Existentialisme et marxisme, 2013, URL : http://jean-leveque.fr/existentialisme-marxisme.htm
  96. Sartre, 1960, p. 66.
  97. Taberner et Rojas, 2002, p. 48. Nous traduisons.
  98. Marx, 1994, p. 437.
  99. Althusser, 1997, p. 454.
  100. Lévêque, 2013.
  101. Renault et Sibertin-Blanc, 2018,p. 156.
  102. Lordon, 2010b, p. 185.
  103. Fisher, 2018.
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Pau
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111909
ISBN html : 978-2-35311-190-9
ISBN pdf : 978-2-35311-191-6
Volume : 2
ISSN : 2823-975X
Posté le 27/12/2024
21 p.
Code CLIL : 4127
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Comment citer

Canavera, Julien, “De Sartre à Lordon : la tâche de repenser la place de la subjectivité dans le marxisme », in : Ferrero, Corinne, Aragüés, Juan Manuel, Créer le présent, imaginer l’avenir. Dissidences po/éthiques de la littérature et de la philosophie contemporaines, Collection Dissidences / Disidenci@s 2, Pessac-Pau, PUPPA, 2024, 71-92, [en ligne] https://una-editions.fr/de-sartre-a-lordon [consulté le 27/12/2024].
10.46608/dissidences2.9782353111909.7
Illustration de couverture • Collage Wéma Miranda-Ferrero (2022)
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