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Propos conclusifs
Femmes et droit public : Liberté, égalité, … sororité

Propos conclusifs
Femmes et droit public : Liberté, égalité, … sororité

Chacun à sa façon, sur des thèmes extrêmement divers, les étudiantes et étudiants intervenant lors de cette journée ont illustré comment le droit, de manière générale, et le droit public en particulier, se saisit des questions qui touchent les femmes, leurs droits, leurs convictions, leur représentation. De toutes ces interventions, il me semble que ressortent deux points saillants : si le droit consacre les droits des femmes, il échoue à en assurer l’effectivité. Après avoir montré à quel point les douze communications convergent sur ces deux constats, je m’interrogerai sur les raisons et les moyens éventuels de dépasser cette impuissance du droit à garantir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Le droit consacre les droits des femmes sans assurer leur effectivité

Toutes les communications de cette journée ont démontré une chose : le droit public, le droit, plus largement la norme juridique, se saisit des idées féministes. En introduction, A. Fitte-Duval a exposé la reconnaissance progressive de la théorie féministe par le droit. Du droit international à la norme interne, en passant par le droit européen, les normes existent pour reconnaître, protéger et promouvoir les droits des femmes. Toutes les communications l’ont démontré, toutes ont été dans le sens de cette démonstration-là, sauf dans quelques domaines peut-être. Dans quelques cas, les communications ont pu montrer qu’il y a des domaines dans lesquels les droits des femmes peuvent être délaissés ou méconnus. Tel est le cas en ce qui concerne la précarité menstruelle. C. Tuha a employé à ce sujet l’expression « d’omission législative », omission étant ici un terme fort indéniablement.

La norme existe donc dans la majorité des cas mais elle ne permet pas d’assurer effectivement les droits des femmes ; elle ne parvient pas à assurer l’égalité réelle entre femmes et hommes. Sur ce point aussi, toutes les communications convergent évoquant « l’absence d’effectivité », « l’efficacité limitée » (des instruments internationaux pour lutter contre les mutilations génitales féminines a démontré H. Lami), « l’insuffisance » des mesures législatives (concernant les quotas pour la parité d’après A. Galindo).

Pourquoi ? Deux raisons peuvent être évoquées. Premièrement, par manque de volonté politique ou même par choix politique délibéré. De manière générale, le rejet de la discrimination positive en droit français, à l’instar de l’affirmative action aux États-Unis comme l’a rappelé A. Galindo, limite d’emblée les outils concrets pour assurer une égalité réelle entre femmes et hommes. De manière ponctuelle, certaines décisions relèvent de choix politiques qui peuvent s’avérer particulièrement défavorables aux droits des femmes : le refus de la PMA ou de la GPA comme l’a exposé T. Jurat, ou les mesures de police administrative relatives à l’habillement, comme l’a illustré N. Esterle, peuvent se retourner contre la liberté des femmes. De manière peut-être plus pernicieuse encore, le législateur peut aller jusqu’à des « effets d’annonce » comme l’a exposé R. Sanchez à propos du délit d’outrage sexiste certes inscrit dans la loi pénale, mais dont il nous a démontré non seulement que son effectivité est intrinsèquement compromise par la réaction maladroite qui a été retenue, mais encore qu’elle est viciée en pratique par la difficulté à caractériser l’infraction. Deuxièmement, par impuissance des pouvoirs publics. Cette efficacité minime, limitée, relevée dans toutes les communications révèle l’impuissance du droit, et des pouvoirs publics, à assurer l’effectivité des droits des femmes. La réalité de cette impuissance est confirmée par le fait que face à l’impuissance du droit, plusieurs intervenants ont eux-mêmes proposé ou simplement relayé des propositions d’alternatives à la norme : des « mécanismes relais » suggérés par E. Castarraingts pour parvenir à la parité dans les fonctions et emplois publics, une parité « auto-imposée » par exemple grâce au système « des quotas partisans » des pays nordiques, présenté par A. Galindo, pour parvenir à la parité en politique cette fois.

Comment dépasser l’impuissance du droit à assurer l’effectivité des droits des femmes ?

Si l’intervention normative pour consacrer les droits des femmes ne suffit pas à en assurer l’effectivité, c’est principalement parce qu’elle ne s’appuie pas sur une évolution favorable des mentalités. Peut-elle alors inciter ou susciter cette évolution ?

C’est très exactement ce que retenait D. Lestrade en conclusion de son intervention relative à l’utilisation par les femmes de leur corps comme instrument de revendication politique. Après avoir étudié les poursuites pénales en la matière au travers de deux exemples, elle concluait que « les revendications des femmes au moyen de leur corps sont juridiquement protégées. Cependant, comme toujours, l’évolution juridique ne reflète pas l’évolution des mentalités ».

D’où la question essentielle : le droit peut-il pousser à cette évolution ? Peut-il faire évoluer, changer les mentalités ? Pour une fois, le droit peut-il précéder le fait, en incitant à une prise de conscience sur les droits des femmes et la nécessité d’assurer leur effectivité ? En un mot, le droit peut-il être vecteur de conscientisation ?

Le droit le fait déjà. La communication de I. Bosca, à propos de la représentation de la femme dans l’audiovisuel et du rôle du CSA, montre que lorsque le CSA publie son rapport annuel sur la place des femmes dans l’audiovisuel, il ne proclame pas les droits des femmes mais, par l’usage du droit souple, participe à cette volonté de faire évoluer les mentalités, cette incitation à la conscientisation.

Le droit peut-il faire davantage ? Peut-il aller plus loin ? Dans certains cas, ce n’est pas une simple possibilité mais une nécessité : il faut aller plus loin pour éviter, comme l’a très justement montré S. Dampenon, que la justice privée supplante la justice d’État, que les médias et surtout les réseaux sociaux remplacent la norme, comme cela peut sembler être le cas depuis quelques temps en matière de lutte et, surtout, de répression des violences sexuelles et sexistes à l’encontre des femmes.

Pour aller plus loin, pour que la norme soit l’instrument de la conscientisation sur les droits des femmes, faut-il modifier les textes pour « donner à voir » la place égale des femmes dans la société ? C’est toute la question que soulève l’exemple de l’écriture inclusive, étudiée par L. Solans : retenir l’écriture inclusive (et la féminisation des termes) dans les textes officiels, c’est choisir une graphie particulière pour mettre en valeur la place des femmes ou, plus exactement les ramener au même niveau de visibilité que les hommes.

La Constitution étant le texte suprême qui organise nos institutions et notre ordre juridique, est-ce à ce niveau-là de la norme qu’il faut donner à voir la place égale des femmes dans la société en féminisant le texte ? La Constitution peut-elle participer à ce rôle de conscientisation ? Celle-ci proclame la devise de la République en des termes sans équivoque du point de vue des droits des femmes : « Liberté, égalité, fraternité » (Const., art. 3). De cette devise, le juge constitutionnel a tiré un principe constitutionnel de fraternité, par une décision du 6 juillet 2018 [enf_note]Cons. const. 6 juil. 2018, n° 2018-717/718 QPC, Délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger – CESEDA, art. L. 622-1 et L. 622-4.[/efn_note]. À l’opposé, ainsi que l’a précisément relevé A. Fitte-Duval en introduction, la sororité n’est même pas un concept juridique. La différence de traitement saute aux yeux : la fraternité, principe constitutionnel et la sororité, simple terme sans valeur juridique…. Faut-il alors consacrer la sororité dans la Constitution à l’égal de la fraternité ? Conjuguer la fraternité au féminin peut-il présenter une plus-value pour les droits des femmes ?

Deux orientations peuvent être suivies pour apporter au moins un début de réponse.

1. Quel est le contenu du principe constitutionnel de fraternité ?

Le consacrer au féminin, lui adjoindre la sororité, modifierait-il la teneur de principe ?

Dans la décision du 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel se prononçait dans un cadre très particulier : celui de la pénalisation de l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers sur le territoire national. Les requérants invoquaient l’atteinte au principe de fraternité par l’absence d’immunité pénale, dans la loi, même quand cette aide est apportée dans un but humanitaire. Et c’est ce que le Conseil constitutionnel consacre en reconnaissant qu’« il découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national » [enf_note]Cons. const., décision préc. n° 2018-717/718 QPC, §8. [/enf_note]. La fraternité s’entend donc de l’action dans un but humanitaire. La fraternité, au sens constitutionnel, c’est l’altruisme, l’humanisme voire l’universalisme.

Y aurait-il une plus-value à consacrer symétriquement la sororité ? La question est clivante car, même parmi les féministes, la notion fait débat comme le montrent les polémiques sur la non-mixité, l’opposition entre les différentialistes et les universalistes. Dans ce contexte, est-ce que consacrer la sororité ne risque pas, au contraire, d’accroître les oppositions et les clivages ?

2. Une autre voie est donc envisageable : dépasser la distinction entre fraternité et sororité en retenant un terme qui les recouvre, l’adelphité

Le terme d’adelphité est proposé pour englober la fraternité et la sororité. En désignant ce qui est issu d’une même matrice, d’un même « utérus », étymologiquement, le terme désigne nécessairement les frères et sœurs. Florence Montreynaud, historienne et linguiste, fondatrice du mouvement « Les chiennes de garde », propose de l’employer pour désigner des relations solidaires et harmonieuses entre êtres humains sans considération, donc, de sexe ou de genre [enf_note]Le terme adelphité est employé dans le manifeste fondateur du mouvement : Manifeste des Chiennes de garde contre la violence machiste, lancé le 8 mars 1999 par Montreynaud, F. [/enf_note]. Cela permet d’ailleurs d’inclure les personnes non binaires, qui ne se reconnaissent pas dans les notions genrées d’homme et de femme.

La proposition d’inscrire l’adelphité dans la Constitution, plutôt que d’ajouter la sororité à la fraternité, n’est pas une totale innovation. En effet, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes s’est déjà essayé à l’exercice en 2018. Il a, en effet, proposé une réécriture du texte de la Constitution de 1958 en le féminisant et en remplaçant la devise de la République, à l’article 3 de la Constitution, par la formulation suivante : « Liberté, égalité, adelphité » [enf_note]Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Avis relatif à la révision constitutionnelle « Pour une Constitution garante de l’égalité femmes hommes », n° 2018-04-18-PAR-033, 18 avril 2018. consultable en ligne ici : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_avis_pour_une_constitution_ garante_de_l_egalite_fh_20180418.pdf [/enf_note].

Face à une telle proposition visant à dépasser le clivage induit par les termes fraternité et sororité, on pourra toujours estimer que même ce terme à vocation englobante qu’est le mot « adelphité » peut avoir un effet d’exclusion dès lors qu’il se fonde sur une approche uniquement biologique (la matrice commune, l’utérus originel). Mais c’est surtout le fait qu’il soit largement méconnu, inconnu, incompréhensible, pas immédiatement saisissable, qui lui fera manquer le but recherché par son éventuelle consécration : donner à voir la place égale des femmes et des hommes dans la société. Un seul mot, fut-il consacré au plus haut de notre ordre juridique, ne suffira pas à changer les mentalités et façons de voir. Seul un travail d’éducation et d’information de longue haleine le pourra.

Notes

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Pau
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111558
ISBN html : 2-35311-155-6
ISBN pdf : 2-35311-156-4
ISSN : 2827-1971
4 p.
Code CLIL : 3264
licence CC by SA

Comment citer

Douence, Maylis, « Le délit d’outrage sexiste ? Un effet d’annonce ? », in : Humbert, Marion, Martins, Maverick, Routier, Romain, dir., Femmes et droit public. Liberté, Égalité, Sororité, Pau, PUPPA, collection Schol@ 2, 2023, 133-138, [en ligne]https://una-editions.fr/femmes-et-droit-public–liberte-egalite-sororite/ [consulté le 28/03/2023].
10.46608/schola2.14
Illustration de couverture • Photo de Mathias Reding sur Unsplash, montage Thomas Ferreira
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