Préparer la rentrée pour un professeur d’occitan, c’est courir les écoles et collèges afin de rencontrer et convaincre les élèves, en 6e ou en 3e de choisir l’option l’année suivante (lorsqu’elle existe dans un collège, ce qui est relativement rare).
C’est un travail passablement long et peu agréable mais indispensable à la survie d’une culture méprisée depuis des siècles et d’une langue interdite à l’école de 1882 à 19511…
Pourtant, malgré cela, la demande de l’expression d’une identité régionale reste très forte chez les jeunes : connaître et vivre la culture d’oc répond à un désir réel… Heureusement…
À la prochaine rentrée, dans certains collèges, un groupe d’enfants de 6e s’initieront donc à la langue de leur pays et pourront continuer cet enseignement jusqu’en 3e… s’ils ne choisissent pas le latin en 5e !
Car, pour des raisons inexplicables d’un point de vue humain, mais justifiées semble-t-il par des contraintes administratives et légales, il y a, le plus souvent (mais pas toujours et pas partout), incompatibilité entre les deux options. La culture d’oc reste pourtant, au dire de tous les linguistes, une des grandes cultures latines occidentales…
Au moment du choix, certaines familles privilégient donc le latin, et la plupart des professeurs poussent dans la même direction, sans doute pour une question de prestige. Au jeu de la concurrence, ce qui fut considéré comme un patois négligeable pendant tant de siècles, ne saurait entrer en compétition avec le latin…
Mais pour la survie de l’option, il y a bien pire : l’arrivée des classes « euro »2 avec parfois deux heures supplémentaires dans une langue étrangère (le plus souvent l’anglais). Pour l’occitan, aucune chance, soyons sérieux ! Tout le monde s’accorde sur la prééminence de l’anglais, un domaine utile pour le futur et pour l’économie. À côté d’une telle importance, la culture régionale est cantonnée au rôle de « folklore », de ce « supplément d’âme » dont, convenons-en, on peut aisément se passer.
Peu importe, alors, l’extraordinaire richesse d’une culture millénaire, peu importe, alors, les pratiques artistiques qui y sont associées, peu importe, enfin, l’indispensable inscription dans une histoire et un passé…Tout cela ne nourrit pas son homme, du moins en apparence et l’apparence prévaut le plus souvent dans ce contexte à courte vue consensuelle.
Il arrive même que les collègues de « langue noble » fassent « leur marché », en fin de 6e ou de 5e, convainquant les meilleurs des élèves de changer d’option. Soyons sérieux !
Parfois, également, la multiplication des options (outre les langues) diverses et variées, si elle ouvre l’offre et présente l’avantage d’être motivante, induit une concurrence permanente sur le terrain du « ludique » : sport, sciences appliquées ou, plus rarement, disciplines artistiques…
Au bout du compte, de façon insidieuse, malgré plus de deux siècles de poésie des troubadours, malgré les six cents ans de textes juridiques du Béarn, malgré un Prix Nobel de littérature3, malgré un demi-siècle de lois protectrices, malgré l’inscription des langues régionales dans la constitution, malgré un concours de recrutement de professeur des écoles, un CAPES et une agrégation, la culture occitane se retrouve dans une situation de mépris assez semblable à celle du XIXe siècle qui voyait en elle ce patois tout juste capable de diviser l’unité nationale ou de parler aux animaux…
Elle doit en permanence démontrer une utilité que lui conteste cette même société qui entretient soigneusement le silence sur son existence même. À peine lui accorde-t-on le statut de « loisir » …
Au lycée, le jeu de la concurrence avec le latin recommence, mais aussi parfois avec toute une série de matières complémentaires aux enseignements obligatoires et nobles : économie, sciences, informatique… Cela constitue un choix d’autant plus difficile à faire pour les élèves que l’occitan souffre d’un déficit de communication chronique dans les médias et plus généralement dans la vie publique. Pourquoi apprendre une langue inexistante sur son propre territoire ?
Là encore, le professeur d’occitan tente de convaincre, en s’appuyant sur les réalisations associatives (souvent exemplaires), avec le rayonnement historique de la culture qui inventa l’amour ou sur l’extraordinaire terrain d’expérimentation artistique qu’offre cette lutte pour la survie.
Mais que peut le seul professeur contre le silence organisé des médias et des pouvoirs publics, contre le prestige du latin et l’utilitarisme des matières complémentaires ? Pas grand-chose, à vrai dire…
Il reste la perspective d’une bonne note au bac mais… Malheur ! Lorsque l’épreuve d’occitan compte pour un coefficient deux, celle du latin compte pour un coefficient trois4 ! Soyons sérieux !
Voilà réintroduite la hiérarchie des disciplines et le classement des langues ; une incongruité bien française qui ne démontre que la force des lobbyings.
Que dire alors de la réforme à venir qui semble mettre à l’abri le latin de la concurrence des options, tandis que l’occitan restera dans la mêlée ? Encore la force du lobbying.
Il serait pourtant si facile d’associer les langues régionales à la protection dont bénéficie le latin reconstituant, par là-même, au moins sur le terrain légal, une certaine égalité. Il suffirait, dans la réforme à venir, de reformuler la mention concernant la possibilité de cumul des options de la manière suivante (proposition de la Fédération des Enseignants de Langue et de Culture d’Oc, FELCO) :
Les enseignements optionnels de LCA5 latin et grec et de LCR langues et cultures régionales peuvent être choisis en plus des enseignements optionnels suivis par ailleurs6. Combien de temps vas-tu-tenir à ce régime ? Me demandait une collègue autrichienne la semaine dernière ? En ce qui me concerne, pas de danger, l’âge aidant, la sensation « d’être utile à l’humanité » prévaut sur les difficultés du quotidien. Mais qui se pose réellement la question de savoir pourquoi tant de jeunes enseignants d’occitan abandonnent ?
Notes
* Rédigé le 12 mai 2018.
- Des lois Jules Ferry à la loi Deixonne, voir l’article de Yan Lespoux dans ce même volume.
- Il s’agit de classes avec une section européenne dont le but est de favoriser la maîtrise d’une langue vivante par les élèves et l’ouverture européenne des établissements.
- Frédéric Mistral en 1904 pour Mirèio (et l’ensemble de son œuvre).
- Depuis 2021, les coefficients sont désormais les mêmes, voir n. 13.
- Langues et Cultures Anciennes.
- À propos des options au baccalauréat depuis cette réforme, voir le rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche (IGÉSR), daté du mois de juin 2021 : Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse, IGÉSR, Évaluation de la mise en œuvre des enseignements optionnels au sein du nouveau lycée général et technologique, rapport par Alain Brunn, Anne Gasnier et al., [en ligne] Site du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse. https://www.education.gouv.fr/evaluation-de-la-mise-en-oeuvre-des-enseignements-optionnels-au-sein-du-nouveau-lycee-general-et-324356 [consulté le 8 janvier 2023].