Les pratiques de l’urbanisme sont en transition tant dans leurs finalités que dans leurs modalités d’action. Face aux enjeux liés à l’adaptation au changement climatique, l’organisation de l’urbanisation doit désormais répondre à une double injonction de non artificialisation des sols et de végétalisation des espaces urbains dans une perspective d’écologie, de cadre de vie et de santé publique. Complexifiant l’action pratique, ce tournant écologique s’inscrit dans un cadre plus collaboratif marqué d’une part, par la participation des usagers et des habitants à l’aménagement de l’espace et d’autre part, par la coordination et la négociation des opérations urbaines entre acteurs publics et privés.
Du 29 juin au 1er juillet 2022 à Bordeaux, les Rencontres internationales en urbanisme (RIU) de l’Association pour la promotion de l’enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme (APERAU)1 ouvraient une réflexion sur l’évolution des pratiques de l’urbanisme dans ce contexte de changement au niveau international et en particulier au sein de l’espace francophone dont sont principalement issus les participants aux RIU.
Une première caractéristique des RIU réside en effet dans sa capacité à rassembler la communauté francophone autour des enjeux d’aménagement et de développement durable des villes et des territoires. Cette communauté est fédérée par l’APERAU. L’association labellise des formations en urbanisme sur la base de l’adhésion à une charte commune engageant à la pluridisciplinarité des enseignements et des recrutements d’étudiants et à la double dimension professionnalisante et d’initiation à la recherche des formations. L’APERAU regroupe plus de quarante institutions adhérentes organisées en trois sections régionales : Amérique du Nord, Afrique et Moyen-Orient et France-Europe. Ce dialogue international est au cœur de l’ouvrage qui explore cinq contextes d’action : la France, la Belgique, la Suisse, la Tunisie et le Viêt Nam, à travers douze contributions. Elles restituent les articles transmis à l’issue de trois sessions de communications2 associant lors des RIU, des intervenants, chercheurs ou praticiens, dans le champ de l’urbanisme et de l’aménagement.
Une seconde caractéristique des RIU est de constituer un lieu de rencontre et de débat entre professionnels des sphères scientifique et opérationnelle de l’urbanisme et de l’aménagement. Cette diversité est à l’image du corps enseignant dans les formations en urbanisme labellisées par l’APERAU portées par des équipes pédagogiques mixtes associant enseignants-chercheurs et praticiens-enseignants. Les contributions rassemblées dans cet ouvrage témoignent de cette diversité en proposant des articles issus de recherches-actions (recherches sur l’action, impliquées dans l’action et/ou à finalité opérationnelle) et de contributions de professionnels fondées sur leur expérience et leur analyse réflexive. Comment la recherche peut-elle servir l’action pratique dans le contexte contemporain de changements ? Et inversement quelles questions de recherche et quelles interpellations les praticiens font-ils remonter à la communauté scientifique ?
- Ces dernières années, les RIU se sont plusieurs fois intéressées aux enjeux liés au changement climatique : à Rabat en 2021 en interrogeant l’adaptation des patrimoines urbains (« La ville qui s’adapte. Développement urbain et héritage culturel face aux changements environnementaux » puis à Lausanne en 2023 sur le thème du vivant et de son intégration à l’urbanisme (« Pour un urbanisme du vivant »). En 2022, l’édition bordelaise questionnait les pratiques de l’urbanisme au prisme d’une transition dont nous retenons dans cet ouvrage les deux aspects mentionnés en ouverture : l’écologisation des pratiques qui se traduit formellement dans l’aménagement de l’espace par l’injonction publique à la densification des espaces urbains existants et à leur renaturation ;
- la dimension coopérative de l’urbanisme qui se traduit opérationnellement par une évolution des rapports entre acteurs publics et privés (professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement, usagers et habitants) et au sein des maîtrises d’ouvrage publiques.
Ces deux aspects sont envisagés en étroite articulation.
La montée des enjeux environnementaux est indissociable de celle de la participation citoyenne. Dès 1972, la déclaration de la conférence des Nations unies sur l’environnement réunie à Stockholm insiste sur l’effort conjoint des « peuples et gouvernements » pour s’engager ensemble dans la gestion et la préservation de l’environnement. En France, la participation citoyenne est institutionnalisée progressivement en lien avec la protection de l’environnement : la loi relative à la protection de la nature de 1976 prévoit la participation des associations agréées en matière d’environnement tandis qu’en 1983, la loi dite Bouchardeau relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement ouvre ces dispositifs à l’ensemble de la population. Cette dernière et son développement à travers des instruments (budget participatif, habitat coopératif, co-conception d’espaces publics, etc.) est aujourd’hui mise en débat. La question environnementale est aujourd’hui au cœur des démarches d’urbanisme et d’aménagement qui cherchent au-delà des dispositifs légaux à impliquer les citoyens volontairement ou à faciliter leurs initiatives.
L’avènement d’un urbanisme négocié entre acteurs publics et privés dans les années 1990 se conjugue depuis une quinzaine d’années avec une raréfaction des fonds publics qui tend à accroître la part du secteur privé dans le financement et le portage des opérations d’aménagement. Elle met dès lors en tension la prise en compte de l’intérêt général, et notamment des enjeux environnementaux et de santé publique, dans ces opérations. Cette question se formule cependant différemment selon les contextes d’action que ce soit en France qui hérite d’une tradition interventionniste de l’État, dans les pays anglo-saxons où l’action publique se positionne en régulatrice ou encore dans les pays des Suds et selon leurs régimes politiques. Il en est de même pour la participation citoyenne animée par les institutions au Nord et palliant les déficits de l’action publique au Sud. Comment la question environnementale et l’écologisation des pratiques se reformulent-elles au prisme des différents contextes d’action ? Avec quels apports réciproques ?
L’ouvrage s’organise en trois parties. Leurs introductions présentent chaque chapitre en venant éclairer ces questionnements de départ.
La première partie porte sur l’écologisation de la pratique de l’urbanisme. Elle interroge l’urbanisme dans sa dimension instrumentale et dans ses finalités. Au tournant du XIXe et du XXe siècle, la diffusion des méthodes de la planification urbaine est concomitante à la mise en place des premières législations nationales en urbanisme. Elles engagent et encadrent une planification spatiale réservée initialement aux grandes villes. Il s’agit alors de maîtriser le phénomène d’urbanisation, d’agir sur l’organisation des formes et des fonctions urbaines en poursuivant des objectifs de justice sociale, notamment par la production d’équipements publics et d’habitat accessible à tous. Un siècle plus tard, la planification doit satisfaire à de nouveaux objectifs de préservation des sols contre l’artificialisation : il ne s’agit plus d’organiser la croissance urbaine, mais d’envisager le renouvellement des surfaces déjà urbanisées et leur renaturation. L’analyse critique du nouveau cadre légal et de ses effets, la conception d’outils et de méthodes permettant l’application de ces objectifs est au cœur des quatre chapitres qui composent cette première partie.
La seconde partie concerne la dimension coopérative de l’urbanisme, de l’aménagement et de la production d’habitat envisagée au prisme de la participation citoyenne et de la négociation entre acteurs. L’action pratique est ici interrogée en tant que processus mis en œuvre dans l’espace et dans le temps et située à l’interface d’une pluralité d’acteurs publics et privés. Les quatre chapitres de cette seconde partie explorent ainsi des expériences de création et de renouvellement de l’habitat et des démarches sectorielles d’aménagement (eau, parcs et jardins) qui participent à l’opérationnalisation du projet d’urbanisme ou concourent avec lui à l’aménagement des territoires. Il s’agit notamment d’analyser le rôle ambivalent de l’habitant, tantôt contributeur par des initiatives collectives et écologiques à l’aménagement d’espaces communs et à la création d’habitats, tantôt défenseur de ses droits individuels et communautaires négociant avec la puissance publique garante d’un certain intérêt général en termes de salubrité et de normes environnementales et parfois évincées des dispositifs qui étaient censés garantir sa participation aux démarches d’aménagement et de gestion de l’environnement.
La troisième et dernière partie s’intéresse au métier d’urbaniste et à la transformation de ses savoir-faire et de sa posture sous l’effet de ce double mouvement d’écologisation et de montée d’un urbanisme coopératif. C’est la dimension professionnelle de l’urbanisme qui est ici interrogée, du point de vue de l’expertise de conception et de management de projet, et requestionnée par les enjeux environnementaux. C’est alors sa légitimité à agir qu’il doit négocier ou renégocier dans ce contexte d’action en évolution. Cette troisième partie fait émerger la figure d’une pratique de l’urbanisme non pas seulement instrumentale, liée à la mise en œuvre efficace d’un cadre légal tel que le suggère la première partie, ni tout à fait contrebalancée par la montée des acteurs privés illustrée dans la seconde partie, mais tenue par un champ de valeurs et une éthique professionnelle liée à la conduite de l’action publique et à l’accompagnement des changements environnementaux et sociétaux.
Les RIU se positionnent comme un lieu d’interface entre les trois pratiques de l’urbanisme et de l’aménagement : la pratique opérationnelle, la recherche et l’enseignement. Nous nous interrogerons en conclusion sur les apports des contributions des chercheurs et des praticiens à l’évolution d’une pédagogie de l’urbanisme qui prépare les futurs professionnels à relever les défis de la transition, climatique et sociétale par la transformation de l’espace et de ses pratiques.
Notes
- Les RIU de l’APERAU rassemblent chaque année des chercheurs, des doctorants et des praticiens qui débattent des enjeux urbanistiques contemporains de l’aménagement des villes et des territoires, notamment lors du colloque international annuel de l’association. Le colloque organisé à Bordeaux en 2022 constituait la 23e édition d’un événement porté alternativement par une institution française et l’année suivante par une institution francophone.
- Biodiversité vs. Artificialisation ; Mobilisation citoyenne et Urbanisme négocié vs. urbanisme « en liberté ».