La cité internationale universitaire de Paris (CIUP) se déploie aujourd’hui sur un grand parc arboré de 34 hectares, situé en bordure sud de la capitale, au sein duquel sont implantées 43 maisons. Campus unique en son genre puisqu’exclusivement dédié au logement et aux loisirs de près de 6 500 étudiants français et internationaux, il ne comprend pas de lieu d’enseignement à proprement parler.
Bientôt centenaire, ce projet utopiste est né au lendemain de la Première Guerre mondiale avec pour triple objectif de remédier à la crise du logement, de rétablir l’attractivité de la France et de sa capitale auprès des étudiants internationaux et d’établir une paix durable à l’échelle mondiale en favorisant les échanges entre futures élites internationales.
Élevé à l’emplacement des anciennes fortifications de la ville, le site est dès son origine pleinement intégré au renouvellement de sa structure urbaine et tributaire des mutations successives qu’elle a connues telles que la construction du boulevard périphérique. Il a cependant conservé un caractère indépendant et un fonctionnement autonome, à la manière d’une ville dans la ville.
Aujourd’hui dotée d’un patrimoine végétal, artistique et architectural exceptionnel qu’elle s’efforce de préserver et de valoriser, la CIUP n’en reste pas moins un lieu de vie en constante évolution connaissant actuellement l’achèvement de sa troisième phase de développement. Toute extension ultérieure ne pourra désormais s’effectuer qu’en dehors de ses murs (un processus déjà initié depuis peu) ouvrant ainsi de nouvelles perspectives quant à son insertion urbaine et sa relation à la ville.
Cette contribution se propose de revenir sur les différentes phases de développement de ce campus d’un genre particulier en mettant l’accent sur l’interdépendance entre la CIUP en tant qu’émanation – au moment de sa création – de l’Université de Paris et la Ville de Paris en tant qu’entité urbaine et collectivité. Outre l’étude de l’insertion urbaine du site au gré des mutations qu’il a initiées ou subies, il sera question des particularités de son modèle économique, en grande partie basé sur le mécénat, qui ont conditionné son statut juridique de fondation. Cette synthèse sera abordée de manière chronologique afin d’apporter un éclairage historique et d’ouvrir quelques pistes de réflexion sur l’avenir des relations entre ville et universités et la place qu’y occupe le patrimoine1.
Phase 1 : Un campus d’un genre unique en bordure de Paris
Les fondateurs
La CIUP est née dans l’esprit d’André Honnorat (1868-1950), ministre de l’Instruction publique et de Paul Appell (1855-1930), mathématicien, recteur de l’Université de Paris au lendemain de la Première Guerre mondiale. Les deux hommes imaginent « un vaste jardin où seraient élevés des pavillons séparés, de construction élégante2 » qu’ils conçoivent comme un ensemble de maisons nationales accueillant chacune des étudiants d’origines différentes. Mais au lendemain de la Grande Guerre, la priorité est à la reconstruction des régions dévastées et les crédits manquent pour la réalisation de ce projet. Grâce à l’intervention d’un troisième homme, Émile Deutsch de la Meurthe (1847-1924), ce campus d’un genre particulier finit par voir le jour. Riche industriel lorrain ayant fait fortune dans l’industrie du pétrole, ami d’Appell et déjà impliqué dans de nombreuses causes chères au ministre, il fait don en 1920 de la somme de 10 millions de francs or pour financer la construction d’une première maison permettant d’accueillir 350 étudiants et étudiantes, destinée à constituer la cellule-mère de la future cité universitaire. Rôdé aux rouages gouvernementaux et aux lenteurs administratives, Honnorat lui demande de rédiger une promesse de don incluant une clause suspensive destinée à accélérer le projet. Si dans un délai d’un an, une parcelle où ériger cette maison ne lui est pas attribuée, il annulera tout bonnement sa donation. En réalité, Honnorat sait exactement où il veut implanter sa cité universitaire et il faut agir vite car ce terrain est très convoité.
Le choix de l’emplacement
En 1919, le Parlement vote le déclassement et la démolition des fortifications qui entouraient encore la capitale ainsi que l’annexion à la ville de Paris de la zone non aedificandi qui la précédait sur laquelle était installé un bidonville appelé « la zone »3. Près de 800 hectares sont ainsi libérés tout autour de la ville sur lesquels il est prévu de construire des équipements publics, des logements sociaux (les habitations à bon marché ou HBM), ainsi qu’un réseau de parcs et jardins pour créer une « ceinture verte » autour de Paris. Honnorat souhaite obtenir, pour l’Université de Paris, l’attribution de trois anciens bastions de ces fortifications, les bastions 81, 82 et 83, situés en bordure sud du parc Montsouris (fig. 1).
Cet emplacement est idéal à plusieurs titres. Proche de la Sorbonne, où sont alors inscrits la plupart des étudiants parisiens, il est traversé par la ligne de chemin de fer reliant Paris à Sceaux (actuelle ligne du RER B). Il suffira donc de créer une nouvelle station pour desservir sa future cité universitaire et permettre aux étudiants de rejoindre le quartier latin en quelques minutes. Il est également situé au sommet d’une colline donc bien exposé au soleil et au vent, en conformité avec les préoccupations hygiénistes. Honnorat fut en effet un acteur majeur de la lutte contre la tuberculose en France, particulièrement dévastatrice chez les jeunes populations4. Il compte bien mettre à profit son projet de cité universitaire pour améliorer la santé des étudiants en leur fournissant un cadre de vie sain, propice à la pratique du sport et des activités de plein air.

L’attribution de ce terrain est officiellement actée le 7 juin 1921, à quelques jours de l’expiration de l’ultimatum lancé par Deutsch de la Meurthe (fig. 2). D’après les termes de la convention, la Ville de Paris cède à l’État pour la création d’une cité universitaire, une bande de terrain de 9 hectares parallèle au boulevard Jourdan correspondant à l’emprise des anciennes fortifications (en bleu sur le plan) pour la somme de 13,5 millions de francs, payables en quinze ans. Elle prend à sa charge la mise en état du terrain et l’établissement des voies d’accès. La Ville met aussi à disposition de la Cité la zone non aedificandi de vingt hectares, où se alors trouve la zone (en jaune sur le plan) dont elle se réserve l’aménagement en parc contre le versement d’une redevance annuelle d’un franc par hectare5.

L’architecte Lucien Bechmann (1880-1968) se voit confier la construction de la première maison, la fondation Émile et Louise Deutsch de la Meurthe, qui ouvre ses portes en 1925 – quelques mois après la mort du mécène – ainsi que le développement du plan d’ensemble du site. Pour se conformer à l’article 2 de la loi du 19 avril 1919, les constructions sont concentrées le long du boulevard Jourdan, à l’emplacement des anciennes fortifications. Le reste du terrain, où se trouve la zone, est réservé à l’aménagement d’un parc et d’équipements sportifs devant faire partie intégrante de la ceinture verte. La direction de l’extension de Paris de la préfecture de la Seine confie les plans et l’étude de la ceinture verte à Jean-Claude Nicolas Forestier (1861-1930) qui dirige la section spéciale des promenades et plantations de Paris. C’est donc lui qui, à ce titre, est chargé de l’aménagement du parc de la CIUP. Cette entreprise, bien que longue en raison de l’évacuation tardive de la zone (fig. 3 et 4), constitue l’un des moments forts du développement du sud parisien, en étroite concertation avec la Ville6.
Le statut juridique
Le projet de cité universitaire ne peut tout à fait se comprendre sans avoir connaissance de son statut juridique tout à fait singulier pour l’époque, celui de fondation. Il est né d’un constat pratique : l’Université de Paris n’est pas une institution suffisamment souple pour gérer un projet de cette nature et de cette ampleur, qui nécessite notamment de devoir rechercher et centraliser des financements provenant de gouvernements et de mécènes étrangers. Le juriste et ancien conseiller d’État Jean Branet (1868-1954), prenant l’exemple sur le modèle anglo-saxon, a l’idée de créer une « Fondation nationale pour le développement de la Cité universitaire » dont il rédige les statuts7. Il en devient par la suite le premier secrétaire général et obtient qu’elle soit reconnue d’utilité publique par le décret du 6 juin 1925.
Par une convention passée avec l’Université de Paris, de laquelle elle constitue en quelque sorte une émanation, la Fondation nationale est responsable du développement et de la gestion du site. Elle dispose de la souplesse nécessaire pour mener à bien son action et interagir avec différents interlocuteurs internationaux et des ressources nécessaires au démarrage du projet grâce à une donation initiale de l’associé gérant de la banque Lazard, David David-Weill (1871-1952), qui en deviendra le premier trésorier. Aujourd’hui encore, elle poursuit cette mission en collaboration étroite avec la Chancellerie des universités de Paris à laquelle elle est désormais rattachée.
La nécessité d’étendre le site
Le projet de Cité universitaire rencontre immédiatement un grand succès au sein de la communauté internationale et de nombreux pays souhaitent y être représentés : dès 1927, la moitié du domaine est déjà lotie. Très vite, la question de l’agrandissement du noyau initial de 29 hectares (A sur le plan) se pose (fig. 5). Le processus a été très long et complexe, mais en voici les grandes lignes8.
En 1928, David-Weill, fait don de la somme de près de deux millions de francs pour l’acquisition d’une parcelle d’1,3 ha située à l’est, sur l’ancien bastion 84 (en B sur le plan). Mais la Ville de Paris refuse de céder la portion de zone qui lui est adjacente (en C sur le plan) et cela n’est pas suffisant.
L’année suivante, la Fondation nationale souhaite faire l’acquisition du terrain dit « de Remonte » au nord du boulevard Jourdan, vers l’ouest cette fois (en E sur le plan). La commission interministérielle en charge de cette question donne son accord sous certaines conditions et fait descendre le prix à 10 millions de francs sur les 14 demandés par l’administration des Domaines pour témoigner de son soutien au projet.
Dans l’impossibilité de s’étendre en largeur, la CIUP fait également acquisition d’un terrain de 4 ha situé sur la commune de Gentilly, en bordure sud du futur parc (en D sur le plan). Afin de faciliter la gestion des lieux et de ne pas faire dépendre la CIUP de deux administrations municipales, la fondation demande l’annexion des terrains de Gentilly au territoire de Paris, ce que les deux municipalités acceptent.

Enfin, afin de régulariser la situation et d’unifier ce puzzle, la préfecture de la Seine organise un échange de terrains entre l’État et la Ville de Paris. La Ville de Paris accepte d’abandonner l’emprise de la voie qui séparait les terrains de la zone de ceux de Gentilly et les terrains situés dans le prolongement de l’îlot donné par David-Weill. En échange, l’État cède certains de ses terrains mis à disposition de la CIUP pour ouvrir et élargir certaines voies en bordure sud de la Cité. Cet échange est nettement en faveur de la Ville de Paris car les terrains qu’elle remet à l’État ne sont pas constructibles et ceux qu’elle reçoit le sont. Mais le ministère des Finances donne son accord compte-tenu des charges que la Ville de Paris assume pour l’aménagement de la Cité.
À la veille de la Première Guerre mondiale, la CIUP dispose ainsi de plus de 40 hectares sur lesquels sont implantées 19 maisons (dont 15 issues de financements étrangers), qui accueillent un peu moins de 3 000 étudiants de 48 nations9. À ces bâtiments vient s’ajouter la Maison internationale qui abrite les services centraux offerts aux étudiants (piscine, salle de sport, théâtre, restaurant, bibliothèque et même un relais de poste, un guichet de banque et un petit hôpital), dont la construction est rendue possible par un don du philanthrope américain John D. Rockefeller, Jr. (1874-1960)10. Il s’agit donc d’une véritable ville dans la ville.
Phase 2 : Une nouvelle phase de développement interrompue par la construction du boulevard périphérique
Un développement à l’est et au sud
Après la rupture que constitue la Seconde Guerre mondiale, le développement de la CIUP reprend de plus belle et une deuxième phase de développement démarre sous l’égide de Raoul Dautry (1880-1951), ancien ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, nouveau directeur de la Fondation nationale. Dès 1951, la Cité compte 21 maisons et de nombreux autres projets sont en cours. Il est prévu que les nouvelles constructions soient principalement regroupées à l’est et au sud du parc, là où les terrains disponibles sont constructibles.
Les dirigeants de la CIUP imaginent même, au-delà de ce développement sur les seuls terrains alors disponibles, « une unité universitaire franchissant le boulevard Jourdan (sous lequel passerait, dans un tunnel, la circulation routière) et annexant le parc Montsouris d’une part, Arcueil, Gentilly de l’autre » afin de créer, par l’implantation de nouvelles écoles et facultés, « un territoire consacré à la formation de l’esprit11 ». Il s’agit là de la réactivation du projet de « radiale universitaire » au sud de Paris imaginé par Forestier avant-guerre, relancé par les urbanistes au cours du troisième quart du XXe siècle afin de planifier le développement universitaire de la CIUP au plateau de Saclay12.
Une situation foncière complexe
Derrière une unité géographique apparente et la poursuite de son développement par la construction de nouvelles maisons, la CIUP fait face à une situation foncière complexe. Le statut juridique des différentes parcelles n’est en effet pas homogène. Certaines sont propriété de l’Université de Paris qui en a fait l’acquisition auprès de la Ville de Paris au moment de la fondation de la CIUP, mais l’Université de Paris est aussi locataire de terrains communaux appartenant à la Ville de Paris et affectataire de biens domaniaux mis à disposition par l’État. Cette situation relativement claire lors de la création de la CIUP s’est retrouvée complexifiée à deux reprises, nous l’avons vu, par d’importants échanges de terrain. La Fondation nationale, à qui revient la gestion du site, éprouve donc des difficultés à maîtriser son domaine sur lequel elle n’a finalement aucun droit de propriété et dont elle doit négocier l’usufruit avec plusieurs administrations13.
Parmi ces différents interlocuteurs, la Ville de Paris s’avère être la moins conciliante. Tout au long de cette deuxième phase de développement, les volontés d’extension de la CIUP vont se heurter à la nécessité pour la Ville de Paris de récupérer le terrain indispensable à l’exécution du plan d’aménagement de Paris et de la banlieue parisienne qui prévoit depuis longtemps déjà une opération routière de grande envergure : l’aménagement d’une voie circulaire tout autour de la capitale, le boulevard périphérique.
La construction du boulevard périphérique
La concrétisation de ce projet dans les années 1960 vient remettre en cause le développement de la CIUP car il prévoit d’empiéter sur toute la bordure sud du parc, sur une surface de près de trois hectares de terrains à bâtir (fig. 6). La Fondation nationale, qui se voit dessaisir de l’affaire par la préfecture de la Seine au motif qu’elle n’est pas propriétaire du sol, n’a d’autre choix que d’accepter cette amputation. En contrepartie, la Ville de Paris doit verser à l’État une indemnité car la cession des portions de terrain qu’elle a consentie en échange à la CIUP n’est pas suffisante, d’autant plus qu’ils sont en grande partie inconstructibles14. Cet épisode témoigne de l’incapacité de la CIUP à faire valoir ses droits face aux besoins engendrés par une urbanisation grandissante.
Non seulement le boulevard périphérique ampute la Cité d’une grande partie de ses terrains constructibles, mais il traverse littéralement la maison des Arts et Métiers, constituée de deux pavillons se faisant face, dont l’un se trouve dès lors relégué au-delà de cette nouvelle frontière (fig. 6, 7 et 8). Il constitue une véritable barrière physique entre la ville et sa périphérie, sans compter la nuisance sonore et visuelle qu’il implique pour les résidents. Sa construction vient marquer visuellement le début d’une phase de déclin de la Cité universitaire, due à l’accroissement de la concurrence des universités étrangères, mais aussi des universités de province qui attirent de plus en plus d’étudiants étrangers.

En 1969, est inaugurée la maison de l’Iran (aujourd’hui fondation Avicenne), dernière maison de cette deuxième phase de développement. La Cité universitaire compte alors 35 maisons (36 avec la Maison internationale) qui accueillent environ cinq mille étudiants sur une emprise réduite. Il faut attendre la fin des années 2000 pour que, devant les besoins croissants en logements étudiants, la Fondation nationale sorte du sommeil dans lequel elle s’est progressivement enfoncée et commence à penser à une nouvelle phase de développement.
Phase 3 : « Cité 2025 »
Régler l’épineuse question foncière
La troisième phase de développement de la CIUP, d’abord appelée « Saison 3 » a été rebaptisée « Cité 2025 » pour coïncider avec le centenaire de l’ouverture de la première maison. Si la construction du boulevard périphérique a marqué un coup d’arrêt pour le projet de CIUP, c’est aussi sa situation foncière complexe qui a empêché depuis 1969 la construction de nouvelles résidences. La première tâche à entreprendre avant d’envisager tout développement futur, a donc consisté à régler cette épineuse question foncière que la suppression de l’Université de Paris en 1970 n’a pas simplifiée. Elle rend en effet les treize universités nouvellement crées propriétaires en indivision d’une partie des terrains lui appartenant autrefois par le truchement de la Chancellerie. Cette question n’est réglée qu’au début des années 1980 où les terrains concernés sont juridiquement attribués à la CIUP15.
Pour les terrains dépendant de la Ville de Paris, il faut attendre le début des années 2000 pour voir la situation se clarifier. En 2006, le plan local d’urbanisme (PLU) de la ville de Paris rend constructibles les terrains situés le long du boulevard périphérique et en 2011, un protocole d’accord foncier cadre est signé : la Ville de Paris cède en pleine propriété à l’État ses terrains d’une superficie d’environ 16 000 m2 et à son tour, l’État les met à disposition de la Chancellerie des universités de Paris qui en confie la gestion à la Fondation nationale, ouvrant ainsi une nouvelle phase de développement sur le site16.
Un début de reconnaissance patrimoniale
En parallèle, un processus de reconnaissance patrimoniale du lieu se concrétise. Considéré par beaucoup comme un véritable musée à ciel ouvert de l’architecture du XXe siècle, certains de ses bâtiments sont protégés au titre des Monuments historiques. C’est le cas des deux bâtiments conçus par Le Corbusier (1887-1965), la fondation Suisse (1933) et la maison du Brésil (1959), inscrits au titre des Monuments historiques dès 1965 puis classés en 1985-1986. La Fondation Émile et Louise Deutsch de la Meurthe (1925) est inscrite en 1998, le collège Néerlandais (1938), seul bâtiment conçu par l’architecte Willem Marinus Dudok (1884-1974) en France l’est en 2005 et la Fondation Avicenne (ex-Maison de l’Iran, 1969) de Claude Parent (1923-2016) en 2008. Cette reconnaissance est accompagnée par la naissance en 1999 de ce qui est actuellement le Centre du Patrimoine de la CIUP, qui organise des visites du site et des opérations de valorisation.
Le parc fait lui aussi l’objet d’une attention de plus en plus grande dans le cadre de la croissance des préoccupations écologiques. Véritable poumon vert de la capitale, réservoir de biodiversité, il compte plus de 3 000 arbres et 179 espèces végétales différentes, soit 17 % de la flore parisienne. Il compte également de nombreux arbres bientôt centenaires et quelques essences rares et spécimens remarquables. Il devient clair que tout développement futur devra prendre en compte et respecter au mieux ce cadre privilégié. Les nouvelles constructions sont donc toutes installées en bordure sud du site, le long du boulevard périphérique afin de préserver le parc (fig. 9). Il fait par ailleurs, dans le cadre du projet « Cité 2025 », l’objet d’un programme de requalification et de reverdissement en partenariat avec la Ville de Paris puisqu’il s’inscrit dans ses objectifs au titre du programme « 20 000 arbres supplémentaires à Paris ». En 2015, les services municipaux prennent ainsi en charge la fourniture et la plantation de 1 500 arbres au sein du parc de la CIUP17.
Unir ses forces
La mise en œuvre de la troisième phase de développement de la CIUP a été financée par un ensemble d’acteurs ayant uni leurs forces. Les crédits accordés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et la Chancellerie des universités de Paris dans le cadre du « Plan Campus » ont servi à réaliser les études préparatoires et les travaux de viabilisation, d’aménagement et d’équipement préalables à la construction des nouvelles maisons18.
La ville de Paris et la région Île-de-France ont financé conjointement la rénovation de la Fondation Victor Lyon (1950) comprenant 39 logements familiaux réservés aux chercheurs en 2018. Chacune a par ailleurs financé la construction d’une maison, la maison de l’Île-de-France en 2017 et la résidence Julie-Victoire Daubié (du nom de la première bachelière) en 2018, témoignant ainsi de leur volonté de faire de Paris et de la région parisienne un pôle d’attraction universitaire et scientifique de premier plan.
La Fondation nationale a de son côté assuré en propre la maîtrise d’ouvrage de la maison des étudiants de la Francophonie, projet d’initiative présidentielle ayant ouvert ses portes en 2021.
Enfin, trois nouveaux pays ont rejoint l’aventure et chacun financé la construction d’une maison : la Corée du Sud dont la maison a été inaugurée en 2018 ; l’Égypte, dont la maison accueille des étudiants depuis la rentrée 2024 et la Chine dont l’inauguration doit avoir lieu d’ici peu. Enfin, il convient d’ajouter pour être tout à fait exhaustif que l’Inde a agrandi sa maison historique dès 2013 et que la Tunisie a ouvert une seconde maison, le pavillon Habib Bourguiba en 2020.
Concevoir un campus durable
La première phase de développement de la CIUP s’est caractérisée par la construction de bâtiments présentant majoritairement un style régionaliste et historiciste, la seconde phase par des bâtiments construits dans le style international, en revanche, pour la troisième phase, le respect des normes écologiques et environnementales pour limiter l’impact des nouvelles constructions a été une priorité pour faire de la CIUP un campus durable.
Ainsi, l’extension de la maison de l’Inde, première construction sur le site depuis 1969, a été réalisée avec une ossature bois conçue par Intégral Lipsky + Rollet architectes. Il s’agit du premier immeuble de grande hauteur à Paris construit avec cette technique. La première maison construite ex-nihilo depuis 1969, la maison de l’Île-de-France, a quant à elle été conçue comme une maison expérimentale dite « ZEN », pour zéro énergie nette, par ANMA, Agence Nicolas Michelin & Associés. Elle est équipée de deux immenses cuves sur sa façade sud (donnant sur le boulevard périphérique) permettant de stocker l’eau chaude produite par un ensemble de capteurs photovoltaïques et de tubes solaires thermiques constituant la « peau active » de la maison.
De manière générale, des panneaux solaires destinés à produire de l’eau chaude sanitaire, des systèmes de récupération de la chaleur des eaux usées et des matériaux d’isolation haute performance ont été mis en place dans la plupart des nouvelles maisons et lors de la réhabilitation des maisons anciennes.
Les réhabilitations ont par ailleurs comme objectif d’adapter les architectures historiques à ces nouvelles normes tout en préservant leur caractère patrimonial et en améliorant le confort des résidents. Les fenêtres à simple vitrage de 1925 des pavillons restaurés de la Fondation Émile et Louis Deutsch de la Meurthe ont ainsi été doublées par l’intérieur pour améliorer le confort thermique et phonique des résidents, tout en respectant le caractère des façades, inscrites au titre des Monuments historiques.
La question du mécénat
Ces travaux sont cependant relativement coûteux, notamment lorsqu’il s’agit de monuments historiques. Pour relever ce défi, la CIUP a renoué avec ses origines et s’est dotée d’un service mécénat en 2010. Il s’agit surtout d’un mécénat d’entreprise dans lequel chaque partie trouve son compte : le bénéficiaire puisqu’il se voit allouer des fonds nécessaires à la réalisation de ses projets ; le donateur puisqu’il bénéficie en contrepartie d’une image positive et d’avantages fiscaux. Le mécénat individuel est également présent, avec des dons de descendants de fondateurs de maisons ou d’anciens résidents mobilisés par le réseau des alumni.
Un certain nombre de partenariats ont également été noués avec des institutions comme l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) et le groupement ParisTech, réunissant sept écoles d’ingénieurs franciliennes, qui en échange de leur participation à la restauration d’une maison ont obtenu qu’une partie des chambres soient réservées aux jeunes praticiens en formation dans l’un des hôpitaux de l’AP-HP ou à des étudiants inscrits dans l’un des établissements membres du groupement.
Enfin, ce que l’on pourrait qualifier de mécénat de compétence sous la forme de chantiers-école a également été mis en œuvre pour restaurer et valoriser le patrimoine des maisons. Ainsi, l’Institut national du patrimoine (INP), qui forme les futurs conservateurs et restaurateurs du patrimoine a participé à la restauration de certaines œuvres présentes dans les maisons dans le cadre de chantiers-école, permettant à la CIUP de restaurer son patrimoine tout en donnant l’opportunité à de jeunes professionnels de se former sur le terrain.
La restauration récente du Collège Néerlandais, seul bâtiment en France de l’architecte néerlandais Willem Marinus Dudok (1884-1974), inauguré en 1938, fournit un exemple du croisement de ces divers types de mécénat. Le projet de 21 millions d’euros a été financé conjointement par le royaume des Pays-Bas, les ministères français de la Culture et de l’Enseignement supérieur, la région Île-de-France et la Fondation nationale ainsi que par des donateurs individuels et du mécénat d’entreprise.
Au moment où « Cité 2025 » est sur le point de s’achever, il ne reste qu’un seul terrain à bâtir disponible sur le campus historique de la CIUP. Afin de préserver le parc, élément fort de son identité depuis sa création, tout développement ultérieur ne pourra se faire qu’hors les murs. Ce processus est déjà initié depuis quelques années avec l’ouverture de deux nouvelles résidences : une construction, la résidence Lila, inaugurée en 2006 à proximité de la Porte des Lilas dans le 19e arrondissement ; et une réhabilitation, la résidence Quai de la Loire, implantée dans d’anciens Magasins généraux de la Ville de Paris, en bordure du bassin de la Villette en 2007. Malgré les efforts déployés au cours de ces dix dernières années, la Cité universitaire ne couvre actuellement qu’1 % des besoins en logement des étudiants parisiens contre 10 % dans les années 1930. La tâche est encore grande.
Notes
- Les travaux ayant servi de base à cette contribution sont les suivants : Brigitte Blanc, La Cité Internationale Universitaire de Paris, de la cité-jardin à la cité-monde, Lyon, Lieux Dits, 2017 ; Brigitte Blanc, « La constitution du domaine de la Cité internationale universitaire de Paris », In Situ, 17, 2011. [http://journals.openedition.org/insitu/855] ; Fabienne Chevallier, « Sortie de guerre et enjeux urbains : histoire de deux projets parisiens (1919-1939) », Histoire@Politique, 3, décembre 2007, [https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2007-3-page-11.htm ?contenu =article] ; Dzovinar Kevonian, Guillaume Tronchet, Robert Frank (dir.), La Babel étudiante : La cité internationale universitaire de Paris (1920-1950), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013 ; Dzovinar Kevonian, Guillaume Tronchet, Christophe Charle (dir.), Le Campus-monde : La Cité internationale universitaire de Paris de 1945 aux années 2000, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022 ; Loïc Vadelorge, « Transitions urbaines. Fragments d’une histoire urbaine de la cité universitaire de Paris », dans Emmanuel Bellanger, Thibault Tellier, Loïc Vadelorge, Danièle Voldman, Charlotte Vorms, (dir.), Genres urbains. Autour d’Annie Fourcaut, Grane, Créaphis éditions, 2019, pp. 14-29.
- André Honnorat au préfet de la Seine, 22 juin 1920, Archives nationales, 16 AJ 7027.
- Loi du 19 avril 1919 sur le déclassement de l’enceinte fortifiée de Paris, publiée au Journal officiel de la République Française du 20 avril 1919.
- Voir à ce sujet Guillaume Tronchet, André Honnorat. Un visionnaire en politique, Paris, Maisonneuve & Larose, Hémisphères éditions, 2020, p. 167-178.
- Brigitte Blanc, « La constitution du domaine de la Cité internationale universitaire de Paris », In Situ, 17, 2011, [http://journals.openedition.org/insitu/855].
- Au sujet de l’évacuation de la zone et du profil de ses occupants, voir Loïc Vadelorge, « Transitions urbaines. Fragments d’une histoire urbaine de la cité universitaire de Paris », dans Emmanuel Bellanger, Thibault Tellier, Loïc Vadelorge, Danièle Voldman, Charlotte Vorms (dir.), Genres urbains. Autour d’Annie Fourcaut, Grane, Créaphis éditions, 2019, pp. 14-22.
- Après avoir quitté le Conseil d’État, Jean Branet devient président de la Chambre syndicale de l’industrie du pétrole et président du conseil d’Administration des Pétroles Jupiter issue de la fusion de l’entreprise d’Émile Deutsch de la Meurthe avec la Royal Dutch Shell. Il bénéficie par ailleurs de l’expérience acquise auprès de la Fondation Odilon Lannelongue dont il fut l’un des fondateurs, portant le nom de son oncle, chirurgien et professeur de médecine à l’Université de Paris. Elle participe activement à la lutte contre la tuberculose.
- Pour le détail de ces tractations, voir Brigitte Blanc, 2011, op. cit.
- Brigitte Blanc, La Cité Internationale Universitaire de Paris, de la cité-jardin à la cité-monde, Lyon, Lieux Dits, 2017, p. 205.
- Voir à ce sujet Églantine Pasquier, « John D. Rockefeller, Jr. et la Maison internationale de la Cité universitaire de Paris : la place du mécène dans la conception et la mise en œuvre d’un projet architectural », Profils, revue de l’association d’histoire de l’architecture, 2, 2020, p. 68-79 ; Églantine Pasquier, « Un mécène américain pour l’université de Paris : John D. Rockefeller, Jr. et la Maison internationale de la Cité universitaire », dans Actes du colloque Patrimoine, philanthropie et mécénat, XIXe-XXIe siècle. Dons et legs en faveur de l’enseignement, de la recherche et des institutions de conservation, Paris, CTHS, 2023 (coll. orientations et méthodes), p. 121-134.
- Jean Blanchard, vice-président de la Fondation nationale pour le développement de la Cité universitaire lors du Congrès international de l’habitat étudiant, organisé par la CIUP le 29 août 1949, Archives nationales, 50 AP 121.
- Jean-Claude-Nicolas Forestier, Grandes villes et systèmes de parcs, Paris, Hachette, 1906. Pour de plus amples précisions à ce sujet, voir Loïc Vadelorge, « Emprises sur la ville : Les relations entre la Cité universitaire, Paris et Gentilly (1945-1985) », dans Dzovinar Kevonian, Guillaume Tronchet, Christophe Charle (dir.), Le Campus-monde : La Cité internationale universitaire de Paris de 1945 aux années 2000, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022, pp. 35-52.
- Voir à ce sujet Loïc Vadelorge, 2022, op. cit.
- Ibid.
- Procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de la Chancellerie des universités de Paris, 24 septembre 1981, Archives nationales, 20090013/416.
- Marcel Pochard, Carine Camby, La troisième phase de développement (2010-2025), Paris, CIUP, 2020 (coll. Points de vue), p. 10-15.
- Marcel Pochard, Carine Camby, La troisième phase de développement (2010-2025), Paris, CIUP, 2020 (coll. Points de vue), p. 21.
- Ibid., p. 16-21.