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Le délit d’outrage sexiste, un effet d’annonce ?

Le délit d’outrage sexiste, un effet d’annonce ?

Depuis l’affaire Weinstein, on assiste à une libération bienvenue de la parole des femmes quant au sujet des violences qu’elles subissent au quotidien. Cette libération s’est traduite notamment par une multiplication des mouvements de dénonciation, en particulier par le biais des réseaux sociaux, avec les célèbres « #Balance ton porc » et « #MeToo ». Aujourd’hui, il est indéniable que cet événement a entraîné une prise de conscience collective, laquelle est traduite désormais dans le droit positif. Le cas du délit d’outrage sexiste, nouvelle infraction récemment créée pour lutter, entre autres, contre le harcèlement de rue, est topique de ce mouvement du droit.

L’outrage sexiste est une contravention récente, créée par la loi du 3 août 2018 1, dite « Schiappa », et qui se retrouve codifiée à l’article 621-1 du Code pénal. Ce dernier dispose que l’outrage sexiste est caractérisé par le fait « d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

De prime abord, il est intéressant de relever que l’outrage sexiste est une contravention, qui a pourtant été adopté par voie législative et qui se retrouve logiquement codifiée dans la partie législative du Code pénal. Malgré le fait que la lettre de l’article 34 de la Constitution dispose que « La loi fixe les règles concernant : (…) la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » et que l’article 37 de la Constitution complète que « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ». Ainsi, les contraventions devraient normalement relever du pouvoir réglementaire et seraient donc, logiquement, codifiées dans la partie réglementaire du Code pénal.

Alors pourquoi la contravention d’outrage sexiste n’est-elle pas considérée comme telle ? Pourquoi, par abus de langage, parle-t-on d’un « délit d’outrage sexiste » pour qualifier une simple contravention ?

L’appropriation de l’outrage sexiste par le législateur démontre sans aucun doute la grande importance qu’il entendait accorder à ce sujet. Il faut justement rappeler que, durant son discours du 25 novembre 2017, le président de la République Emmanuel Macron a fait de l’égalité entre les hommes et les femmes la grande cause de son quinquennat. Quand bien même une telle « grande cause » n’aurait qu’une faible consistance juridique, au vu de l’importance politique qui l’entoure, le juriste peut se demander si l’outrage sexiste ne s’arrête pas simplement à un effet d’annonce des pouvoirs publics, sur un fait social de premier plan.

Nous pourrions définir un effet d’annonce comme étant une communication faite par une autorité, qui annonce des résolutions à un problème, alors qu’elle n’a pas réellement le pouvoir d’agir dessus. Finalement, l’important ce n’est pas le contenu de l’annonce mais le fait qu’elle constitue en soi un événement, le plus souvent massivement relayé. La création de l’outrage sexiste se veut justement comme une réponse choc face à un problème d’actualité : le harcèlement de rue.

Cela nous amène donc à regarder l’impact réel de ce nouveau dispositif juridique. A-t-il produit des effets ou est-il simplement un effet d’annonce ? Pour le moment, l’effectivité de cette nouvelle infraction peine à être démontrée car l’outrage sexiste est si peu appliquée in concreto, qu’il n’y a pour le moment aucune jurisprudence sur le sujet. Mais, une loi qui n’est pas ou peu appliquée ne serait-elle pas inutile ?

La réponse n’est pas évidente, puisqu’une telle loi peut tout de même permettre à la société d’accepter de nouveaux interdits. Dans ce cas, ce n’est pas la fonction répressive du droit pénal qui est utile, mais sa fonction expressive. En l’espèce, faire comprendre à la société que le harcèlement de rue est un acte interdit. Finalement, l’outrage sexiste est au moins une loi symbolique, qui prouve que le harcèlement de rue n’est plus un comportement acceptable dans notre société. Toutefois, on ne peut que constater que l’infraction d’outrage sexiste a de grosses lacunes juridiques, la rendant ineffective.

Ainsi, dans un premier temps, nous verrons que l’effectivité de l’outrage sexiste est intrinsèquement compromise (I). Puis, dans un second temps, nous observerons que l’effectivité de l’outrage sexiste est aussi viciée en pratique (II).

I – L’effectivité de l’outrage sexiste intrinsèquement compromise

L’infraction d’outrage sexiste semble comporter en elle-même les propres causes de son ineffectivité, premièrement, en raison de la rédaction maladroite de son texte (A), et secondement, en raison de son caractère clairement superflu (B).

A – Une rédaction maladroite du texte d’incrimination

Ce qui saute aux yeux de n’importe quel juriste qui lit le texte du Code pénal prévoyant ladite infraction, c’est la piètre rédaction du texte d’incrimination de l’outrage sexiste. En règle générale, en vertu du principe de légalité des délits et des peines, les infractions doivent être définies en des termes suffisamment clairs et précis, pour exclure le risque d’arbitraire. C’est notamment ce que relève le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 janvier 1981 2. On retrouve aussi cette nécessité de clarté de la loi dans d’autres principes à valeur constitutionnelle, tel que l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi 3, mais aussi dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 4.

L’infraction d’outrage sexiste est pourtant définie en des termes très larges et peu précis. Plus particulièrement, les dispositions comportant les termes suivants : « tout propos et comportements », « connotation, caractère », « situation offensante » ; sont vagues à souhait. Une telle incertitude ne saurait éviter le risque d’arbitraire.

De fait, une grande partie de la doctrine critique la mauvaise rédaction du texte, qui laisse trop de place à la subjectivité de l’agent verbalisateur et, donc, laisse planer le doute sur la réalité de l’infraction. Finalement, les services des forces de l’ordre comme les justiciables eux-mêmes, auront du mal à prévoir les comportements qui sont réellement incriminés par l’outrage sexiste.

Or, il faut aussi relever un problème avec les faits qui seraient incriminés par l’outrage sexiste, car le droit positif est déjà suffisant pour les réprimer.

B – Une infraction d’outrage sexiste clairement superflue

L’outrage sexiste est une infraction superflue, car une majorité des faits qui sont visés par son texte, tels que des insultes sexistes, une main baladeuse ou le fait de suivre une personne dans la rue, sont des faits qui sont déjà réprimés par d’autres infractions.

Par exemple, en cas de contact physique, le juge a confirmé que l’agression sexuelle permettait déjà de sanctionner le comportement de frotteur 5 ou encore une main portée aux fesses 6. Aussi, en cas de propos sexistes et insultants, il existe déjà l’injure aggravée par un caractère sexiste, que l’on retrouve dans l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse 7. Enfin, il faut relever que, depuis une loi du 27 janvier 2017 8, l’article 132-77 du Code pénal aggrave déjà tout crime ou délit qui serait accompagné de propos, écrits, actes sexistes ou homophobes. Et c’est d’ailleurs regrettable de ne pas avoir laissé le temps à cette loi d’avoir fait ses preuves, pour en observer les effets.

Finalement, quand on regarde la majorité des comportements qui seraient incriminés par l’outrage sexiste, on s’aperçoit qu’il existe déjà d’autres infractions permettant de sanctionner plus précisément ces faits. Et, en ce qui concerne les comportements qui seraient uniquement visés par l’outrage sexiste, comme des sifflements ou des regards lubriques et insistants, le problème vient alors de la pratique sur le terrain.

II – L’effectivité de l’outrage sexiste viciée en pratique

L’effectivité de l’outrage sexiste est aussi viciée en pratique, d’une part, parce que l’infraction est trop difficile à caractériser (A) et, d’autre part, à cause du risque d’une absorption de faits délictuels en contraventions (B).

A – Une infraction trop difficile à caractériser

L’outrage sexiste pourrait servir à combler les angles morts du droit positif, en punissant des comportements qui relèvent du harcèlement de rue, mais que la législation n’interdit pas expressément. Pourtant, l’infraction existe depuis août 2018 mais elle n’a été que très peu appliquée, car ses éléments constitutifs sont bien trop difficiles à matérialiser.

En effet, la caractérisation de l’outrage sexiste trouve nécessairement ses limites dans le respect de la présomption d’innocence et dans l’exigence de preuves imposée par le droit français. De fait, en sachant que l’outrage sexiste écarte d’office la violence et le harcèlement dans sa définition (« Constitue un outrage sexiste le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13,222-32,222-33 et 222-33-2-2 ») 9, et que les faits d’injures, d’agression sexuelle etc., sont déjà réprimés par d’autres infractions, comment un agent assermenté va-t-il établir qu’un comportement aura effectivement caractérisé un outrage sexiste ? En réalité, en dehors de l’hypothèse où il serait commis devant un agent, il serait difficile pour la victime de démontrer, avec certitude, l’existence d’un outrage sexiste et d’en identifier l’auteur.

En ce sens, on peut prendre l’exemple de la Belgique, où il existe une infraction très similaire depuis 2014, dont l’ineffectivité est actuellement critiquée par la doctrine 10. En effet, cette infraction n’a été appliquée que dans le cas où une agente de police était elle-même victime de l’infraction.

En définitive, on peut craindre que l’outrage sexiste ne permette pas d’atteindre les angles morts du droit. Au contraire, il serait possible d’imaginer qu’il soit plutôt utilisé comme un moyen de déqualifier des infractions plus graves. On assisterait alors à une absorption de faits délictuels en contraventions.

B – L’absorption dangereuse de faits délictuels en contraventions

Comme on a pu le voir auparavant, de nombreuses qualifications pénales peuvent déjà trouver à s’appliquer dans le cas de l’outrage sexiste. Par exemple, l’agression sexuelle [/efn_note]Code pénal, art. 222-22. [/efn_note] ou l’injure aggravée 11. Or, par concours de qualification, il y a le risque que des délits deviennent, de fait, des contraventions. Alors, pour quelques cas qui ne sont pas encore incriminés et qui deviendraient des contraventions, on aurait en contrepartie une absorption de faits délictuels en contraventions.

Cependant, cette pratique risque d’être instrumentalisée sur le terrain, par souci de simplicité et de rapidité, avec la technique de la déqualification pénale. En effet, la déqualification pénale consiste à évincer une circonstance aggravante ou à omettre certains faits, pour que la qualification de l’infraction ne soit pas complète. Par exemple, ne pas évoquer une pénétration pour déqualifier un viol en agression sexuelle. Or, cette technique peut déjà se retrouver « illégalement » sur le terrain, où les agents qui constatent les infractions peuvent faire passer un délit ou une contravention de 5e classe en contravention plus légère, qui sera donc plus simple et rapide à appliquer. Par exemple, faire passer l’infraction d’usage du téléphone en voiture 12, qui est une contravention de 4e classe, en simple contravention de 2e classe 13.

Alors, de la même façon, cette pratique pourrait très bien être utilisée dans le cas de l’outrage sexiste, avec d’autres infractions plus graves. Notamment, il y a le risque clair que le délit de harcèlement sexuel fasse l’objet d’une déqualification en outrage sexiste, en omettant le critère de répétition du harcèlement sexuel.

Finalement, le législateur est peut-être allé contre son intention première, car l’outrage sexiste risquerait d’absorber des délits sexistes pour en faire des simples contraventions.

Bibliographie

DELAGE (P.-J.),« Outrage sexiste : les décevantes réponses du législateur à un réel enjeu de société », JCP G., n° 38, 17 Septembre 2018, p. 947

TELLIER-CAYROL (V.), Non à l’outrage sexiste, Paris, Dalloz., 2018

Sitographie

CHARRUAU (J.), « Une loi contre le sexisme ? Étude de l’initiative belge », La Revue des Droits de l’Homme, n° 7, 205, consultable en ligne : https://journals.openedition.org/revdh/1130

Notes

  1. Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, JORF, n° 0179, 5 août 2018, texte n° 7.
  2. Cons. Const., 20 janvier 1981, n° 80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, Rec. p. 15.
  3. Notamment : Cons. Const, 16 décembre 1999, n° 99-421 DC, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, Rec. p. 136.
  4. CEDH, 15 novembre 1996, Cantoni c. France, n° 17862/91.
  5. Crim, 31 mars 2016, n° 14-88.540.
  6. Nîmes 3e ch. corr., 24 juin 2010, n° 10/00734.
  7. Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, JORF, n° 206, 30 juillet 1881, p. 4201.
  8. Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, JORF, n° 0024, 28 janvier 2017, texte n° 1, art. 171.
  9. Code pénal, art. 621-1, § I.
  10. CHARRUAU (J.), « Une loi contre le sexisme ? Étude de l’initiative belge », RDH [En Ligne], n° 7, 2015.
  11. Article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, préc.
  12. Code la route, art. R412-6-1.
  13. Code la route, art. R412-6.
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Pau
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111558
ISBN html : 2-35311-155-6
ISBN pdf : 2-35311-156-4
ISSN : 2827-1971
5 p.
Code CLIL : 3264
licence CC by SA

Comment citer

Sanchez, Robin, « Le délit d’outrage sexiste ? Un effet d’annonce ? », in : Humbert, Marion, Martins, Maverick, Routier, Romain, dir., Femmes et droit public. Liberté, Égalité, Sororité, Pau, PUPPA, collection Schol@ 2, 2023, 127-132, [en ligne]https://una-editions.fr/le-delit-doutrage-sexiste-un-effet-dannonce/ [consulté le 28/03/2023].
10.46608/schola2.13
Illustration de couverture • Photo de Mathias Reding sur Unsplash, montage Thomas Ferreira
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