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Les sociétés publiques immobilières universitaires, l’avenir du campus d’aujourd’hui ?

En décidant de la création d’une société publique universitaire immobilière (SPUI), à l’occasion de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (dite 3DS), le législateur a souhaité offrir un nouveau moyen aux universités pour gérer leur patrimoine.

La disposition résulte d’un amendement du Gouvernement, souhaité ardemment par les universités1, en jugeant que :

Les EPES et les CROUS s’affirment comme des acteurs urbains à part entière par leur rôle croissant dans la définition et la mise en œuvre des projets de développement, de valorisation et d’attractivité de leur territoire d’implantation. Malgré l’amplification des partenariats entre ces établissements et les collectivités territoriales, aucune structure juridique n’est à ce jour adaptée au portage conjoint de projets communs. Le montage et le suivi de ces projets s’appuient aujourd’hui sur des comités informels et une coopération spontanée des services. L’absence de structure juridique dédiée à ces partenariats rend cette coopération fragile et allonge considérablement les processus de décision2.

Ce choix est conforme à une préoccupation gouvernementale contemporaine, consécutive à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007 (dite LRU), que les établissements publics d’enseignement supérieur valorisent mieux leur patrimoine, en tenant compte notamment des politiques publiques locales d’aménagement du territoire. La SPUI est un outil parmi d’autres, mais il est présenté, avec un volontarisme excessif, comme l’instrument adéquat pour la valorisation immobilière des universités.

Les enjeux sont réels au regard des 5 500 hectares de foncier non bâti et des 6300 bâtiments publics répartis sur 240 sites universitaires représentant une surface bâtie totale de 18,5 millions de m². L’État détient 70 % des immeubles universitaires, qui représente 40 % de l’ensemble de son patrimoine, tandis que les universités et les collectivités territoriales en possèdent respectivement 15 %. Cette proportion massive d’immeubles détenus par l’État s’explique principalement par les vagues successives de créations de campus universitaires financés, depuis les années 1970, par des plans spécifiques (ex. Opération Campus) et les contrats de programme État-Région (CPER).

Ces données pourraient laisser à penser que les Universités disposent d’un parc immobilier suffisant et efficient pour assurer leurs missions. Il n’en est rien. L’état structurel est très majoritairement médiocre (avec 59 % du patrimoine en deçà de la classe C !). De fait, l’État a financé la construction, mais ni l’exploitation ni la maintenance. La flambée des prix de l’énergie a rappelé l’urgence de rénover les bâtiments les plus dégradés, tandis que l’émergence de groupes privés de formation supérieure, qui se rendent visibles par des projets immobiliers ambitieux trop souvent soutenus par les collectivités territoriales, peut encourager une politique immobilière publique audacieuse de la part des acteurs locaux. En parallèle, l’extension géographique des campus et l’enjeu stratégique local du déploiement de formations universitaires ont incité les collectivités territoriales à s’impliquer davantage dans les projets immobiliers. Les CPER sont à ce titre un moment important.

Le souci d’une valorisation du patrimoine universitaire par les établissements eux-mêmes trouve, pour autant, sa source principale dans la volonté de l’État de se désengager des universités en général, notamment de la politique immobilière universitaire. À ce titre, avant même la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, l’État a fait le choix de transférer des compétences immobilières aux universités jusqu’au transfert de la propriété de ses biens, mais sans leur en donner les moyens financiers. Avec la loi de 2007, l’État a souhaité que les universités3 deviennent propriétaire de leur patrimoine. Au final, seuls 10 % des établissements ont fait ce choix, tant les conditions financières ne sont pas avantageuses. Frédérique Vidal, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, reconnaissait que « quand vous prenez la dévolution, vous devez gérer votre patrimoine en propriétaire. [Le] Sénat disait il y a quelques années qu’il fallait entre 12 et 14 euros du mètre carré pour entretenir, mais on est aujourd’hui entre 2 et 3 euros. Donc évidemment un président d’université hésite fortement à récupérer son patrimoine ! »4. De surcroît, les premières universités ne peuvent plus être bénéficiaires de la part État dans les CPER5.

Outre la dévolution mais dans ce mouvement, l’État a cherché à « prototyper » de nouveaux modes de dévolution du patrimoine aux universités6. De fait, depuis cette date et jusqu’à très récemment7, le législateur n’a pas hésité à expérimenter diverses solutions pour faire des Universités des propriétaires ou des quasi-propriétaires de leur patrimoine… mais plus encore à privatiser le patrimoine universitaire, à l’exemple des partenariats public-privé dans l’Opération campus, ou, donc, la création d’une société publique immobilière universitaire, en 2022 avec la loi 3DS8.

Avec cette disposition législative, les universités se voient emporter le mouvement d’une valorisation – polymorphe9 – de la propriété publique, face à la propriété déclinante de l’État. Bousculant droit de propriété et affectation, la valorisation du patrimoine universitaire au nom d’une autonomie – juridique, financière, politique – concourt à conforter le constat de l’affaiblissement de l’affectation au profit de l’impératif budgétaire.

De fait, partant d’un statut historique d’autonomie juridiquement incertain en passant à une étatisation et un centralisme à marche forcée pour s’assurer de la contribution des universités à la modernisation de la France10, les universités concentrées sur leur mission d’enseignement et de recherche connaissent une troisième grande période, celle d’opérateur public de l’enseignement public et de la recherche. Elles doivent tout assumer seules, être performantes pour elles-mêmes et face aux autres opérateurs publics et privés. Ainsi, alors que le patrimoine n’est qu’un puit de dépenses, l’État veut laisser croire qu’il constitue un gisement de richesses.

Nul doute cependant que la SPUI puisse dans certains cas être source d’opportunités, mais les illusions de ce dispositif innovant ne doivent pas être ignorées.

Les opportunités du dispositif

Opportunités financières

Une double opportunité financière peut justifier l’emploi de la SPUI.

En premier lieu :

Un établissement public d’enseignement supérieur peut créer et prendre des participations dans des sociétés […]. L’établissement public d’enseignement supérieur détient au moins 35 % du capital et des droits de vote de la société. Les régions, les départements, par dérogation à la première phrase de l’article L. 3231-6 du code général des collectivités territoriales, les communes, par dérogation au premier alinéa de l’article L. 2253-1 du même code, ainsi que leurs groupements, par dérogation à l’article L. 5111-4 dudit code, peuvent, par délibération de leur organe délibérant, participer au capital des sociétés anonymes régies par le livre II du code de commerce ainsi créées, dès lors que ces dernières interviennent sur leur territoire et que ces collectivités ou groupements détiennent au moins une compétence en lien avec l’objet social de la société. Ces collectivités ou groupements ne peuvent détenir, ensemble ou séparément, plus de 35 % du capital de la société. Ces sociétés sont soumises aux dispositions du présent code applicables à la prise de participations et à la création de filiales des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel11.

Cette disposition apparaît comme une généralisation de la filiale immobilière créée, en avril 2010 par l’Université de Bordeaux et la Caisse des dépôts et consignations12, et dont le capital s’est diversifié13 comme ses compétences. Originellement, elle est créée pour piloter l’Opération campus bordelais, mais elle porte désormais des projets, de manière secondaire, de groupes scolaires14.

Ce modèle de société d’économie mixte complète celui des vénérables sociétés d’économie mixte locale15 et des plus récentes sociétés publiques locales16 ou sociétés d’économie mixte à objet unique17. L’inventivité du législateur n’est pas contestable, mais elle laisse un goût amer tant sa capacité à multiplier les catégories fragilise le droit des sociétés publiques locales.

De manière constante, le législateur fixe des seuils et planchers de participation au capital. Toutefois, rien ne permet de comprendre la raison pour laquelle le législateur garantit par ce mécanisme de seuil et de plafond qu’aucune personne publique ne puisse disposer davantage de capital que l’université, mais qu’il n’en existe pas à propos d’une personne privée. En effet, la disposition n’interdit pas les actionnaires privés, que ce soient des sociétés à capital exclusivement privé ou des sociétés d’économie mixte, puisqu’il est indiqué que l’établissement public peut notamment prendre une participation dans une société, sans que cela soit réduit à celle régie par le code général des collectivités territoriales. Au demeurant, ce dispositif ne garantit pas que l’entreprise soit publique, c’est-à-dire avec un capital majoritairement public. Pour le moins, la détention de 35 % du capital et des droits de vote garantit, au regard du droit commun des sociétés, une minorité dite de blocage sur les décisions les plus importantes.

Il n’est pas exclu que ce seuil de sécurité constitue un blocage. En effet, en Bretagne, « L’idée serait de travailler dans un premier temps sur le périmètre des quatre universités bretonnes, […] Cette structure permettrait d’embarquer les universités, les collectivités, les SEM de la région et des métropoles, et l’État »18. Or, la loi évoque un – seul – établissement d’enseignement supérieur détenteur de ce seuil, et non un groupement d’enseignement supérieur.

En deuxième lieu, les universités n’ont plus le droit d’emprunter depuis 201019 au-delà d’un prêt d’une durée de douze mois, sauf dans le cadre très contraint de la Banque européenne d’investissement ou d’un dispositif très particulier de financement de rénovation thermique20, ce qui interdit de conduire des opérations immobilières21. Une telle interdiction n’existe pas pour les sociétés anonymes.

Opportunités fonctionnelles

« Pour contribuer à la gestion et à la valorisation de son patrimoine immobilier, […] ». Cette disposition de la loi 3 DS apparaît comme la conclusion d’un mouvement récent pour élargir le principe de spécialité des établissements publics. En effet, en droit administratif, un établissement public est une personne morale de droit public qui doit assumer uniquement la ou les compétences expressément fixées par la collectivité publique (État, collectivité territoriale) qui l’a créée. Cette limitation est destinée à éviter une atteinte à la libre concurrence. Parfois, le champ de compétences peut s’avérer trop contraignant pour l’établissement public afin qu’il puisse pleinement assumer ses missions.

L’État a jugé que c’était le cas pour les établissements publics de l’enseignement supérieur. C’est ainsi qu’en 201722, est adoptée l’article L. 2341-2 du code général de la propriété des personnes publiques : 

Les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l’enseignement supérieur ou conjointement des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de l’agriculture sont compétents pour assurer l’entretien et la gestion des biens immobiliers dont ils sont propriétaires ou qui sont mis à leur disposition par l’État ainsi que la valorisation immobilière de ces biens et les opérations immobilières d’aménagement des campus, hors cession des biens mis à leur disposition par l’État. Ils sont compétents pour délivrer sur ces biens des titres constitutifs de droits réels à un tiers et pour en fixer les conditions financières. Cette délivrance est soumise à l’autorisation préalable de l’autorité administrative lorsqu’elle concerne des biens immobiliers mis à leur disposition par l’État et nécessaires à la continuité du service public.

Il faut comprendre que la création de la SPUI n’a de sens qu’en la combinant avec l’article L. 2341-2. En effet, l’établissement public de l’enseignement supérieur ne peut créer une société de valorisation immobilière que s’il a lui-même cette compétence, pour laquelle il choisit de créer une structure ad hoc. Cette disposition qui s’appuie sur celle qui avait été adoptée pour les Voies navigables de France, établissement public national, serait libératrice car le principe de spécialité empêchait, selon le gouvernement, les universités d’exploiter librement leurs locaux23. Depuis, l’Université de Paris-Nanterre explique qu’elle a pu louer l’un de ses bâtiments à une entreprise de construction voisine24. D’autres développements seraient possibles grâce à cet article : incuber des start-ups, héberger des entreprises (coiffeur, auto-école…), installer des distributeurs automatiques par exemple25.

Deux arguments sont avancés, par le ministère ou certaines universités, pour justifier la création de cette SPUI. En premier lieu, les universités ne sont pas des opérateurs qui ont pour mission de gérer du patrimoine26. Cet argument n’est pas contestable historiquement, mais dans ce cas le législateur et le Gouvernement ne devraient pas encourager la dévolution du patrimoine. Toutefois, certaines universités souhaitent la dévolution de leur patrimoine pour emprunter27. En deuxième lieu, certains projets immobiliers universitaires s’insèrent dans un territoire local, dont les incidences dépassent les seuls usagers, personnels et activités des universités. Les collectivités territoriales28 imposent depuis de nombreuses années, notamment par les CPER leurs vues aux programmes immobiliers universitaires29. Un partenariat capitaliste dans une SPUI serait ainsi pertinent. En dernier lieu, l’ambition d’échapper à la commande publique est en creux dans les plus récentes réformes. Un rapport sénatorial insiste à ce titre sur les plaintes de certains présidents à l’encontre des rigidités, et des longueurs de la commande publique30. En principe, une personne privée telle une société anonyme n’est pas soumise au droit de la commande publique.

Les illusions du dispositif

Des compétences étendues préexistantes

Sans attendre la loi de 2022 relative à la création de la SPUI, les possibilités juridiques offertes à l’établissement public de l’enseignement supérieur pour dépasser le cadre originel du principe de spécialité sont nombreuses, et, par effet, peuvent rendre inutiles l’emploi de ce « véhicule juridique ».

En premier lieu, la même loi de finances 201731, « ouvre » le principe de spécialité des universités aux activités immobilières, avec la création « pour contribuer à la gestion et à la valorisation de leur patrimoine immobilier ».

En deuxième lieu, les campus universitaires sont devenus par leur objet, depuis fort longtemps, un lieu de vie et l’Université a notamment pour compétence de « faciliter leur entrée dans la vie active et à favoriser les activités culturelles, sportives, sociales ou associatives offertes aux étudiants et sur les mesures de nature à améliorer les conditions de vie et de travail, notamment sur les mesures relatives aux activités de soutien, aux œuvres universitaires et scolaires, aux services médicaux et sociaux, aux bibliothèques et aux centres de documentation »32. En somme, le principe de spécialité est suffisamment large, grâce au « notamment », pour laisser de très nombreuses possibilités d’occupation privative du domaine public. Au reste, les universités peuvent s’appuyer sur l’interprétation souple du principe de spécialité arrêtée par le Conseil d’État, selon lequel un établissement public peut exercer des « activités annexes techniquement et commercialement [qui constituent, d’une part,] le complément normal de sa mission statutaire principale », et d’autre part, qu’elles « soient à la fois d’intérêt général et directement utiles à l’établissement public »33. De fait, les universités attribuent depuis fort longtemps des occupations privatives du domaine public, et contre une redevance potentiellement lucrative. La jurisprudence administrative a reconnu compétent un tel établissement pour autoriser une occupation privative, et d’en fixer le montant de la redevance pour des parkings34, pour l’installation et l’exploitation de locaux pour des sociétés privées de commercialisation de recherche35, de stands temporaires de ventes de livres36, de distributeurs automatiques de boissons et d’alimentation ou de « food trucks »37. Il ne faut guère s’en étonner depuis que le Conseil d’État a jugé légal pour un conseil d’administration d’université de permettre l’installation d’une librairie sur le campus d’Aix-en-Provence38. De même, les « universités » d’été de partis politiques se tiennent régulièrement sur des campus. Au regard de leur médiatisation, l’occupation qui serait donc illégale – à comprendre Frédérique Vidal – avant la réforme aurait dû faire l’objet de recours juridiques de la part de l’État. Cela n’a jamais été le cas à notre connaissance.

En somme, l’emploi même du terme de « valorisation » est contestable en raison de l’absence de qualification juridique, comme le confirme implicitement le bail emphytéotique administratif ouvert à l’État et ses établissements au titre de la « valorisation du patrimoine immobilier », conclu « en vue de sa restauration, de sa réparation ou de sa mise en valeur »39. La tautologie de la valorisation signifiant selon cette disposition… « la mise en valeur » est à souligner. Surtout, la nécessité d’indiquer expressément l’objet de « valorisation du patrimoine immobilier » par rapport au bail emphytéotique administratif conclu par une collectivité territoriale40 ou à l’autorisation constitutive de droits réels conclu par l’État41, présentées eux-mêmes comme des instruments de valorisation du domaine public, ne se comprend pas.

Des dispositifs juridiques concurrents

En premier lieu, la comparaison avec la société immobilière publique universitaire ne peut être comprise qu’au regard de dispositifs permettant à l’Université de trouver des opérateurs compétents et financièrement solides. Leur qualité de maître d’ouvrage, octroyé depuis l’article 20 de loi du 13 juillet 1989 d’orientation de l’éducation, qui sera codifié à l’article L. 762-2 du code de l’éducation, n’a ainsi guère d’importance pour cette étude.

Par ailleurs, depuis 201042, les universités sont désormais « compétentes pour conclure sur les dépendances du domaine public des contrats conférant des droits réels à un tiers, sous réserve de l’accord préalable de l’autorité administrative compétente et de clauses permettant d’assurer la continuité du service public lorsque les biens concernés sont nécessaires à l’accomplissement de ce service ». Cette disposition s’explique par l’opération Campus43 et l’obligation qui était faite aux universités de conclure un contrat de partenariat pour bénéficier des crédits :

La délivrance de droits réels constituant un acte relevant du droit de disposition, les universités ne peuvent conclure directement certains contrats de partenariat ou délivrer des AOT. Certes, tous les contrats de partenariat ne comportent pas de clauses attribuant des droits réels au co-contractant. Mais certaines opérations nécessitent de disposer de droits réels, que ce soit pour des questions de valorisation ou pour des questions de garanties dans les négociations bancaires préalables à la réalisation des montages. Le cas échéant, les établissements ne pourraient alors être pouvoirs adjudicateurs des contrats en question, en restreignant ainsi l’usage et en témoignant d’une centralisation tout à fait contraire à la philosophie du plan Campus et plus généralement au processus qui tend à conférer une véritable autonomie aux universités, dans toutes les dimensions qu’elle est susceptible de revêtir y compris en matière de stratégie immobilière44.

La valorisation du patrimoine universitaire se traduit ainsi pour la première fois par son financement privé, même s’il ne peut concerner des équipements publics depuis la réforme de la commande publique45.

En second lieu, la même loi de finances 201746, qui « ouvre » le principe de spécialité des universités aux activités immobilières, permet la création « pour contribuer à la gestion et à la valorisation de leur patrimoine immobilier, […] des services d’activités industrielles et commerciales ». Régis par les articles D. 714-83 et suivant du code de l’éducation, ce service dont les compétences couvrent tout le spectre des activités industrielles et commerciales potentielles d’une université (négocier et assurer l’exécution des accords et conventions à caractère industriel et commercial ; valoriser et exploiter les brevets, les licences, les droits de propriété intellectuelle ou industrielle et les travaux de recherche ; gérer les baux et locations commerciales…), a pour seul spécificité de disposer d’un budget annexe. L’apport est donc limité, mais il permet, du fait du budget annexe, de relier les recettes et les dépenses.

Ce même article offre une autre possibilité plus hardie aux universités, qui pourraient « dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, prendre des participations, participer à des groupements et créer des filiales »47. Le dispositif de 2017 autorisant la création par l’université de filiales apparaît lourd, car cela impose une « autorisation […] ad hoc par décret en Conseil d’État »48, mais la création d’une filiale présente l’avantage de l’attrape-tout et l’inconvénient de sa généralité. Elle constitue un océan d’incertitude pour des établissements très souvent fragiles en matière d’ingénierie juridique. Par ailleurs, nul n’ignore que l’autonomie des universités est avant tout un moyen de faire supporter « politiquement » les contraintes budgétaires sur les universités, tout en maintenant une tutelle ministérielle de pilotage digne de la centralisation49. Une première tentative de correctif a été apportée à l’initiative des députés en 2019. Celui n’apportait rien50. La SPUI est destinée à corriger les défauts de ce dispositif.

Au demeurant, l’ambition d’échapper à la commande publique qui justifie la création des SPUI apparait fragile51, puisqu’au titre de l’art. L. 1211-1 du code de la commande publique :

Les pouvoirs adjudicateurs soumis à celui-ci sont notamment « les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, dont a) Soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ; c) Soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur.

Ainsi, le terme de « valorisation » employé comme un mantra par l’État l’a poussé à d’importantes innovations, sans qu’il soit certain que cela était nécessaire. Toutefois, la SPUI offre un cadre clair et réglementé, sécurisant l’action des universités. Il n’est pas certain que le succès soit au rendez-vous… Seules celles disposant de fonds financiers, de collectivités territoriales en capacité d’agir et d’immobilier valorisable y trouveront leur compte.

Notes

  1. Courrier du 4 nov. 2021 de la CPU, l’Avuf et plusieurs associations du bloc local aux ministres Bruno Le Maire (Économie, Finances), Jacqueline Gourault (Cohésion des territoires) et Frédérique Vidal (MESRI). [https://www.lesepl.fr/wp-content/uploads/2021/11/courrier-conjoint-splu-lemaire-gourault-vidal.pdf].
  2. Exposé sommaire sur amendement n° CL1684, Projet de loi, Art. additionnel, 27 nov. 2021.
  3. Les universités doivent être entendues comme recouvrant les 82 établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. Par facilité de langage, on peut y ajouter les 2 instituts nationaux polytechniques, les 14 écoles et instituts extérieurs aux universités, les 4 écoles normales supérieures, les 5 écoles françaises à l’étranger et les 17 grands établissements. Ce patrimoine recouvre également celui des CROUS, qui est composé majoritairement de logements et accessoirement de restaurant. Le régime juridique de ce patrimoine est complexe, atypique et répond à une logique propre, qui mériterait à lui seul une étude. Le Tribunal des conflits a ainsi attribué au juge administratif la compétence du contentieux de l’expulsion d’un occupant d’un logement géré par le CROUS (T. confl., 12 févr. 2018, n° 4112, Centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Paris). Le code des procédures civiles d’exécution n’a donc pas à s’appliquer (CE, 16 avr. 2019, n° 426074, Ben Amar).
  4. Frédérique Vidal, Débats, Sénat sur le PLF 2022, le 27 octobre 2021.
  5. Cour des comptes, Du défi de la croissance à celui du transfert de propriété, Rapport publ. particul., oct. 2022, p. 73 s.
  6. Gwénaelle Conraux, « Patrimoine immobilier des universités : Thierry Mandon veut lancer une expérimentation dans « au moins trois régions », Le moniteur.fr, 24 avril 2016.
  7. Loi n° 2022-217 du 21 févr. 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, art. 190.
  8. Art. 190, JO, 22 févr. 2022 : « Pour contribuer à la gestion et à la valorisation de son patrimoine immobilier, un établissement public d’enseignement supérieur peut créer et prendre des participations dans des sociétés ou des groupements de droit privé régis par le code de commerce, sous réserve de ne pas aliéner les biens immobiliers essentiels à l’exercice de ses missions de service public. L’établissement public d’enseignement supérieur détient au moins 35 % du capital et des droits de vote de la société. Les régions, les départements, par dérogation à la première phrase de l’article L. 3231-6 du code général des collectivités territoriales, les communes, par dérogation au premier alinéa de l’article L. 2253-1 du même code, ainsi que leurs groupements, par dérogation à l’article L. 5111-4 dudit code, peuvent, par délibération de leur organe délibérant, participer au capital des sociétés anonymes régies par le livre II du code de commerce ainsi créées, dès lors que ces dernières interviennent sur leur territoire et que ces collectivités ou groupements détiennent au moins une compétence en lien avec l’objet social de la société. Ces collectivités ou groupements ne peuvent détenir, ensemble ou séparément, plus de 35 % du capital de la société. Ces sociétés sont soumises aux dispositions du présent code applicables à la prise de participations et à la création de filiales des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel » (C. éduc., art. L. 762-6).
  9. V. not. Jean-David Dreyfus, Immobilier universitaire et stimulation du partenariat public-privé, AJDA 2008, p. 974.
  10. V. not., Jacques Verger, Histoire des universités en France, Toulouse, Privat, 1986.
  11. C. éduc., art. L. 762-6.
  12. V. pour plus de détails, Cour des comptes, Du défi de la croissance à celui du transfert de propriété, Rapport publ. particul., oct. 2022, p. 78 s.
  13. En 2022, l’Université de Bordeaux en détient 51 %, le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine 17 %, la Banque des Territoires-groupe Caisse des Dépôts pour 17 %, l’Université Bordeaux Montaigne pour 10 % et Bordeaux Métropole pour 5 %.
  14. V. site internet sria-ub.fr.
  15. CGCT, art. L. 1521-1 s.
  16. CGCT, art. L. 1531-1 s.
  17. CGCT, art. L. 1541-1 s.
  18. Diane Scherer, Bâti universitaire : La région Bretagne veut créer une société « pour accélérer les rénovations » (Olivier David) : AEF, Dépêche n° 688168, 3 mars 2023.
  19. Cette position est maintenue en 2022 dans les observations ministérielles du rapport de la Cour des comptes : Cour des comptes, Du défi de la croissance à celui du transfert de propriété, Rapport publ. particul., oct. 2022, p. 108.
  20. Voir pour plus de détails, Cour des comptes, Du défi de la croissance à celui du transfert de propriété, Rapport publ. particul., oct. 2022, p. 62 s.
  21. Loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, art. 12.
  22. Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, art. 154.
  23. Exposé sommaire, amendement n° II-1342 (2e Rect), Projet de loi de finances pour 2018, Article 57 octies (nouveau) (N° 235) 10 nov. 2017.
  24. In Anne Mascret, Dépêche AEF, n° 576820, 12 déc. 2017.
  25. La crainte serait-elle désormais l’implantation d’activités commerciales uniquement dans le but de développer des recettes d’universités en déficit ? : « Toute décision de ce style doit préalablement obtenir l’accord du CA. Cela me paraît être un bon rempart contre toute dérive. Un conseil d’administration veillera toujours au bon équilibre entre la valorisation d’un espace et l’image de l’université qu’il est primordial de ne pas dégrader », Stéphane Brette In Anne Mascret, Dépêche AEF, n° 576820, 12 déc. 2017.
  26. Frédérique Vidal, Sénat sur le PLF 2022, le 27 oct. 2021.
  27. Béatrice Bouchet, « La dévolution du patrimoine nous permettra de trouver des moyens complémentaires », AEF, n° 678507, 12 sept. 2022.
  28. De fait, un député lors des débats parlements de 2017 insiste : « je souhaiterais que l’on sensibilise les présidents d’université à la nécessité de bien travailler avec les services d’urbanisme des communes et des intercommunalités dans lesquelles leurs établissements sont implantés », Richard Lioger in Débats sur amendement n° II-1342 (2e Rect), Projet de loi de finances pour 2018, Article 57 octies (nouveau) (N° 235) 10 nov. 2017.
  29. L’auteur de ces lignes se souvient du désintérêt des collectivités territoriales pour des projets de rénovation thermique… Ils n’étaient pas assez « visibles ». L’État avait au contraire défendu ces projets.
  30. Vanina Paoli-Gagin, Gestion de l’immobilier universitaire : un sursaut indispensable pour un avenir soutenable : S., Rapp., n° 842, 22 sept. 2021, p. 50 s.
  31. Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, art. 154.
  32. C. éduc., art. L. 712-6.
  33. CE, Avis, 7 juill. 1994, Diversification des activités d’EDF/GDF, n° 356089.
  34. CAA Paris, n° 97PA00311, 27 avr. 1999, Univ. Paris-Dauphine.
  35. TC, 4 Juill. 2016, n° 4054, Soc. Advanced Accelerator Applications SA c/ société Ineo Provence et Côte d’Azur.
  36. CAA, Nantes, 28 juin 2004, n° 02NT00087, La librairie universitaire épigramme.
  37. CE, 24 févr 2017, n° 401656, M. D.
  38. CE, 10 mai 1996, n° 142064, SARL La Roustane.
  39. CGPPP, art. L. 2234-1.
  40. CGPPP, art. L. 2234-1.
  41. CGPPP, art. L. 2234-1.
  42. Loi n° 2010-1536 du 13 décembre 2010 relative aux activités immobilières des établissements d’enseignement supérieur, aux structures interuniversitaires de coopération et aux conditions de recrutement et d’emploi du personnel enseignant et universitaire, art. 2.
  43. Cour des comptes, Dix après le lancement de l’Opération Campus, un premier bilan en demi-teinte, Rapp. publ. annuel 2018, févr. 2018.
  44. F. de Panafieu, Rapport sur la proposition de loi relative aux activités immobilières des établissements d’enseignement supérieur, aux structures interuniversitaires de coopération et aux conditions de recrutement et d’emploi du personnel enseignant et universitaire, Ass. nat., n° 2981, 23 nov. 2010, p. 21809.
  45. CGPPP, art. L. 2122-6 : Une autorisation d’occupation temporaire ne peut avoir pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, pour le compte ou pour les besoins d’un acheteur soumis à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ou d’une autorité concédante soumise à l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.
  46. Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, art. 154.
  47. C. éduc., art. L. 711-1.
  48. Exposé sommaire sur amendement n° CL1684, Projet de loi, Art. additionnel, 27 nov. 2021.
  49. L’exemple du « repyramidage » restera certainement dans l’histoire du centralisme universitaire.
  50. Au contraire puisqu’un amendement parlementaire proposait d’ouvrir le droit aux universités de recourir « aux contrats et formes de sociétés publiques ou commerciales prévues par le code de commerce et le code général des collectivités territoriales » (Amendement n° II-CF409, Ass. nat., 18 oct. 2019). Cette formulation obscure, évoquant des « contrats » sans autre référence, et des « sociétés publiques ou commerciales prévues par le code de commerce et le code général des collectivités territoriales » sans autre précision, n’offrait guère d’éclaircissement, si ce n’est de confirmer la volonté d’échapper à la commande publique. Les sénateurs s’y sont opposés tant « l’article additionnel crée davantage de problèmes qu’il n’en résout » car « son périmètre est très large et autorise les universités à recourir à l’ensemble des sociétés commerciales et publiques pour leurs opérations de valorisation du patrimoine. Cet article impliquerait en outre de revoir les conditions d’emprunt des universités et, éventuellement, de les encadrer » (Amendement n° II-20 (art. 83), S., 22 nov. 2019). Les députés résisteront (Amendement n° 995 (art. 83), Ass. Nat., 13 déc. 2019), mais comme l’avaient prévu les sages du Luxembourg (Amendement n° II-20 (art. 83), S., 22 nov. 2019), le Conseil constitutionnel jugera cet amendement comme une cavalier budgétaire (Décision n° 2019-796 DC, 27 déc. 2019, Loi de finances, § n° 141 s.). Finalement, le dispositif n’a pas rencontré de succès auprès des universités, Vanina Paoli-Gagin, Gestion de l’immobilier universitaire : un sursaut indispensable pour un avenir soutenable : S., Rapp., n° 842, 22 sept. 2021, pp. 49-50.
  51. Un rapport sénatorial insiste à ce titre sur les plaintes de certains présidents à l’encontre des rigidités, et des longueurs de la commande publique, Vanina Paoli-Gagin, Gestion de l’immobilier universitaire : un sursaut indispensable pour un avenir soutenable : S., Rapp., n° 842, 22 sept. 2021, p. 50 s.
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EAN html : 9791030011395
ISBN html : 979-10-300-1139-5
ISBN pdf : 979-10-300-1140-1
Volume : 35
ISSN : 2741-1818
Posté le 18/06/2025
11 p.
Code CLIL : 3669; 3076;
licence CC by SA

Comment citer

Videlin, Jean-Christophe, « Les sociétés publiques immobilières universitaires, l’avenir du campus d’aujourd’hui ? », in : Mansion-Prud’homme, Nina, Schoonbaert, Sylvain, dir., Villes et universités. Quels patrimoines pour quels avenirs partagés ?, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, collection PrimaLun@ 32, 2025, 163-174, [en ligne] https://una-editions.fr/les-societes-publiques-immobilieres-universitaires [consulté le 20/06/2025].
Illustration de couverture • Maquette d’étude du quartier de l’Esplanade (mai 1959). C.-G. Stoskopf architecte (avec intégration du projet de R. Hummel pour le campus) (Archives d’Alsace-Site de Strasbourg, fonds Stoskopf, 60J62).
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