Le Tartuffe de Molière, qui offre son mouchoir à Dorine en lui demandant de couvrir ce sein qu’il se refuse à voir 1 ne se doutait pas que sa remarque hypocrite influencerait autant les autorités de police administrative. Les femmes ont, de tout temps, vu leur liberté vestimentaire restreinte. Pression sociale, bonnes mœurs, esthétique, pudeur ou attrait, le corps féminin dérange, et suscite parfois l’édiction de mesures de police administrative portant atteinte à leur liberté vestimentaire.
La femme, comprise comme étant une personne de genre féminin, est aujourd’hui libre de s’habiller. Mais l’Histoire, même dans son actualité la plus récente, nous révèle que cette liberté est souvent restreinte. La liberté vestimentaire, entendue comme « la liberté de se présenter à autrui sous l’apparence que l’on souhaite » 2, n’est pas considérée comme une liberté fondamentale, en témoigne la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation 3. Pour autant, la liberté vestimentaire paraît recouvrir des aspects plus profonds. Elle n’est pas seulement l’idée que l’on peut se vêtir comme on l’entend – et librement –, mais elle est aussi l’idée que l’on peut se dévêtir. De telle sorte que la liberté vestimentaire dépasse la simple question du port de vêtements.
Les arrêtés municipaux réglementant les tenues vestimentaires dans certaines communes portent une atteinte certaine à la liberté vestimentaire des femmes. Ces arrêtés sont édictés par des autorités administratives – notamment des maires – qui détiennent un pouvoir de police administrative, pouvoir que le professeur Benoît Plessix définit comme étant celui : « que les autorités sont habilitées à exercer en vertu de la Constitution ou de la loi afin de restreindre le libre exercice par les particuliers des droits et libertés qui leurs sont garantis par l’État, en vue de l’intérêt même d’un exercice paisible de ces droits et libertés, de préserver un minimum d’ordre public dans la société » 4.
Les restrictions portées à cette liberté sont admises depuis – probablement – trop longtemps. Par une ordonnance du 16 Brumaire an IX (7 novembre 1800), le préfet de police de Paris a interdit aux parisiennes de porter le pantalon, à moins de disposer d’une autorisation spéciale [/efn_note]. Assouplissement nécessaire de ce texte, les circulaires de 1892 et de 1909 ont permis aux femmes de porter le pantalon dans les cas où elles tiennent : « par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ».
Ce sujet ne manque pourtant pas de déchaîner les passions. En ce sens, l’été 2020 a été marqué par un événement plutôt insolite. Des gendarmes ont été sollicités pour demander à des femmes de se rhabiller alors que ces dernières bronzaient seins nus sur la plage. Dans le même ordre d’idées, il convient de se remémorer le débat concernant l’idée d’une « tenue républicaine » 5 s’agissant de l’habillement des filles au lycée que le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a lancé début 2020. Pour autant, l’absence de vêtement dérange et interroge tout autant. Cela s’illustre notamment sur les réseaux sociaux. Effectivement, pour ne prendre que cet exemple, Instagram censure les photos sur lesquelles les tétons des femmes sont apparents. Un triste écho au Tartuffe de Molière.
Le problème apparaît alors : la liberté vestimentaire des femmes – de se vêtir ou de se dévêtir – trouve sa limite. Elle qui se comprend comme le choix de se présenter sous l’apparence que l’on souhaite à autrui, dans l’espace public, se heurte à la préservation de l’ordre public. Et comme cela a été indiqué précédemment, la restriction de la liberté vestimentaire des femmes par usage des pouvoirs de police administrative se doit d’être strictement justifiée par la préservation nécessaire de l’ordre public. Dans les cas où la réglementation de police administrative porte atteinte à cette liberté, et en cas de litige devant le juge administratif, les mesures seront soumises à un contrôle particulièrement intense. Il convient de le rappeler en outre, en matière de contrôle des mesures de police administrative, le juge administratif exerce un contrôle de proportionnalité particulièrement approfondi. Par conséquent, l’absolue liberté vestimentaire des femmes est une illusion.
En effet, si les autorités de police portent régulièrement atteinte à la liberté vestimentaire des femmes par l’édiction de mesures de police intempestives (I) cette atteinte se trouve contenue grâce à un contrôle particulièrement rigoureux exercé sur ces mesures par le juge administratif (II).
I – L’édiction intempestive de mesures de police
L’édiction tous azimuts de certaines mesures de police administrative conduit à porter une atteinte importante à la liberté vestimentaire des femmes. Cela d’une part, parce qu’elles sont fondées sur une conception extensible de l’ordre public (A), et d’autre part, parce qu’elles reposent souvent sur une appréciation inadéquate des circonstances locales (B).
A – Des mesures fondées sur un ordre public extensible
Ces mesures visent à protéger une conception douteuse de l’ordre public, tant elle est large. En ce sens, l’ordre public retenu se fonde sur des motifs liés à la décence ou aux bonnes mœurs (1) ou sur des motifs liés à la religion (2).
· 1 – Décence et bonnes mœurs, fondements moralisateurs
La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la police administrative peut prévenir les troubles à la moralité. À titre d’exemple, la moralité publique a justifié la fermeture de lieux de débauche et de prostitution 6. Mais encore, le bon ordre a pu justifier l’interdiction de la projection d’un film « à raison du caractère immoral du film et des circonstances locales » 7. Ainsi, la décence et le bon ordre ne sont pas des motifs nouveaux dans l’édiction des mesures de police administrative. Pour autant, et concernant l’habillement des femmes, ils constituent des fondements moralisateurs. Il faut remarquer que ces deux motifs sont liés : la décence – ou le manque de décence – peut révéler un trouble au bon ordre – compris comme la morale et les bonnes mœurs.
De façon plus récente, l’affaire du burkini illustre le traitement opéré par les autorités de police administrative sur l’habillement des femmes. De nombreuses communes ont interdit l’accès à la plage et à la baignade à toute personne « ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs » 8. Le port de certains vêtements a même été interdit lorsqu’ils apparaissaient contraires aux principes visés par les arrêtés. Ont ainsi été fondés sur le motif des bonnes mœurs l’arrêté du 16 août 2016 du maire de Sisco ou encore l’arrêté du 19 août 2016 du maire de Fréjus.
Cette exigence d’une tenue correcte peut se justifier en ce que la moralité publique – dont on suppose une référence implicite – est aujourd’hui considérée comme faisant partie intégrante de l’ordre public. Toutefois, en raison de la frontière fine qu’elle entretient avec la notion de morale, la moralité est de moins en moins utilisée. Mais si tel est le cas, elle apparaît alors rattachée à l’exigence de circonstances locales. Effectivement, « l’immoralité ne peut justifier à elle seule l’interdiction de se dévêtir. Elle doit être appréciée comme un critère déterminant, mais non suffisant, et qui doit, pour prendre tout son sens, être cumulé avec des circonstances locales particulières » 9.
Une mesure de police administrative étant nécessairement subjective, on peut se demander qui doit apprécier ce qu’est une tenue correcte ou décente. La mesure de police est-elle suffisamment précise pour que les agents qui veillent au respect de l’interdiction fasse eux-mêmes preuve d’un certain bon sens pour ne pas venir rappeler à l’ordre ces femmes dont la tenue ne correspond pas à l’arrêté de façon arbitraire, excessive et subjective ?
· 2 – Religion et principe de laïcité, fondements tendancieux
La religion et le principe de laïcité constituent sans doute les deux fondements les plus utilisés par les autorités de police en vue d’édicter des mesures portant atteinte à la liberté vestimentaire des femmes. À titre d’illustration, s’agissant d’un arrêté municipal adopté le 5 août 2016, le maire de la commune de Villeneuve-Loubet s’est fondé sur le principe de laïcité pour justifier la réglementation des tenues sur les plages de la commune 10. Également, le tribunal administratif de Nice a pu considérer que « les plages ne constituent pas un lieu adéquat pour exprimer de façon ostentatoire ses convictions religieuses », et qu’à « la suite de la succession d’attentats islamistes subis en France », le port du burkini suscitait des « risques de troubles à l’ordre public » 11.
En outre, le juge des référés du tribunal administratif de Nice s’est appuyé sur l’incorporation de valeurs au sein de la notion d’ordre public en faisant référence aux « valeurs essentielles de la communauté française », pour en conclure que les convictions religieuses exprimées par certains vêtements sont « susceptibles d’être interprétées comme relevant (d’un) fondamentalisme religieux » et donc susceptibles « d’être ressenti(es) par certains comme une défiance ou une provocation ». Cette extension de l’ordre public rappelle l’une des ordonnances de la jurisprudence Dieudonné, dans laquelle le juge avait évoqué « le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine » 12.
Il en résulte un amalgame opéré par ces autorités de police. Le vêtement – ou l’absence de vêtement – serait un indicateur de religiosité ou d’un manque de décence, au détriment de la liberté vestimentaire des femmes. Si le vêtement peut être « signe et conservateur de culture, construction et identificateur social, parure dans les détails et les accessoires tout autant que protection » 13, une telle lecture peut s’avérer périlleuse en raison de la subjectivité qu’elle suppose au moment de l’appréciation de la signification du vêtement.
Ces mesures de police, fondées sur un ordre public extensif, portent une certaine atteinte à la liberté vestimentaire des femmes, notamment lorsqu’elles sont inadéquates aux circonstances de l’espèce.
B – Des mesures inadéquates aux circonstances locales
L’atteinte à la liberté vestimentaire des femmes se révèle par l’édiction de mesures inadéquates aux circonstances locales. Pour restreindre la liberté vestimentaire des femmes, les autorités apprécient de façon complaisante les circonstances de temps et de lieu (1) et déterminent de façon souple l’encadrement temporel et spatial (2).
· 1 – L’appréciation complaisante des circonstances de temps et de lieux
La nécessité d’édicter une mesure de police administrative se jauge au regard d’une évaluation nécessaire des circonstances de l’espèce. Mais s’il convient de préciser que l’appréciation des circonstances locales est nécessairement subjective, elle peut se révéler être parfois excessive. En ce sens, l’appréciation complaisante des circonstances de temps et de lieu par une autorité de police administrative – générale – n’est pas un phénomène nouveau. Déjà dans l’arrêt Benjamin 14, le juge a estimé que « l’éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu’il n’ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l’ordre en édictant les mesures de police qu’il lui appartenait de prendre ».
Dans certaines mesures de police administrative, la liberté vestimentaire des femmes a été restreinte par une interdiction prise au regard de circonstances de temps et de lieu appréciées de façon excessive. En ce sens, le Conseil d’État a pu considérer que le port du burkini par certaines femmes n’a pas eu pour conséquence un trouble à l’ordre public, faute d’identification de circonstances établissant une telle atteinte, de telle sorte qu’en l’absence d’un tel trouble, il n’est pas possible de justifier légalement cette mesure de police 15.
Le rapprochement maladroit fait par les autorités de police entre un vêtement considéré comme l’expression de la religiosité des femmes et les attentats commis en France à l’été 2016 a eu pour effet de donner au vêtement le rôle d’un hypothétique fauteur de troubles nécessitant une mesure restrictive.
· 2 – La détermination souple de l’encadrement spatio-temporel
L’atteinte à la liberté vestimentaire des femmes se révèle également par une détermination – très – souple de l’encadrement temporel et spatial de la mesure par les autorités de police.
En ce sens, et concernant la détermination de l’étendue géographique de la mesure, qu’il s’agisse des arrêtés anti-burkini ou anti-monokini, il faut noter que la restriction à la liberté vestimentaire des femmes ne concerne pas uniquement les plages. De telle sorte que le champ géographique de l’interdiction peut couvrir une zone plus importante. À titre d’illustration, citons l’arrêté municipal de Larmor-Plage du 18 mai 2020 qui interdisait du 1er juin au 30 septembre 2020 « à toute personne de circuler sur la voie publique et dans les lieux publics et commerciaux du centre-ville dans une tenue de bain de type maillot [ou] torse nu […] ».
De plus, et concernant la détermination temporelle de la mesure cette fois, cette appréciation conduit souvent à ce que les mesures de police soient à la fois géographiquement très étendues et que leur durée soit démesurée. C’est notamment le cas de l’arrêté municipal du maire de Fort-Mahon-Plage du 29 juin 2020 qui a interdit, du 1er avril au 31 octobre de chaque année, à toute personne, de circuler, en dehors de la plage et ses abords immédiats, dans une tenue vestimentaire limitée au port du maillot de bain ou le « torse-nu » 16.
Ainsi, ces mesures excessives restreignent fortement la liberté vestimentaire des femmes. Mais ces mesures sont pour autant soumises à un contrôle particulièrement strict de la part du juge administratif, ce qui permet de canaliser cette atteinte.
II – Le contrôle rigoureux des mesures de police
Les mesures édictées par les autorités de police administrative font l’objet d’un contrôle particulièrement poussé de la part du juge administratif, ce dernier opérant un contrôle de proportionnalité. C’est ce contrôle qui permet de sanctionner la plupart des atteintes injustifiées portées à la liberté vestimentaire des femmes. Ce contrôle se caractérise d’une part par l’exigence d’une conception d’un ordre public strictement matériel comme fondement de la mesure (A), et d’autre part, par l’exigence que la mesure soit strictement adéquate aux circonstances locales (B).
A – L’exigence d’une mesure fondée sur un ordre public strictement matériel
Le contrôle opéré par le juge administratif doit être performant pour pouvoir canaliser les atteintes excessives à la liberté vestimentaire des femmes. En ce sens, le juge administratif considère que seul l’ordre public « matériel et extérieur » est un fondement légitime à l’édiction de telles mesures (1). Au surplus, le contrôle de proportionnalité opéré permet d’assurer la préservation de tous les intérêts en présence (1).
· 1 – L’ordre public « matériel et extérieur », seul fondement légitime
Dans une étude de 2010, le Conseil d’État a envisagé la possibilité d’une nouvelle voie de définition de l’ordre public entendu comme répondant à « un socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société » 17. Pour autant, cette nouvelle définition présente l’inconvénient de laisser une importante part de subjectivité. Aucune personne vivant en collectivité n’a la même conception des « garanties essentielles de la vie en société ».
Cela explique pourquoi c’est seulement un ordre public « matériel et extérieur » qui peut justifier une atteinte à la liberté vestimentaire. Le juge administratif privilégie la dimension matérielle et extérieure à la dimension immatérielle de l’ordre public. La jurisprudence refuse alors de reconnaître d’autres fondements, en tout cas sans la présence de risques avérés à l’ordre public, soit ceux qui justifieraient la mesure restrictive de liberté.
En ce sens, en matière de réglementation des tenues de plage, le Conseil d’État est venu préciser que si le maire peut se fonder sur une certaine décence sur la plage c’est uniquement pour démontrer l’existence de risques avérés d’atteinte à l’ordre public, entendu dans son acception classique.
Ainsi, le Conseil d’État a pu indiquer qu’il « ne résulte pas de l’instruction que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet, de la tenue adoptée en vue de la baignade pour certaines personnes », et a précisé qu’en « l’absence de tels risques, l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée » 18.
Dès lors, si l’ordre public immatériel peut justifier de restreindre certaines libertés, c’est à la seule condition de protection d’un ordre public « matériel et extérieur », unique motivation de la mesure portant atteinte à la liberté vestimentaire des femmes.
· 2 – Le contrôle de proportionnalité au service de la préservation des différents intérêts en présence
« La proportionnalité est une exigence qui est au cœur de l’intervention administrative » 19, notamment dans le domaine de la police administrative. Il convient alors que la proportionnalité soit aussi au cœur du contrôle opéré par le juge administratif sur ces mesures.
En matière de contrôle des mesures de police administrative, le juge administratif a recours au contrôle entier de proportionnalité depuis qu’il a été généralisé par une formulation dorénavant classique : « les atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées » 20.
Le juge vérifie que la mesure de restriction est bien proportionnée, adaptée et nécessaire aux objectifs poursuivis. Ce contrôle est considéré comme étant le plus performant et abouti en ce sens qu’il « favorise l’évaluation la plus fine de la mesure par un examen à la fois complet dans son étendu et concrétisé par une prise en considération optimale » 21. Ce contrôle de proportionnalité mis en œuvre par le juge administratif se place dans la droite lignée de la jurisprudence Dieudonné. Il s’agit d’un contrôle de proportionnalité large (c’est-à-dire que le juge examine les caractères nécessaire, adapté et proportionné de la mesure), mais il s’agit aussi d’un contrôle de proportionnalité intense (puisqu’il s’agit d’un contrôle entier de proportionnalité).
L’enjeu de ce contrôle de proportionnalité réside dans le fait qu’il garantit que l’atteinte portée à l’exercice d’une liberté soit justifiée au regard du trouble à l’ordre public. La sauvegarde de l’ordre public n’est autre que la sauvegarde des droits et libertés ; pour autant, pour préserver l’un il faut porter atteinte à l’autre.
Ainsi, concernant l’habillement des femmes, le juge administratif exerce un contrôle particulièrement étroit afin de pouvoir s’assurer que l’atteinte à la liberté vestimentaire des femmes soit suffisamment justifiée et proportionnée.
B – L’exigence d’une mesure adéquate aux circonstances locales
Dans le cadre du contrôle de proportionnalité, le juge administratif recherche que la mesure soit adéquate aux circonstances de l’espèce. Cela se révèle par le contrôle de la nécessité de la mesure au regard des circonstances de temps et de lieu (1). Mais également par le contrôle de la proportionnalité stricte de la mesure au regard du but poursuivi (2).
· 1 – Le contrôle rigoureux de la nécessité de la mesure au regard des circonstances de temps et de lieux
Alors qu’au moment de l’édiction d’une mesure où le vêtement constituait le curseur pour l’autorité de police, ici, ce sont les circonstances locales qui jouent ce rôle. Elles permettent de révéler la nécessité de restreindre la liberté vestimentaire des femmes.
Il est admis que les maires qui adoptent des mesures de police administrative ne doivent poursuivre qu’une seule et unique finalité : l’ordre public, qui lui-même renvoie à des « circonstances de temps et de lieu ». Cette exigence répond à l’objectif selon lequel les autorités de police administrative « ne peuvent pas entreprendre […] d’action normative abstraite relevant de la croisade politique ou morale » 22. Ainsi, les circonstances locales sont un critère visant « à éviter l’instauration d’un ordre moral autochtone, attentatoire à la liberté de se vêtir à sa guise » 23.
C’est en ce sens que le juge a pu considérer comme étant nécessaire, la mesure édictée par le maire de Sisco 24. En l’espèce, les circonstances locales ont révélé de violentes altercations au sein de la commune qui ont abouti à des hospitalisations. Dès lors, le juge administratif recherche l’existence de troubles avérés, de telle sorte que des troubles hypothétiques ne suffisent pas à justifier une mesure de police administrative.
· 2 – Le contrôle de la proportionnalité de la mesure au regard du but poursuivi
Le juge va également vérifier que la mesure portant atteinte à la liberté vestimentaire des femmes soit strictement proportionnée au but poursuivi. De telle sorte qu’il va mettre en balance la gravité du désordre que l’autorité a souhaité empêcher par la mesure avec ses conséquences. Cette marge de manœuvre laissée au juge administratif lui permet alors de s’assurer d’une conciliation optimale entre la sauvegarde de l’ordre public et la sauvegarde des droits et libertés.
Ainsi, le juge a pu considérer comme étant proportionnée la mesure édictée par le maire de Sisco puisque la restriction à la liberté vestimentaire des femmes était cantonnée à une durée de quinze jours et se justifiait au regard des altercations violentes qui ont eu lieu dans la commune. Au contraire, le juge a pu considérer comme étant disproportionnée la mesure édictée par le maire de Ghisonaccia qui a interdit le port d’une certaine tenue non respectueuse des principes visés du 18 août au 18 octobre.
La liberté vestimentaire des femmes n’est donc pas absolue. Pour autant, le juge administratif veille à ce que les atteintes qui y sont portées au nom de la sauvegarde de l’ordre public demeurent strictement justifiées. Tout est donc question d’équilibre.
Bibliographie
HANICOTTE (R.), Pandore et Saint-Frusquin, à quand une police du textile ?, JCP A, 8 juillet 2013.
MOLIÈRE, Le Tartuffe (1669), Paris, Gallimard, 1999, Acte III, Scène 2, vers 11.
RIVIÈRE (C.), Les rites profanes, Paris, PUF, 1995.
PLESSIX (B.), Droit administratif général (3e éd.), Paris, LexisNexis, coll. « Manuel », 2020.
Sitographie
HERVIEU (N.), « Burkini : Entretien croisé des Professeurs Stéphanie Hennette-Vauchez et Joël Andriantsimbazovina sur la décision du Conseil d’État », La Revue des Droits de l’Homme, août 2016, consultable en ligne : https://journals.openedition.org/revdh/2514
MATTIUSSI (J.),« La liberté vestimentaire démasquée ? À propos de l’ordonnance du Conseil d’État en date du 17 avril 2020 », La Revue des Droits de l’Homme, avril 2020, consultable en ligne : https:// journals.openedition.org/revdh/9116
ROULHAC (C.), « La mutation du contrôle des mesures de police administrative. Retour sur l’appropriation par le juge administratif du triple test de proportionnalité », Revue française de droit administratif, 2018, n° 2, p. 343-356, consultable en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03189913
Notes
- Molière, Tartuffe, 1667, Acte III, Scène 2, vers 11.
- MATTIUSSI (J.), « La liberté vestimentaire démasquée ? À propos de l’ordonnance du Conseil d’État en date du 17 avril 2020 », Revue des droits de l’homme, 27 avril 2020.
- Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273 : Bull. V, n° 178, p. 174.
- PLESSIX (B.), Droit administratif général, (3e éd.) LexisNexis, coll. « Manuel », 2020, p. 826.
- En réaction à la publication de l’IFOP d’un sondage intitulé « qu’est-ce qu’une tenue correcte pour une fille au lycée ? » ; déclaration du 21 septembre 2020 à la radio RTL : « chacun peut comprendre que l’on vienne à l’école habillé de façon républicaine ».
- CE, Ass., 11 décembre 1946, Dame Hubert, Rec. p. 300.
- CE, Sect., 18 décembre 1959, n° 36385 et 36428, Sté Les films Lutétia, Rec. p. 693.
- Arrêté du maire de la commune de Villeneuve-Loubet, 5 août 2010, art. 4, point 3.
- BOSSEBOEUF (C.),« La police administrative et le contrôle de la liberté vestimentaire : la question de « l’habillement minimum » », BJCL, 2013, p. 556.
- Ibid.
- TA Nice, 22 août 2016, n° 1603508 et n° 1603523.
- CE, ord., 9 janvier 2014, Min. de l’Intérieur c/ Sté Les Productions de la Plume et M. D. M’Bala M’Bala, n° 374508.
- RIVIÈRE (C.), Les rites profanes, PUF, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », 1955, p. 153.
- CE, 19 mai 1933, Benjamin, Rec. p. 541.
- CE, ord., 26 août 2016, n° 402742.
- Arrêté municipal de Fort-Mahon-Plage n° 2020/59/PO/6.1.7.
- Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 2010, p. 26.
- CE, ord., 26 août 2016, n° 402742.
- PONTIER (J.-M.),« La balance des intérêts », AJDA, 2021, p. 1309.
- CE, ord., 9 janvier 2014, Min. de l’Intérieur c/ Sté Les Productions de la Plume et M. D. M’Bala M’Bala, n° 374508.
- ROULHAC (C.),« La mutation du contrôle des mesures de police administrative – Retour sur l’appropriation du « triple test de proportionnalité par le juge administratif » », RFDA, 2018, p. 343.
- HERVIEU (N.),« Burkini : Entretien croisé des Professeurs Stéphanie Hennette-Vauchez et Joël Andriantsimbazovina sur la décision du Conseil d’État », Revue des droits de l’homme, 31 août 2016.
- HANICOTTE (R.),« Pandore et Saint-Frusquin, à quand une police du textile ? », JCP A, n° 28, 8 juillet 2013, 2211.
- TA Bastia, 6 septembre 2016, n° 1600975.