UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Partie 2 – Urbanisme, aménagement et habitat coopératifs entre participation et négociation

par

Qu’il s’agisse d’urbanisme transitoire, de projets de quartier auxquels sont alloués des budgets gérés par les associations d’habitants, d’habitat coopératif, etc., les expériences alternatives en matière d’aménagement et d’urbanisme sont principalement marquées du sceau de l’intégration des usagers dans le processus d’élaboration des projets. De même, la Convention citoyenne pour le climat a donné en France la parole à 150 citoyens tirés au sort pour qu’ils proposent des mesures concrètes en faveur de la transition écologique de nos sociétés. Si ces articulations entre écologie et démocratie sont considérées comme des prémisses possibles d’une autre gouvernance des projets, évitant le dualisme stérile entre démocratie représentative et démocratie participative, ils appellent à une évolution des représentations de ce que recouvre la notion d’expertise en urbanisme et donc des pratiques et savoirs techniques. Quatre contributions explorent ce changement à travers quatre expériences : le projet d’habitat écologique et participatif du Champ Foulon en Île-de-France (Chapitre 5 : Claire Fonticelli et Claire Doussart), le budget participatif d’Eau de Paris (Chapitre 6 : Sandrine Vaucelle), la gestion participative des espaces verts à Tunis (Chapitre 7 : Imène Zaâfrane Zhioua) et la rénovation des quartiers d’habitat populaire au Viêt Nam (Chapitre 8 : Helga-Jane Scarwell, Divya Leducq et Quoc Dat Nguyen).

Dans un temps, où l’action publique dans son ensemble est désormais soumise à une injonction à la participation, « l’impératif délibératif » dont font le constat en 2002 les politologues Loïc Blondiaux et Yves Sintomer, les pratiques engendrées par cette injonction se déploient désormais dans nos contextes d’action français et européens, à travers des instruments (conseil citoyen, budgets participatifs, etc.). Or, les conditions de mise en œuvre et les finalités de ces instruments sont aujourd’hui remises en question1, ces derniers s’avérant incapables de corriger les limites propres à la démocratie représentative en termes de participation large et effective des usagers et des populations à l’action publique. Les deux premiers chapitres de cette seconde partie éclairent le contexte français de l’urbanisme et de l’aménagement à travers l’analyse de deux démarches d’habitat participatif et de budget participatif. Si le premier chapitre prend le parti de révéler la capacité du projet d’habitat participatif à faire émerger une nouvelle forme de citoyenneté susceptible de rénover nos modalités d’action, le second chapitre tend à interroger les finalités initiales d’un budget participatif et à démontrer ses limites en matière de participation citoyenne à l’action aménagiste.

La contribution de C. Fonticelli et C. Doussart explore le cas du projet d’éco-hameau du Champ Foulon (27 logements individuels et des espaces partagés) initié en 2009 et toujours en attente de livraison en 2024. La dimension écologique constituant le liant de ce projet participatif, la contribution en éclaire la traduction dans la conception spatiale et architecturale d’un lieu de vie en contexte péri-urbain. L’évolution des pratiques est ici envisagée du point de vue habitant. Au-delà des déclarations de bonnes intentions telles que l’utilisation du vélo électrique pour rallier la grande ville voisine quand l’éco-hameau sera achevé, la contribution fait ressortir ce que cette co-conception écologique, certes inachevée, a d’ores et déjà fait émerger. Les auteures l’expriment comme une « nouvelle forme de citoyenneté » marquée par l’engagement et la cohésion du collectif d’habitant autour d’un jardin partagé et l’ouverture de leurs activités associatives aux actuels habitants du village. Jardiner et rencontrer ses futurs voisins avant de bâtir : une invitation à inverser les modalités de l’aménagement urbain contemporain.

Dans un autre registre, la contribution de S. Vaucelle évoque la construction et l’évolution du budget participatif d’Eau de Paris, entreprise publique de production, de transport et de distribution de l’eau potable de la capitale. Alors que dans le chapitre précédent, l’engagement citoyen autour de valeurs communes résiste dans le temps, le processus analysé par S. Vaucelle tend à démontrer l’éviction progressive des habitants au service d’associations expertes. La remontée de cette expertise au détriment des simples habitants à travers un dispositif revendiqué comme participatif, est-elle le prix à payer pour une meilleure efficacité de l’action environnementale ? La question reste ouverte.

Se départissant des débats liés à la démocratie participative en France, les deux derniers chapitres de cette seconde partie éclairent la participation habitante dans des contextes d’action, la Tunisie et le Viêt Nam, où l’action publique compose avec des pratiques informelles palliant les déficiences de l’action publique ou l’obligeant à composer dans un dialogue nouveau avec les populations.

La contribution d’I. Zaâfrane Zhioua témoigne de la gestion citoyenne des parcs et jardins de la capitale tunisienne dans le contexte d’une planification stratégique « en panne » et d’une occupation de l’espace accordant une faible place à l’équipement en espaces verts (4,17 m²/habitant pour le gouvernorat de Tunis en 2012, une proportion deux fois inférieure à la commune de Paris qui vise les 10 m²/habitant en 2040). Au désir de nature et d’espaces verts de qualité des habitants répond dès lors la prise de conscience qu’il n’adviendra pas sans l’engagement volontaire du plus grand nombre dans leur gestion et sans un respect de tous. Cette démocratie d’initiative ou démocratie d’interpellation2 participe à défendre ou à créer des jardins sur des espaces publics ouverts à tous. Elle répond à une diversité de besoins : la défense contre des nuisances environnementales (pollutions, bruit) ou des atteintes à l’environnement (disparition d’un jardin public), l’auto-production alimentaire, l’éducation environnementale ou tout simplement l’accès à un espace de contemplation, de repos ou de loisirs. L’auteure souligne la capacité des habitants à réaliser les intentions de la planification territoriale à défaut que cette réalisation advienne institutionnellement. L’action des habitants dans une forme d’urbanisme tactique peut-elle suppléer effectivement à un urbanisme stratégique porté par les pouvoirs publics ? En dépit des 180 associations environnementales existantes, certaines initiatives tunisoises reposant sur l’engagement d’une unique personne, cette espérance reste fragile.

À Hanoï, la rénovation des Khu Tập Thể (KTT), immeubles de logements collectifs subventionnés érigés des années 1950 au début des années 2000, interroge les conditions d’un urbanisme négocié dans un contexte de régime autoritaire. La rénovation des KTT est liée à la montée des exigences normatives en matière d’habitat alors qu’Hanoi cherche à tendre vers les standards des métropoles internationales, son Master Plan 2030-2050 poursuivant l’horizon d’une « ville verte, culturelle et moderne3 ». En jeu : la salubrité des conditions de vie et la résorption des pollutions environnementales liées à la dégradation des logements. Cependant, les habitants veulent conserver la jouissance d’un logement étendu illégalement tandis que les pouvoirs publics leur proposent une compensation basée sur la superficie initiale du logement et cherchent à dédensifier le centre-ville. Les auteurs démontrent qu’en dépit de la mise en place de dispositifs légaux pour accompagner les négociations entre les habitants, ces derniers, mis en cause dans leur capacité à accompagner la production de logements pour tous, ne peuvent agir de manière autoritaire, sans pour autant et que cela témoigne à ce stade d’une avancée démocratique réelle.

Notes

  1. Voir à ce titre l’ouvrage de Manon Loisel et Nicolas Pour en finir avec la démocratie participative (2024).
  2. Voir la notice du Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, la démocratie et la citoyenneté (2022). [en ligne] https://www.dicopart.fr/democratie-d-interpellation-2022
  3. Nguyen, Q. D. (2021). Nature et projets urbains à Hanoi : Quelle prise en compte pour quelle ville verte ? Thèse de doctorat en Aménagement du territoire, sous la direction de Helga-Jane Scarwell, Quốc Thông Nguyễn et de Divya Leducq, université de Lille en co-tutelle avec l’Université d’architecture d’Hanoï. [en intranet] https://theses.fr/2021LILUA022
Rechercher
Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9791030011302
ISBN html : 979-10-300-1130-2
ISBN pdf : 979-10-300-1131-9
Volume : 29
ISSN : 2741-1818
Posté le 20/12/2024
0 p.
Code CLIL : 3677
licence CC by SA

Comment citer

Bonneau, Emmanuelle, « Partie 2 – Urbanisme, aménagement et habitat coopératifs entre participation et négociation », in : Bonneau, Emmanuelle (éd.), L’urbanisme en transition : écologisation et coopérations, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, collection PrimaLun@ 29, 2024, 95-98, [en ligne] https://una-editions.fr/partie-2-urbanisme-amenagement-et-habitat-cooperatifs/ [consulté le 19/12/2024].
doi.org/10.46608/primaluna29.9791030011302.7
Illustration de couverture • illustration des rencontres organisées par l’Atelier des horizons possibles (© Emmanuelle Bonneau, 2021).
Retour en haut
Aller au contenu principal