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Politiques et actions publiques de lutte contre l’artificialisation des sols
Les angles morts de la Stratégie Sol Suisse

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La problématique de la dégradation du sol envisagé comme une interface composée d’éléments minéraux, d’humus, d’eau, d’air et d’organismes vivants entre la lithosphère et la biosphère compte parmi les enjeux environnementaux les plus critiques de notre époque (De Groot et al., 2002). Depuis les années 1970, une série de publications et de rapports scientifiques font en effet état d’une dégradation importante des sols du fait du prélèvement important de matière organique, de travaux de terrassement ou de remblayage et de l’augmentation des surfaces imperméabilisées, principalement dans les zones de chantiers, de réseaux routiers et ferroviaires, les lieux d’extraction ou de décharges de matériaux. La dégradation des différentes strates et/ou entités des sols et ses conséquences [l’infiltration des eaux pluviales est empêchée ou ralentit ce qui conduit à un phénomène d’érosion par ruissellement (Kundzewicz et al., 2014), la capacité de captation du CO2 est réduite, etc.] compromettent sérieusement les fonctions [support, habitat, réserve d’eau, production de biomasse, etc.] (Bünemann et al., 2018) et les services écosystémiques – socioculturels (esthétiques, récréatifs et de loisirs), de soutien (aux infrastructures, aux activités de loisirs, de détente, etc.), d’approvisionnement (de denrées alimentaires et fourragères, de bois et de fibres, etc.), de régulation hydrique (stockage et filtrage de l’eau), climatique (stockage du carbone) et géochimique (dégradation de matière organique en biomasse et de polluants) – du sol indispensables au maintien de la vie sur Terre.

Se focalisant sur la protection des sols en Suisse, cette recherche soulève plusieurs questions : dans quel état sont les sols suisses ? Quelles opérations politiques (adoption de nouvelles politiques publiques, institutionnalisation de nouvelles autorités, etc.), juridiques (ajustement du cadre législatif et réglementaire), techniques (déconstruire, dépolluer, désimperméabiliser, reconnecter fonctionnellement les écosystèmes naturels environnants, décompaction, séquestration du CO2 dans les roches profondes, bioremédiation de polluants, stimulation microbienne du capital biologique des sols agricoles, etc.) sont mises en œuvre pour assurer la protection des sols ? Cette recherche émet l’hypothèse que la lutte contre la dégradation des sols actuellement insuffisante appelle une réponse transversale entre secteurs « traditionnels » de l’action publique. Il s’agirait également de déterminer si le cadre législatif est suffisant pour garantir une protection plus homogène à travers le pays et assurer un suivi régulier de la qualité des sols avec des indicateurs précis et unifiés, et d’évaluer si le niveau de collaboration entre les cantons est suffisant pour éviter des pratiques divergentes compromettant les efforts nationaux. Les multiples enjeux portent tout à la fois sur la limitation de l’expansion urbaine et la densification des zones déjà construites, le développement d’infrastructures vertes dans les espaces urbanisés, la promotion de pratiques agricoles durables limitant l’utilisation de pesticides et de fertilisants chimiques, la restauration des sols pollués ou dégradés par des mesures de réhabilitation appropriées.

L’exploration se fait au travers de la documentation produite à différents échelons territoriaux par les représentants des pouvoirs publics, les experts en pédologie et aménagement du territoire, et plus généralement par la collecte de données produites dans l’espace public (interpellations publiques, articles de presse, mémoires, manifestes, prises de position publiques, etc.). Le travail d’enquête qualitative repose également sur des entrevues semi-directives ; cet exercice de dialogue, d’échange permet d’accéder directement aux discours des acteurs, de saisir leurs questionnements, le cheminement de leur pensée et leur logique d’action. Quelques observations directes permettent l’exploration des lieux et de suivre en situation l’engagement de différents acteurs dans l’action. Un contrôle par les pairs assure la qualité de la production scientifique, lors de la collecte, de l’analyse et de l’interprétation des données.

Mise à l’agenda politique international et européen de la protection des sols

La protection des sols s’inscrit progressivement à l’agenda politique international, notamment lors de la Conférence des Nations unies de Nairobi sur la désertification (1977), de la conférence de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture sur la réforme agraire et le développement rural (Etienne, 1979) et lors du Sommet de la Terre de Rio (1992) qui en fait une thématique centrale : les chapitres dix et quatorze de l’Agenda 21 formulent une série de recommandations, dont l’élaboration de politiques nationales et régionales assurant une meilleure gestion du sol (Nations unies, 1992). Différents programmes politiques sont adoptés au niveau européen, notamment la ratification de la Charte européenne des sols du Conseil de l’Europe en 1972. Suivant la communication « Vers une stratégie thématique en faveur de la protection des sols » (2002), la Commission européenne élabore une proposition de directive-cadre Sol (2006) avant de fixer certains objectifs de protection des sols dans sa Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources (2011). Il s’agit d’ici à 2050 de réduire l’érosion des sols, d’augmenter leur teneur en matières organiques, d’accélérer les travaux d’assainissement des sites contaminés et de limiter, atténuer ou compenser l’imperméabilisation des sols : en 2006, l’imperméabilisation totale touchait 2,3 % du territoire européen et plus généralement en 2015 l’artificialisation du sol concernait 4,4 % du territoire de l’Union européenne, soit une augmentation de 0,3 % en 6 ans (Prokop et al., 2011). Une stratégie intersectorielle spécifique de gestion durable et de protection des sols à l’horizon 2030 puis 2050 est subséquemment adoptée en 2021 ; tout à la fois articulée à la stratégie « De la ferme à la table », à la stratégie pour les forêts, à la stratégie en faveur de la biodiversité et à la stratégie pour l’adaptation au changement climatique, celle-ci souligne le rôle des sols dans la production d’aliments et de biomasse, la captation et le stockage de carbone, la réduction des risques d’inondation et de sécheresse ou encore le maintien d’habitats essentiels à la vie et à la biodiversité (Commission européenne, 2021).

Ces différentes stratégies d’orientation politiques influent sur l’adoption de programmes politico-administratifs au niveau des États membres et des États partenaires. Différentes cartographies (l’inventaire paneuropéen CORINE Land Cover, le Land Use/Cover Area frame statistical Survey et le Urban Area Zoning database en France, le projet de Cartographie numérique des sols de Wallonie en Belgique, etc.) sont ainsi établies ou complétées ; elles distinguent principalement les sols non artificialisés – les sols nus (sable, galets, roches, pierres, etc.) ou couverts en permanence d’eau, de neige ou de glace, les sols formant un habitat naturel ou encore les sols à usage agricole ou sylvicole (Teruti-Lucas, 2015) – des sols artificialisés affectés à différents usages (récréatif, résidentiel, commercial, industriel ou destinés à accueillir différents types d’infrastructures et d’installations), partiellement ou totalement recouverts de revêtements imperméabilisants.

Si l’approche demeure principalement surfacique (zonage) ; seuls quelques pays tels l’Allemagne ou les Pays-Bas sont en effet depuis longtemps dotés de politiques et d’actions ciblées reposant sur des diagnostics pédologiques élaborés (Perret et al., 2015) ; la question de la protection et de la gestion des sols s’envisage progressivement de façon plus intégratrice (Blanchart, 2019). Des mesures pédologiques complémentaires caractérisent non seulement les constituants des sols (minéraux, matières organiques), leur agencement (granulométrie, structure, porosité), leurs propriétés physiques (transfert de l’eau et de l’air), chimiques (rétention des ions, pH) et biologiques (activité des micro-organismes), mais visent également à préciser les variations des teneurs en matières organiques, du taux de compaction et du niveau de perméabilité afin de déterminer leur capacité de filtration de l’eau, mais encore de lutte contre les risques de ruissellement et d’érosion hydrique. Elles tendent également à renseigner sur l’évolution de la biodiversité des sols ; la très grande diversité de ces micro-organismes est essentielle au bon fonctionnement des écosystèmes terrestres (cycles biogéochimiques, fertilité, régulation des flux de gaz et d’eau…) ; sur l’évolution de leur pH (souvent supérieurs à 7 pour les sols urbains et des infrastructures de transport ou au contraire acides à très acides pour les sols miniers et industriels) ou encore sur leur degré de pollution [les éléments-traces métalliques comme le zinc, le cuivre, le cadmium, le plomb, le nickel, et le chrome sont à cet égard les plus fréquents dans les sols industriels, urbains et miniers] (Béchet et al., 2017).

La protection des sols en Suisse

Un état des lieux des sols suisses

Comme le révèlent notamment trois programmes nationaux de recherche (PNR22, 54, 68) conduits depuis la fin des années 1980, le sol suisse est soumis à de fortes pressions, en raison de la position géographique de la Suisse au cœur de l’Europe, de la superficie de son territoire et de la concentration de sa population : entre 1985 et 2018, les surfaces d’habitat et d’infrastructure (composées d’espaces bâtis, industriels et commerciaux, de surfaces de transport et de détente qui représentent actuellement une superficie de 3271 km², soit 8 % de la surface totale du pays) ont augmenté de près d’un tiers (+776 km2) à l’échelle nationale [les aires d’habitation ont même connu une croissance de 61 %, deux fois plus rapide que celle de la population] (Office fédéral de la statistique, 2021b). L’extension des surfaces d’habitat et d’infrastructure s’est réalisée principalement au détriment des surfaces agricoles qui ont de 1985 à 2018 diminué d’environ 1160 km2 : deux tiers environ de celles-ci ont été urbanisées, le tiers restant ayant été gagné par les bois, les forêts et autres espaces naturels à la suite d’abandon d’exploitations (Office fédéral de la statistique, 2021a). Près des deux tiers de ces surfaces ont été recouverts de béton, d’asphalte, de ciment ou d’autres types de revêtements ne laissant passer ni les liquides ni les gaz : les surfaces imperméabilisées ont ainsi augmenté de 40 % (594 km2) entre 1985 et 2018 privant tout à fait les sols impactés de leurs fonctions productives, régulatrices, de filtrage et de transformation (Office fédéral de la statistique, 2021c).

L’urbanisation, le développement des infrastructures de transport, la circulation des engins agricoles et forestiers de plus en plus lourds, etc., ont également entraîné une compaction qui déstructure les sols et compromet les processus biologiques qui s’y déroulent : l’eau ne s’y infiltre plus et l’air peine à y circuler, les processus de décomposition et le développement des racines sont entravés, etc. Touchant particulièrement les zones à forte déclivité, les terres assolées ainsi que les surfaces de production maraîchère intensive, l’érosion (généralement due à une exploitation agricole inadaptée aux conditions locales) s’est également aggravée en emportant de grandes quantités de précieuse terre arable qui engendre des pertes économiques pour les agriculteurs et endommage les infrastructures (ex. : routes, systèmes de drainage, etc.) en les recouvrant et en obstruant de fines boues tout en provoquant l’eutrophie des eaux et leur pollution par le charriage de terre saturée en produits phytosanitaires et engrais (Office fédéral de l’environnement, 2021a). L’exploitation des sols tourbeux par l’industrie agricole s’est également accélérée : perturbés, drainés, les sols tourbeux se sont ainsi désintégrés en libérant de grandes quantités de dioxyde de carbone, plus exactement 0,7 million de tonnes d’équivalent CO2 par an, soit 1,5 % des émissions totales de gaz à effet de serre de la Suisse (Office fédéral de l’environnement, 2021b).

L’état qualitatif des sols s’est également dégradé du fait de la pollution de l’air, des dépôts de poussières par les eaux pluviales, de l’utilisation de produits phytosanitaires, d’engrais minéraux et du fait de l’élimination illégale des déchets, etc. Les concentrations de chlore (d’usines de fabrication), de zinc et de cuivre (employés comme complément alimentaire et stimulateur de performance pour les animaux de rente) dans le sol n’ont cessé de croître en raison de l’emploi généralisé d’engrais de ferme [en particulier le lisier de porc et le fumier de bovin] (Office fédéral de la statistique, 2023). La teneur en produits phytosanitaires (53 % de fongicides, 21 % d’herbicides, 19 % d’insecticides) a également atteint des niveaux inquiétants (2259 tonnes de substances phytosanitaires ont été vendues en 2021) en raison des conditions météorologiques propices à la prolifération de maladies (Office fédéral de la statistique, 2022). Les substances per- et polyfluoroalkylées ont également fortement augmenté depuis les années 1970 (l’origine exacte n’est toujours pas identifiée). Ces niveaux de pollution du sol ont gravement atteint sa fertilité, perturbé la croissance des plantes tout en constituant une sérieuse menace pour la santé de l’homme et des animaux : ces particules et substances restent en effet stockées dans le sol sur de très longues périodes (Bircher et al., 2019) en exerçant par ailleurs une forte pression sur les eaux souterraines, près de 60 % des sites se trouvent à proximité d’eaux souterraines utilisables (Office fédéral de l’environnement, 2021b).

Politiques sectorielles visant à protéger les sols en Suisse

La destruction et la dégradation des sols en Suisse alertent les experts des sols dès les années 1960–1970 ; la Société suisse de pédologie en particulier se mobilise pour que la protection des sols soit cadrée dans des lois. Visant à concrétiser les objectifs constitutionnels (art. 75 Cst, ancien 22 quater de la version de 1969) d’utilisation mesurée (en limitant le dézonage de terres agricoles au profit des zones à construire) et judicieuse du sol (suivant une pesée des intérêts et compte tenu des caractéristiques et fonctions du sol) et d’occupation rationnelle du territoire (en coordonnant les politiques à incidence territoriale), la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire assure la protection des sols par le zonage qui précise l’affectation des usages autorisés. La loi fait ainsi obligation à chaque canton d’adopter un plan directeur, le plus souvent complété de plans sectoriels (du logement, du travail, de la mobilité, des loisirs, de la préservation des terres agricoles, du paysage et de l’environnement), de plans d’affectation, de plans de quartier, etc. A minima, quatre zones différentes doivent être distinguées. Les zones à bâtir concernent les terrains déjà largement bâtis ou aptes à la construction, soit les terrains favorables à l’habitat, parés contre les atteintes nuisibles ou incommodantes (pollution de l’air, bruit, trépidations, etc.), équipés des infrastructures collectives nécessaires, harmonieusement aménagés. Les zones agricoles comprennent les terrains prêtés à l’exploitation agricole ou horticole et ceux qui doivent être voués à l’agriculture dans l’intérêt général. Les zones à protéger englobent les cours d’eau, les lacs, les rives, les paysages d’une beauté particulière, les paysages d’un grand intérêt pour les sciences naturelles ou d’une grande valeur en tant qu’éléments du patrimoine culturel, les localités typiques, les lieux historiques, les monuments naturels ou culturels ainsi que les biotopes des animaux et des plantes dignes d’être protégés. Les zones réservées concernent enfin des territoires dont l’affectation ne peut pas encore être déterminée judicieusement à titre définitif.

Complétant ces dispositions, une réglementation sur les constructions précise les usages autorisés : destination (logements, bureaux, commerces, industries, etc.), type de constructions (aspect, abords, volumétrie, implantation, distances, etc.), indice d’utilisation (densité), etc. Avant d’initier la construction de certaines installations spécifiquement désignées par le Conseil fédéral – 70 types d’installations dans les domaines des transports, de l’énergie, des constructions hydrauliques, de l’élimination des déchets, de la construction et de l’installation militaires, du sport, du tourisme et des loisirs ou encore de l’industrie – des études d’impact sur l’environnement doivent par ailleurs (depuis 1986) être conduites au préalable ; c’est l’autorité compétente pour l’approbation de la construction de l’installation qui évalue avec les services spécialisés concernés sa compatibilité avec les dispositions légales de protection de l’environnement (Office fédéral de l’environnement, 2009). Il s’agit dans tous les cas d’identifier les caractéristiques des sols, d’établir l’épaisseur des couches supérieures et sous-jacentes, de mesurer le niveau de pollution (et de contacter le service cantonal le cas échéant), de délimiter les zones de passage et les sites d’entreposage (pour éviter la compaction du sol), d’évaluer les volumes terreux à décaper, de manipuler ces volumes en respectant les successions naturelles du sol (remblais, sous-sol, sol), de planifier leur valorisation, de définir les objectifs de remise en culture des sols, d’ensemencer le plus rapidement possible les sols, etc. (Cercle sol, 2018). Les mètres cubes de couche supérieure propre (quelque 4 millions par année) et les mètres cubes de couche sous-jacente excavés (quelque 11 millions annuellement) lors de projets de construction doivent de surcroît intégralement être valorisés ; si la consommation de sol pour les constructions cause la perte des fonctions du sol, celle-ci doit nécessairement être compensée par des mesures de restauration de sols dégradés et de réhabilitations de sols imperméabilisés (Office fédéral de la statistique, 2021a).

La protection des sols agricoles représente également un enjeu de première importance. Sur la base de la Loi sur l’agriculture, différentes dispositions ont ainsi été adoptées ; l’octroi de paiements directs permettant de distinguer la politique des prix du marché de la politique des revenus considérés en Suisse comme équitables est à cet égard non seulement conditionnel du maintien d’un approvisionnement alimentaire sûr de la population, mais encore de la mise en œuvre de mesures de promotion de formes de production limitant l’utilisation de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques, respectueux des sols, des ressources naturelles, de la biodiversité et de la diversité des paysages. Pour limiter l’érosion du sol qui excède nettement le taux de formation des sols (environ 20 % des terres assolées en Suisse sont menacées par l’érosion), des cartes du risque d’érosion ont été établies sous la direction de l’Office fédéral de l’environnement et de l’Office fédéral de l’agriculture ; elles sont périodiquement mises à jour par les universités de Bâle et de Berne, en collaboration avec Agroscope Reckenholz (Office fédéral de l’environnement, Office fédéral de l’agriculture, 2013). Il s’agit de prévenir les glissements de terrain qui touchent entre 6 et 8 % du territoire suisse; l’eutrophisation des eaux qui en résulte touche 98 % des hauts-marais, 95 % des forêts, 76 % des bas-marais et 49 % des prairies sèches sont touchés. Plus généralement, différentes dispositions visent à limiter les atteintes physiques portées au sol, y compris les risques de compaction ; en matière de sylviculture, la Loi sur les forêts vise par exemple à limiter les atteintes physiques causées par les engins forestiers ; différents indicateurs d’une circulation respectueuse des sols forestiers ont ainsi été développés en tenant compte des conditions générales de l’exploitation forestière, de données pédologiques connues et de résultats récents de la recherche en biologie du sol (Office fédéral de l’environnement, 2016).

La loi sur la protection de l’environnement de 1983 et son ordonnance d’application (Ordonnance sur les atteintes portées au sol) visent spécifiquement à protéger la fertilité des sols. Un sol est considéré fertile à l’article 2 de ladite ordonnance s’il présente une structure, une succession et une épaisseur typiques pour sa station : la disposition et la cohésion (regroupement en agrégats) de ses composants minéraux et organiques fixes structurent des cavités appelées pores (jusqu’à 50 % du volume total) qui en déterminent le régime hydrique, l’aération, le degré de compaction et la portance. Un sol est considéré fertile s’il présente également une biocénose diversifiée et biologiquement active et s’il dispose d’une capacité de décomposition intacte : d’innombrables auxiliaires, les lombrics, des champignons et des bactéries recyclent les « déchets » organiques et produisent ainsi du substrat, tout en fournissant aux plantes les nutriments dont elles ont besoin. À cet égard, un groupe de travail « Biologie du sol – application » (BioSA) a été institué en 1995 à l’initiative de l’Office fédéral de l’environnement et des services cantonaux compétents afin d’évaluer la bonne mise en œuvre de la législation ayant un impact sur la protection de la biologie du sol (Groupe de travail Biologie du sol – application, 2009). Un sol fertile doit en outre permettre aux plantes et aux associations végétales naturelles ou cultivées de croître et de se développer normalement. Il doit permettre la production de fourrages et de denrées végétales de bonne qualité et ne présenter aucune menace pour la santé de l’homme et des animaux.

Afin de protéger les sols des atteintes chimiques diffuses résultants de la pollution de l’air, des dépôts de poussières par les eaux pluviales, de l’utilisation de produits phytosanitaires, d’engrais minéraux et du fait de l’élimination illégale des déchets, plusieurs mesures ont été adoptées sur la base de la loi sur la protection de l’environnement, notamment l’introduction des pots catalytiques à partir de 1987, la suppression du plomb dans l’essence dès le 1er janvier 2000, l’épuration systématique (par lavage) des fumées rejetées par les usines d’incinération depuis les années 2000 ainsi que la réduction dès 2015 de la teneur en cadmium des engrais phosphatés. Pour limiter les atteintes chimiques persistantes produites par l’industrie agricole (lisiers et fumiers, antibiotiques, produits phytosanitaires) ; les produits phytosanitaires touchent pratiquement l’ensemble des herbages intensifs, des terres assolées et des sites viticoles ; le Conseil fédéral a également élaboré un plan d’action visant à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires (Conseil fédéral, 2017) : les risques liés aux produits phytosanitaires devront être réduits de 50 % d’ici 2027 par rapport à la valeur moyenne des années 2021 à 2025. Des efforts ont également été déployés pour modérer l’utilisation d’engrais minéraux phosphatés. En ce qui concerne les atteintes chimiques persistantes produites par l’industrie et l’artisanat ; ces particules et substances qui restent stockées dans le sol sur de très longues périodes touchent tous les sols en Suisse, avec des concentrations particulièrement élevées en bordure des routes à fort trafic (Bircher et al., 2019) ; les cantons et la Confédération se sont attelés à l’établissement de cartographies dédiées : près de 38.000 sites pollués, dont 40 % d’anciennes décharges, 50 % d’aires industrielles, 10 % d’installations de tirs couvrant une surface de quelque 225 km2 (0,6 % du territoire suisse), devront être sécurisés ou décontaminés d’ici environ 2040. Après l’inscription au cadastre, l’autorité examine si le site doit faire l’objet d’une investigation – dans la plupart des cas (55 %), le site pollué ne représente pas de danger pour l’environnement – s’il doit être surveillé (dans 26 % des cas) voire assaini (4000 sites nécessiteront probablement un assainissement, 1700 ont déjà été assainis) par excavation et traitement des matériaux pollués ou par confinement et traitement in situ (un cinquième des assainissements sont réalisé in situ). Il incombe au « perturbateur par comportement » (véritable responsable) d’assumer les coûts de l’assainissement (dont la responsabilité est toutefois difficile à retracer dans le temps) et à défaut au « perturbateur par situation » (détenteur du site) avec le soutien de la Confédération qui dispose d’un fonds dédié alimenté par une taxe prélevée sur les déchets mis en décharge (Office fédéral de l’environnement, 2023).

De nouvelles mesures contre la dégradation des sols

Malgré l’adoption de ces différentes mesures, les objectifs visant à protéger les sols n’ont pas été atteints ; entre 1985 et 2018, les surfaces d’habitat et d’infrastructure ont augmenté de près d’un tiers (+776 km2), les surfaces imperméabilisées ont augmenté de 40 % (594 km2). La demande de terrain pour l’habitat, les transports, le travail, l’approvisionnement et les loisirs en constante augmentation est en effet largement satisfaite par les communes qui non seulement planifient et réalisent des équipements collectifs débordant de leur zone à bâtir, mais octroient encore avec (trop de) facilité des permis de construire dans les territoires situés hors de la zone à bâtir : 37 % de la surface d’habitat et d’infrastructure qui représente au total 7,5 % du territoire national se situe en dehors de la zone à bâtir alors que les zones à bâtir non construites existantes et les surfaces déjà construites peuvent à densité constante respectivement accueillir 1,6 million et 1,1 million de personnes supplémentaires, soit absorber la croissance démographique attendue d’ici à 2050 (Rühli, 2022). Les zones construites sont en effet sous-utilisées, notamment en raison de pratiques de spéculation (les terrains en zone à bâtir sont achetés pour être revendus ultérieurement sans avoir été construits) et de thésaurisation [le terrain n’est pas construit pour des raisons sentimentales, de convenance en termes de qualité de vie, en raison de désaccords entre les héritiers, etc.] (Kyriacou et al., 2009). Plusieurs dispositions correctrices ont ainsi été adoptées. En cohérence avec la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire révisée en 2014, les plans directeurs cantonaux doivent désormais préciser les choix opérés en matière de délimitation de la zone à bâtir au regard d’une forme de cohérence à l’échelle du territoire régional et compte tenu de la nécessité de limiter l’extension du tissu urbain : l’urbanisation doit opérer à l’intérieur du milieu bâti, la densification urbaine est prioritaire, la reconversion des friches industrielles et artisanales situées à près de 80 % dans les régions urbaines du Plateau et représentant une superficie de 150.000 hectares doit être accélérée. Pour lutter contre le phénomène de sous-utilisation de la zone à bâtir, la loi impose aux propriétaires un délai pour initier (et finaliser) leur projet de construction ; les terres non bâties à l’échéance sont soit réaffectées en zone agricole ou éventuellement sujettes à l’exercice d’un droit de préemption au bénéfice des communes. Les constructions de résidences secondaires dans les communes où elles représentent plus de 20 % des logements sont par ailleurs prohibées (en vertu de la Loi fédérale sur les résidences secondaires entrée en vigueur en 2016). Pour limiter les pratiques de thésaurisation et de spéculation, la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire révisée pose également les bases nécessaires au prélèvement d’une taxe (20 % au minimum) sur les plus-values générées par des changements d’affectation ou par des possibilités nouvelles de construire qui apportent un avantage majeur au propriétaire. Lorsque des surfaces doivent néanmoins être bâties à l’extérieur des zones construites en raison d’un intérêt supérieur prépondérant, les constructions doivent être réalisées sur des sols déjà dégradés et peu productifs, sur des sols présentant une fonction de régulation réduite ou une valeur moindre en tant qu’habitat naturel (selon les termes de la Stratégie Sol Suisse).

Entre 1985 et 2018, les surfaces agricoles ont également diminué d’environ 1160 km2. L’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays a ainsi décidé d’évaluer, en collaboration avec Agroscope et un large cercle d’experts, le potentiel actuel des 14.525 km² de surface agricole (60 % de prairies naturelles, de pâturages et de surfaces d’alpage, 27 % de terres arables, 3 % de surfaces consacrées à l’arboriculture, la viticulture et l’horticulture), soit 36 % du territoire national, avec l’objectif d’identifier les terres présentant le potentiel de rendement agricole le plus important [438.460 hectares pour l’ensemble de la Suisse] (Office fédéral du développement territorial, 2020). En fonction de sa taille et de ses conditions géographiques et climatiques, chaque canton est désormais tenu de garantir un certain contingent de ces surfaces d’assolement ; en cas de consommation ou d’altération de ces surfaces, la perte doit impérativement être compensée (Schmidiger et al., 2021).

Le Conseil fédéral a également adopté en 2020 la Stratégie Sol Suisse élaborée par les Offices fédéraux de l’environnement, de l’agriculture, du développement territorial, des routes, de l’énergie en coordination avec d’autres services fédéraux et des experts des cantons (Conseil fédéral suisse, 2020). Celle-ci vise à renforcer la cohérence de l’ensemble des politiques sectorielles ayant une incidence sur la qualité des sols (l’aménagement du territoire et les constructions, l’agriculture et les forêts, la protection de l’environnement, les atteintes physiques, chimiques ou biologiques persistantes). La Stratégie Sol Suisse vise par ailleurs à réduire la consommation des sols (zéro consommation nette de sol à l’horizon 2050). La consommation de sol est jaugée à l’aune de la progression de l’imperméabilisation des surfaces dans l’ensemble du territoire suisse ; cet indicateur est jugé pertinent dès lors qu’un sol imperméabilisé n’assure plus ses fonctions naturelles. La Stratégie Sol Suisse met à cet égard l’accent sur trois principales « fonctions du sol » : la fonction d’habitat, soit la capacité du sol à servir de milieu de vie pour les animaux, les plantes et autres organismes, la fonction de production, soit la capacité du sol à produire de la biomasse sous forme de denrées alimentaires et fourragères, de bois et de fibres, la fonction de régulation, soit la capacité du sol à réguler les cycles de l’eau, des substances et de l’énergie, à assumer une fonction de filtre, de réservoir (stockage), et sa capacité à transformer les substances. Ces objectifs participant de la mise en œuvre d’une gestion durable des sols sont réitérés en 2021 dans la Stratégie pour le développement durable 2030 et le plan d’action 2021-2023 qui va de pair (Conseil fédéral, 2021). Afin de combler les connaissances pédologiques lacunaires actuellement disponibles ; il n’existe en effet de cartes pédologiques d’une qualité suffisante seulement pour 13 % des surfaces agricoles et la situation est encore pire dans le cas des forêts (Office fédéral de l’environnement, 2021b) ; le Conseil fédéral a également approuvé en mars 2023 un relevé uniformisé, fiable et couvrant l’ensemble du territoire de mesures pédologiques (Conseil fédéral, 2023).

Des améliorations qui demeurent insatisfaisantes

Malgré l’objectif de densification à l’intérieur des zones à bâtir existantes, l’objectif d’une consommation nette de sol à l’horizon 2050 fixé par la Stratégie Sol Suisse et le Plan d’action 2021-2023 relatif à la Stratégie pour le développement durable 2030 (Conseil fédéral, 2021), la consommation de surfaces pour les zones à bâtir a encore progressé entre 2017 et 2022 de près de 2.300 hectares alors qu’entre 22.500 et 36.100 hectares de zones à bâtir sont non construits : 46 % des zones à bâtir non construites se trouvent dans les communes urbaines, 29 % dans les communes périurbaines et 25 % dans les communes rurales (Office fédéral du développement territorial, 2022). La majorité de ces nouvelles zones à bâtir ont été imperméabilisées. Pour compenser cette artificialisation des sols, les cantons et communes doivent désimperméabiliser d’autres surfaces ; ni la Stratégie Sol Suisse ni la Stratégie pour le développement durable 2030 ne définissent toutefois la notion de désimperméabilisation en laissant apriori supposer qu’un stade qualitatif satisfaisant est atteint lorsque les opérations de réhabilitation permettent de retrouver certaines fonctions écosystémiques et/ou lorsqu’elles permettent de compenser les pertes de fonctionnalités des sols impactés (Desrousseaux et al., 2019). Aucun indice de qualité des sols ne précise cependant à quoi correspond un stade qualitatif satisfaisant, comme le regrette un porte-parole de qualite-sols.ch. Aucune directive, aucun règlement ne précise non plus comment désimperméabiliser un sol, ce qui en complique l’opérationnalisation. Apriori, les mesures correctrices devraient concomitamment dépendre du type d’espace concerné (urbain dense, péri-urbain, rural) et des usages envisagés (activités tertiaires, industrielles, de transport, d’habitation, etc.) : retrait des revêtements d’asphalte bitumeux ou bétonneux et remplacement par de l’asphalte poreux, des dalles de béton perméables associées à des fossés de drainage, de l’empierrement, des revêtements en bois, du paillis à base d’écorce d’arbres ou de résidus ligneux structurés, des herbages renforcés par des treillis de gravier, une couverture végétale complète, etc. Toutefois, s’il est possible en retirant les revêtements imperméabilisants d’améliorer la capacité d’infiltration d’un sol, sa structure et sa fertilité sont toutefois irrémédiablement compromises et les substances étrangères telles que le béton, le goudron et des particules de plastique qui s’y sont infiltrées demeurent le plus souvent indélogeables. Lors de chantiers, les maîtres d’œuvre et maîtres de chantier doivent par ailleurs précisément délimiter des zones de passage et des sites d’entreposage pour éviter la compaction du sol ; les volumes terreux décapés doivent également être manipulés en respectant les horizons naturels du sol et valorisés sur d’autres sites. Comme le déplore une porte-parole de l’Institut des technologies de l’environnement construit de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg, il s’agit là d’un vœu pieux, les différents intervenants sur un chantier étant insuffisamment sensibilisés sur la nécessité de protéger les sols, mal coordonnés. Les dispositions de l’Ordonnance sur la limitation et l’élimination des déchets ne précisent par ailleurs ni comment, ni sur quels sites valoriser ces volumes terreux.

L’amélioration de la protection des terres agricoles n’est pas plus satisfaisante. Si la politique agricole vise par le programme d’utilisation durable des ressources de l’Office fédéral de l’agriculture (2022) à favoriser le développement de pratiques culturales respectueuses des sols (Office fédéral de l’agriculture, 2021), le perfectionnement des modes et des techniques de gestion durables des sols, la réactualisation d’approches holistique et intégrée des sols et de leurs usages qui accompagnent notamment le développement de l’agriculture de conservation demeurent en effet toujours à l’état prototypique (Office fédéral de l’agriculture, Secteur Systèmes agro-environnementaux et éléments fertilisants, 2021). La teneur en humus des sols continue également à décliner ; l’Ordonnance sur les paiements directs qui impose aux exploitants agricoles d’effectuer périodiquement des analyses et d’adopter conséquemment des mesures correctrices reste sans effet dès lors qu’elle ne fixe aucun objectif quantitatif ou qualitatif précis. Avec une moyenne de 14,2 t/ha/an, le problème de l’érosion est également loin d’être endigué (Office fédéral de l’agriculture, 2021), en raison de pratiques agricoles inadaptées, de la disparition des surfaces des cultures pérennes situées hors des terres assolées (fruiticulture, viticulture, culture des petits fruits, plantes aromatiques et médicinales), des prairies naturelles et des pâturages qui permettent de diminuer l’impact des gouttes de pluie, d’augmenter la capacité d’infiltration tout en consolidant le sol par le développement du système racinaire. En ce qui concerne le phénomène de compaction du sol causé par l’utilisation d’engins de plus en plus lourds, notamment dans l’agriculture et la sylviculture, les cantons sont tenus conformément à l’Ordonnance sur les atteintes portées aux sols de prendre les mesures de fragmentation sans retournement qui s’imposent ; les informations utiles à l’opérationnalisation de ces mesures techniques de décompactage ainsi que les valeurs indicatives du niveau acceptable de compaction des sols font toutefois défaut. Par ailleurs, si la couche supérieure du sol compacté (les premiers 50 centimètres) peut être rétablie, la compaction des couches inférieures du sol est généralement irréversible.

Déterminante pour assurer dans chaque canton une mise en œuvre cohérente des mesures de protection et de gestion durable des sols, la cartographie nationale des qualités pédologiques des sols est une initiative louable, elle peut prendre toutefois plusieurs décennies. La phase 0 initiée en 2014 qui doit permettre d’adapter les bases juridiques, de clarifier la logistique et l’opérationnalisation technique des prises des échantillons et des données selon les critères élaborés par le Centre national de compétences sur les sols institutionnalisé en 2019, de développer les capacités des laboratoires pour la cartographie des sols et de poser une clef de répartition des coûts y relatifs s’achèvera en 2028 (Offices fédéraux de l’environnement et du développement territorial, Office fédéral de l’agriculture, 2023). Sur la base notamment des cartographies détaillées déjà existantes dans sept cantons (BL, BS, LU, SO, VD, ZG et ZH), du modèle altimétrique de Swisstopo – ce modèle de géodonnées propose désormais de façon uniforme pour toute la Suisse un système de traitement et d’échange des données – et des jeux de données des satellites Landsat et Sentinel, le travail de cartographie proprement dit (phase 1) se déroulera ensuite en six étapes : préparation des données environnementales et des géodonnées ; élaboration de la carte de modèle conceptuel, y compris plan d’échantillonnage ; cartographie des sols et mesures à l’aide de capteurs (carottage) ; mesures de laboratoire (structure, proportions d’argile, de limon, de sable et de roches dans les différents « horizons », pH, sensibilité au compactage, capacité de stockage de l’eau, etc. ; élaboration de cartes; interprétation. La phase 2 (suivi) destinée au post-traitement et à la validation des données parachèvera enfin d’ici 2050 ce travail de cartographie, ce qui est évidemment beaucoup trop tardif pour assurer une réelle protection des sols présentant le meilleur profil pédologique.

Remarques conclusives

En l’absence de législation-cadre spécifique, la protection des sols s’est déployée de manière diffuse par secteur d’activités, en particulier dans les domaines de l’aménagement du territoire et de la construction (limitation de la consommation des sols, prise en considération des bases et données relatives à la qualité du sol dans le cadre des activités à incidence territoriale, préservation des fonctions écologiques dans le milieu bâti), de l’agriculture (éviter la compaction, l’érosion et la perte de matière organique des sols, limiter les risques liés à l’utilisation des produits phytosanitaires, d’engrais), des forêts (compaction des sols), ainsi qu’en matière de dépollution des sols contaminés (en particulier certaines friches industrielles). Appréhendée de façon éparse et fragmentaire, la protection des sols s’est organisée sur la base de programmes politiques et administratifs loin d’être adéquatement coordonnée les uns aux autres, répondant à des objectifs parfois contradictoires. S’il ne trahit pas nécessairement une forme d’absence de véritable volonté politique à agir, cet état de fait demeure loin d’être suffisant : le bilan des mesures de protection laisse pour le moins songeur alors que les effets de la dégradation des sols sont perceptibles et dénoncés depuis les années 1960-1970 déjà. Entre 1985 et 2018, les surfaces imperméabilisées ont augmenté de 40 % (594 km2), privant tout à fait les sols recouverts de leurs fonctions productives, régulatrices, de filtrage et de transformation. Les surfaces agricoles ont diminué durant la même période d’environ 1160 km2. Le degré de compaction et d’érosion des sols s’est détérioré, la quantité d’humus a diminué, compromettant ainsi la fertilité et le rendement agricole des sols. La pollution du sol s’est par ailleurs aggravée ; les concentrations de chlore, de zinc, de cuivre, de produits phytosanitaires et de substances per- et polyfluoroalkylées n’ont cessé d’augmenter, constituant désormais une sérieuse menace pour la santé de l’homme et les écosystèmes.

Adoptée en 2020, la Stratégie Sol Suisse vise justement à assurer une plus grande cohérence à l’ensemble de ces politiques sectorielles. Elle fixe également un objectif général de zéro consommation nette de sol d’ici à 2050 sans pour autant clairement définir cette notion qui semble tout à la fois concerner la protection de certaines fonctions du sol, en particulier les fonctions d’habitat, de production et de régulation, et une limitation de l’imperméabilisation des surfaces. La notion d’imperméabilisation non expressément définie renvoie par ailleurs à divers types de couverture du sol et donc à des mesures de réhabilitation différentes. Atteindre l’objectif de zéro consommation nette par des mesures de compensation demeure par ailleurs insuffisant : s’il est possible en retirant les revêtements imperméabilisants d’améliorer la capacité d’infiltration d’un sol, sa structure et sa fertilité sont irrémédiablement compromises et les substances étrangères telles que le béton, le goudron et des particules de plastique qui s’y sont infiltrées demeurent le plus souvent indélogeables. La date butoir (2050) pour atteindre l’objectif de zéro consommation nette semble par ailleurs arrêtée beaucoup trop loin dans le temps. Un relevé de données pédologiques couvrant l’ensemble du territoire national a également été décidé : nécessaires à la prise de décision en matière de protection des sols, les cartes pédologiques produites ne seront toutefois mises à disposition que dès la deuxième phase (2028-2050) consacrée au post-traitement et à la validation des données, ce qui semble évidemment trop tardif. Si la lutte contre la dégradation des différentes strates et/ou entités du sol et du sous-sol constitue l’un des enjeux environnementaux les plus critiques de notre époque, la Stratégie Sol Suisse semble ainsi clairement insuffisante pour y apporter une solution satisfaisante.

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Chapitre de livre
EAN html : 9791030011302
ISBN html : 979-10-300-1130-2
ISBN pdf : 979-10-300-1131-9
Volume : 29
ISSN : 2741-1818
Posté le 20/12/2024
15 p.
Code CLIL : 3677
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Comment citer

Jakob, Fabien, « Politiques et actions publiques de lutte contre l’artificialisation des sols. Les angles morts de la Stratégie Sol Suisse », in : Bonneau, Emmanuelle (éd.), L’urbanisme en transition : écologisation et coopérations, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, collection PrimaLun@ 29, 2024, 17-32, [en ligne] https://una-editions.fr/politiques-et-actions-publiques-de-lutte/ [consulté le 19/12/2024].
doi.org/10.46608/primaluna29.9791030011302.3
Illustration de couverture • illustration des rencontres organisées par l’Atelier des horizons possibles (© Emmanuelle Bonneau, 2021).
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