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Psychologie et urbanisme, une approche par les vulnérabilités psychiques et relationnelles

par

Introduction : une psychologue en urbanisme

J’ai commencé à approcher l’urbanisme en 2013 au laboratoire Groupe de recherche en psychologie sociale de l’université Lyon 2, en participant à la recherche « Climats urbains et sentiment d’insécurité1 » en lien avec la direction de la sécurité publique de la ville de Lyon. Nous cherchions à répondre à cette problématique : étant donné qu’il n’y a pas de corrélation entre le sentiment d’insécurité et les mesures quantitatives des faits délictueux relevés par quartier, qu’est-ce qui, dans l’interaction entre humains et avec l’environnement urbain fait que nous nous sentons en sécurité ou non ? Et ce, afin de consolider les protocoles d’enquête de l’Observatoire local de la sécurité.

Puis, de 2015 à 2019, j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec la SNCF sur le réseau Transilien à Paris et dans d’autres grandes gares de province2 sur les comportements des voyageurs (fumeurs en queue de train, positionnement à quai, tri des déchets, flux voyageurs, validation, orientation dans l’espace, usages des espaces et attentes, période de travaux, colis suspects). Surfant sur la vague des nudges3, nous4 avons réalisé différentes expérimentations en milieu réel qui ont mis à l’épreuve nos compétences de psychologues sociales et développé nos compétences de psychologues environnementales. En parallèle d’une démarche ingénieure visant à répondre à des problèmes concrets, nous osons aborder les espaces et moments en gares et à bord des trains comme des façons d’être en relation et donc qui ont un impact majeur sur notre santé sociale et psychique. C’est finalement en 2021 que je commence à explorer les questions d’urbanisme proprement dites au travers des questionnements d’acteurs de la prévention et promotion en santé environnementale sur la manière dont les villes impactent notre santé psychique5.

L’aménagement des villes et des territoires est le reflet et le moule de nos systèmes humains. Ces territoires aménagés sont composés d’un ensemble de relations entre des formes, des matériaux, des technologies, des types de végétation, des êtres humains et non humains, des climats, des capacités6 de se déplacer, de se rencontrer, de travailler, de créer de l’abondance, de consommer, de prendre soin, des consensus sur ce qui a de la valeur ou pas. Ils façonnent à la fois un paysage et une façon d’être collective, qu’on le veuille ou non, qu’on ait le sentiment de l’avoir choisi ou non.

Nos comportements et nos modes de vie sont à la fois la source de l’aménagement des villes et leurs conséquences. Ils naissent, disparaissent, se maintiennent ou changent en fonction des multiples interactions entre nous et notre environnement. Le dernier rapport du GIEC met en avant le rôle fondamental des villes en lien avec la transformation de nos modes de vie, dans la réduction des gaz à effet de serre, la restauration de la biodiversité et l’atténuation et l’adaptation au changement climatique (IPCC, 2022). Si l’on change l’aménagement des villes et la manière dont on s’organise pour le façonner, ces modalités d’interactions et donc nos modes de vie s’en trouvent changés. Mais comment fonctionnent les mécanismes d’interaction individus-environnement ? Et, comment s’embarquer nous-mêmes, en tant que société, vers un développement soutenable dans ce contexte d’effondrement des limites planétaires et du plancher social7 ?

Les psychologies sociales et environnementales s’intéressant aux influences réciproques entre les personnes et leur environnement, me paraissaient alors tout à fait légitimes à s’introduire dans l’urbanisme pour éclairer ces influences et les leviers de transformation. Introduire des connaissances et des compétences sur les interactions Individus-Environnement serait donc une des clés de la redirection des démarches d’urbanisme et d’aménagement dans le contexte d’injonction à la transition vers un autre développement humain et relationnel.

Après avoir posé quelques éléments fondamentaux de la compréhension de nos interactions humaines avec l’environnement, je proposerai une analyse psychosociale des influences de l’urbanisation sur notre rapport au vivant. Puis, je décrirai une tentative d’étude et d’intervention en tant psychologue sociale et environnementale qui cherche à relier la santé humaine à l’évolution des modes de vie au sein de la fabrique urbaine.

Interagir avec l’environnement

Notre espace de vie n’est pas uniquement composé de bâtiments, de routes, de trottoirs, de parcs, etc. Mais, il est aussi et surtout composé de tout un milieu (M) de perceptions subjectives sur notre environnement (E), les autres et nous-mêmes. C’est pourquoi, C = f(P.M) : nos comportements (C) sont fonction (f) de l’espace de vie comportant les caractéristiques du champ personnel (P) et la vision subjective que nous avons de notre milieu psychologique (M) (Lewin, 1946).

Figure 1. Représentation schématique de l’espace vital d’un individu.
Figure 1. Représentation schématique de l’espace vital d’un individu.

Tout ceci implique que nos comportements sont toujours situés (temporellement, spatialement et socialement). Nous évoluons en réalité dans un environnement composé de quatre dimensions qui interagissent entre elles en permanence :

  • le micro-environnement = espace privatif, concerne l’individu et sa sphère familiale proche (intimité). Ex. : logement, poste de travail, etc. ;
  • le méso-environnement = environnement de proximité partagé, concerne les relations interindividuelles et les collectivités de proximité. Ex. : espaces semi-publics, habitat collectif, quartier, lieu de travail, parcs, etc. ;
  • le macro-environnement = environnements collectifs publics, concerne l’individu dans sa relation à la collectivité : communautés, habitants, agrégat d’individus. Ex. : villes, villages, campagne, paysage, etc. ;
  • l’environnement global = environnement dans sa totalité, concerne la population, la société dans son ensemble. Ex. : l’environnement construit et l’environnement naturel, les ressources naturelles, etc.

De manière générale, nous interagissons avec notre environnement au gré d’une boucle perpétuelle entre « perception » et « action ». C’est ce qu’on appelle le couplage sensori-moteur (Varela, 1991), que nous partageons avec tous les êtres vivants. Chez l’être humain, les perceptions sont grandement dépendantes de ses croyances, ses représentations, ses valeurs, ses aspirations, ses habitudes… De fait, les effets de modifications de l’environnement ne se résument pas à du simple « stimulus-réponse ». Il y a un traitement émotionnel, cognitif et culturel du sens des changements et des interactions avec les différents environnements que nous traversons simultanément (dimensions sociales) et successivement (chronologiquement et spatialement). Du fait du couplage sensori-moteur et de notre besoin d’organiser le sens du monde (Varela, 1991), chaque environnement procure à chaque individu (Morge, 2018) :

  • une identité sociale ;
  • une identité culturelle ;
  • une identité économique.

Ainsi, l’aménagement des villes et des territoires structure notre identité. Modifier notre environnement implique donc des modifications dans nos façons d’interagir et d’être collectivement. Les problématiques d’aménagement dans un contexte d’effondrement des limites planétaires ne sont donc pas seulement des questions techniques, aussi bas carbone soit-elle. Ce sont avant tout des questions identitaire et comportementale. Aménager un territoire c’est choisir des manières d’être, de vivre, entre humains et non-humains. Et c’est aujourd’hui « penser la résilience de l’organisation matérielle et immatérielle de notre monde, revoir la césure faite entre nature et culture. Dans la réussite ou dans l’échec de cette entreprise, on pourra tendre […] à la réintroduction d’un homme assez créatif pour participer à l’évolution continuelle du vivant au sein d’un écosystème duquel il participe. » (Pezrès, 2010).

Se coupler au vivant

Étant donné que les sociétés humaines sont identifiées comme responsables d’une nouvelle extinction de masse et que les inégalités sociales semblent atteindre des records, il semblerait que nos manières d’interagir ne nous permettent pas de cultiver une façon d’être collective qui prend soin de la vie sur Terre (humaine et non-humaine).

Les processus d’industrialisation et d’urbanisation, probablement guidés par une certaine idée de la nature humaine8, ont offert de nouveaux biotopes : les routes, les autoroutes, les zones d’activités commerciales, les parkings, les hypermarchés, les usines, les bureaux, les aires de jeux, les espaces de monoculture, etc. Ils se sont développés afin d’accueillir toujours plus d’humains et en écartant le reste de la biodiversité de la majeure partie de son milieu quotidien. À tel point qu’aujourd’hui nous sommes atteints par un phénomène nommé l’amnésie environnementale générationnelle (Kahn, 2002). C’est l’acclimatation de l’être humain à la dégradation de son environnement. De par l’artificialisation des sols qu’elle engendre, l’urbanisation a radicalement modifié les parts relatives et les relations entre le vivant cyclique, changeant et modifiable et une matière souvent inerte, parfois sensible et difficilement modifiable.

Cette amnésie environnementale est notamment due au fait que l’état de référence de ce qui est normal comme paysages et l’état du vivant changent entre chaque génération. Nous décodons alors difficilement les signaux de l’état de santé des écosystèmes naturels et les rétroactions faisant évoluer nos modes de vie peinent à prendre de l’ampleur. Comme si, l’organisation sociale et économique en place nous indiquait que nous ne dépendions pas les uns des autres humains et des non-humains. Comme si, notre couplage sensori-moteur était « détraqué » entravant l’expression des capabilités humaines à « participer à l’évolution continuelle du vivant au sein d’un écosystème duquel [l’Homme] participe » (Pezres, 2010).

Les notions de santé commune et de bien-être soutenables appuyées sur l’éthique de la permaculture9 me paraissaient être un excellent cadre de départ pour (re)considérer la manière dont nous nous couplons au vivant. C’est-à-dire, à la fois la manière dont nous recréons, prenons soin et sommes en interaction avec les cycles du vivant et des écosystèmes naturels par des aménagements physiques et écologiques (topographie, biodiversité, architecture, infrastructures et routes, design urbain, mobilier) et la manière dont nous nous organisons pour imaginer, créer, prendre soin de ces aménagements et de ces relations (processus participatifs, coopérations, filières de matières premières, usages, métiers, technologies, etc.). J’adopte ici une conception psychodynamique de la santé et du bien-être incluant le couplage sensori-moteur au vivant comme vecteur et résultat de processus d’urbanisme favorable à la santé et à l’évolution de nos modes de vie.

Les apports d’une intervention en psychologie sociale et environnementale à une démarche d’urbanisme participatif

Dans le cadre d’une mission d’appui à la concertation pour la requalification des espaces publics d’un quartier prioritaire de la ville en région parisienne, j’ai tenté d’apporter ma contribution aux côtés d’une entreprise spécialisée dans l’urbanisme participatif qui était mandataire. La mission s’est déroulée entre février et octobre 2022 et commandé par une mairie d’une ville en banlieue parisienne de 44 534 habitants (INSEE, 2021). La mission portait sur le réaménagement des espaces publics et une partie de la résidentialisation à programmer de manière participative avec les habitants d’un micro-quartier équivalent à un IRIS (Îlots regroupés pour l’information statistique).

Plus précisément, la mission était au départ constitué de la :

  • « définition et la conduite d’un projet évènementiel « Hors les murs » sur le secteur A, de la phase de montage à la phase de déploiement et d’animation (court terme) ;
  • définition d’un plan d’actions sur-mesure visant la gestion d’attente des travaux sur le quartier du secteur A ;
  • préfiguration d’actions de concertation et la méthodologie à déployer, sur le quartier du secteur B » (extrait du cahier des charges de la Maitrise d’ouvrage).

Les maitres mots de la mission sont « renouvellement urbain », « espaces publics », « résidentialisation », « concertation », « gestion de l’attente ». La bonne information des habitants, l’anticipation des travaux et la clarification des espaces encore non programmés et « sur lesquels concerter » avec les habitants occupent la majeure partie des discussions. Bien que la santé (physique, sociale, psychique et écosystémique) ne soit pas très présente dans les discussions, la référente santé, projet transverse et en lien avec la démarche « territoire apprenant » de la Ville était présente à toutes les réunions et ateliers, conviée par la référente développement urbain de la ville. Des référents de la communauté de communes ont également été présents à la majeure partie des réunions et ateliers avec la ville et le bailleur social. La direction du développement urbain de la ville portait la démarche de concertation et invitait les différentes parties prenantes à participer. Les espaces publics allant par la suite être gérés par le bailleur.

Cette troisième et dernière partie vise à éclairer ce en quoi, de l’analyse au plan d’action, l’approche par la psychologie sociale et environnementale a permis de faire évoluer la mission initiale pour concevoir l’aménagement participatif des espaces publics comme un levier pour soigner les vulnérabilités psychiques et relationnelles.

Écouter et observer : l’identification des vulnérabilités, psychiques et relationnelles

Le premier acte de ma contribution en psychologie sociale et environnementale fut d’écouter et d’observer la manière dont les différentes parties prenantes rencontrées parlaient du projet de renouvellement urbain. Il m’importait ainsi de comprendre comment les relations étaient structurées, les comportements que cet ensemble de relations produisait et les rétroactions de ces comportements et relations sur le développement des personnes, des organisations et des écosystèmes naturels ainsi que sur nos capacités d’évolution des modes de vie. Mais aussi, de chercher activement à consolider, révéler ou faire émerger des réseaux de relation à différentes échelles et entre les institutions, les bailleurs sociaux, les habitants. Pour ce faire, nous avons recueilli des données et avons facilité le processus coopération au travers de :

  • la lecture des comptes-rendus détaillés des concertations réglementaires réalisées dans le cadre de l’élaboration du projet de renouvellement urbain ;
  • l’analyse des données statistiques sur les conditions socio-économiques et éducatives issues du site de l’INSEE et des documents d’analyse des besoins sociaux ;
  • l’analyse des données sur la biodiversité locale sur le site du MNHN ;
  • la présence aux réunions entre les parties prenantes institutionnelles et associatives avec une posture d’écoute active, prise de note des échanges et des caractéristiques des organisations ;
  • la visite des sites internet des différentes parties prenantes et des médias locaux ;
  • l’observation des différentes zones urbaines et de nature du quartier et des alentours et la réalisation de différents échanges informels avec les habitants ;
  • des entretiens avec des professionnels directement en lien avec les habitants (directeur du centre culturel, agents du centre de vie sociale, directeur et agent de sécurité et de prévention, gardien et responsable d’agence du bailleur, Voisins malins) ;
  • la réalisation d’un atelier participatif avec un recueil de données auprès des habitants un samedi après-midi ;
  • l’animation d’un atelier créatif pour programmer un plan d’action de concertation ;
  • l’animation d’un atelier créatif pour partager et imaginer des pratiques de relogement entre bailleurs avec les institutions.

Sans que personne ne l’eût réellement demandé, je me m’y en quête d’identifier ce que l’on peut nommer comme des vulnérabilités, psychiques et relationnelles. C’est-à-dire des situations qui à la fois impactent négativement notre santé et celle des écosystèmes naturels et, qui nous empêche de faire évoluer nos modes de vie. Cette étude devait permettre de créer une programmation et des processus participatifs pour la conception et la réalisation d’aménagements qui répondent aux vulnérabilités identifiées.

Pour analyser la diversité des données recueillies et d’en éclairer les mécanismes d’interaction je pris appuis sur trois outils qui me semblaient imbriquer les quatre dimensions de l’environnement (cf. supra) :

  • la carte de la santé et de ses déterminants du ministère de la Santé du Québec (Jobin et al., 2012) ;
  • les besoins psychosociaux fondamentaux (Deci & Ryan, 2002) ;
  • la méthode d’analyse des paramètres d’influence de l’environnement (behavior setting places) (Stokols, 1987 ; Stokols, 2018).
Figure 2. La carte des déterminants de santé. Ministère de la Santé du Québec (Jobin et al., 2012).
Figure 2. La carte des déterminants de santé. Ministère de la Santé du Québec (Jobin et al., 2012).

Répondre aux situations de vulnérabilité par la programmation des aménagements

Afin d’orienter la programmation des espaces publics, nous (le mandataire et moi) avons analysé l’ensemble de ces données très hétérogènes en nous focalisant sur la satisfaction des besoins humains fondamentaux (physiques, psychologiques, sociaux, biophiliques) et sur les barrières et opportunités (objectives et subjectives) à la satisfaction de ces besoins observables au travers de trois types d’activités :

  • Obligatoires et vitales : s’alimenter, se déplacer, évacuer et gérer ses déchets. Des « tracas » quotidiens dans la réalisation de ces activités impactent négativement la santé psychique.
  • D’actualisation personnelle : se promener, se détendre, contempler, bouger son corps, se raconter. L’impossibilité d’avoir des moments et des espaces où le fait d’être « dérangé » fréquemment durant dans ces moments détériore la santé psychique.
  • Sociales : s’écouter, partager, créer ensemble, faire la fête. La qualité de nos relations sociales est le déterminant principal de notre santé, nous sommes des êtres sociaux, être coupé des autres revient à être coupé de soi.

Assez rapidement, je me rends compte de certaines vulnérabilités relationnelles et psychiques dans le quotidien des habitants. Le quartier est perçu comme calme, mais triste. Les discours mettent fréquemment en avant le fait qu’avant, il y avait plus de mixité sociale. L’espoir de voir cette mixité sociale perdue dans des espaces partagés où on se sent chez soi s’exprime spontanément pour celles et ceux que nous avons pu écouter. Certains en revanche semblent ne pas croire en un quelconque avenir, déçus des relations avec la Ville ou pointant les conditions de « misère » ou des comportements de ses voisins.

Une partie de l’analyse a consisté à identifier les barrières/obstacles/freins (physiques, sociaux, symboliques) à la santé et à l’adaptabilité face au changement climatique qui émergent de l’interaction des personnes avec leur milieu de vie et qui s’observent dans les espaces publics. En voici une synthèse :

Activités obligatoires et vitales Activités d’actualisation personnelle Activités sociales

Déchets :

  • Le design du système de collecte des déchets n’est pas adapté aux usages et normes du quartier
  • Habitude forte de jeter ses déchets par terre dans l’ensemble du quartier et alentour
  • Les situations liées aux déchets influencent négativement les relations sociales

Déplacements dans le quartier :

  • Prédominance d’infrastructures pour la voiture par rapport aux autres véhicules
  • Peu de place pour d’autres modes de déplacement de manière fonctionnelle et récréative
  • Les espaces pour d’autres véhicules existent, mais les paramètres infrastructurels (route droite, dos-d’âne, trottoirs) orientent les comportements vers la voiture et créent des barrières à l’utilisation d’autres véhicules
  • Les cheminements par la marche existent et ils pourraient être renforcés par du mobilier urbain qui favorise le micro-séjour et les activités sociales

Capabilité des espaces publics à offrir des places pour une diversité d’interactions et d’activités :

  • L’espace public accessible est majoritairement structuré par des routes, des trottoirs, de la pelouse et la structure de jeux pour enfants. Ainsi, il reste peu de place pour d’autres activités.
  • La voiture prend la majorité de l’espace et les plus grandes étendues de pelouses ne sont pas arborées et ombragées. Peu de mobilier pour s’asseoir, discuter ou profiter des espaces de manière variée. Le mail avec ses platanes est à préserver.
  • Cette structuration des espaces et l’absence de toilettes et points d’eau publics n’invitent pas à profiter des espaces publics.
  • L’identité du quartier est marquée par la place des enfants, matérialisée et entretenue par l’aire de jeux et la ludothèque
  • Ceci peut créer une barrière à l’appropriation des espaces publics par d’autres publics comme les hommes ou les jeunes adultes. L’appropriation par ces derniers lors de moments de rencontre est qualifiée de « squat » avec les nuisances subjectives et objectives qu’il implique. Ces jeunes adultes ne disposent pas d’un lieu de rencontre commun.

Relation aux écosystèmes naturels :

  • Les espaces naturels en pied d’immeuble sont majoritairement composés de pelouse et d’un espace boisé non entretenu et inutilisé
  • Une partie des espaces pourrait être prévue pour faire revenir la biodiversité et/ou créer des micro-aménagements avec du végétal ou des matériaux naturels
  • Les espaces naturels autour du quartier (bois, Seine) ne sont pas indiqués depuis le quartier ce qui peut créer une barrière dans leur accès.

Barrières co-habitation :

  • Le système de collecte des déchets et son appropriation par les habitants génèrent une inefficacité et un sentiment d’irrespect mutuel
  • Des espaces physiques et sociaux prévus majoritairement pour les enfants de moins de 10 ans et pas ou peu d’espaces pour les adolescents et les jeunes adultes peuvent créer un sentiment d’inégalité
  • Le manque d’espaces et de moments propices à la rencontre entre les personnes
  • Le manque de fierté à habiter le quartier
  • Le fait d’être stigmatisé
  • Les conflits liés aux places de parking
  • L’absence ou la non-fierté d’un récit commun

Ressources co-habitation :

  • L’attachement au quartier
  • Le marché 2 fois par semaine
  • Les animations du Centre de vie sociale
  • Les chantiers jeunes
  • L’association Voisins malins
  • Le centre socio-culturel
  • Espaces physiques et naturels en quantité : possibilité de le modifier
  • Le désir de retrouver une mixité sociale perdue
Tableau 1. Synthèse de l’analyse des vulnérabilités psychiques et relationnelles.

Nous remarquons plusieurs problématiques qui constituent selon nous des facteurs de vulnérabilités psychiques et relationnelles visibles dans les espaces publics :

  • La prédominance de la congruence de l’environnement avec la pratique de la voiture par rapport à d’autres activités
  • L’inefficacité des dispositifs de collecte de déchets par rapport aux usages des habitants et aux normes sociales du quartier
  • La présence de mobilier et micro-aménagements insuffisants et peu variés
  • Les nuisances vécues par les habitants et imputées aux comportements qualifiés de squats

Plus largement, l’identité urbaine et sociale négative du quartier et de ses habitants reliés aux conditions de vie socio-économiques (taux de pauvreté de 32% et taux de chômage de 19,4% des 15-64 ans en 2021 [INSEE]), non spécifiques à ce micro-quartier, me semblent avoir également une influence prépondérante sur les relations entre les habitants et avec les institutions.

Soigner les vulnérabilités en prenant soin des relations entre les parties prenantes

L’autre partie de l’analyse visait à relever les ressources et les barrières à la coopération des parties prenantes. Il me semblait qu’il y avait certaines différences de perceptions et d’états d’esprit entre elles. La référente de la ville avait sollicité cette mission de concertation pour explorer d’autres façons d’écouter les habitants et invitait le bailleur à en faire de même. Du côté des référents du bailleur social, il me semblait que cette mission de concertation représentait une occasion de contribuer à la programmation des espaces publics qu’ils vont ensuite entretenir et de faciliter l’articulation des différents chantiers dans le quartier. Cependant, sans être contre, ils ne l’avaient pas désiré.

Par ailleurs, il me semblait également qu’il y avait une distance sociale importante entre les habitants et certains services de la ville, mais aussi entre les référents du bailleur avec les agents de résidence et avec les habitants. Enfin, les entretiens avec quelques agents et quelques habitants indiquaient un certain sentiment d’irrespect mutuel.

Je faisais l’hypothèse que ces « vulnérabilités » pouvaient être « soignées » en renforçant, en créant et en prenant soin au quotidien de ces relations. D’une certaine manière, la Ville l’avait déjà compris en cherchant par l’expérimentation d’autres façons d’écouter et d’informer les habitants et en invitant le bailleur à cette démarche. Cependant, il me semblait qu’il manquait un acteur relai pour inviter le maximum d’habitants à venir10 à l’atelier de concertation en plein air et faciliter au quotidien la co-construction de l’évolution des quartiers avec les habitants. Heureusement, dans ma recherche de ressources habitantes locales, je découvrais que l’association Voisins malins était présente sur le territoire. Réaliser cette action de concertation était un premier pas vers une nouvelle articulation possible, vers d’autres habitudes de travail pour le bailleur et la Ville. En tant que prestataire externe, nous jouions ce rôle pour la mission. Cependant, il nous semblait que tout ce qui pouvait faciliter plus de liens entre les parties prenantes était une ressource pour la santé du territoire et ses capacités d’adaptations. Voisins malins en faisait clairement partie selon nous. Ils étaient ensuite invités à toutes les réunions de co-constructions avec le bailleur et la communauté urbaine.

Une approche qui fait évoluer les cadres de la mission : de la gestion des travaux à l’expérimentation participative

Étant donné les besoins repérés sur le fait de créer plus de liens entre le bailleur et la Ville et l’envie de la Ville de continuer à co-créer avec les habitants, nous avons fait évoluer la mission. Le plan d’actions de « gestion des attentes et des travaux » initialement prévu s’est furtivement orienté vers une programmation d’actions de concertation et d’expérimentations participatives en coopération (Ville, bailleur, Voisins malins). L’objectif n’était pas cadré de la même manière, et, me semble-t-il, ne faisait pas appel aux mêmes références professionnelles.

Je décidais de présenter brièvement mes analyses associées à des exemples d’aménagement répondant aux besoins identifiés pour inspirer les parties prenantes dans la création du plan d’action. En complément, nous (avec le mandataire) avons enlevé la mention « gestion de l’attente » durant l’atelier et dans le rendu final en mettant en avant les trois échelles d’influence des actions, reliés aux besoins humains fondamentaux de la manière suivante :

Figure 3. Classification des différentes actions du plan de concertation et d’expérimentation participative, issu du livrable final, Fais la Ville, Nunaat (2022).
Figure 3. Classification des différentes actions du plan de concertation et d’expérimentation participative, issu du livrable final, Fais la Ville, Nunaat (2022).

Puis, ont été précisés pour chaque action du plan d’action (concertation et aménagements) les facteurs comportementaux en jeu et leurs conséquences, une évaluation qualitative de l’impact de l’action sur la santé des habitants ainsi que des facteurs clés de succès reliés aux facteurs comportementaux.

Enfin, nous avons réalisé un dernier atelier (non initialement prévu) rassemblant différents bailleurs sociaux avec la ville et la communauté urbaine afin de partager des pratiques communes, complémentaires ou inspirantes pour accompagner le relogement des habitants. Ceci leur a permis de voir le relogement comme une question collective et relationnelle et non plus seulement individuelle et fonctionnelle.

Conclusions

J’ai tenté dans cette expérience d’opérationnaliser mes connaissances en psychologie sociale et environnementale via le concept de vulnérabilités psychiques et relationnelles. C’est-à-dire en analysant la manière dont les interactions entre les personnes (habitants, professionnels, institutions) et avec l’environnement génèrent des situations qui à la fois impactent négativement notre santé et celle des écosystèmes naturels et qui nous empêche de faire évoluer nos modes de vie en mettant l’accent sur la qualité des relations.

Il me semblait que la plupart de mes interlocuteurs n’étaient pas en attente de cette approche. Ainsi, j’ai choisi différentes façons d’influencer la démarche et de transmettre les liens que je faisais entre les décisions qui se prenaient et les impacts sur le développement des habitants, de leurs relations et des écosystèmes naturels :

  • en proposant une analyse de ce qui influence la qualité des relations entre les habitants ;
  • en explicitant les implications comportementales et effets en termes de santé et soutenabilité de certaines idées échangées et dans le livrable final ;
  • en ajoutant Voisins malin aux parties prenantes ;
  • en recadrant l’atelier du plan d’action vers la concertation et l’expérimentation répondant aux besoins humains fondamentaux plutôt que vers « la gestion de l’attente et des travaux » ;
  • en proposant une intervention au niveau de différents bailleurs sur le relogement.

Au travers de ce processus, j’ai tenté d’éclairer et d’avoir une influence sur les différentes échelles de l’environnement (micro, méso, macro, global) et d’orienter le processus de co-construction en accord avec les principes du couplage sensori-moteur pour prendre soin du vivant humain et non-humain.

Cependant, j’ai identifié plusieurs limites à cette intervention. Premièrement, le temps d’acculturation sur les processus existants, la démarche de renouvellement urbain, la compréhension du contexte de vie des habitants et des relations peut questionner la légitimé de mes analyses, car ce temps d’acculturation était assez court. Ainsi, j’ai une représentation très partielle de la vie des habitants et des parties prenantes, donc mes analyses ne sont que des hypothèses. Et inversement, mes interlocuteurs sont en cours d’acculturation aux dimensions psychosociales, il aurait été souhaitable de prendre plus de temps d’acculturation de l’ensemble des parties prenantes. En parallèle, ma démarche vise à changer les processus de concertation et de coopération afin d’être plus dans de l’expérimentation (tester-apprendre-adapter) que de la programmation classique (décider-mettre en œuvre), mais les logiques linéaires et techniques restent prépondérantes. Par ailleurs, les conditions socio-économiques des habitants me paraissaient intouchables dans ce processus alors qu’elles sont à mon sens le facteur prépondérant de santé dans ce quartier. Enfin, même si la santé des écosystèmes naturels et les relations avec eux sont au cœur de mon cadre de référence, dans cette démarche il m’a semblé que c’était avant tout les relations entre les personnes dont il était fondamental de prendre soin avant tout autre chose.

Bibliographie

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Varela, F. (1991) L’inscription corporelle de l’esprit. Seuil.

Notes

  1. [en ligne] https://greps.univ-lyon2.fr/projets/projets-nationaux/optimiser-lenquete-qualitative-annuelle-de-lobservatoire-local-de-securite
  2. [en ligne] https://www.francebleu.fr/infos/societe/des-machoires-de-monstres-pour-lutter-contre-les-incivilites-a-la-sncf-1511524245
  3. « Le nudge, le terme que nous utiliserons, est un aspect de l’architecture du choix qui modifie le comportement des gens d’une manière prévisible sans leur interdire aucune option ni modifier de manière significative leurs motivations économiques. Pour ressembler à un simple « coup de pouce », l’intervention doit être simple et facile à esquiver. Les « coups de pouce » ne sont pas des règles à appliquer. Mettre l’évidence directement sous les yeux est considéré comme un coup de pouce. Interdire uniquement ce qu’il ne faut pas faire ou choisir ne fonctionne pas. » Thaler & Sustein (2008).
  4. Ces travaux ont été réalisés par les quatre co-fondatrices de la marque Psykolab et un chercheur en psychologie sociale de l’université Lyon 2.
  5. [en ligne] https://agir-ese.org/evenement/voir-ou-revoir-le-webinaire-vivre-en-ville-impacts-de-lenvironnement-urbain-sur-la-sante
  6. Nous pourrions utiliser le terme de capabilités (Sen, 2000) pour souligner le fait qu’il y ait des compétences qui sont plus ou moins activées en fonction du territoire et des conditions socio-économiques des personnes et des groupes.
  7. Le plancher social et le plafond environnemental font référence à la théorie du Donut de Kate Rayworth. Ils délimitent l’espace « sûr pour l’humanité ».
  8. Fondée sur la maitrise rationnelle de la nature et des êtres humains entre eux (Frérot, 2023).
  9. L’approche par la santé commune place la santé des écosystèmes naturels comme étant le socle de la santé de la société et des personnes. L’éthique de la permaculture est fondée sur trois grands piliers : prendre soin des humains, prendre soin de la Terre et partager équitablement. Le bien-être soutenable correspond dans la démarche IBEST à la possibilité que les personnes ont de « se réaliser », c’est-à-dire de trouver des réponses à leurs besoins en adéquation avec le bien commun et leurs aspirations.
  10. Au tout début de la mission, le maire a démissionné, des élections ont été relancées et nous avons dû organiser en moins d’un mois l’événement participatif « Hors les murs », car pendant les élections nous n’avions plus le droit de le réaliser.
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Pessac
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EAN html : 9791030011302
ISBN html : 979-10-300-1130-2
ISBN pdf : 9791030011319
Volume : 29
ISSN : 2741-1818
Code CLIL : 3677
licence CC by SA

Comment citer

Maéva, Bigot, « Psychologie et urbanisme, une approche par les vulnérabilités psychiques et relationnelles », in : Bonneau, Emmanuelle (éd.), L’urbanisme en transition : écologisation et coopérations, Pessac, Ausonius éditions, collection PrimaLun@ 29, 2024, [en ligne] https://una-editions.fr/psychologie-et-urbanisme-une-approche-par-les-vulnerabilites-psychiques-et-relationnelles/ [consulté le 19/12/2024].
doi.org/10.46608/primaluna29.9791030011302.13
Illustration de couverture • Photo Emmanuelle Bonneau
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