Introduction
Les budgets participatifs (BP) visent à inclure les citoyens dans le cycle budgétaire d’une collectivité publique. Ils proposent divers degrés d’engagement, de la proposition d’un projet à réaliser à l’évaluation des projets déposés via un vote. La ville de Mons, en Belgique, s’est lancée dans une démarche de BP depuis 2021 et invite le citoyen à s’impliquer pour l’avenir de la ville. Les exemples proposés pour promouvoir la démarche portent principalement sur des questions d’aménagement du territoire :
« réhabilitation d’un sentier, valorisation d’un patrimoine local, installation d’une aire de jeux ou encore d’un éclairage intelligent à l’entrée d’un quartier ou d’une rue ; jardins partagés, installation de nichoirs ou d’une clôture nature, création d’une guinguette1 […] ».
Nous nous sommes alors demandé comment les professionnels de l’aménagement du territoire, les urbanistes, prenaient place dans ce dispositif. Quelles sont leurs implications ? Comment peuvent-ils accompagner les citoyens dans cette démarche participative ? Afin de répondre à ces questions, nous nous basons sur une enquête de terrain réalisée lors des BP 2021 et 2022 de Mons. Nous avons assisté aux réunions (lancement, rencontres dans les quartiers, etc.) et nous avons fait de l’observation sur le site internet ainsi que sur le forum numérique dédié au BP. De plus, nous avons réalisé une série d’entretiens semi-directifs avec les organisateurs (élus, services techniques de la ville, facilitateur), des membres du jury et des porteurs de projets.
Nous présentons nos résultats dans cet article, en commençant par une contextualisation de notre recherche, notamment l’évolution des pratiques de BP, des analyses existantes permettant de mieux cerner l’implication des participants, et les spécificités du BP de Mons. Dans une seconde partie, nous nous focalisons sur les formes d’implication que nous avons identifiées pour les urbanistes : citoyen engagé ayant coconstruit une proposition de projet, expert technique des services municipaux et jury bénévole évaluant les propositions. Puis nous proposons des pistes d’évolutions possibles de ces implications, pour tenter de dépasser certaines limites à la participation citoyenne rencontrées lors des éditions 2021 et 2022.
Contexte de la recherche
Évolution des pratiques de BP
Le BP est une innovation politique apparue à Porto Alegre, au Brésil, en 1989. L’objectif est d’intégrer directement les citoyens dans les choix budgétaires afin d’améliorer la justice sociale. En assemblée ouverte à tous et auto-gérées, les habitants définissent des priorités pour leur quartier. Ils choisissent ensuite des représentants qui défendront leurs propositions à l’échelle du district et de la ville. Une attention particulière est portée à la participation des populations les plus pauvres et a des interventions en priorité dans les quartiers périphériques habituellement délaissés par les politiques urbaines (Genro & Souza, 1998). La transparence des décisions prises par les différentes assemblées a permis de lutter contre la corruption et le clientélisme.
En se référant à la classification des dispositifs participatifs proposée par Arnstein (1969), le budget participatif atteint les niveaux les plus élevés : niveau 7 « delegated power » ou niveau 8 « citizen control ». Les citoyens ont un véritable pouvoir d’organisation, de proposition et de décision. En 2001, Porto Alegre organise le premier Forum social mondial qui fait connaitre mondialement le BP. De nombreuses collectivités européennes s’approprient l’outil et des chercheurs analysent ces démarches.
Sintomer Y., Herzberg C. et Röcke (2008) ont identifié plusieurs évolutions communes aux BP européens, bien que chaque BP soit différent. Les sujets traités sont plus limités qu’au Brésil, et sont souvent restreints à l’aménagement du territoire. Les participants sont majoritairement issus des classes moyennes ou supérieures et déjà engagées (en politique ou dans l’associatif). La part du budget de la ville dédié au BP est plus réduite que dans le modèle brésilien, et les démarches sont plus organisées et maitrisées par les autorités. C’est par exemple le cas du BP des lycées du Poitou-Charente. « Il n’est pour l’instant pas prévu que les règles soient à un moment ou à un autre cogérées par les participants, selon une disposition typique de Porto Alegre. Dans le même sens, le dispositif reste organisé presque entièrement par l’exécutif régional et les animateurs extérieurs qu’il a recrutés. Les participants n’y ont qu’un rôle marginal » (Sintomer et al., 2009, p. 310).
Le niveau de participation atteint sur l’échelle d’Arnstein est donc un peu plus bas que le BP de Porto Alegre, et atteint généralement en Europe le niveau 6 « Partnership », ce qui reste assez élevé en comparaison avec les autres dispositifs participatifs actuellement utilisés.
Au cours des dix dernières années, une numérisation des outils participatifs a été observée (Douay, 2016). Cette évolution a touché les BP qui sont de plus en plus organisés sous forme hybride, avec une plateforme numérique qui présente les projets, permet les échanges via des commentaires ou forums, recueille les votes et présente les résultats. D’autres auteurs observent que l’innovation et l’apparent renouveau apportés par la numérisation des dispositifs participatifs entraînent un « tropisme procédural » (Mazeaud, 2012) où l’usage d’outils numériques importe plus que leur apport réel au processus. Gourgues (Gourgues, 2013, p. 104) partage cette conclusion :
« Alors que les études sociologiques révèlent que la participation en ligne ne peut supprimer à elle seule les obstacles classiques de la participation (auto-exclusion de certaines populations, monopolisation de la parole, faiblesse du nombre de participants) le simple recours aux nouvelles technologies agit comme une solution miracle aux yeux des autorités publiques. »
Cerner les formes d’implication des participants
Des chercheurs se sont intéressés aux manières de s’impliquer dans des dispositifs participatifs, comme Mazeaud et Talpin (2010) qui se sont focalisés sur les motivations des participants à des budgets participatifs. Ils se sont basés sur leurs enquêtes portant sur quatre BP différents, qui leur ont permis d’identifier quatre familles de motifs évoqués par les participants : le devoir civique « certains participants vivant leur engagement comme une nécessité pour la vitalité de la démocratie » ; l’intérêt personnel « régler des problèmes liés à leur vie quotidienne grâce au BP » ; l’intégration sociale « les participants cherchant à tisser des relations sociales » et enfin le développement cognitif « les acteurs s’engageant pour apprendre ou partager leur expertise » (Mazeaud et Talpin, 2010, p. 59). Il est intéressant de noter qu’ils ont identifié ces quatre familles de motif chez les participants réguliers, mais aussi chez les participants intermittents (respectivement les bons citoyens empêchés, les efficaces, les exclus symboliques, et les curieux) et également parmi les motifs des non-participants (soutiens à la démocratie représentative, sceptiques/déçus, absents et indifférents).
En parallèle, Nez (2011) s’est intéressée aux types de savoirs mobilisés par les participants à des processus de concertation sur des projets urbains. Elle a identifié trois ensembles de savoirs citoyens : « des savoirs d’usage, des savoirs professionnels et des savoirs militants » (Nez, 2011, p. 6). Les savoirs d’usages proviennent de la pratique quotidienne du territoire. Les participants sont experts de leur vécu, ils ont une connaissance fine de leur environnement de vie. Ce sont des savoirs que ne possèdent pas les experts de l’aménagement du territoire, et qui sont souvent recherchés lors d’un processus participatif. Il s’agit de connaissances locales complémentaires aux données institutionnelles et scientifiques existantes. Le deuxième type de savoir identifié par Nez est les savoirs professionnels. Chaque participant est mobilisé dans le processus participatif comme citoyen et usager du territoire, mais il possède également des savoirs professionnels liés à sa formation et/ou emploi. Ces savoirs professionnels sont parfois mobilisés par les participants lors d’un processus participatif, en complément des savoirs d’usages. Enfin, les savoirs militants sont liés à une connaissance ou une expérience du fonctionnement du monde politique ou administratif.
Organisation du BP de Mons
Mons est une ville moyenne de Wallonie de 95 000 habitants. En 2001, son maire a participé au Forum social mondial de Porto Alegre et est a lancé une démarche de budget participatif dans deux quartiers d’habitat social en 2003-2004. Une opposition tardive d’une partie de la population aux projets choisis a poussé l’équipe municipale à abandonner ce premier budget participatif (Damay, 2011). En 2021, le nouveau collège communal a souhaité lancer une démarche à l’échelle de la ville entière et non plus à celle des quartiers. Pour cela, la ville s’est fait accompagner par l’association BE Planet qui soutient la participation citoyenne en faveur de la transition écologique et solidaire. Elle propose aux communes des outils et une aide à l’encadrement de projets participatifs. La ville souhaitait un partenaire pour « l’analyse de la faisabilité, la composition et l’accompagnement du jury, des votes, par un externe. Pour ne pas dire que c’est le collège qui décide, que ce soit objectivable » (Élu 1, 21/12/21)
La première édition du budget participatif de la ville, en 2021, s’est vu allouer un budget de 135 000 euros2, avec 5 objectifs définis :
- développer la démocratie participative à Mons ;
- améliorer le cadre de vie des citoyens sur la base de projets portés par la population ;
- renforcer la cohésion sociale dans les quartiers et les villages ;
- permettre à la population de voir aboutir des projets qui répondent à ses besoins actuels et à ses besoins futurs dans un esprit de transition ;
- soutenir la lutte contre les changements climatiques et la protection de l’environnement.
Afin de favoriser une démarche collaborative, chaque participant ne peut déposer qu’un seul projet. Chaque projet doit être porté par minimum trois habitants ou une association à but non lucratif. Le calendrier du BP est composé de trois grandes étapes, dont nous détaillons les dates pour 2021 dans la figure 1. Durant la première étape, les habitants sont invités à déposer une proposition de projet. Il s’agit d’un dossier d’une vingtaine de pages à compléter et envoyer par mail ou par courrier. Puis durant l’été, les services techniques de la ville évaluent la faisabilité des propositions déposées. Enfin, en septembre, les projets validés par les services techniques sont proposés au vote des habitants sur le site internet du BP, mais également via des urnes à la mairie. En parallèle, un jury évalue les projets. Il est composé de 5 citoyens (tirés aux sorts parmi des volontaires) et 3 experts (expert environnement, expert cadre de vie et expert cohésion sociale). Le classement final des projets est basé pour 50 % sur l’évaluation du jury et pour 50 % sur les votes citoyens. Le budget est alors attribué aux propositions par ordre de classement et jusqu’à épuisement. La concrétisation des propositions est prévue en partenariat entre la ville et les citoyens, et doit se dérouler au cours des deux années suivantes sous peine de perte du budget attribué. En 2022, avant toute réalisation du BP2021, une nouvelle édition du BP a été lancée, sur le même modèle d’organisation, mais avec cette fois un budget un peu plus conséquent (200 000 €).
Urbanistes et budget participatif
En nous basant sur nos enquêtes de terrain et sur les recherches présentées dans la première partie de cet article, nous avons identifié trois formes d’implication différente des urbanistes dans le BP de Mons que nous présentons ci-après, suivi d’évolutions possibles de ces implications, pour dépasser des limites à la participation citoyenne rencontrées lors des éditions 2021 et 2022.
Formes d’implication observées des urbanistes dans le BP de Mons
Le citoyen engagé ou l’urbaniste coproducteur. Il s’agit d’urbanistes ayant participé à la rédaction d’une proposition de projet déposée dans le cadre du BP. Ils participent avant tout comme citoyen au BP, et ne font pas de lien entre leur profession d’urbaniste et leur engagement dans le BP. Leurs motifs d’engagement entrent dans la catégorie du devoir civique. Ils mobilisent surtout leurs savoirs d’usage, et parfois leurs savoirs professionnels lorsque leur proposition comporte une construction ou la nécessité de demander un permis d’urbanisme. Dans ce cadre, ils apportent une caution professionnelle aux projets lors des phases d’évaluation :
« Pour le projet de construction d’un auvent sur un terrain communautaire, je sais qu’on n’aura pas de problème, car il y a un comité de riverain très actif avec un architecte, je sais très bien qu’ils vont mener le projet de A à Z » (Service technique 2, 08/06/23).
La proposition « Rénovation du parc Sainte-Henriette » de 2021 est également coconstruite avec un urbaniste, qui fait partie des 3 porteurs principaux de la proposition. Il s’agit d’une des rares propositions de projet ne comportant aucun aménagement, mais la mise en place d’un processus participatif :
« Il nous semble primordial que tout agencement du parc soit construit POUR et PAR les Flénusien.ne.s pour une meilleure appropriation du lieu. En ce sens, nous aimerions d’abord mettre en place un processus d’assemblées citoyennes permettant de co-construire ces aménagements pour ensuite les proposer dans le cadre d’un second dossier de candidature pour le prochain budget3 ».
Cette proposition revient aux bases de la démarche de BP : collaboration, choix collectifs, et récurrence du processus.
L’expert technique ou l’urbaniste régulateur. Il s’agit d’urbanistes travaillant pour la ville, notamment au service de l’urbanisme, de l’environnement ou des travaux. Ils ont été sollicités pour apporter une expertise principalement technique concernant la faisabilité des projets déposés « je n’interviens que pour l’aspect technique » (Service technique 2, 08/06/23). Ils interviennent après la phase de dépôt des propositions de projets :
« On a commencé à être impliqué dans la phase d’analyse de faisabilité, à ce moment-là on a pris connaissance des différents dossiers, on a vu toutes les demandes, mais en fonction des thématiques on devait rendre un avis que sur les dossiers liés à notre expertise. » (Service technique 1, 25/05/23).
Cette évaluation s’ajoute à leur charge de travail « c’est du travail en plus de nos missions de base » (Service technique 2, 08/06/23) et il est attendu de leur part une mobilisation de leurs savoirs professionnels uniquement. Leurs remarques sont souvent très prosaïques : « engagement de la ville trop important (gestion des déchets) » ; « terrain non adéquat » ; « pas de terrain à mettre à disposition » ; « projet identique déjà en cours par la ville4 ». Ces remarques permettent au service participation de définir les projets recevables qui sont alors soumis au vote des citoyens et à l’évaluation du jury. Les experts techniques expriment certaines frustrations à ne pas évaluer la qualité des projets, mais juste leur viabilité, ainsi qu’un manque de reconnaissance de leurs remarques :
« Les projets sont parfois éligibles malgré nos réserves. S’il manque une autorisation d’un propriétaire ou si c’est dangereux, on va être suivi, mais si on émet des réticences sur le devenir de l’aménagement, l’entretien d’un espace, une essence d’arbre,… ça restera éligible et ça passera à la phase suivante. Et in fine quand il y a un problème c’est aux services communaux de rattraper le coup » (Service technique 2, 08/06/23).
En 2021, 7 propositions sur les 29 déposées se sont vues bloquées à cette étape, alors que les porteurs de projet avaient fait l’effort de compléter et déposer un dossier d’une vingtaine de pages. Ces experts techniques sont également sollicités lors de la phase de réalisation des propositions, en cours, parfois de manière plus ou moins marquée :
« Parfois on apporte un soutien pour la phase de réalisation, la logistique, par exemple pour un projet 2021 le service de l’urbanisme a aidé à rentrer un permis d’urbanisme qui était nécessaire pour la réalisation d’une fresque ». (Service technique 1, 25/05/23)
Le jury bénévole ou l’urbaniste évaluateur. Il a été contacté par la ville pour participer au jury comme « expert cadre de vie ». Le jury est composé de deux autres experts en « environnement » et en « cadre social » ainsi que 5 habitants. L’ensemble des membres du jury n’ont pas de lien professionnel avec la ville, et ne sont pas porteurs de propositions. Leur évaluation des projets va compter pour 50 % dans l’évaluation finale, en complément des votes citoyens. L’objectif des organisateurs est
« […] éviter que des projets soient sélectionnés parce qu’il y a du copinage, ce genre de chose. C’est pour ça que la ville de Mons a fait le choix d’avoir un jury d’experts indépendant, donc les mandataires politiques n’ont absolument eu aucune voix. ». (Facilitateur, 30/11/21)
Les jurys sont contactés par la ville. S’ils acceptent cette mission, ils reçoivent par mail les projets déposés, les retours des analyses de faisabilité des services techniques ainsi qu’une grille de critère d’évaluation qu’ils doivent compléter seuls chez eux « j’ai trouvé que la procédure d’évaluation était hyper inhumaine » (Jury, 8/12/21). Pour le rôle d’expert « cadre de vie », la ville de Mons s’est tournée tant en 2021 qu’en 2022 vers des enseignants-chercheurs de la Faculté d’architecture et d’urbanisme. L’urbaniste jury-bénévole mobilise principalement ses savoirs professionnels pour évaluer les projets. Ses motivations sont plutôt de l’ordre du développement cognitif :
« En tant qu’universitaire, on est parfois un peu déconnecté du terrain, ce jury me permet de rester connecté, savoir ce qu’il se fait, actualiser mes connaissances ». « Ça me semblait intéressant pour mieux connaitre les modalités, mesurer la participation citoyenne » (Entretien du jury du 08/12/21).
14 projets sur les 21 soumis à l’évaluation et au vote ont été acceptés. À noter que l’évaluation du jury et les votes citoyens classent les projets dans un ordre différent, mais les sept projets refusés en 2021 après pondération sont identiques au classement du jury seul. Cela est dû à une évaluation du jury plus unanime et clivante que les votes citoyens plus répartis entre les différents projets.
Évolutions possibles au service de la participation citoyenne
À part sous la forme de citoyen engagé, les urbanistes s’impliquent après le dépôt des propositions pour les évaluer et sans échange avec les participants. Les évolutions proposées concernent une implication plus régulière et plus tôt dans le processus, lors de la phase d’élaboration des propositions, ainsi qu’un partage des connaissances.
L’expert technique : de l’urbaniste régulateur à l’urbaniste accompagnant
Tant les élus, les services techniques de la ville et les membres du jury ont remarqué des propositions de niveaux inégales et des défauts liés à un manque de connaissance :
« Parce que si on regarde un peu les gens qui ont répondu. Il y a une partie de citoyen, quelques dossiers manuels, où on voit que l’accès est difficile » (Élu 1, 21/12/21).
« C’est pas facile d’évaluer, car il y a des projets très bien écrits, par des personnes semblant spécialisées dans la recherche de subsides, et dont le niveau nuit aux projets de citoyens lambda qui sont en comparaison moins bien construits » (Jury, 08/12/21).
« C’est pas si évident que ça pour les citoyens de compléter tout le document demandé, et ils ignorent les projets en construction à la ville parfois incompatible avec leur proposition » (Service technique 1, 25/05/23).
Afin d’améliorer la qualité des propositions déposées, le BP 2021 de Montréal5 propose une étape de plus que celui de Mons. Après le dépôt en ligne des idées citoyennes et avant la phase de vote, ils ont dédié deux mois au développement des idées en projet par des comités de travail regroupant experts et habitants. Les organisateurs du BP de Mons ont bien conscience de cet enjeu, et l’édition 2023 se déroulera justement sur deux ans pour proposer :
« Une période beaucoup plus longue pour la construction des projets […] Des bourses d’idées, des mises en réseau par thématiques ou par implantation géographique, des rencontres avec les techniciens de la Ville pour lever des doutes ou affiner les projets, des rencontres avec les Universités, des permanences avec le service Participation citoyenne pour un soutien à la rédaction des dossiers, etc6. ».
En parallèle de cet accompagnement au développement des propositions de projet, les urbanistes des services techniques pourraient mettre à disposition de la population des éléments de diagnostic pour enrichir et élargir les réflexions des porteurs de projet. Disponibles en ligne ou présentées lors de réunion, ces informations pourraient prendre la forme de cartes interactives, représentant des diagnostics de mobilité, de présence de biodiversité sur le territoire, les masters plans en cours, les priorités identifiées par la ville… Un tel modèle se rapprocherait du BP de Porto Alegre, dans lequel, en début de procédure :
« Les services et départements de la mairie apportent les informations techniques nécessaires aux réflexions de la population et présentent les propositions issues de la municipalité pour être analysés par les Secteurs et Commissions thématiques [constituées de citoyens] » (Genro & De Souza, 1998, p. 67).
Le jury bénévole : de l’urbaniste évaluateur à l’urbaniste informateur
Concernant l’évaluation, les jurys reçoivent une grille précise de critères et de points associés à chaque critère, qui sont présentés dans le règlement du BP, par exemple en 2022 :
- amélioration du cadre de vie d’un quartier ou village (10 points) ;
- impact environnemental (10 points) ;
- contribution au renforcement de la cohésion sociale au sein d’un quartier ou village (10 points) ;
- dimension collective et participative (10 points) ;
- pérennité et solidité du projet (10 points).
Ils pensent apporter « Par mon expérience, pouvoir quantifier, prévoir les retombées des projets, leurs intensités, leur impact autant sur le social que sur l’environnement » (Jury, 8/12/21) tandis que le service participation de la ville invite en réunion de présentation du BP7 les citoyens à « voter avec votre cœur, pour des projets qui vous motivent ou qui vous font envie ». Le modèle choisi fait donc appel à la subjectivité des citoyens votant tout en la pondérant par un jury pour apporter de la rationalité et une caution scientifique à l’évaluation. Pourtant, l’objectif d’un BP est de donner un pouvoir décisionnaire aux participants, de développer leurs connaissances et compétences pour qu’ils puissent faire les choix les plus adaptés aux besoins du territoire. À Porto Alegre, les assemblées citoyennes sont décisionnaires et suivent des critères clairement définis :
« […] d’une manière autonome, le Conseil du budget participatif discute et décide des modifications du règlement, des critères de répartition du budget entre les secteurs de la ville, des critères techniques et géographiques » (Genro & De Souza, 1998, p. 43).
Dans un esprit plus proche de Porto Alegre, le partage des avis des jurys-experts pourrait permettre de compléter les connaissances des citoyens votant, et qu’à terme, seuls les votes citoyens permettent de hiérarchiser les propositions déposées.
Conclusion
Notre recherche a permis d’identifier trois formes d’implication des urbanistes dans le budget participatif de Mons. Tout d’abord en tant que citoyens engagés, s’investissant comme participants. Leurs compétences professionnelles peuvent être utiles pour des projets comportant un aménagement, mais ils revendiquent surtout leur statut de citoyen. Ensuite, comme expert technique travaillant dans les services municipaux. Dans le cadre de leur emploi, ils évaluent la faisabilité des propositions citoyennes, ce qui peut conduire au refus de certaines propositions, avant la phase de vote. Enfin, des urbanistes sont sollicités comme jury bénévole pour évaluer les propositions, en complément des votes citoyens.
Par comparaison avec d’autres BP, nous avons également proposé des évolutions possibles de ces implications, au service de la participation citoyenne. Il s’agit notamment de développer la collaboration entre les experts techniques des services municipaux et les citoyens pour favoriser le dépôt de propositions faisables et compatibles avec les projets municipaux. De plus, les jurys pourraient, au lieu d’évaluer les propositions, proposer des clés de lecture pour les citoyens votant, mais laisser la décision complètement aux citoyens. Les urbanistes ne sont cependant qu’un des multiples acteurs d’un BP, qui nécessite l’adhésion de l’ensemble des personnes impliquées pour bien fonctionner, notamment des citoyens.
Arnstein, S. R. (1969). A Ladder Of Citizen Participation, Journal of the American Planning Association, 35(4), 216–224. [en ligne] https://doi.org/10.1080/01944366908977225
Damay, L. (2011). Construire les problèmes, construire le public ; le cas du budget participatif de la ville de Mons. Dans D. Duez & L. Damay (dir.) Savoirs experts et profanes dans la construction des problèmes publics. Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles. [en ligne] http://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal%3A142787/ datastream/PDF_01/view
Douay, N. (2016). Planifier à l’heure du numérique. Habilitation à Diriger des Recherches. Université Paris-Sorbonne. [en ligne] https://www.researchgate.net/profile/Nicolas_Douay/publication/315782172_Planifier_a_l%27heure_du_numeri que/links/58e46357a6fdccc85bdf3a09/Planifier-a-lheure-du-numerique.pdf
Genro, T. & De Souza, U. (1998). Quand les habitants gèrent vraiment leur ville, Éditions Charles Leopold Mayer, Paris. [en ligne] https://docs.eclm.fr/pdf_livre/255QuandLesHabitantsGerentVraimentLeurVille.pdf
Gourgues, G. (2013). Les politiques de démocratie participative. Presses universitaires de Grenoble.
Mazeaud, A. (2012). L’instrumentation participative de l’action publique : logiques et effets. Une approche comparée des dispositifs participatifs conduits par la région Poitou-Charentes. Participations 2012/1, 2, 53-77. [en ligne] https://doi.org/10.3917/parti.002.0053
Mazeaud, A. & Talpin, J. (2010). Participer pour quoi faire ?, Sociologie, 1(3), 53-70. [en ligne] https://doi.org/10.3917/socio.003.0357
Nez, H. (2011). Nature et légitimités des savoirs citoyens dans l’urbanisme participatif, Sociologie, 2(4). [en ligne] https://doi.org/10.3917/socio.024.0387
Sintomer Y., Herzberg C. & Röcke A. (2008). Les budgets participatifs en Europe. Des services publics au service du public, La Découverte.
Sintomer Y., Röcke A. & Talpin J. (2009). Démocratie participative ou démocratie de proximité ? Le budget participatif des lycées du Poitou-Charentes. L’Homme & la Société, 172-173, 303-320. [en ligne] https://doi.org/10.3917/lhs.0172.0303
Notes
- Site Internet officiel du BP de Mons 2021. [en ligne] https://www.mons.be/vivre-a-mons/citoyennete/budget- participatif/budget-participatif-2021-1.
- Sur 50 millions d’euros de budget d’investissement, soit 0,27 %.
- Extrait du projet déposé et retenu au BP2021 « Parc Sainte-Henriette ».
- Extrait de remarques rendues par les services techniques sollicités, BP20.
- Site Internet « RealionsMTL ». [en ligne] https://www.realisonsmtl.ca/budgetparticipatifmtl.
- Site Internet du BP 2023 de Mons. [en ligne] https://www.mons.be/actualites/je-bouge-pour-ma-ville-budget-participatif-2023.
- Rencontre de présentation organisée par la ville, 13/06/23, pour les quartiers Hyon/Ciply/Mesvin.