Longtemps associé au lotissement en maison individuelle, le logement en périurbain se diversifie à mesure que le périurbain atteint une maturité (Berger et al., 2014). Alors que les politiques de densification imposent la construction de logements collectifs, l’engagement dans le milieu associatif de certains périurbains et d’élus de communes périurbaines permet la réalisation de logements sociaux ou communaux en contexte périurbain (Fonticelli, 2018). Dans certains territoires, notamment dans les parcs naturels régionaux périurbains, les principes d’un urbanisme endogène (Poulot et al., 2016) imprègnent les façons de construire du logement, et permettent d’envisager l’écologie comme principe d’aménagement. Les éco-villages et éco-hameaux peuvent traduire ces principes. Développés par des communautés habitantes, ils sont basés sur des motivations en lien avec la réduction de l’empreinte écologique, l’entraide, et parfois l’autosuffisance (Hall, 2015). La figure de l’éco-village est néanmoins principalement associée au territoire rural, et plus récemment au périurbain depuis les années 1990 (Escach, 2017). L’habitat participatif en est une composante fréquente, bien que rare en contexte périurbain : si l’on trouve de l’habitat participatif dans tous les contextes (D’Orazio, 2017), la plupart sont localisés dans l’urbain proche de la ville, notamment en Île-de-France, tout comme les travaux de recherche qui y sont consacrés (Devaux, 2013).
À la croisée de ces sujets, se trouve le premier « éco-hameau participatif d’Île-de-France » (entretien de Patrick Gautier, 2020). Le projet d’éco-hameau du Champ-Foulon est situé à Saint-Cyr-en-Arthies, un village de 230 habitants du Val-d’Oise, implanté au cœur du parc naturel régional du Vexin français (PNR). Ce projet d’habitat participatif se distingue par son implantation en contexte périurbain. Les futurs habitants prennent les décisions au sein de groupes de travail ou d’ateliers auto-organisés ou organisés par l’architecte du projet, ou l’assistante à maîtrise d’ouvrage. Il s’agit également d’une opération d’auto-promotion, les futurs habitants étant maîtrise d’ouvrage du projet. Enfin, il s’agit d’un projet de hameau écologique, dans le sens où sa conception et sa construction sont particulièrement soucieuses de la dimension environnementale du développement durable (Doussard, 2017).
Nous tâcherons d’interroger comment, dans ce contexte particulier, les futurs habitants conjuguent localisation dans le périurbain et exigences écologiques. Pour ce faire, après un temps de présentation du projet d’éco-hameau, nous interrogerons le rapport des futurs habitants au périurbain, avant d’analyser leur rapport à l’écologie.
Un projet d’habitat participatif en contexte périurbain
« Le premier éco-hameau participatif d’Île-de-France »
La genèse du Champ-Foulon émane de la réfection du PLU communal en 2007. Les premières esquisses du projet ont lieu en 2009, suite à un appel d’offres lancé par la commune et le PNR afin de construire le premier éco-hameau d’Île-de-France. Après un premier atelier porté par des étudiants en architecture qui tentent d’imaginer d’autres devenirs au centre-bourg, le projet prend forme autour d’une démarche participative avec les habitants de Saint-Cyr-en-Arthies, mené par l’agence d’architecture Polymorphe, qui met en place dès 2010 des ateliers participatifs pour élaborer le programme de l’éco-hameau.
Ce programme évolue en 2015 à la suite de l’implication de la SEMAVO, la société d’aménagement du Conseil général du Val-d’Oise, et de Val d’Oise Habitat, le bailleur social du département, qui lancent un appel d’offres pour trouver un architecte et un assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO). L’appel d’offres est remporté par Angélique Chedemois, architecte, et l’AMO promoteur de courtoisie urbaine dont le rôle est d’assurer l’intermédiaire entre groupe d’habitants et porteur de projet d’habitat groupé, en l’occurrence le bailleur Val d’Oise Habitat. Le bailleur Val d’Oise Habitat, puis la SEMAVO se retirent du projet en 2019 pour des raisons notamment économiques. Malgré une ingénierie présente et engagée sur le temps long ce qui est exceptionnel en contexte périurbain (Moquay & Fonticelli, 2020), celle-ci ne parvient pas à démentir la difficulté, pour des acteurs classiques de la construction à s’engager dans des projets d’habitat participatif (Roux, 2014). Le départ des financeurs porte un coup d’arrêt au projet, qui a alors été lancé depuis plus de 10 ans. Le temps long contraint le groupe initial des futurs habitants à évoluer, certaines familles se retirent du projet.
Le projet est aujourd’hui porté en autopromotion par les habitants qui se sont réunis en association. L’éco-hameau, dont le programme a été modifié du fait de l’évolution du groupe d’habitants, prévoit désormais la construction de 27 logements (une partie en accession, l’autre regroupée au sein d’une coopérative), d’une maison partagée et des espaces communs, tels que des chambres d’amis, une buanderie commune et un jardin partagé. Les logements sont groupés en plusieurs bâtiments qui s’inspirent des corps de ferme typiques des villages du Vexin et l’éco-construction est au cœur du projet. Le permis de construire est déposé en 2020, mais le chantier n’a, à l’heure actuelle (mai 2022), toujours pas démarré.
Une enquête en contexte périurbain
Après une enquête documentaire facilitée par les données en open access du Champ-Foulon, nous avons observé une assemblée générale des habitants en septembre 2020. Durant cette réunion, nous avons réalisé des questionnaires à destination des futurs habitants et réalisé des entretiens informels. Parallèlement, nous avons conduit des entretiens semi-directifs par téléphone auprès de quatre habitants et trois entretiens téléphoniques auprès de différents acteurs du projet : Rabia Enckell, AMO promoteur de courtoisie urbaine ; Angélique Chedemois, architecte ; et Patrick Gautier, responsable du pôle aménagement PNR du Vexin français.
Le groupe d’habitants rencontré s’est constitué successivement, et n’est pas à l’origine du projet d’habitat participatif initial. Certains ont connu le projet par la communication menée par le PNR, ou par le site des Colibris. Le groupe de futurs habitants témoigne d’une véritable mixité générationnelle. Dans leurs profils, ils se rapprochent des « aventuriers du quotidien » (Bidou-Zachariasen, 1984), de la « nouvelle classe » ou « classe alternative » (Bacqué & Vermeersch, 2007). Jeunes actifs, salariés en fin de carrière, retraités, etc., les futurs habitants de l’éco-hameau du Champ-Foulon travaillent ou ont travaillé dans le domaine du soin, ou dans les professions sociales et éducatives, ou avec le milieu artistique. Relativement homogène socialement, le groupe est essentiellement composé d’urbains : 81 % des futurs habitants n’ont jamais habité au sein d’une commune rurale ou périurbaine. Leur rapport au périurbain interroge alors.
Le rapport au périurbain
Alors qu’habiter en périurbain peut résulter d’un véritable choix pour les ménages, le compromis résidentiel se faisant sur le type de bien acheté ou loué (Fonticelli, 2018), pour la plupart des futurs habitants du Champ-Foulon, le contexte périurbain n’est pas réellement souhaité.
Emménager « à la campagne » : des attentes ambivalentes
La plupart des futurs habitants rencontrés n’ont jamais habité dans des communes périurbaines rurales, exception notable de Marie-Claire, qui est installée à Saint-Cyr-en-Arthies depuis les années 1990. Toutefois, trois ménages (six habitants) habitent à proximité, à Mantes-la-Jolie ou Mantes-la-Ville, situées à moins de 15 km de Saint-Cyr-en-Arthies. Pour eux, le Vexin est connu, et participe à leurs pratiques de loisirs. Pour Tristan, l’emménagement en périurbain se fait de manière progressive : il a déménagé de la proche banlieue parisienne à Mantes-la-Jolie au début de l’année 2020 pour se rapprocher de l’éco-hameau. On peut y voir une volonté d’apprivoiser l’espace périurbain, en s’éloignant progressivement de la métropole parisienne. Les autres futurs habitants rencontrés n’ont pas cette proximité géographique. Deux ménages sont parisiens, les autres habitent dans la petite couronne parisienne.
La localisation en périurbain renvoi à l’imaginaire de la campagne, voire des vacances, ou de l’enfance (Hervieu & Viard, 1998). C’est ce que raconte Viviane qui se plaît dans une localisation périurbaine :
« J’ai passé ma petite enfance à la campagne, puis ma vie d’adulte à Paris. Puis j’ai déménagé dans le 92. […] Ici, je trouve le même type de village que celui où il y avait la maison de mes parents » (Entretien de Viviane, 2020).
Pour d’autres, le lien aux espaces ruraux est amené par le compagnon ou la compagne, comme c’est le cas pour Tristan, qui explique son choix en partie par la volonté de son épouse d’emménager dans le rural :
« Ma femme, Maïté, a beaucoup plus tôt eu envie d’habiter à la campagne. Elle avait une maison de campagne dans l’Ain, au sud du Jura. Elle est très attachée à cet endroit. Elle a un rapport à la ruralité, même si elle n’a jamais vécu à l’année à la campagne. » (Entretien de Tristan, 2020).
Mais l’emménagement en périurbain est justifié par le vœu d’emménager en éco-hameau, face à un désaveu des formes classiques de promotion immobilière. Deux couples avaient ainsi rejoint d’autres projets d’habitat participatif avortés avant de rejoindre l’éco-hameau du Champ-Foulon :
« On s’est investis dans un projet à Achères, bien un an et demi. Le projet ne s’est pas fait. Trop petit projet, trop compliqué. […] Puis on est tombé sur le projet au Champ-Foulon. On l’avait déjà vu. Initialement on l’a vu on s’est dit c’est trop loin à la campagne, on ira jamais là. Et puis en fait on avait évolué, et on s’est dit qu’on était prêts à faire ce choix plus radical. » (Entretien de Tristan, 2020)
Le périurbain n’est donc choisi que dans un second temps, il tient lieu de compromis.
Pourtant, le contexte périurbain, parce qu’il permet à la fois la proximité de la ville et sa mise à distance – Paris ou Mantes-la-Jolie – est accepté. « J’ai envie d’habiter à la campagne, mais pas loin de Paris, pour les petits enfants. » (Entretien de Viviane, 2020). Pour Tristan, le périurbain, sous condition d’habiter en éco-hameau permet d’habiter à la campagne tout en conservant une vie sociale.
« Habiter là pour ce que ça peut offrir : le type d’habitat écologique, avoir un mode de vie au niveau de l’habitat plus sobre. D’habiter dans la campagne, mais en même temps d’avoir la garantie d’avoir une vie sociale, d’avoir de l’entraide. C’est un peu un package, ça vient avec. On peut mener une vie assez épanouissante, assez chouette dans ce type d’habitat. » (Entretien de Tristan, 2020)
Ce qui est anticipé comme des contreparties négatives à habiter en périurbain est compensé par les possibilités offertes par l’éco-hameau. Cependant, l’installation en périurbain peut se faire à contrecœur, comme pour Zazie, très engagée à Mantes-la-Ville, qui juge qu’« Au niveau de la qualité de vie, c’est un moins pour moi de partir en milieu rural », lié à l’éloignement de la ville, à la nécessité de prendre la voiture pour se déplacer.
Apprivoiser le périurbain
Les ménages interrogés ont conscience des transformations qu’induit la localisation périurbaine. Avant même d’emménager, ils envisagent d’apprivoiser leur nouvel environnement (Rougé, 2009). L’anticipation des évolutions contraintes par leur nouveau mode d’habitat interpelle l’AMO Courtoisie urbaine, qui, habituée à travailler davantage en urbain dense, souligne que les contraintes périurbaines sont abordées d’emblée par le collectif d’habitants :
« C’est intéressant, car par rapport à des habitants de zone dense, ils vont se poser la question autrement. Ils vont tout de suite se poser la question de la mobilité, mais aussi du service. […] On ne peut pas dire que l’idée d’habiter dans le rural les attirait. Pourtant, ils en voient les limites et les avantages. » (Entretien de Rabia Enckell, 2020).
Pour les ménages concernés, l’éloignement des services et des commerces pose la question du vieillissement. S’il est possible de bien vieillir en périurbain, en s’appuyant sur une bonne connaissance locale des services et des acteurs et en adaptant son logement (Aragau & Morel-Brochet, 2013), les personnes rencontrées ne sont pas dans cette situation. Mais là aussi, le groupe anticipe cette problématique.
« Ce groupe-là réfléchit beaucoup à comment vieillir en milieu rural. Ils se posent la question du “quand je ne pourrais plus conduire”. Ils savent pourquoi ils sont là et ça n’est pas seulement pour accéder à un logement. » (Entretien de Rabia Enckell, 2020).
Enfin, pour certains, des motivations économiques entrent en jeu. Certains ménages sont attirés par la copropriété parce qu’ils ne peuvent pas accéder à la propriété. Habiter en périurbain est moins cher qu’habiter dans l’agglomération, ce qui répond aux attentes de certains foyers. « Ils sont plus fauchés en dehors des zones denses. Le maximum financier est très vite atteint. Par contre, le bagage culturel est le même. Leur capacité à s’investir dans le projet est identique. » (Entretien de Rabia Enckell, 2020). Le périurbain conserve son caractère de refuge pour des ménages modestes au-delà des métropoles.
Emménager en périurbain semble alors un compromis : pour habiter en éco-hameau, surtout, pour accéder à un logement de qualité abordable et écologique également.
Quel rapport à l’écologie en contexte périurbain ?
Les entretiens avec les habitants ont confirmé l’importance de la dimension écologique dans ce projet « Pour moi c’est tellement une évidence. C’est la base du projet. C’est une dimension écologique, environnementale, mais aussi avec l’humain au centre. » (Entretien de Marie-Claire, 2020).
Un éco-habitat périurbain négocié
Le questionnaire diffusé a montré qu’habiter dans des logements présentant des qualités écologiques est la motivation principale des futurs habitants (63 % d’entre eux estiment que c’est de première importance). Si la dimension écologique de l’éco-hameau était envisagée dès l’origine du projet, elle s’est avérée une contrainte économique et réglementaire, comme c’est souvent le cas pour les financeurs (Taburet, 2012). Cette dimension n’est devenue centrale que lorsqu’il a été porté en autopromotion :
« Avant, avec la SEMAVO on était contraints, avec les habitants on peut flirter avec les normes pour faire des choses très sobres. […] On sort des normes qui ne sont pas réglementaires, mais culturelles. Les habitants peuvent choisir ces arbitrages-là, plus écologiques et moins coûteux. » (Entretien de Rabia Enckell, 2020).
La question du budget demeure néanmoins un facteur limitant pour les habitants, et au final, l’architecte Angélique Chedemois, estime que le projet est relativement « banal » en éco-construction.
Les débats menant aux choix d’éléments d’éco-conception et d’éco-construction tournent autour de trois grandes thématiques relatives à l’énergie, aux matériaux, et à la gestion de l’eau, qui ressortent des discours des acteurs interrogés.
Le choix des énergies est limité par l’ABF. « Pour les énergies, on était limités, on n’avait pas le droit au photovoltaïque ». (Angélique Chedemois, 2020). La solution compromis du poêle à pellet pour le chauffage est donc envisagée, également en raison de son caractère économique pour les habitants. Le PNR du Vexin a joué un rôle prépondérant pour le choix des matériaux auprès des habitants, incités à utiliser le béton de chanvre entre autres éco-matériaux biosourcés locaux. Le parc a notamment repris une plateforme d’éco-matériaux, qui a fait office de démonstrateur auprès des habitants. Autre point de discussion majeur, la question de la gestion des eaux, thématique liée à une problématique territoriale spécifique associée aux pratiques des agriculteurs de Saint-Cyr. L’éco-hameau aura un système de noues, qui permet la phytoépuration des eaux usées. La question des toilettes a notamment été un point de dissension :
« Il y a une demande de la coopérative pour les toilettes sèches. Vous voyez, ça c’est des éléments qui n’étaient pas possibles avec la SEMAVO et le bailleur social qui voulaient absolument une réversibilité des toilettes sèches pour permettre une revente ou une location à d’autres ménages.» (Entretien d’Angélique Chedemois, 2020)
Au-delà de la seule dimension écologique, c’est celle du confort qui permet en effet de révéler des visions de l’écologie qui s’opposent parfois (Mangold, 2016).
Quel renouveau des pratiques écologiques en périurbain ?
Les pratiques écologiques sont systématiquement présentes dans les échanges sans être explicitement convoquées : lorsqu’il évoque la satisfaction d’avoir un jardin, Tristan précise immédiatement que cela lui permet de réaliser son compost, Valentin présente le site du projet en interrogeant la possibilité d’avoir des poules, parce qu’elles consomment les déchets alimentaires,etc. Pourtant, si cet engagement semble être une évidence pour toutes les parties prenantes du projet, il se traduit selon différentes dimensions au sein de l’éco-hameau.
La façon dont les habitants consomment prévaut dans les discours. Habiter en périurbain, c’est aussi repenser son approvisionnement alimentaire, pour acheter aux producteurs locaux (Essers, 2020). La présence d’un potager et d’un verger partagé sont mis en avant dans les discours comme de premiers pas vers l’autosuffisance alimentaire à laquelle les futurs habitants aspirent, vision partagée par de nombreux éco-villages (Hall, 2015).
Si ces avantages sont permis par une localisation en périurbain, et valorisés dans les discours, habiter en milieu peu dense peut être lu comme contraire à l’exemplarité écologique, notamment car il génère un autosolisme. Les habitants interrogés ont pleinement intégré le discours encore dominant des espaces peu denses comme pollueurs du fait d’importantes mobilités et y voient un espace « en marge d’une nouvelle norme environnementale » (Desjardins, 2017). Mais là aussi, le fait de vivre dans un éco-hameau permet aux habitants d’envisager d’autres types de mobilités.
« D’un point vue écologique, la ville idéale est censée être dense. Le Vexin n’a pas vocation à se densifier, mais après comme on est tous dans cet esprit-là, on va réfléchir à s’organiser pour co-voiturer, faire du vélo électrique pour faire ses courses. Le fait d’être en participatif, sur la mutualisation de service, cela peut valoir sur les transports. » (Entretien de Tristan, 2020)
Tous les habitants rencontrés envisagent d’organiser du co-voiturage, vont acquérir ou ont déjà acquis un vélo électrique pour relier Mantes, ses gares et ses commerces. D’autres envisagent de changer d’emploi pour se rapprocher. La contrainte de la mobilité est intégrée à leurs réflexions, et à celles du PNR, qui compte mettre à leur disposition une voiture électrique pour faciliter des mobilités moins carbonées.
S’engager : l’éco-hameau comme l’expression d’« une exigence de cohérence globale »
L’engagement vient en contrepoint des normes et attendus étatiques, encadrant des pratiques périurbaines ou écologiques au travers de réglementations, de référentiels d’évaluation, ou autres attendus décriés par les habitants eux-mêmes, même si le projet est enregistré sur la plateforme ÉcoQuartier du ministère de la Transition écologique. Les futurs habitants rencontrés se projettent dans un lien renouvelé à leur futur environnement. Comme d’autres habitants de projets d’habitat participatif, ils veulent s’engager localement : « Ils ont dans cette démarche une exigence de cohérence globale où le politique s’impose dans tous les espaces-temps de leur vie » (Roux, 2014). Cet engagement transforme leur rapport au périurbain.
Des ménages engagés
Beaucoup des ménages rencontrés ont des engagements associatifs qui ont trait à l’écologie : association de préservation des animaux, Jardiniers du Val-de-Seine, Incroyables Comestibles, ou association écologiste locale (Mantois en transition). S’y ajoutent des engagements militants, voire politiques, largement ancrés à gauche : l’un a milité au sein de Génération, ou pour l’ONG Alternatiba, l’autre a participé à une liste d’union de la gauche pour les élections municipales à Mantes. D’autres, enfin, envisagent de s’engager dans la politique municipale locale lorsqu’ils seront habitants de Saint-Cyr. L’investissement dans la co-construction d’un éco-hameau a même été le déclencheur de l’engagement politique de Marie-Claire, élue dans la commune depuis 2020.
Au-delà de ces engagements formalisés, les futurs habitants du Champ-Foulon se rejoignent sur « une critique forte du fonctionnement de la société actuelle » (Dupuit, 2020). Les futurs habitants se fédèrent autour d’une critique commune de la société de consommation, d’une volonté d’aller vers une écologie plus radicale. Beaucoup témoignent de leur rejet des grandes surfaces, voire rêvent d’autosuffisance alimentaire. Ainsi, habiter en éco-hameau est un moyen de poursuivre un engagement militant et d’essayer de faire société :
« On a un aspect un peu plus militant. C’est un mode de vie et un type de projet qui devraient être la norme, au même type que les AMAP et Biocoop devraient la norme pour s’alimenter, etc. L’habitat participatif devrait être la norme, ce qui se fait et forme notre société. Même s’il y a beaucoup de freins ; c’est important pour nous de mener ces projets. » (Entretien de Tristan, 2020).
« Des habitants avant des bâtiments »
Et si leur engagement politique ou militant n’est pas toujours local, les futurs habitants aspirent pleinement à s’ancrer à Saint-Cyr-en-Arthies, à devenir pleinement habitants, avant même la construction des bâtiments :
« J’ai demandé au groupe de devenir habitants ; de s’engager dans les associations de la commune. Notre idée c’était : « Les habitants avant les bâtiments”. Mon objectif c’était à travers ces éléments d’éviter la violence du chantier, de socialiser et de porter des sociabilités avant que les habitants ne s’installent. Qu’ils se connaissent déjà. » (Entretien d’Angélique Chedemois, 2020)
Devenir habitant passe par une participation à la vie locale. Les futurs habitants participent déjà aux activités organisées par la commune, ramassage des déchets, journées du patrimoine, etc. Ils s’engagent dans l’association de Saint-Cyr, notamment autour de la gestion du jardin partagé. « Avec l’association des habitants du village, on s’est mis d’accord pour en faire un jardin partagé où justement futurs et anciens habitants pouvaient jardiner ensemble. Avant qu’on soit habitants, il y a déjà une activité commune » (Entretien de Zazie, 2020) Jardiner ensemble participe à la mise en place d’une mixité et limite l’entre-soi (Zask, 2016). Symboliquement, cette appropriation passe aussi par des temps récréatifs se déroulant sur site, comme l’organisation d’un weekend camping sur le terrain des futurs bâtiments :
« On s’est organisé un weekend sur place, on a campé là-bas. On s’est organisé un weekend de détente : balades, visites d’un artisan, visite de la maison du parc. Et puis de se faire la cuisine avec les légumes qui viennent du jardin. ». (Entretien de Zazie, 2020).
Il s’agit d’investir les lieux et de les découvrir collectivement.
L’engagement sur ce site, qu’il se matérialise ou non spatialement, se traduit par une volonté de construire un habiter (Paquot et al., 2007) avant même de vivre sur place. L’éco-hameau est envisagé comme un lieu où faire société. La charte de l’éco-hameau, rédigée et signée par les futurs habitants, en témoigne : « Nous cherchons à montrer qu’une nouvelle forme de citoyenneté est possible » Charte du Champ-Foulon, 2019. Cette charte engage les futurs habitants de l’éco-hameau, mais a également vocation d’imprégner le village et ses habitants. L’AMO note un changement dans les préoccupations des habitants :
« Avant on travaillait vraiment sur l’habitat et le logement : les typologies d’appartements, etc. Maintenant on travaille vraiment sur les communs, l’implication dans le village. Comment on peut faire des évènements, faire venir des évènements culturels. » (Entretien de Rabia Enckell, 2020).
Conscients que l’habitat participatif tend souvent à un entre-soi, les habitants tentent de s’en prémunir notamment en ouvrant des activités aux habitants du village voire du d’autres communes. Si le contexte périurbain permet des coûts moins importants d’accession au logement, et ainsi d’accueillir des ménages avec moins de ressources, le départ du bailleur social du projet a condamné plusieurs foyers à renoncer à se joindre à l’éco-hameau. Si cette volonté d’aller vers une mixité sociale est présente dans les discours, les conditions de sa réalisation ne font pas consensus :
« J’étais en contact avec quelqu’un d’Emmaüs qui cherchait une ferme pour accueillir des détenus en fin de peine longue. Ça a pu tester un peu les limites à ce niveau-là. Le groupe n’en est pas là, mais beaucoup sont prêts à accueillir plus de mixité. » (Entretien de Tristan, 2020)
La dimension idéologique de la lutte contre une homogénéité sociale, présente chez d’autres habitants d’opérations d’autopromotion (Marchand, 2012) n’a pas encore trouvé de réponse au Champ-Foulon, même si la coopérative y répond en partie. Là aussi, des désaccords sont présents dans le groupe : certains habitants souhaitent réaliser l’ensemble de l’opération en coopérative, quand d’autres tiennent à accéder à la propriété, notamment les jeunes ménages.
Cet engagement dans un autre mode d’habiter vise à faire modèle (Roux, 2014), dont témoigne la charte :
« Nous souhaitons que la vertu pédagogique de ce lieu de VIE inspire celleux qui seront de passage à mieux prendre conscience de l’impact réel de leurs décisions quotidiennes sur elleux-mêmes, la société et l’environnement. » (Charte du Champ-Foulon, 2019)
Ainsi, les habitants communiquent beaucoup sur leur démarche sur les réseaux sociaux, sur les sites internet spécialisés comme celui des Colibris, de l’habitat participatif, et dans les médias locaux et nationaux, même si la reproductibilité d’une telle démarche, qui doit largement son existence au PNR interroge.
Conclusion
Sans naïveté, les futurs habitants s’interrogent sur leur capacité à donner vie à leur ambition : « Cet idéal qu’on souhaite voir se réaliser, est-ce qu’on va y arriver ? » (Entretien de Marie-Claire, 2020). Cet idéal écologique, spécifique des éco-villages bercés aux concepts de la contre-culture (Amar, 2019) se heurte néanmoins aux difficultés inhérentes à un périurbain qui se doit d’être apprivoisé par les habitants, d’autant plus qu’il leur est, largement méconnu. Les spécificités territoriales de cet espace conditionnent également, dans une certaine mesure, les ambitions écologiques des futurs habitants : si la localisation périurbaine ouvre des possibles pour l’utilisation de matériaux locaux ou une autosuffisance alimentaire, elle les contraint à s’adapter. Cela n’empêche pas un engagement fort des futurs habitants et des acteurs qui les accompagnent dans leur projet. C’est cet engagement qui a permis au projet d’évoluer dans le temps malgré les vicissitudes inhérentes au projet, et de recomposer un habiter périurbain négocié, à la croisée des attentes écologiques de chacun.
Les futurs habitants espèrent alors vivre leur utopie sur mesure, en s’appuyant sur une démarche réellement participative en termes de conception, de promotion et de construction. Le projet répond à une véritable démarche habitante participative, qui tend à intégrer des préoccupations écologiques clairement identifiées. L’espace périurbain est à même de les accueillir.
Amar, S. (2019). Laboratoires d’architectures écotopiques. Des communautés d’hier aux écovillages d’aujourd’hui (États-Unis, Europe, 1965-2015). Thèse de doctorat, Université d’Aix Marseille.
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Bacqué, M-H., & Vermeersch, S. (2007). Changer la vie : les classes moyennes et l’héritage de Mai 68, Ivry-sur-Seine : Les éditions de Atelier/Ouvrières.
Berger, M., Aragau, C., & Rougé, L. (2014). Vers une maturité des territoires périurbains ? : Développement des mobilités de proximité et renforcement de l’ancrage dans l’Ouest francilien, EchoGéo, 27. [en ligne] https://doi.org/10.4000/echogeo.13683
Bidou-Zachariasen, C. (1984). Les aventuriers du quotidien : essai sur les nouvelles classes moyennes. Paris : PUF.
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