Renommer est une installation constituée de banderoles en papier épais, gaufrées d’un texte au recto et au verso (◉43). Ces banderoles sont figées dans deux caissons translucides. L’artiste a reproduit, en volume et avec une quasi-exactitude, les phylactères présents dans une série de peintures de Juan Correa de Vivar (◉44), artiste sous l’Inquisition espagnole, qui fit le portrait en 1533 et 1535, de prophètes de l’Ancien Testament dont David et Isaïe. Les banderoles figurant sur ces tableaux flottent au-dessus des prophètes, et à la manière d’une légende, elles portent leur nom. Dans le contexte de l’Inquisition espagnole, le port de noms juifs est proscrit, sous peine de poursuites et de condamnations. Dès lors, leur présence et exposition dans les peintures de Juan Correa de Vivar, justifiée par la nature du sujet – l’histoire biblique – accuse la contradiction avec une situation contemporaine, qui commandait l’effacement des marques de judéité et la culture du secret parmi les nouveaux-chrétiens restés fidèles au judaïsme. Les juifs convertis des communautés marranes, abandonnèrent leurs noms à consonance hébraïque et adoptèrent noms et prénoms catholiques, gages de la discrétion sans pour autant renier leur communauté confessionnelle originelle. La forme particulière de transmission de ces noms (d’oncle en neveu, de tante en nièce et non de père en fils) assurait en effet la reconnaissance entre membres de la communauté, tout en brouillant les pistes en cas de procès. Ce sont ces nouveaux noms, issus de généalogies, ces noms autorisés mais cryptiques, qui se révèlent dans les méandres des banderoles. Avec Renommer, l’écriture éthérée du phylactère s’incarne et s’ancre dans l’espace, et les noms feints, dotés dès lors d’une matérialité épigraphique (usage des capitales classiques, relief), s’en trouvent monumentalisés. Enfin, à l’égal d’une facétie de langage, thème cher à l’artiste, ces noms, dans leur filiation formelle avec les noms de la Loi peints par Juan Correa de Vivar, réexpose in fine la judéité qu’ils venaient voiler, les inscrivant dans une lignée justement hébraïque (◉45 à 47).