Concept-clé
Est entendu par pratique de revenge porn, tout contenu sexuellement explicite (photo, vidéo, enregistrement sonore, etc.) qui est publiquement partagé en ligne sans le consentement de la victime qui apparaît dessus.
D’après Gabrielle Richard, sociologue du genre, ces cyberviolences revêtent une dimension fortement sexuée puisque les principales victimes sont généralement des femmes1.
Elles interviennent majoritairement dans le cadre de ruptures sentimentales mal acceptées et résultent souvent de ressentiments liés à des infidélités2.
Si pour les femmes cette tromperie relève de la trahison et suscite des comportements apathiques, « une sidération », « un foudroiement », « une destruction intérieure », chez l’homme, elle est vécue comme une blessure narcissique réactive qui nécessite d’infliger une douleur en retour, de causer à l’autre une souffrance égale à l’outrage subi.
Synonymes
- Pornovengeance
- Pornodivulgation
- Pornographie non consensuelle
- Diffusion non consentie d’images intimes
- Images d’abus sexuels
À partir de ce moment-là, ma vie a basculé. N’importe qui, en tapant mon nom, pouvait me voir nue sur Internet.
– une victime
Ce qu’il faut retenir…
La traduction française de « vengeance pornographique » est fortement décriée par les théoriciens du genre qui considèrent que cette catégorisation dédouane le cyberharceleur et induit au contraire une culpabilisation des victimes les rendant responsables d’une punition publique qu’elles mériteraient.
Plusieurs chercheurs ont proposé d’utiliser à la place de revenge porn les termes de « diffusion non consentie d’images intimes » permettant à la victime de mettre l’accent sur l’absence de son consentement et de dénoncer la démarche de divulgation et de diffusion en ligne.
D’autres chercheurs préfèrent quant à eux parler « d’images d’abus sexuels », mettant plutôt en exergue la violence de l’acte, la responsabilité de l’auteur des faits, accordant ainsi aux victimes la reconnaissance des souffrances traumatiques infligées.
Aux origines
Il serait erroné d’associer Internet à la diffusion non consentie d’images intimes. S’il est certes constitutif d’une viralité sans précédent, cette pratique a été observée pour la première fois dès juillet 1976, dans le magazine pornographique mensuel américain Hustler créé à l’initiative de Larry Flint.
La rubrique Beaver hunt encourageait notamment les photographes amateurs, incitant maris et petits amis à partager des clichés de femmes « totalement nues dont on pouvait identifier le visage ». De courtes biographies permettaient de prendre connaissance de leur nom, de leur âge, de leurs occupations, etc., sans pour autant qu’elles y aient toutes consenti.
Dans les années 2000, le chercheur italien Sergio Messina a constaté que cette pratique de diffusion de photos intimes d’anciennes conquêtes émergeait dorénavant dans les forums de discussion en ligne, connaissant une forme de climax en 2010 avec la création par Hunter Moore du site Internet IsAnyoneUp.com (inculpé en 2014) qui exploitait ouvertement des images intimes de victimes volées depuis leurs comptes Gmail et Yahoo piratés, dévoilant entre autres leurs noms, leurs adresses et des liens vers leurs profils sur les réseaux sociaux.
Exemple concret
Que dit le cadre légal…
Si les articles 226-1 et 226-2 du Code pénal assuraient jusqu’ici la protection des atteintes volontaires à l’intimité de la vie privée par transmission de propos tenus en privé ou par captation et diffusion d’images, une carence demeurait néanmoins en matière d’atteintes à l’intimité sexuelle.
L’article 67 de la Loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique (dite « loi Lemaire ») est ainsi venu approfondir le Code pénal en renforçant par un nouvel article (article 226-2-1) les sanctions pénales dans les cas spécifiques de contenus à caractère sexuel.
Celui-ci punit le fait « en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même ».
Le caractère sexuel des contenus est une circonstance aggravante puisque le délit passe dans ce contexte d’un à deux ans de prison, et de 45 000 à 60 000 euros d’amende.
Pour aller un peu plus loin…
Quelques références scientifiques :
- Bates Samantha, Revenge Porn and Mental Health: A Qualitative Analysis of the Mental Health Effects of Revenge Porn on Female Survivors, Feminist Criminology, vol. 12, n° 1, 2017, p. 22-42, [https://doi.org/10.1177/1557085116654565].
- Detraz Stéphane, Les nouvelles dispositions réprimant les atteintes à l’intimité sexuelle : faire compliqué quand on peut faire simple. (Commentaire de l’article 226-2-1 du Code pénal issu de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016), Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, vol. 4, n° 4, 2016, p. 741- 753, [https://doi.org/10.3917/rsc.1604.0741].
- Ikiz Simruy, Les violences à l’encontre des femmes sur les réseaux sociaux, Topique, vol. 143, n° 2, 2018, p. 125-138, [https://doi.org/10.3917/top.143.0125].
- Lenhart Amanda, Ybarra Michele, Price-Feeney Myeshia, Nonconsensual image sharing, One in 25 Americans has been a victim of “revenge porn”, Data & Society Research Institute, 2016, [https://datasociety.net/library/nonconsensual-image-sharing/].
- Louis Marie-Victoire, Le droit de cuissage. France. 1860-1930, Paris, Éditions de l’Atelier, 1994, 319 pages.
- Messina Sergio, Realcore, the Digital Porn Revolution: A Retrospective (1997/2017), communication orale : El cuerpo descifrado, 20 octobre 2017, Queretaro, Mexique.
- Rambukkana Nathan, Gauthier Maude, L’adultère à l’ère numérique : Une discussion sur la non/monogamie et le développement des technologies numériques à partir du cas Ashley Madison, Genre sexualité & société, n° 17, 2017, [https://doi.org/10.4000/gss.3981].
- Renard Noémie, En finir avec la culture du viol, Les petits matins, coll. « Essais », 2018, 178 pages.
- Salmona Muriel, Chapitre IV. Combattre les stéréotypes, le déni, la culture du viol, in : Salmona Muriel, Le harcèlement sexuel, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2019, p. 61-79.