Concept-clé
La pratique du sharking consiste à dévêtir une personne en public, par surprise et contre sa volonté, à filmer la scène avec un téléphone portable puis à la diffuser sur Internet via les réseaux sociaux, plateformes vidéo ou de mobile à mobile.
Dans la majorité des cas, l’humiliation publique se veut très fugace. En effet, l’agresseur arrive derrière une victime souvent prise au hasard qui, n’ayant pas le temps de se soustraire, voit sa jupe brutalement soulevée ou son pantalon baissé.
L’assaillant peut même avoir recours à la violence physique pour exercer la contrainte. Un complice présent à proximité enregistre la séquence avant de prendre lui aussi la fuite. Face à la soudaineté de la situation, les spectateurs médusés n’ont généralement pas le temps de réagir ni de riposter.
Lorsque les sous-vêtements de la victime sont tirés vers le haut afin de les coincer dans le sillon interfessier, cette pratique porte le nom de wedgie (de l’anglais « to wedge » qui signifie coincer) ou tire-slip.
L’intention première est celle de dévoiler les sous-vêtements, voire de dénuder la victime. Si le sharking est une pratique revendiquée par ceux qui l’exercent avant tout comme un jeu ou un défi dont la recherche de l’exploit ou la quête de sensation demeure l’objet principal, il est pour autant vécu comme une véritable atteinte à l’intégrité physique ou psychique pour la personne qui la subit.
Synonymes
- Déshabillage forcé
- Depantsing
- Debagging
- Dekekking
- Dakking
- Wedgie
En l’espace de quelques secondes, je me suis retrouvée en sous-vêtements dans la rue et tout était filmé…
– une victime
Ce qu’il faut retenir…
Dans la littérature scientifique, le sharking est régulièrement abordé au prisme du jeu dangereux et violent. Plusieurs auteurs s’accordent à dire que les souffrances des jeunes prennent souvent des formes socialement sexuées.
Si les jeunes filles tendent à abîmer leur corps sans occasionner d’autres préjudices pour celles et ceux qui les entourent (troubles des conduites alimentaires, scarifications, brûlures, etc.), les garçons au contraire expérimentent plus la transgression et la provocation du défi beaucoup plus attentatoires pour les autres.
Ces conduites conjuguent souvent un sentiment de puissance lié à l’interdit de l’action à celui de l’attachement au divertissement procuré par la régression de jeux infantiles.
Elles participent d’une mise en scène de la virilité qui donne lieu à des épreuves à accomplir sous les yeux des autres garçons. Ils peuvent être associés à des rites qui relèvent d’une confirmation de l’appartenance au groupe.
Si elle touche un autre que soi, l’humiliation est attractive comme spectacle. Aussi la stupéfaction et la détresse de la victime s’érigent en véritables trophées sur Internet pour celui qui s’exhibe devant la caméra.
Les conséquences physiques et psychologiques de ces comportements agressifs ne sont pas mesurées par leurs auteurs. Seule la médiatisation de l’exploit, voire la quête même d’une gloire éphémère sur les sites web d’hébergement de vidéos, est recherchée.
Aux origines
Les premières illustrations se rapprochant du sharking apparaissent dans la littérature anglaise au début du siècle précédent, notamment dans les romans oxoniens, dans lesquels il est fait état de canulars consistant au déshabillage forcé de certains étudiants à la faculté.
Des ouvrages tels que celui de Sinister Street de Compton Mackenzie (1914) ou encore The Oxford Circus a Novel of Oxford and Youth d’Alfred Budd (1923) l’ont identifié sous les traits de « debagging », décrits alors comme une plaisanterie fréquente qui visait à baisser les pantalons amples de l’époque, appelés « Oxford bags ».
Sa forme la plus extrême a d’ailleurs consisté à faire monter le pantalon sur le mât du drapeau de l’université. Ces affrontements à grande échelle généralement entre garçons de première et de deuxième année pouvaient impliquer des centaines de participants. Il s’est parfois décliné au fil des années en rite d’initiation dans certaines fraternités.
Au fur et à mesure, cette pratique du debagging s’est aussi bien répandue dans le pays qu’à l’étranger. Elle s’est par exemple inspirée des dialectes régionaux comme dans le nord de l’Angleterre où se sont imposées les dénominations « dekekking » et « dekecking » (« kecks » désignant dans le patois local les sous-vêtements). Elle s’est également jouée du nom de la marque de vêtements DAKS Simpson en Australie pour instituer les termes de « dakking », « dacking », ou encore « daxing ». La dénomination de double-dacking a d’ailleurs été introduite pour qualifier le pantalon et les sous-vêtements tirés tous deux en même temps vers le bas.
Exemple concret
Que dit le cadre légal…
En cas d’atteinte à l’intégrité corporelle de la victime, l’auteur des actes voit son comportement réprimé par la loi (articles 222-1 à 222-14-17 et 222-23 à 222-31).
Une réponse juridique et pénale complémentaire peut être apportée au sharking par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, notamment l’article 222-33-3 précisant le statut légal de toute personne enregistrant les images d’atteintes portées à l’intégrité physique de la victime :
- le prévenu est tout d’abord considéré comme complice légal de la personne se rendant coupable des atteintes à l’intégrité physique de la victime, et dès lors s’expose à l’application des mêmes peines que s’il se rendait coupable de ces actes de violence ;
- le fait de diffuser l’enregistrement de telles images est par ailleurs érigé en infraction autonome, punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Pour aller un peu plus loin…
Quelques références scientifiques :
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