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C’était quoi le nuo 傩 finalement pour les villageois de Shiyou 石邮 (Province du Jiangxi, Chine du Sud-Est) ?

C’était quoi le nuo 傩 finalement pour les villageois de Shiyou 石邮 (Province du Jiangxi, Chine du Sud-Est) ?

Je suis arrivée au village de Shiyou en 2002, pour étudier son théâtre de masques, appelé nuo. Depuis, j’y suis retournée presque chaque année jusqu’en 2018, pour des séjours de plusieurs semaines, d’abord en hiver pour le Nouvel An, puis en été pour de plus longues durées. Ce temps long m’a permis d’explorer les dimensions multiples de ce genre ancien et très particulier en Chine parce qu’il mobilise des masques, se distinguant ainsi du théâtre chanté par des humains, devenu le genre chinois le plus courant. Dans le district de Nanfeng au Jiangxi, le nuo a survécu dans plusieurs villages, pour lesquels il représente une vraie fête inscrite dans le temps liminal du passage du Nouvel An. Ses aspects latents, peu connus des spécialistes, et donc fondamentaux pour une connaissance en profondeur, ont peu à peu émergé à mes yeux, à travers les enquêtes renouvelées1.

Une synthèse des éléments les plus importants en est proposée ici, avec l’objectif de montrer combien cet « art vivant », pour reprendre le titre du colloque de Bordeaux, était d’abord un véritable fait social total jusqu’à sa récente folklorisation, dont la pleine mesure ne peut se comprendre sans étudier ses liens avec le monde social qui le produit et l’entoure. À partir de la mise au jour des différents niveaux s’organisant en un système local en lien avec l’extérieur, je tenterai la gageure de répondre à la question : qu’était le nuo pour les villageois de Shiyou ?

Je partirai des sources anciennes puis des discours récents sur le nuo, pour ensuite le décrire d’après mes propres observations, qui complètent et parfois contredisent les mots énoncés. Je donnerai enfin mon interprétation anthropologique, fondée sur l’analyse des données du terrain et en dialogue avec les textes. Un tableau récapitulatif des différents niveaux qui participent au nuo mettra ensuite au jour la hiérarchie de valeur qui les organise en un système social cohérent.

Ce texte se veut d’abord ethnographique, l’analyse venant en toute fin pour organiser les données. Mais, en soubassement de la réflexion se trouve toute mon expérience anthropologique, qui m’a menée à l’écoute de pans inexplorés par les auteurs autochtones comme par les spécialistes des arts vivants et des théâtres. Finalement mes deux objectifs sont ici à la fois de rendre hommage aux villageois de Shiyou, et de montrer l’ancrage de leur nuo dans la structure sociale. Et, comme cette structure est aujourd’hui profondément modifiée par la modernisation et le développement de l’économie, ainsi que par l’approfondissement du totalitarisme politique du gouvernement chinois, le nuo est profondément affecté, et subsiste essentiellement de nos jours comme folklore local propre à attirer les touristes. Néanmoins, les villageois continuent également de le respecter et de le pratiquer. Mais pour combien de temps ?

Ce qui est dit

Dans les écrits anciens : un rite d’exorcisme

Le caractère2 nuo 儺/傩 est attesté dès les temps les plus anciens. Certains auteurs pensent qu’il est déjà présent sous une forme archaïque dans les premières écritures divinatoires sur carapaces de tortues datant de la dynastie des Shang3. Sous une forme authentifiée, il se trouve dans plusieurs textes classiques fondateurs, notamment les Rites des Zhou, le Livre des rites et les Entretiens de Confucius. La description la plus citée est celle du classique les Rites des Zhou :

Le fangxiangshi porte une peau d’ours, un masque doré à quatre yeux, un haut noir et un pantalon rouge, il tient d’une main une hallebarde et brandit de l’autre un bouclier, il dirige la troupe pour aller dans tous les coins de la cour sauter et crier afin de chasser les épidémies et les démons4.

Les fangxiangshi étaient des fonctionnaires militaires subalternes du royaume des Zhou, dont l’une des fonctions était de pratiquer ce rite sous la forme de danses masquées lors de défilés au son de tambours. Le terme chinois « sauter » tiao 跳 est repris dans l’expression « danser » jiaowu 跳舞, deux idées liées par une action impliquant tout d’abord des mouvements des pieds, et accompagnée de cris, du port de masques, de costumes et d’armes. Cette action corporelle performe un mime de chasse ou de guerre, considéré comme un exorcisme, pour lutter contre, puis renvoyer au loin, ou supprimer, des ennemis, désignés ici comme « épidémies et démons ». L’importance de ce rite lui confère un vrai honneur, comme le signale Confucius lui-même, dans un passage célèbre des Entretiens (10-14) :

Lorsque la troupe des paysans passe devant chez lui s’en aller effectuer le nuo, Confucius revêt alors ses habits de cérémonie et se tient respectueusement sur les marches de sa maison.

Selon les ouvrages anciens, le nuo était le point culminant de la fête du La, qui a ensuite évolué sous la forme du Nouvel An à partir de la dynastie Han (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.) Traversant cette évolution, le nuo est resté lié à cette fête, ne se pratiquant que lors de cette période, étalée de nos jours sur plus de deux semaines. Lié à la cour ou effectué par des troupes de paysans, le nuo avec ses masques a perduré jusqu’à nos jours, il avait encore cours chaque année pour exorciser la Cité impériale jusqu’à la fin de la dynastie Ming (1644), puis a perduré sous celle des Qing (1644-1911) dans des grands temples de la capitale. Aujourd’hui cependant, il n’a été conservé sous une forme active que dans certaines régions comme le Jiangxi, et chez certains peuples minoritaires, toujours en lien avec des croyances locales, taoïstes ou chamaniques5, organisant des rapports entre vivants et déités, dieux et démons, entités surnaturelles et naturelles.

Le terme nuo n’est pas traduisible en français, puisqu’il désigne ce genre particulier inscrit aujourd’hui dans ce que l’on appelle le « spectacle vivant ». Fermement ancré au cœur de la société chinoise, l’un de ses analystes chinois, Lin He6, rapproche les caractères « Chine/chinois » han 漢/汉 et nuo 儺/傩 : en effet, ces deux caractères non simplifiés partagent la même clé graphique jian 𦰩 (simplifiée en you 又 « main droite »), qui aurait désigné un homme (un prisonnier ?), les deux mains attachées dans le dos, dont le sens était « détresse, difficulté »7. Han, désignant une rivière des plaines centrales, a été repris comme nom propre par la dynastie Han régnant à partir de cette région à partir de 206 av. J.-C., puis en est venu à désigner toute l’ethnie chinoise. Han signifie aussi dans certains contextes, et tout simplement, « homme » (valorisant le sexe masculin)8 ». Quant au caractère nuo, il associe dans son graphisme la clé de « l’homme debout » ou « être humain » ren 亻, la clé jian et l’élément zhui 隹, désignant un oiseau à queue courte. Or, jian et zhui rassemblés forment un autre caractère, prononcé nan 難/难, signifiant « difficile, difficulté », qui pourrait avoir été utilisé pour sa phonétique proche de nuo, plus que pour son sens propre. Il serait ainsi possible d’interpréter graphiquement nuo de deux façons : un homme qui a les mains liées ; un homme en difficulté. Ces deux sens proches semblent invoquer l’exorcisme pour expulser les difficultés ou l’emprisonnement. Quoi qu’il en soit, le « rite nuo » nuoli 傩礼 représente le prototype d’un rituel intrinsèque à la culture chinoise ancienne des plaines centrales qui s’est ensuite étendue à tout le territoire chinois. Ensuite, à partir de la dynastie Tang (618-907 apr. J.-C.), sous l’influence de la pénétration du bouddhisme indien, il aurait peu à peu évolué vers des pratiques théâtrales, et en vient alors à être nommé « théâtre nuo » nuoxi9.

Tous les auteurs chinois anciens parlent du nuo en termes de rite li ou de sacrifice ji 祭 et le terme « d’exorcisme » est récurrent pour expliquer ses fonctions rituelles, par exemple « expulser les démons » qugui 驱鬼 et « expulser les épidémies et les influx néfastes » quchu yixie 驱除疫邪10.

Le « rite nuo » transformé ainsi en « théâtre nuo » 傩戏 reste cependant caractérisé par l’emploi de masques, dis représenter des entités surnaturelles, généralement nommées shenxiang 神像 « portrait/image d’une divinité », ou plus simplement mianju 面具 « visage-objet », se démarquant ainsi clairement du théâtre d’acteurs, représenté par des humains, certes encore maquillés et costumés11. Beaucoup d’auteurs considèrent ainsi que le nuo serait l’ancêtre du théâtre d’acteur appelé xiju 戏剧, né officiellement autour du XIIIsiècle, qui conjugue chant et musique avec des représentations d’histoires sur scène12.

Vers la même époque apparaissent des dieux clairement exorcistes, dont le plus important, Zhongkui, participe dès lors au nuo. À travers cette évolution, le nuo acquiert peu à peu la nouvelle fonction de divertir les gens, mais son principe cérémoniel, en opposition avec le théâtre chanté qui s’en serait émancipé, restera toujours fondamental.

L’ambiguïté de l’expression « théâtre nuo » a entraîné une discussion des spécialistes chinois concernant l’opportunité de son inclusion dans la catégorie « théâtre ». En effet, la distinction entre « rite/cérémonie nuo » et « théâtre nuo » n’est pas aussi claire que certains de ces auteurs ont voulu le montrer13. La distinction entre sacré et profane voudrait établir que le nuo appartient à la première catégorie. Comment comprendre alors son caractère divertissant, bien présent notamment à Shiyou ?

L’expression « théâtre nuo » pose un autre problème lorsqu’elle est employée pour caractériser les pratiques de la province du Jiangxi. En effet, contrairement aux nuo d’autres provinces, comme ceux du Hunan ou du Guizhou, la plupart de ceux du Jiangxi, et en particulier ceux du district de Nanfeng, sont muets et dansés. L’absence du chant, l’un des éléments essentiels du théâtre chinois, peut-il alors justifier l’emploi de l’expression « danse nuo » nuowu 傩舞, utilisée en 1956 par un groupe de chercheurs chinois14 qui ont réalisé une enquête sur les nuo de la province du Jiangxi ? En 1996, les folkloristes Yu Daxi et Liu Zhifan décrivant le nuo de Shiyou indiquent que l’expression « danse nuo » a été créée par l’État communiste15. En effet, une tactique du Parti communiste est de présenter le nuo comme une pratique « folklorique », et divertissante, pour ôter ou amenuiser son aspect rituel jugé potentiellement dangereux. Il est assez ironique que, dans la volonté idéologique d’apprivoiser le nuo, le terme ancien de « danse » soit réhabilité, alors qu’il renvoyait non à un divertissement mais précisément à une pratique rituelle (rappelons les Rites des Zhou : les fangxiangshi « sautaient » …)16.

Parler de « théâtre nuo » n’ajoute pas grand-chose pour saisir sa spécificité et incite même à une déception, tant sa part purement théâtrale – chant, paroles, histoires, mélodies… – reste légère. De même, ses mouvements chorégraphiés semblent plus proches d’une séquence de qigong que d’une danse. Enfin, sa part rituelle n’exclut en aucun cas la joie des participants, un élément absent de la notion chinoise de « rite » li, une affaire sociale sérieuse évacuant toute spontanéité et manifestation sentimentale de joie. « Rite », « théâtre », « danse » sont des catégories académiques dont aucune ne convient exclusivement pour désigner le nuo. Certes, elles se manifestent toutes à un certain niveau dans celui-ci, mais pour mieux envisager cette pratique d’un point de vue global, le terme nuo tout simplereste le plus adéquat. De la même façon, on évoque le no en japonais, probablement issu du nuo chinois17, tant sa connotation théâtrale diffère de ce qui est entendu par ce terme en Occident.

Voyons maintenant comment s’exprime le point de vue du lettré du village sur le nuo dans un court texte intitulé « Note sur le nuo villageois », rédigé par l’éditeur de la version de la généalogie de Shiyou datée de 1892 :

Au printemps, le Premier de l’an (selon le calendrier royal ancien), la musique et les tambours résonnent pour évacuer les énergies yin.
« Portant un haut rouge et un pantalon noir, tenant à la main lance et hallebarde, comme outils d’expulsion, [ils] dansent dans les maisons, et bien que cela se rapproche des pratiques théâtrales joyeuses, les villageois, aussi stupides peuvent-ils être, n’oseraient mépriser ce nuo, et le regardent respectueusement de la même façon que Confucius s’était tenu sur les marches de sa maison [pour honorer la troupe nuo à son passage]. Les villageois appellent cela : yan nuo 演傩 « représenter le nuo ».
Lors de la nuit qui succède à la fête des lanternes, les lampes et bougies brillent de mille feux, le tambour résonne bruyamment, les prières sont déclamées en chœur, les mains tiennent la chaine qui cliquette avec grand bruit, [ils] vont dans tous les coins des pièces pour attraper et expulser tout ce qui n’est pas auspicieux, leur puissance est invincible jusqu’à l’aube. Toute cette nuit est silencieuse au point que même chiens et coqs n’osent émettre un son, les villageois appellent cela : sou nuo 搜傩 « chercher le nuo ». C’est la méthode remarquable/héroïque des anciens pour attraper expulser [les mauvaises énergies] de tous les coins [des pièces]. Parce tous sont affectés par les maladies des énergies yin et yang, il faut absolument les expulser.

Le tambour 
(photo © Zeng Nian 曾年)
Fig. 1. Le tambour (photo © Zeng Nian 曾年).

Ici, « musique » yue et « tambour » gu font référence à la musique rituelle, qui se réduit en fait aux seuls sons du tambour et du gong, instruments rythmiques rituels par excellence. Notons au passage que le tambour utilisé à Shiyou n’a qu’une seule peau, à la différence des tambours utilisés dans les théâtres chinois, mais à l’instar des tambours utilisés dans les pratiques chamaniques du Nord-est chinois et de la Sibérie. À Shiyou, il sert non seulement d’instrument pour scander le rythme, mais sa forme ouverte lui permet encore d’être utilisé comme contenant rituel des offrandes aux maitres défunts des officiants du nuo, lors d’un des derniers rites. Ce tambour signe ainsi l’origine « chamanique » du nuo local.

Temple du dieu du nuo
Fig. 2. Temple du dieu du nuo (photo © Zeng Nian 曾年).

Ce court texte reprend différents passages empruntés aux classiques célèbres : « vêtus comme les anciens fangxiangshi des Zhou… », « portant hallebarde… », une arme ancienne, ainsi que la parole de Confucius. En outre, le sujet non énoncé, soit les masques, sont dits « danser » daowu, ce qui rapproche ici le nuo avec un théâtre qu’il faut « jouer, représenter » yan, un mot pourtant généralement incompatible avec le rituel. Pour autant, le caractère rituel du nuo est réaffirmé par la référence implicite faite aux sentences parallèles gravées sur chaque côté de la porte du temple du dieu du nuo, construit initialement sous l’ère Xuande des Ming (1426-1435), dont voici les traductions :

Le théâtre moderne n’est pas le vrai théâtre (jinxi hu fei zhenxi ye 近戏乎非真戏也)
Le nuo de l’État est [comme] le grand nuo (guonuo yi nai danuo yan 国傩矣乃大傩焉)

La première sentence semble déplorer la modernisation du « théâtre », par une formule renvoyant à un passage du célèbre penseur néo-confucianiste des Song, Zhu Xi (1130-1200), qui y faisait lui-même écho à la maxime des Entretiens de Confucius citée plus haut : 

Anciennement le nuo était un « rite » li 礼, et il s’est rapproché dernièrement du « théâtre » xi  ; il faut pourtant toujours revêtir ses habits de cérémonie pour le regarder passer18.

Ici, Zhu Xi prend acte de l’influence du genre théâtral xi appelé zaju 杂剧 qui prend essor à son époque, tout en semblant la regretter. Mais surtout, il réaffirme le caractère pleinement rituel du nuo, et rend hommage à Confucius, qui savait reconnaître son importance et le respecter, en ne le confondant pas avec un simple théâtre.

Dans la deuxième sentence parallèle, guonuo, « nuo de l’État/de l’empire/du pays » désignait, sous la dynastie Zhou, l’exorcisme de l’État pratiqué au printemps par les nobles et le(s) roi(s), et danuo, « grand nuo », définissait le nuo d’hiver pratiqué par l’ensemble du peuple19. Selon certains auteurs20, après la dynastie Han, l’expression « grand nuo » désigna dès lors le « nuo pratiqué par le peuple », celui mentionné par Confucius, par opposition avec le « nuo pratiqué à la cour ».

Le spécialiste local du nuo Zeng Zhigong21, qui a étudié les sources écrites disponibles à Nanfeng, a adopté l’expression « grand nuo » pour désigner le nuo de Shiyou, suivant en cela une mention de la gazette locale du district rédigée en 1756 décrivant la pratique de représenter différents théâtres le jour de « l’arrivée du printemps » lichun, une fête solaire tombant le 5 février (donc proche du Nouvel An). Ces théâtres accompagnaient ce jour-là les cérémonies annuelles de relance des activités agricoles dirigées par le magistrat local, en tant que représentant de l’empereur : la destruction du bœuf de terre et le premier labour. Parmi les spectacles accompagnant ces cérémonies qui relèvent tous de la catégorie « théâtre nuo », celle nommée le « grand nuo » désigne les « plus cérémoniels » parmi eux – et donc les « moins théâtraux ». Ajoutons que la « Note sur le nuo… » de la généalogie n’utilise pas la mention « grand nuo », mais indique cependant que ce nuo villageois relève de la catégorie du nuo d’hiver, ayant pour objet « d’expulser les énergies froides ».

La deuxième sentence avec la mention danuo pourrait alors signifier, très littéralement, que « le nuo (de Shiyou) est grand – autant que le nuo de l’État, ou que le nuo d’antan (des Zhou) ». Cette interprétation littérale fait résonner l’adjectif « vrai » de la première sentence avec l’adjectif « grand » de la deuxième, et convient au style des sentences parallèles du chinois classique, pensées pour se répondre l’une l’autre, et rédigées pour permettre l’expression de plusieurs niveaux de sens. Zeng Zhigong22 dit que le doublet affirme que les paysans de Shiyou considèrent leur nuo comme étant tout aussi solennel que le nuo de l’État.

Ces sentences gravées sur le fronton du bâtiment le plus important de ce village d’une province reculée rappellent qu’il se conçoit intrinsèquement comme lié à l’État, et ce malgré l’aspect « théâtral » de son rituel, dont il revendique en quelque sorte pour celui-ci une reconnaissance identique à celle du nuo de l’État. Dès lors, un aspect « politique » est aussi inscrit en son cœur.

Le doublet du temple et la « Note sur le nuo… » se rejoignent pour indiquer, comme une caution, que les rapprochements avec le théâtre ne doivent pas occulter les aspects rituels de cette pratique villageoise « grande », devant donc être respectée. Néanmoins, peut-être parce que le nuo est compris aujourd’hui comme le fondement sur lequel s’est ensuite développé le théâtre chinois, celui-ci est couramment nommé « théâtre nuo » ou « danse nuo », des expressions qui le situent dans le cadre des spectacles vivants. Cette inclusion participe à occulter son caractère rituel comme on l’a vu ci-dessus, bien que celui-ci soit aussi à la base de l’intérêt qu’il revêt pour les spécialistes.

Car, si le nuo est « grand », c’est clairement pour ce qui le distingue justement du théâtre. La « Note sur le nuo… » précise ses objectifs, ceux donc qui le rendent « grand » : expulser les énergies yin, les maladies épidémiques véhiculées par les énergies yin et yang, les énergies froides, et « tout ce qui n’est pas auspicieux ». Se pose alors la question de ce que représentent au fond énergies yin, énergies froides et épidémies : des catégories générales ou purement médicales, ou encore des faits plus concrets ? En outre, de quel exorcisme s’agit-il : d’une mise à mort définitive ? Ou d’une simple expulsion ou renvoi vers un ailleurs indéterminé ? Mais encore, comment et pourquoi ces entités ou énergies négatives sont-elles entrées dans la communauté ? Celle-ci est-elle souillée par nature ? Ou bien la souillure vient-elle du dehors ? Enfin, pourquoi faut-il répéter cette action rituelle à chaque renouveau de la nouvelle année ?

Toutes ces questions ne sont pas explicitement traitées par les écrits du passé, qui ont certes le mérite d’informer de la longue histoire de ce rite, et donc de son importance première pour les sociétés qui l’effectuent, mais leurs descriptions restent lacunaires pour en saisir les enjeux sociaux. Tournons-nous donc maintenant vers l’écoute des villageois, avant de nous intéresser à l’observation des pratiques pour essayer d’éclairer les aspects sous-jacents du nuo.

Discours entendus au village : origine du lignage et saynète

Les villageois aiment raconter l’origine du lignage principal Wu, en se basant sur la généalogie. Celui-ci a été fondé par un homme nommé Wu Xuan, qui quitte le Sichuan pour venir au Jiangxi s’établir à Nanfeng en 936. Cet ancêtre fondateur était gendre de l’empereur Meng Zhixiang, régnant sur la dynastie éphémère et locale au Sichuan des Shu postérieurs (934-965). À la mort de son beau-père, Wu Xuan refuse le titre de roi qui lui était proposé par l’héritier impérial, son beau-frère, et doit donc s’enfuir avec toute sa maisonnée (pour ce qui doit être compris alors comme une trahison). La généalogie qui rapporte cette histoire considérée comme véridique par les villageois inclut des portraits dessinés de Wu Xuan, de sa femme Madame Meng, et de leurs trois fils. Quand les temples lignagers de Shiyou ont été récemment reconstruits, ces portraits des fondateurs ont été reproduits et affichés sur leurs autels, sans doute pour combler l’absence des anciennes tablettes des ancêtres, brûlées pendant la révolution culturelle. Ainsi, l’idéologie patrilinéaire ouvertement affichée par la généalogie des descendants masculins du lignage est complétée par la présence apicale de Madame Meng et par l’importance, bien qu’il ait fui sa belle-famille, de la position de gendre impérial qu’occupait Wu Xuan. Femme et princesse royale, Madame Meng a eu un rôle essentiel pour l’origine puis la postérité du lignage Wu. Dès lors, il importe de comprendre la position des femmes dans l’organisation villageoise, et leur place dans un rituel énoncé comme exorciste.

Photos des portraits de Wu Xuan et Madame Meng issus de la généalogie.
Fig. 3. Photos des portraits de Wu Xuan et Madame Meng issus de la généalogie.

Or, le thème de la fécondité est central dans le nuo : il est d’abord évoqué à travers une légende orale, qui se rapporte à une saynète située au cœur de la première séquence appelée « danser le nuo » 跳傩 par les villageois. L’histoire des masques Grand-père et Grand-mère nuo est souvent invoquée par les villageois comme étant porteuse de la valeur fondamentale du nuo, celle « d’apporter le bonheur » jixiang 吉祥. Effectivement, lors de la saynète, le garçonnet nuo, poupée remplaçant le dieu du nuo lors des déplacements de la troupe, est utilisé par Grand-père et Grand-mère nuo pour représenter leur fils : ils le triturent dans tous les sens, soulèvent sa robe pour qu’il urine, exhibant ainsi son sexe masculin, le peignent, le rafraîchissent avec un éventail, etc. Les paysans expliquent volontiers que « c’est lui le prince héritier dieu du nuo, c’est leur fils ».

Grand-mère nuo tenant le garçonnet nuo, 1er de l’an, 2002 
(photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 4. Grand-mère nuo tenant le garçonnet nuo, 1er de l’an, 2002 (photo © Zeng Nian 曾年).

S’ils rient, c’est que leur légende est amusante (contée par l’officiant appelé le Quatrième Oncle de cette époque, enregistrée en 2002) :

Grand-père nuo a quatre-vingts ans. Il n’a pas de fils, juste une fille. Celle-ci a un fils qui lui rend visite. Il demande à son grand-père de venir manger en employant le terme « grand-père paternel ». Grand-père nuo pense qu’il s’est trompé de terme et répond : « D’accord, je viens manger. » Le petit-fils répond cependant : « Ce n’est pas toi [mon grand-père maternel] que j’ai appelé, mais mon grand-père paternel23 ». Grand-père nuo est tout triste car il (se rend alors compte qu’il) n’a pas de petit-fils agnatique. Il pense donc à se remarier, et se met en route [pour chercher une épouse]. Il rencontre une paysanne en train de labourer. Il lui pose cette question : « si tu plantes une vieille graine, pourra-t-elle grandir et arriver à maturité ? » Elle répond : « il faut que la terre soit fine pour pouvoir bourgeonner ». Il comprend alors qu’il doit se marier avec une femme jeune. Dans un restaurant, il rencontre une fille de dix-huit ans. Il la prend pour femme et rentre à la maison avec elle. Ils engendrent alors un fils. Les gens médisent qu’il est impossible d’avoir un fils à quatre-vingts ans. Grand-père nuo est furieux. Pour prouver qu’il est bien le père de son fils, il prédit que celui-ci réussira aux examens. Effectivement, plus tard, le fils réussit les examens et devient mandarin de la ville de Changsha (capitale du Hunan, à l’ouest du Jiangxi).

Un poème est en outre récité par les gens du village sur cette histoire :

Un vieux de quatre-vingts ans a eu un fils,
Les cent et dix mille familles sourient,
Un vieil homme a eu un fils,
Celui-ci grandit et devint mandarin de Changsha.

La légende comme la saynète rendent hommage à la fertilité : malgré l’âge avancé de Grand-père nuo, lui et sa jeune femme mettent au monde un fils qui devient ensuite « mandarin de Changsha ». Cette référence à cette ville de la province voisine est obscure, mais son identité nominale réelle n’a en fait pas vraiment d’importance, ce qui compte étant d’abord son statut élevé de capitale provinciale24. Néanmoins, l’évocation du fonctionnaire « roi de Changsha » dans la légende, le poème et la saynète, est une manière d’affirmer le lien à l’empereur et à la sacralité du statut de fonctionnaire lettré.

Ces discours mettent en évidence l’importance d’avoir un descendant agnatique, et corrélativement de la nécessité du féminin pour la fécondité ; ils accentuent également la valorisation des statuts supérieurs, ceux de la nobilité à travers le lien à la famille impériale, et celui du lettré-fonctionnaire ayant réussi aux examens impliquant un lien au politique. Or, ces éléments relèvent de la première séquence plaisante nommée « danser le nuo », où ce fameux exorcisme évoqué par les textes anciens est absent. N’y a-t-il pas alors là une contradiction avec l’interprétation des villageois actuels qui voient le cœur du nuo dans la saynète centrale dansée par Grand-père et Grand-mère nuo ? Avant de nous intéresser à l’observation, la revue des règles sociales relatives au nuo permettra de voir un peu plus clairement les imbrications entre champs de valeurs.

Les masques sont des divinités, de même que la statue du dieu du nuo dans le temple, et son avatar la poupée nommée « le garçonnet nuo ». Il faut donc les traiter avec respect, seuls les officiants peuvent les toucher et les manipuler. En tant que divinités, aucun d’eux ne peut parler, il est donc nécessaire de procéder à des divinations pour connaitre leurs avis.

La divination (photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 5. La divination (photo © Zeng Nian 曾年).

Mais encore, le lieu de dépôt des masques est secret, seuls les officiants et les dignitaires lignagers en charge de l’organisation le connaissent. Le grand respect de tous envers ces divinités est évident, néanmoins les villageois disent en outre que : « ce sont les masques qui sont importants, pas la statue, ni la poupée ».

Si les statue et poupée sont vues comme masculines et agnatiques (le dos de la statue contient une cavité remplie du « cœur » des membres du lignage Wu)25, les masques sont différents par l’extrême importance qui leur est conférée par les villageois dérivant de l’efficacité qu’ils détiennent pour « apporter le bonheur », soit des fils en premier lieu, mais aussi des filles, et toutes autres choses désirables, comme réussir son commerce, ou leurs examens par les enfants, etc. Il faut donc comprendre en quoi réside cette différence, qui doit avoir trait aux aspects les contrastant aux statue et poupée, c’est-dire logiquement des rapports au féminin, même si cela n’est pas clairement énoncé.

Vénération des masques (photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 6. Vénération des masques (photo © Zeng Nian 曾年).
Statue et masques dans le temple (photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 7. Statue et masques dans le temple (photo © Zeng Nian 曾年).

De plus, divers tabous sont en vigueur envers les femmes : celles-ci ne peuvent être officiantes, ce rôle étant strictement dévolu aux hommes ; elles ne doivent pas connaitre le lieu de dépôt des masques ; elles sont encore interdites de participer au rite final de renvoi des masques, lors du dernier rituel nommé « accomplir/achever le nuo ». Les femmes et le féminin ont donc un statut particulier, et si elles font l’objet de tabous, c’est là encore un signe de leur importance, qu’il s’agit de comprendre à l’intérieur de l’organisation rituelle, où le masculin semble pourtant dominer.

Car des règles strictes régissent aussi les hommes prenant part à l’organisation du nuo : ce sont les dignitaires lignagers touren 头人 (littéralement « hommes [à la] tête) qui le dirigent, en tant que descendants des hommes fondateurs du temple. Les hommes Wu possèdent ainsi ce qui ressemble à un titre de propriété d’une part du temple et du rite, transmissible héréditairement. De plus, en tant que membres dirigeants, les hommes Wu ne peuvent eux-mêmes danser le nuo. Ce rôle est dévolu à des hommes qui ne portent pas le nom de famille Wu, choisis dans le village ou le voisinage. Danser le nuo reviendrait pour les Wu à briser une règle statutaire organisant les relations sociales locales de parenté entre les membres du lignage principal situés en position de maîtres et les noms extérieurs, leurs affins, avec qui ils échangent des femmes, situés en position de serviteurs, mais pourtant désignés comme « les oncles paternels ainés » bo. De ce point de vue, danser le nuo est un service rendu par les affins au lignage Wu, que celui-ci paie modestement à travers les dons d’enveloppes rouges des familles visitées. Cette relation de statut se fonde à la fois sur les relations de parenté, et sur la distanciation et la subalternisation des acteurs et gens de musique considérés traditionnellement comme des personnes méprisables. Le nuo est ancré dans une société locale hiérarchique, où les statuts fondés à la fois sur la parenté, le métier et la position sociale lui servent de socle.

Les deux histoires contées dans les séquences danser le nuo : une histoire politique

J’ai comparé dans un article26 les deux histoires contées au village, la première par Quatrième-oncle qui l’a désignée comme « taoïste », et que l’on peut considérer comme issue de l’interprétation « officielle », et la seconde, qui est la version villageoise, se basant sur le roman historique L’Investiture des dieux, considérée comme une affabulation par les spécialistes chinois. Voici la première :

Le masque Kaishan est Pangu, le héros mythique qui a séparé la terre et le ciel, rendant ainsi la vie possible. Ensuite le masque Zhiqian est la femme mythique Nüwa qui recousit le ciel et fabriqua les hommes avec de la boue jaune. Après, il y a eu les hommes et donc l’agriculture, il y eut besoin de pluie et de tonnerre, sinon c’est la sécheresse, c’est le masque Leigong le dieu du tonnerre qui s’en occupe. Les masques Grand-père nuo et Grand-mère nuo sont les « grand-père et grand-mère des champs », soit de l’agriculture. Puis, les démons apparaissent, il faut les faire partir, c’est pour cela que le masque Zhongkui vient, il s’enivre avec les masques Grand-dieu et Petit-démon, les deux démons volent ses affaires pour s’amuser et ensuite Grand-dieu prend le sabre de Zhongkui pour s’amuser. Après, ce sont les masques des deux frères qui jouent. Ils sont des généraux de l’histoire L’Investiture des dieux. Pour finir, c’est le masque Guangong, le personnage du roman Les Trois royaumes, il y a beaucoup de temples dédiés à Guangong, mais en fait c’est le général Huang Feihu de L’Investiture des dieux. Finalement, le contenu de l’histoire, je ne le connais pas bien, j’ai entendu les personnes âgées la raconter, on ne peut pas tout comprendre.

Ce récit retrace la genèse mythique de l’humanité. Les mythes et les héros évoqués sont les plus anciens en Chine. L’histoire raconte la lutte de l’homme contre les forces naturelles internes au cosmos puis contre les démons. Ensuite les hommes apparaissent, et avec eux l’agriculture, malheureusement soumise aux calamités naturelles. L’intervention des dieux, d’abord le dieu du tonnerre pour faire tomber la pluie, puis les dieux des champs Grand-père et Grand-mère nuo, ou dieux de la fertilité, est nécessaire pour garantir la vie et la fécondité humaine. Avec les hommes apparaissent aussi les démons – qu’il faut donc expulser, et le dieu exorciste Zhongkui est convié. Mais celui-ci s’enivre et joue avec les deux démons. L’histoire taoïste finit sur des dieux assimilés à des généraux de la seconde histoire, L’Investiture des dieux.

Ce récit populaire, sur fond historique, prit une forme romancée au quinzième siècle ; il raconte la transition de la dynastie Shang à celle des Zhou. La destitution du dernier roi Shang, devenu indigne de son mandat à cause de sa méchanceté et de sa luxure est orchestrée par les dieux qui décident alors d’investir la nouvelle dynastie Zhou. Mais certains démons se rangent du côté du roi indigne pour l’aider. Finalement, après de multiples péripéties, et grâce à l’aide active des dieux, la nouvelle dynastie finit par s’installer. L’histoire retrace la lutte pour le pouvoir menée par hommes et dieux afin de mettre en place une dynastie meilleure – et considérée ensuite par la tradition ultérieure comme l’âge d’or de la Chine ancienne. Les villageois associent les masques à certains personnages clés du roman, ainsi le masque Kaishan est l’épouse du dernier roi indigne Shang, l’impératrice Qiang. Le masque Zhiqian est leur fils héritier appelé Yinjiao, etc. L’histoire pleine de rebondissements du prince héritier qui, d’abord victime de son père, lutte ensuite contre les forces de la nouvelle dynastie, pour revenir dans le camp de son père, est racontée ainsi par un villageois :

Le maître de Zhiqian lui conseille d’aller aider non pas son père mais l’ennemi de celui-ci, le roi Wen. Dans ce dessein, il lui donne cette arme appelée fantianyin. Zhiqian part et marche toute la nuit. À la moitié du chemin, il est pris dans une tempête. Un dieu lui apparaît et lui dit d’aller plutôt aider son père et que s’il gagne, le monde sera à lui. Zhiqian rebrousse alors chemin pour aller aider son père. Mais son maître apprend son revirement et arrive pour le contrer. Pour cela, il utilise une grosse montagne pour empêcher Zhiqian d’avancer. Mais il lui avait lui-même donné précédemment deux trésors ensorcelés au pouvoir puissant. Zhiqian les utilise contre cette montagne. N’arrivant pas à le maîtriser, son maître va alors chercher son propre maître qui vient en personne le maîtriser. Comme Zhiqian avait juré de se couper la tête, ou plutôt neuf de ses têtes – car étant aussi un dieu, il avait dix têtes – s’il n’écoutait pas les paroles de son maître, il se les coupa. Il lui restait donc une seule dernière tête et il partit ensuite avec son maître … (sous-entendu : se battre contre son père) (La suite de l’histoire et la fin tragique de Yinjiao/Zhiqian n’ont pas été contées)

J’ai montré les congruences de fond entre les « mythèmes » de ces histoires, qui procèdent par inversion, condensation, ou déploiement de motifs anciens, et reprennent les mythes de fondation de la Chine, et du lignage Wu, qui selon la généalogie descend des fondateurs de la dynastie Zhou, tout en y ajoutant des motifs plus récents. On peut y entrevoir des aspects politiques, en relation à la genèse et au développement historique de la société chinoise.

Malgré leurs passages divertissants, les deux histoires sont comprises comme morales, et donc sérieuses, aucun villageois ne doute de leur profondeur et sens profond, même si ceux-ci ne sont pas énoncés. En raison de l’absence de texte écrit, ces histoires peuvent facilement s’adapter aux contextes historiques différents, car les masques, témoins du passé, restent. Ainsi, les messages du nuo ne sont pas pleinement dicibles par des mots, comme l’a souligné ainsi un villageois : « voici ce que les anciens racontaient, mais je ne suis pas sûr de la réalité… ». Il s’agit alors d’essayer de comprendre la portée latente des messages et des valeurs transmises par le nuo, non seulement à travers les mots des villageois, mais encore plus par l’observation des pratiques, pour tenter ensuite une comparaison entre les différents ordres de faits.

Ce qui est fait – ce que j’ai observé

Dieu du nuo, masques et rituel

La statue du dieu du nuo, qui a environ la taille d’un homme adulte, est assise sur une chaise, adossée au milieu du mur du fond de la pièce centrale de son temple. En période du Nouvel An, les masques sont accrochés au-dessus de lui sur un panneau en bois.

Le dieu du nuo de Shiyou n’est pas individualisé par un nom spécifique, ni par un jour d’anniversaire et encore moins par une légende racontant sa vie et ses bienfaits. Pour les villageois, il est un dieu efficace qui donne toujours un fils, protège des maladies, et apporte tous bienfaits désirables à ceux qui l’en prient. Il est appelé respectueusement nuoshen laoye, « vieux grand-père dieu du nuo », tandis que le garçonnet nuo est nommé nuoshen taizi « prince héritier dieu du nuo ». Les masques sont eux nommés chacun par leur nom propre.

Le rituel suit un ordre supposé immuable, chaque année reconduit à l’identique : ordre des maisons où est dansé le nuo chaque jour, des familles qui offrent des friandises, des villages voisins visités à partir du neuvième jour, etc. Depuis la veille du Nouvel An jusqu’au matin du dix-septième jour du premier mois de l’année chinoise, les huit oncles porteurs des masques, les touren et tout le village vivent au rythme du nuo. Du matin au soir résonnent les coups de tambour et de gong ainsi que le bruit des pétards qui éclatent par intermittence. Une agitation excitée anime le village, les enfants suivent la troupe en faisant claquer des petits pétards tout en grappillant des friandises sur les tables dressées à l’attention des oncles.

Deux séquences principales forment le cœur du nuo, précisément celles évoquées par la « Note sur le nuo… », mais elles sont en outre encadrées par un premier rite d’ouverture et d’accueil des divinités incarnées dans les masques nommé « lever/commencer le nuo » et par un dernier rite conclusif de renvoi des masques nommé « achever le nuo ».

Les deux séquences principales s’organisent ainsi : danser le nuo est effectué la journée pendant deux semaines, il dure une quarantaine de minutes dans chaque maison, son circuit va de l’ouest vers l’est, et ses offrandes sont composées exclusivement de fruits et sucreries ; chercher le nuo occupe seulement une nuit, ne durant pas plus d’une dizaine de minutes par maison, son orientation va de l’est vers l’ouest, et ses offrandes sont cuites et salées : riz cuit, tranche de porc cuit, deux petits poissons frits.

Le déroulement complet se résume ainsi : les masques – conçus comme des divinités venant de l’extérieur – sont accueillis et incarnés (rite introductif d’accueil – lever le nuo), ils agissent ensuite dans les maisons pour apporter le bonheur et la joie (danser le nuo), puis retournent dans ces mêmes maisons pour y rechercher des choses néfastes, les chassent, les emprisonnent (chercher le nuo), et sont finalement renvoyés vers l’extérieur (rite conclusif – achever le nuo). Ce processus montre une inversion, car ce qui est d’abord « levé », puis « fait » pendant danser le nuo est ensuite « défait » par chercher le nuo, et finalement « achevé ».

Danser le nuo : joie, bonheur, sexualité

Le rituel semble organiser la célébration ouverte de la patrilinéarité et la masculinité, à travers la statue du dieu du nuo, le garçonnet nuo, les touren organisateurs et les oncles, hommes porteurs des masques et danseurs-acteurs. Cet ensemble masculin est stable dans le temps et l’espace villageois, par la propriété du lignage Wu des terres, et fait l’objet d’une transmission continue depuis la nuit des temps. Mais si le lignage patrilinéaire se perpétue de génération en génération, cela est différent pour les noms extérieurs qui ne sont pas associés dans un groupe de même type, car leurs différents lignages proviennent d’autres villages. Ils représentent ainsi des personnes, et non un groupe homogène, ceci étant associé à leur statut subordonné d’étranger et d’affins.

À cet affichage ouvert des hommes est manifestée une place du féminin secondaire et complémentaire. L’accent mis sur la fécondité – et donc sur la nécessaire contribution des femmes – est évoqué, tout en étant subalternisé, par l’expulsion des femmes des tâches rituelles importantes, et par les différents tabous les concernant. Néanmoins, cette subalternisation est-elle si « secondaire » ?

Danser le nuo
(photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 8 et 9. Danser le nuo (photo © Zeng Nian 曾年).

D’abord, un fait pourtant aveuglant n’est jamais discuté : les costumes des oncles officiants sont de couleur rouge et fleuris. Le bas est composé d’une jupe (qui cache le pantalon habituel).

Ce genre d’habit est certes courant au théâtre, mais on peut s’interroger sur la raison pour laquelle des acteurs hommes se doivent de porter des habits clairement féminins dans le nuo. Après le dernier rite de renvoi des masques, les oncles enlèvent leurs jupes et les mettent sur leur dos, qui deviennent ainsi des capes.

Les oncles costumés
(photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 10. Les oncles costumés (photo © Zeng Nian 曾年).

Tout au long du nuo, les acteurs hommes revêtent des habits féminins, représentant ainsi « symboliquement » des femmes, jusqu’à la toute fin où ils réintègrent leur rôle masculin. Cette interprétation est d’ailleurs corroborée par une phrase du « poème du retour au temple », qui qualifie le dieu du nuo de « Beau comme une femme… » (ci-après).

Mais encore, si un seul masque féminin apparait dans l’ensemble nuo du village, Grand-mère nuo a néanmoins toute son importance, à travers la légende, la saynète etc., comme complément indispensable à Grand-père nuo pour procréer. En outre, les masques Grand‑père nuo et Grand‑mère nuo ont leur bouche tordue chacune d’un côté : Grand‑père nuo vers la gauche, Grand‑mère nuo vers la droite. Leur air coquin suggère leur bonheur d’avoir procréé un fils, mais également une satisfaction sexuelle.

Achever le nuo : jupes transformées en capes
(photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 11. Achever le nuo : jupes transformées en capes (photo © Zeng Nian 曾年).
Grand-père nuo 
(photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 12. Grand-père nuo (photo © Zeng Nian 曾年).
Lit des mariés, rite de fécondation 
(photo © Deng Yong).
Fig. 13. Lit des mariés, rite de fécondation (photo © Deng Yong).

Enfin, ces deux masques effectuent encore un rite fondamental : lorsqu’un jeune couple vient de se marier, une « séquence de fécondité » est organisée dans la chambre privée du jeune couple. Le garçonnet nuo placé sur le lit nuptial avec les masques, les officiants prononcent des « poèmes », et font une divination pour que le dieu du nuo exauce le vœu des mariés d’avoir un enfant.

Ainsi, toute la séquence « danser le nuo » est organisée autour de la joie et de l’appel à la fécondité : joie des villageois, joie des masques et des dieux, joie aussi des adolescents dans le temple, joie enfin des jeunes lors de la séquence Le Juge s’enivre : des jeunes hommes viennent empêcher le masque Zhongkui de rejoindre ses acolytes, les masques Grand-dieu et Petit-démon, Zhongkui est donc obligé de sauter par-dessus la barrière formée par les jeunes, ce qui demande force et agilité. La foule des jeunes se presse dans la maison, formant une barrière épaisse de telle sorte que chaque fois que Zhongkui essaie de sauter, un mouvement de vagues contraires se produit pour l’en empêcher dans toute l’assistance, qui finit souvent par s’écrouler à terre, dans un mélange des corps et des rires. De même, le soir dans le temple, rassemblés dans l’attente du retour de la troupe, de jeunes adolescents, garçons et filles, essaient de s’octroyer la meilleure place pour voir la divination. Placés sur deux rangées allant de l’autel à la porte du temple en laissant un espace vide aux oncles pour atteindre l’autel, ils se chamaillent, rient et sautent. Certains poussent tellement que les deux rangées ondulent, et parfois s’écroulent dans les rires. Lorsqu’enfin les oncles arrivent, les jeunes se rapprochent, les entourant, leurs corps se touchant et s’entremêlant, pour mieux voir la divination. Des « oh » désolés annoncent un résultat négatif, des énormes « ah ! » de satisfaction éclatent pour un résultat positif, tout de suite suivi par la dissolution des jeunes qui s’en vont de bonne humeur.

Une autre occurrence joyeuse est « distribuer le vin » : pendant que Zhongkui dort pour cuver son vin, ses acolytes les deux démons s’amusent. Ils lui volent son pichet et font semblant de distribuer une lampée de vin à tous les petits enfants présents. Ceux-ci se pressent autour d’eux en criant de joie « moi aussi, j’en veux, j’en veux ! » Il arrive aussi que les deux démons proposent également du « vin des dieux » aux jeunes filles présentes, tout en essayant d’en profiter pour caresser leur visage. Ces jeunes filles, rougissantes, mais ravies, semble-t-il, se retirent en deuxième rang de la foule. Seulement après avoir abreuvé tous les enfants, et quelques jeunes filles, les deux démons reprennent leur danse. Les villageois disent que le « vin des dieux » a pour effet de protéger les enfants des maladies. Grand est le plaisir ainsi procuré aux enfants, qui crient, rient, sont ravis. Les jeunes filles sont-elles aussi protégées des maladies par le vin des dieux ? Je n’ai rien entendu en ce sens, mais comment faut-il comprendre les caresses permises ? Comme les garçons ne sont pas caressés, il faut y voir là encore une attention particulière envers les femmes.

Zhongkui (photo © Deng Yong).
Fig. 13. Zhongkui (photo © Deng Yong).

Quand la troupe nuo arrive devant la porte de la maison ouvrant sur le tingtang, les hôtes rassemblés à l’intérieur lui font face et s’inclinent, les mains jointes, chacun tenant des brins d’encens. Deux oncles non masqués portant le tambour et le gong s’arrêtent de part et d’autre de la porte et déclament alors les « paroles » ou « poèmes » ci auspicieux de cette maison. À chaque couplet, l’orateur s’arrête, un homme de la famille brûle une guirlande de pétards et les membres de la famille s’inclinent face aux oncles en criant « bien ! hao ! »

Après quatre cycles de « poèmes », puis un dernier salut de part et d’autre, les percussionnistes entrent tout en continuant à jouer. Les hôtes se regroupent alors près des murs et entourent les acteurs qui dansent au milieu d’eux. D’autres poèmes sont déclamés à certains moments clés, et dans certains lieux comme les temples des ancêtres, etc.

Prosternations des oncles 
(photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 15. Prosternations des oncles (photo © Zeng Nian 曾年).

Ces poèmes, prononcés en dialecte, n’avaient jamais été écrits. J’ai pu récolter des textes notés récemment par des spécialistes, dont voici les traductions de quelques passages :

Poèmes devant les maisons ordinaires :
Le tambour et le gong viennent à nouveau cette année
Souhaiter tout plein de bonheur et de longévité
Que les hommes soient en bonne santé, que les femmes vivent longtemps et que tous prospèrent,
Que la richesse, le statut, l’honneur et la gloire s’investissent pour l’éternité.

Poèmes devant des maisons de gens de haut rang :
Aujourd’hui le tambour et le gong bruissent des dong dong
Les sons du tambour et du gong disent qu’il y a un Premier ministre chez vous
Et qu’à partir de maintenant, toutes les épouses
Vivront une éternité d’une centaine d’années.

Salutations des hôtes (photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 16. Salutations des hôtes (photo © Zeng Nian 曾年).

Ainsi les officiants nuo apportent aux familles Wu toutes les bonnes choses désirables : joie, bonheur, prospérité, longévité, bonne santé, richesse, honneurs, protection etc. Or ces choses ne peuvent être offertes aux uns (les membres du lignage) par les mêmes, comme le lignage ne peut être célébré par lui-même, il doit donc l’être par un autre, c’est-à-dire « les noms extérieurs ». Ces derniers sont indispensables au nuo, non seulement comme serviteurs, affins et porteurs des masques, mais encore comme « l’autre déclamateur des paroles de propitiations ». Ils sont les messagers du dieu du nuo, tout en venant à en être indissociés, en tant que porteurs des masques27. Ainsi, les familles s’inclinent devant eux, en signe de remerciement et de reconnaissance de leurs bienfaits. La relation quotidienne de service entre les deux groupes de familles s’inverse dans le nuo, lorsque les subalternes prennent temporairement la prééminence.

Le processus du nuo avance ensuite, de sorte que les aspects joyeux et positifs laissent place à une tension, où ces aspects d’abord magnifiés seront alors renversés, le néfaste et dangereux apparaissant soudainement, nécessitant une chasse, voire une guerre, soit un exorcisme.

« Chercher le nuo » – l’exorcisme

Extrait du carnet de terrain (2008) :

Quelques hommes-tête allument des flambeaux, à l’aide desquels ils ouvrent un passage dans la foule compacte rassemblée autour du temple, pour laisser entrer les oncles. Les percussionnistes entrent d’abord et se placent aux bords de la table d’offrande, lourdement chargée de gros cierges rouges décorés d’inscriptions avec des caractères dorés. Le temple brille des mille lumières des bougies et des cierges. Sous le bruit des percussions, puis sous celui des pétards et enfin sous le tonnerre des fusils à poudre, Zhongkui arrive d’abord en sautant et se tient à l’ouest en faisant le geste magique xianghuojue28 de la main gauche, puis montre la paume vers le haut, et fait ensuite le geste xianghuojue de la main droite, la paume vers l’avant ; il n’arrête pas de tressauter, et ses mains de trembler. De l’autre côté de la porte, un coup de fusil à poudre tonne de nouveau, c’est Kaishan qui arrive en sautant, tenant à la main la « chaîne divine ». Après trois sauts, il se tient à l’est et donne l’autre bout de la chaîne à Zhongkui. Il fait alors des gestes xianghuojue des deux mains, puis les deux masques mettent la chaîne par terre, en travers du couloir aménagé entre les spectateurs. Encore un coup de fusil à poudre, et Grand-dieu arrive alors en faisant trois sauts ; une fois à l’intérieur, ayant traversé la chaîne divine, il fait une culbute sur les mains, puis des gestes xianghuojue, tout en se tournant alternativement vers l’est et vers l’ouest. Après, il se tient debout, les paumes tournées vers l’intérieur, et fait trois saluts. À ce moment, Kaishan et Zhongkui intervertissent leur place, Grand-dieu fait une autre culbute sur les mains dans l’autre sens. Alors, les autres oncles arrivent et tous se regroupent autour de la table-autel en levant la main droite et en pointant l’index vers le haut, tout en scandant les paroles de chercher le nuo, dont le premier vers est « Respect au lignage, le lettré et le guerrier arrivent ». Les trois hommes repoussent ensuite leur masque sur le sommet de leur tête et s’en vont soudainement en courant avec tous les oncles. Les quelques dix longues guirlandes29 de pétards, accrochées au balcon de la maison en face du temple, éclatent alors dans un bruit de tonnerre relevé par celui des fusils à poudre tirés en même temps. Tout cela ne dure pas plus de dix minutes. En 2008, un feu d’artifice a été ajouté.

Le même scénario est ensuite reproduit dans toutes les maisons du village, et se termine au petit matin dans le temple, où se sont regroupés les hommes-tête.

Salutations des hôtes (photo © Zeng Nian 曾年).
Fig. 17. Chercher le nuo (photo © Zeng Nian 曾年).

Voici des extraits des paroles déclamées lors de la dernière nuit :

Le poème du sacrifice au riz cuit est déclamé dans les maisons :
Un ! Respect au lignage, le lettré et le guerrier sont venus, que cette famille Wu reçoive la paix !
Deux ! Respect au lignage, Panguan [autre nom de Zhongkui] est entré, que cette famille Wu reçoive la bonne santé !
Trois ! Respect à l’épouse devant le lignage, que garçons et filles reçoivent aussi la paix !
Que toutes les familles reçoivent le bonheur
Que tous les foyers reçoivent la paix
Que les champs soient fertiles
Que les récoltes soient abondantes
Que les hommes soient en paix et que les êtres prospèrent
Que le bonheur vienne et que le printemps nouveau soit félicité
Les hallebardes ont cherché les pièces de la maison (chambres à coucher)
Et apporté aux jeunes hommes et femmes l’étoile du bonheur

La chasse ayant été victorieuse, le bonheur est alors véritablement apporté. Ensuite, de retour au temple, les dernières paroles sont déclamées par les oncles devant la porte du temple fermée, où se sont rassemblés à l’intérieur les touren qui attendent la proclamation du résultat du nuo.

Le poème du retour au temple (dernier poème) :
Dieu du Nuo ! Dieu du Nuo !
Cette nuit le dieu du Nuo a été accompli
Les bannières, le tambour et le gong ont été accrochés très haut
Les masques ont été présentés
La divination accomplie
Il a promis que vent et pluie seront favorables
Que mois et jours suivront la voie de [des grands ancêtres] Yao et de Shun

Bien ! [réponse des touren à l’intérieur]

Aujourd’hui le dieu du Nuo a montré sa puissance et son efficacité
Il a expulsé les maladies et les calamités et exterminé les dieux des épidémies
Les chiens n’ont pas aboyé
Les coqs n’ont pas crié
Il va faire prospérer les six animaux
Et donner la paix aux hommes

Bien ! [réponse des touren à l’intérieur]

Aujourd’hui le tambour et le gong ont bruissé des dong dong
Beau comme une femme, il a illuminé de rouge
Et présenté les masques
Afin qu’ils retournent dans leur palais
Il a promis que les dieux offriront leur protection
Pour que les hommes vivent longtemps et que les moissons soient abondantes

Bien ! [réponse des touren à l’intérieur]

Le Nuo a déjà été accompli, le tambour et le gong s’arrêtent
Chaque année au premier mois on prie le dieu du Nuo
Pour lui demander son accord
Et obtenir son efficacité
Il a promis que le culte des segments lignagers rassemblés
Durera pour l’éternité

L’exorcisme a été efficace, le dieu du nuo a fait son travail, le nuo a été accompli, les maladies et épidémies expulsées, les cultures et les hommes seront prospères, les masques devenus inutiles sont renvoyés à leurs palais, le lignage est en sécurité pour l’année à venir, et pour « l’éternité ».

Le culte au lignage et à sa pérennité est clairement affiché, dans les discours, comme dans tout le rituel. Cependant, des questions de logique se posent à l’analyste : pourquoi la séquence joyeuse se transforme-t-elle ensuite en séquence dense et violente ? Que s’est-il passé pour que la joie se transforme en danger et en peur, nécessitant un exorcisme ? Pourquoi tout d’un coup faut-il expulser des maladies ? D’où sont-elles venues, alors que tout laissait penser à une grande joie ?

Les textes et discours sont lacunaires, et l’observation pose également des questions, auxquelles les informateurs ne répondent jamais clairement. Le rituel conserve en effet pour eux une part de mystère, qui augmente encore son importance fondamentale. Aucun villageois ne dérogerait à y participer s’il est présent au village. J’ai aussi constaté leur difficulté à parler de choses sensibles, ou négatives, comme les démons, les énergies néfastes, les transgressions, les inversions etc. Enfin, ils sont tellement intégrés dans ce système que celui-ci ne leur pose pas question, il leur suffit que celui-ci se reproduise à l’identique (ou presque…) chaque année. Pour toutes ces raisons, une analyse anthropologique doit maintenant être menée pour tenter de comprendre le système de cohérence sous-jacent du nuo.

Mon analyse anthropologique

Voici un tableau récapitulatif mettant en rapport les différents participants et leurs expériences dites ou montrées, puis les implications sociales qui en découlent :

ParticipantsFonctions explicites dites/montréesImplications sociales – non-dits et inversions
EnfantsProtection des épidémies par ingestion du vin des dieuxÉducation au respect envers des divinités efficaces
AdolescentsJoieRencontres entre les sexes
Jeunes hommes et femmesJoieInitiation à la sexualité
Jeunes couplesAide à la procréation grâce au rite de fécondationManifestation de l’efficacité rituelle dans la fécondité
HommesPréséance dans tous les domainesMais renversée rituellement par la mise en éminence indirecte des femmes
FemmesPlace subordonnée dans la vie quotidienne comme dans légendeMais reconnaissance de leur nécessité dans la procréation, elles sont au cœur du rituel
TourenOrganisateurs du nuo et notables politiquesMais ils s’inclinent devant les masques
Oncles porteurs de noms extérieurs et acteurs nuoDes humbles, affins et serviteursMais ils deviennent des paternels, des divinités, puis des démons
Villageois – aspects yangReçoivent le bonheur, le divertissementLe don de fécondité et de toutes choses positives sont offerts par les humbles
Villageois – aspects yinSont débarrassés des énergies yin, et des démons, par l’exorcismeLes humbles sont ensuite renvoyés à leur position d’étrangers
MasquesAgents principaux du nuo, d’abord divinités, puis démonsReprésentations des entités maternelles et des affins positives, puis négatives
Statue du dieu du nuo et poupéeReprésentations du lignage patrilinéaire, support de l’autorité et résultat de la procréationMais en retrait par rapport aux masques lors des rites
VillageRéunion harmonisée des statuts et célébration du lignage par les extérieursMise à l’honneur temporaire des subordonnés, ensuite replacés à leur statut originel
District autrefois – rites au temple devant le magistrat localReçoit l’allégeance du villageReconnait l’autonomie de village
District aujourd’hui – autorise et contrôle le nuoReçoit l’allégeance du village et montre la puissance de l’ÉtatNe reconnait plus l’autonomie du village

Le nuo est ainsi un rituel composé de différents niveaux, et d’inversions de ceux-ci. Il est à la fois un rite sexuel qui organise les rapports entre hommes et femmes, un rite communautaire fondé sur les relations de parenté entre lignage et affins, et un rite politique liant groupes de parenté, villages, et administration. Tous les participants en position de supériorité voient celle-ci temporairement inversée au cours du nuo, certains hommes devenant des femmes, les supérieurs – membres du lignage et maîtres – laissant la prééminence aux affins et serviteurs, les hôtes et notables lignagers recevant les dons de propitiation que seuls les subordonnés peuvent offrir, les dieux se transformant en démons, le yang laissant la prééminence au yin, etc. Les fonctions du nuo, dites uniquement exorcistes, ne peuvent se comprendre sans tenir compte ce que l’on exorcise, et d’où cela vient : quelque chose qui n’est pourtant jamais clairement énoncé mais néanmoins suggéré par de multiples indices. Tout au cœur du nuo se situe l’apport des femmes et leur participation fondamentale à la perpétuation du lignage, permettant la pérennisation de toute la société locale fondée sur la distinction des groupes lignagers patrilinéaires. Pour leur existence pérenne, ces derniers se doivent d’accueillir des femmes, et avoir des affins, tout en les maintenant à une position subordonnée. Au niveau politique, il s’agit de la participation des subalternes, les noms extérieurs, et également des villages par rapport au district, et à l’administration. Le nuo est bel et bien un rituel de cohésion de toute la structure sociale, ce qui est peut-être la raison profonde de sa qualification par l’adjectif « grand » sur le fronton du temple. Cette grandeur énoncée résidant au cœur de la société locale renvoie donc à la structure sociale elle-même. Si chacun a dans la vie courante une place sociale définie, le nuo en propose des inversions ritualisées, concourant ainsi à la perpétuation de cette société, valeur ultime reconnue par tous. Ainsi ces inversions ne la mettent pas en danger, en raison de leur encadrement au sein du rituel. Le contenu rituel dit « grand », « beau » (comme une femme) joue sur la positivité affectée temporairement aux éléments subordonnés et secondarisés, qui voient leur position rehaussée symboliquement et rituellement.

Cependant, cette grandeur même rend aussi le nuo dangereux aux yeux du gouvernement actuel, qui ne comprend désormais plus les nécessités d’un exorcisme qu’il considère comme superstitieux et qu’il cherche à contrôler fermement, comme les rites religieux de façon générale. Aujourd’hui, à l’époque de la modernisation, le nuo a été dessaisi des seules mains des villageois par les autorités, qui le présentent comme un simple avatar artistique local, un folklore en fin de vie, qu’il faut soutenir en l’orientant vers des objectifs non plus socio-politiques, mais touristiques, donc économiques. Cherchant parallèlement à moderniser la société en amenuisant sa structure lignagère, en l’urbanisant et en la forçant à un tournant économique, les autorités participent à détruire la structure sociale locale. Les règles et inversions qui étaient au cœur du nuo sont en voie de disparition : des noms Wu peuvent désormais porter les masques, des noms extérieurs participent aux notables dirigeants le nuo, les femmes peuvent assister aux rites autrefois interdits, les occurrences de joie explosives des jeunes sont prohibées, les masques sont entreposés à la connaissance de tous, faisant que peu à peu, les jeunes ne croient plus vraiment au rite, les anciens se désolent de la perte de repère ; mais encore, les oncles officiants sont devenus des acteurs qui voyagent performer le nuo en Chine et à l’étranger, où sorti de son contexte, il présente un « spectacle vivant », à la fois peu compréhensible, vu l’absence de texte, de chant, de musique, et peu admirable vu ses techniques simples, réalisées toujours par des paysans, qui ne peuvent bien évidemment rivaliser avec des acteurs professionnels.

Pour terminer, il faut revenir sur l’analyse anthropologique, qui recourant à la fois à la lecture des textes, à l’écoute des paroles, et à l’observation, est seule à même de pénétrer les différents niveaux de valeur. Les textes parlent d’exorcisme, mais assistant au nuo la première fois, je me suis demandée pendant quinze jours : où est l’exorcisme ? Après l’avoir enfin rencontré la seizième nuit, je me suis de nouveau demandée : pourquoi seulement à la toute fin ? Et qu’est-ce que l’on exorcise ? Les villageois ont leur logique, leurs mots, leur sensibilité et leurs tabous, faisant qu’ils ne peuvent énoncer clairement ce qui se passe pour eux et pour tout le village au fond du nuo. Certes, les textes anciens indiquent qu’il s’agit d’expulser les énergies yin ; mais pourquoi alors aucun analyste n’a jamais fait le lien avec les femmes et le féminin ? Et pourquoi seuls les affins peuvent-ils danser le nuo ? Cela semble tellement naturel que personne ne se pose même la question. Or si l’on s’intéresse à la logique du déroulement du nuo, on remarque que les masques, et les officiants affins qui les portent vêtus en femmes, apportent le bonheur aux maisonnées, dit représenter d’abord des enfants. Il s’agit ainsi d’une fécondation ritualisée du lignage Wu par les affins représentant leurs femmes, épouses des Wu. Or ceci a un temps, car il faut ensuite que les affins retournent à leur position subordonnée, que leurs énergies « froides », yin, soient alors cherchées, chassées, puis évacuées lors du dernier rite « achever le nuo », effectué au bord de la rivière, l’eau ayant le pouvoir d’entrainer les entités et énergies surnaturelles au loin. À ce moment les masques, divinités positives, deviennent des entités démoniaques, d’où l’exorcisme pour s’en débarrasser. Mais il faut aussi que ces entités reviennent l’année suivante pour féconder à nouveau le lignage, qui sinon serait voué à dépérir.

Il faut aussi sans doute une part de mystère pour que le rituel manifeste son efficacité. Il faut également que, composés d’éléments transgressifs par rapport à l’idéologie confucianiste globalisante, ceux-ci soient cachés, enfouis, comme les vêtements rituels, sous des couches de symboles, qu’il s’agit donc de ressortir pour en comprendre leurs enjeux : rôles des femmes, du féminin, des affins, des serviteurs, des démons. À la question posée ci-dessus concernant la position habituellement et ouvertement secondarisée attribuée aux femmes, et par extension, à tous les subordonnés, le rite propose une réponse en les plaçant temporairement au centre, soit une position spéciale ayant le caractère d’associer le supérieur et l’inférieur, dans un balancement hiérarchique. Il s’agit là d’une « hiérarchie de valeur », pour reprendre l’expression de Louis Dumont, caractérisée par un « englobement du contraire »30. Cette structure caractérise cette société locale hiérarchique qui fonctionne de façon « non totalitaire » grâce à son rituel nuo, en affectant aux « autres », c’est-à-dire aux subordonnés, la tâche de célébrer la société entière. Celle-ci fonctionne en complémentarité hiérarchique avec son/ses « autre/autres », qui la complètent, la célèbrent, et représentent en un mot sa source de vie. Sans quoi, les hommes, les notables, le village, le lignage, le district seraient des ensembles clos et refermés sur eux-mêmes, sclérosés.

Si l’on revient aux sens du caractère nuo cités au début, qui indiquent l’importance du masculin en rapport à une difficulté, et relient ce rite au tout début de la société chinoise, qui selon les classiques s’est fondée sous les Zhou, lorsque fut institué le système patrilinéaire qui permis aux fils de reconnaitre leurs pères, grâce à la nouvelle institution du mariage réglant les rapports d’affinité entre les groupes agnatiques31, et que l’on rapporte ceci avec le nuo observé de nos jours à Shiyou, on ne peut manquer d’en entrevoir des congruences sous-jacentes : le nuo est un rituel chinois han, qui sur la base de la supériorité masculine orchestrée par le système patrilinéaire, organise son inversion ritualisée en élevant les femmes et les affins au centre. Sur un plan politique, on peut rappeler aussi que l’ère impériale débutant véritablement avec la dynastie Han32 (206 av. J.-C.) organisa dès lors les rapports hiérarchisés entre localités et administration ; dans le district de Nanfeng, le nuo joua depuis le rôle proprement politique de conjuguer l’allégeance des villages et la reconnaissance de leur autonomie propre pour l’administration. Ainsi, un rituel d’abord fondé sur la parenté est devenu politique lorsque l’Empire a imposé sa loi aux localités.

Ayant rassemblé tous les indices énumérés dans le tableau ci-dessus, j’en ai proposé une interprétation anthropologique qui pourra peut-être sembler aller très loin pour ceux qui vivent et effectuent le nuo tous les ans. Car les villageois agissent machinalement, répétant chaque année le rituel, tout en se désolant de le voir se transformer, et perdre son « esprit d’antan » au profit d’un spectacle pour les touristes. J’avais intitulé ma communication orale « Adieu Shiyou » pour montrer cette évolution, mais j’ai pensé plus important de commencer ce texte par synthétiser le rituel et ses valeurs. Je ne sais pas si j’aurai l’occasion de retourner un jour à Shiyou pour mieux étudier cette folklorisation. Je soumets donc ce travail à la discussion et aux objections, dont je suppose qu’elles peuvent être nombreuses, tant ce genre d’interprétation s’éloigne des présentations courantes du nuo. Rappelons toutefois les nombreux travaux33 portant sur les rites, les théâtres, les carnavals, et leurs aspects liminaux, fait d’inversions et de retournements, qui montrent combien ce genre de pratiques sont au fondement des structures de bien des sociétés. Je pourrais d’ailleurs émettre l’hypothèse qu’il s’agit en fait de la structure de base des sociétés qui ont été appelées « holistes » par Louis Dumont. Quoi qu’il en soit, mon objectif est enfin et surtout de rendre hommage à ces villageois, qui ont eu l’intelligence et la sensibilité d’organiser leur société autour d’une hiérarchie de valeur englobant grands et petits, au lieu d’exclure ceux dont on ne veut pas, comme cela est hélas bien trop courant de nos jours !

Notes

  1. J’ai publié à plusieurs reprises sur mes enquêtes, voir notamment Capdeville-Zeng Catherine, Le théâtre dans l’espace du peuple : une enquête de terrain en Chine, Paris, Les Indes savantes, 2012.
  2. Les caractères importants sont présentés lors de leur première occurrence dans le texte, sous forme non simplifiée, puis simplifiée, ou à défaut sous leur seule forme simplifiée actuellement utilisée en RPC.
  3. Ke Lin 柯 琳, Ma théorie sur la culture nuo (Nuo wenhua chulun 傩文化刍论), zhongyang minzu daxue chubanshe, 1994, p. 5. Selon la datation officielle, a dynastie Shang a régné entre 1570-1045 av. J.-C.
  4. Les rites des Zhou cités par Ke Lin (op. cit., p. 36). Cette définition originelle du nuo ancien est citée par tous les auteurs chinois contemporains. Les dates attribuées au règne de la dynastie Zhou sont 1046-256 av. J.-C. Tous les passages cités sont traduits par mes soins.
  5. Le chamanisme est considéré comme le « substrat ancien » de la Chine selon Piet Van der Loon dans « Les origines rituelles du théâtre chinois », Journal Asiatique, 165, 1977. Ses pratiques ont ensuite été reprises en partie par le taoïsme tandis qu’une autre partie perdure sous des formes populaires locales, telle le nuo.
  6. Lin He 林河 Zhongguo wunuoshi 中国巫傩史 (L’histoire du chamanisme nuo), huacheng chubanshe, 2001, p. 351.
  7. Selon Karlgren, cité par l’Encyclopédie Wenlin (文林 Wénlín Software for Learning Chinese, ABC English-Chinese/Chinese-English Dictionary, University of Hawaiʻi, 1997, Version 4.3.2, Jul 23 2016).
  8. L’expression courante nanzihan 男子汉 signifie « un homme qui n’a pas froid aux yeux », « un vrai mec ».
  9. Ke Lin 柯琳, Ma théorie sur la culture nuo (Nuo wenhua chulun 傩文化刍论), op. cit.
  10. Les auteurs occidentaux ayant étudié le nuo reprennent ces termes, notamment Marcel Granet dans ses Danses et Légendes, Paris, PUF, 1994 [1926], et Joséphine Riley dans Chinese Theatre and the Actor in Performance, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
  11. Il faudra attendre la création du « théâtre parlé » dans les années 1920 pour que costumes et maquillages soient abandonnés par ce style profane, en effet les maquillages étaient considérés comme des avatars « amoindris » des anciens masques. Néanmoins, ils perdurent encore de nos jours dans les théâtres chantés traditionnels.
  12. Selon Ke Lin 柯琳, Ma théorie sur la culture nuo (Nuo wenhua chulun 傩文化刍论), op. cit., p. 11. Les chercheurs chinois ayant travaillé sur le nuo, s’accordent globalement sur la ligne générale du développement historique du nuo, notamment Jiang Xiaoqin 蒋啸琴 (Étude sur le grand nuo, [Danuokao 大傩考], Yishu yeshu, Taibei, 1988), Qu Liuyi 曲六乙 (Le théâtre nuo – le théâtre des minorités et autres [Nuoxi – Shaoshuminzu xiju ji qita 傩戏-少数民族戏剧及其它], Zhongguo xiju chubanshe, 1990), Lin He 林河 L’histoire du chamanisme nuo (Zhongguo wunuoshi 中国巫傩史), Huacheng chubanshe, 2001), Ye Mingsheng 叶明生 « Cérémonie et théâtre, une enquête folkloriste » (« Yishi yu xiju, minsuxue de kaocha » 仪式戏剧, 民俗学的考察), Minsuquyi (Journal of Chinese Ritual, Theater and Folklore), 129, 2001).
  13. Par exemple, Qu Liuyi, Le théâtre nuo – le théâtre des minorités et autres [Nuoxi – Shaoshuminzu xiju ji qita 傩戏-少数民族戏剧及其它], op. cit., p. 14.
  14. Sheng Jie 盛婕, « Présentation d’une enquête sur la danse nuo de la province du Jiangxi », (« Jiangxisheng nuowu diaocha jieshao » 江西省傩舞调查介绍), réédité dans Minsuquyi (Journal of Chinese Ritual, Theater and Folklore), 83, 1993, p. 3.
  15. Yu Daxi 余大喜 – Liu Zhifan 刘之凡, Le nuo de Shiyou, canton de Sanxi, district de Nanfeng, province du Jiangxi (Jiangxisheng Nanfengxian Sanxixiang Shiyoucun de tiaonuo 江西省南丰县三溪乡石邮村的跳傩), Taibei, Minsuquyi yeshu, 1996, p. 28.
  16. Un mot encore sur la danse : dès mon arrivée en Chine, au début des années 1980, j’ai été frappée par l’absence de danse chez les Han : globalement, les Chinois ne dansaient pas. Certes, ils regardaient des spectacles d’« opéra », des ballets dansés de style occidental, ou de danses « folkloriques » des minorités nationales, mais ne pratiquaient pas eux-mêmes cette activité. Ou bien, mais très rarement, ils pratiquaient alors des danses venues d’Occident (danses de salon, tango, valse…). J’ai peu à peu compris que les Chinois avaient abandonné, il y a fort longtemps, la danse comme pratique communautaire, au profit de pratiques gymniques comme le taiji et le qigong. La danse en tant que telle n’a été conservée que dans des contextes très spécifiques comme ceux des pratiques religieuses et cérémonielles. Elle est ainsi devenue l’apanage de spécialistes rituels : maîtres taoïstes, chamanes, possédés, tandis que le peuple au sens large n’y avait globalement pas accès, avant l’arrivée massive des danses modernes, avec les réformes entamées dans les années 1980.
  17. Malgré la différence de caractère (nengju 能剧 en japonais), la similitude de prononciation est si frappante que l’emprunt au chinois par le japonais semble très probable, même si des preuves de cet emprunt manquent. Le japonais utilise aussi des masques.
  18. Zhu Xi, Commentaires des Entretiens, cité par Kang Baocheng 康保成, Les origines du théâtre nuo (Nuoxi yishu yuanliu 傩戏艺术源流), Guangdong gaodeng jiaoyu chubanshe, 1999. p. 14.
  19. Livre des rites, chapitre Yueling, cité par Zhou Huabin 周花斌, « L’évolution des masques nuo » (Nuoyi mianju de yange 傩仪面具的沿革), Minsuquyi (Journal of Chinese Ritual, Theater and Folklore), 69, 1990, p. 122, ou par Zeng Zhigong 曾志巩 La culture nuo de Nanfeng au Jiangxi (Jiangxi Nanfeng nuowenhua 江西省南丰傩文化), Zhongguo xiju chubanshe, 2005, p. 11.
  20. Par exemple, Ke Lin, op. cit., p. 39, Zhou Huabin, op. cit, p. 132.
  21. Zeng Zhigong, op. cit., p. 31.
  22. Zeng Zhigong, op. cit., p. 670.
  23. En chinois, les termes grand-père paternel et grand-père maternel sont différents : yeye/waigong.
  24. Néanmoins, cette histoire prend probablement racine dans l’existence d’un ancêtre Wu, nommé Wu Rui, qui fut investi « roi de Changsha » par le premier empereur Han en remerciement de l’aide militaire qu’il lui apporta pour renverser la dynastie Qin. Wu Rui, général Han, mena son armée jusqu’à Nanfeng où un temple lui était dédié sur la plus haute montagne du district, toute proche de Shiyou. Les lettrés Wu qui participaient à la rédaction des registres de leur lignage étaient au courant de cette descendance illustre.
  25. Ce cœur est composé de la liste des dignitaires lignagers Wu, et d’objets considérés favoriser la fécondité des hommes.
  26. Capdeville-Zeng Catherine, « Entre mythe et roman – Le théâtre nuo dans un village de la Chine du sud-est », Théâtres d’Asie à l’œuvre : circulation, expression, politique, Études thématiques, 26, EFEO, 2012, p. 219-233. URL : https://hal-inalco.archives-ouvertes.fr/hal-01316337.
  27. J’ai étudié l’indétermination de l’expression « dieu du nuo », qui réfère parfois à la seule statue du temple, et parfois à tout l’ensemble : statue, garçonnet, masques (2012).
  28. Les « gestes magiques de la main » jue sont notamment utilisés par les taoïstes. Pour ce geste xianghuojue (xianghuo « encens »), les doigts de la main sont repliés dans le poing, sauf l’index et le petit doigt qui sont dépliés en avant comme pour montrer ou signifier quelque chose. Ce geste est effectué à de nombreuses reprises pendant danser et chercher le nuo.
  29. Les pétards sont formés de petits bâtons enrobés de papier rouge. À l’unité, les petits enfants s’amusent à les faire claquer. En tant qu’objets rituels, rassemblés par dizaine ou vingtaine, ils forment des « brasses » et éclatent les uns après les autres en quelques secondes. Enfin, ils sont aussi rassemblés dans les longues guirlandes par plusieurs centaines ou milliers qui mettent plus de temps à éclater, parfois plusieurs minutes.
  30. Dumont Louis, Homo Hierarchicus – Le système des castes et ses implications, Paris, coll. « Tel », Gallimard, 1966 ; Essais sur l’individualisme, Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Esprit/Seuil, 1983.
  31. Vandermeersch Léon, « Le mariage suivant le rituel confucianiste », in : Mizoguchi Yuzô, Vandermeersch Léon, éd., Confucianisme et sociétés asiatiques. Paris, L’Harmattan, coll. « Recherches asiatiques », 1991, p. 53-68.
  32. Le court et tragique épisode de la première dynastie impériale Qin (221-206 av. J.-C.) mourut de son excès de totalitarisme, renversée par les révoltes populaires qui menèrent à la prise du pouvoir par les Han en 206 av. J.-C.
  33. Voir Van Gennep Arnold, Les rites de passage : étude systématique des rites de la porte et du seuil, de l’hospitalité, de l’adoption, de la grossesse et de l’accouchement, de la naissance, de l’enfance, de la puberté, de l’initiation, de l’ordination, du couronnement, des fiançailles et du mariage, des funérailles, des saisons, etc., Paris, 1909. Réédition augmentée, 1969, 1981 ; Turner Victor, Le phénomène rituel : structure et contre-structure : le rituel et le symbole : une clé pour comprendre la structure sociale et les phénomènes sociaux, Paris, Presses universitaires de France, 1990 ; The Anthropology of Performance, New-York, PAJ Publications, 1986 ; Da Matta Roberto, Carnavals, Bandits et Héros, Ambiguïtés de la société brésilienne, Le Seuil, 1983.
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Pessac
EAN html : 9791030010879
ISBN html : 979-10-300-1087-9
ISBN pdf : 979-10-300-1086-2
Volume : 4
ISSN : 3040-2956
Posté le 15/09/2024
31 p.
Code CLIL : 3122; 3656; 3657; 3686
licence CC by SA

Comment citer

Capdeville-Zeng, Catherine, « C’était quoi le nuo 傩 finalement pour les villageois de Shiyou 石邮 (Province du Jiangxi, Chine du Sud-Est) ? », in : Gauthard, Nathalie, Martin, Éléonore, éd., Le terrain en arts vivants. Récits, méthodes, pratiques, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, collection V@demecum 4, 2024, 99-132, [en ligne] https://una-editions.fr/c-etait-quoi-le-nuo-finalement-pour-les-villageois-de-shiyou [consulté le 04/09/2024].
10.46608/vademecum4.9791030010879.8
Illustration de couverture • Anthropomorphisme#37 Crédit : © Blodwenn Mauffret, Guérande, août 2019
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