« Trop de Droit ! »1
Trop de Droit ? « [Q]ui s’aviserait de contester la sainte colère du Maître de Poitiers »2 ? Cette idée du caractère néfaste de l’inflation normative, fruit de l’héritage révolutionnaire3, est toujours en germe4. Toutefois, l’idéal de lutte contre l’inflation normative est aujourd’hui battu en brèche par la prise en compte de « l’urgence climatique »5. Cette urgence peut être le terreau fertile d’une nouvelle approche de la démocratie – en réponse à la crise de représentativité6 – sur fond de verdissement normatif7, et peut ainsi induire l’acceptabilité de la norme par l’écocitoyen.
Apparut chez Proudhon au XIXe siècle8, le terme d’acceptabilité a ensuite été repris en linguistique comme le « caractère d’un énoncé dont la syntaxe et le sens sont conformes au code de la langue »9 – c’est-à-dire que le locuteur accepte ou non l’énoncé comme provenant de sa langue. Transposée au monde juridique l’acceptabilité serait lorsque le sujet de droit accepte l’énoncé juridique – et cette idée est au cœur de l’œuvre Droit et Démocratie, entre faits et normes de Jürgen Habermas10. Sur ce point, sa pensée pourrait être synthétisée par cette question : quelle est la légitimité des normes modernes quand le législateur peut les substituer11 ?
Habermas propose ainsi un paradigme procédural du Droit, en ce sens que les « hommes n’agissent en tant que sujets libres que dans la mesure où ils obéissent aux lois mêmes qu’ils se donnent en fonction de leurs connaissances inter-subjectivement acquises »12. Il fonde ainsi sa propre théorie du contrat social en critiquant celle de Jean-Jacques Rousseau13, expliquant que celui-ci « se trouve dans l’impossibilité d’expliquer comme une médiation non répressive peut être introduite entre l’orientation supposée des citoyens vers le bien commun et les centres d’intérêt socialement différenciés qu’entretiennent les personnes privées, et donc entre la volonté générale normativement construite et l’arbitraire des individus »14. Enfin, pour ce qui nous intéresse, il fonde aussi sa pensée autour de la notion d’espace public, cet interstice normatif entre espace civil et espace politique15 – espace qui « n’est pas simplement conçu comme le vestibule des parlements, mais comme une périphérie qui donne des impulsions et qui enserre le centre politique »16. Se dessine alors une troisième voie entre « une démocratie représentative devenant trop élitiste ou corporatiste et [d’]une démocratie participative devenant trop lobbyiste ou localiste »17 : la Démocratie délibérative – dont Habermas est l’un des chantres18. Ce nouveau paradigme associe le citoyen informé à l’édiction de la norme par la « forme communicationnelle qui est celle des discussions concourant à la formation de la volonté et de l’opinion »19.
Cette démocratie délibérative est ainsi l’objet de notre étude car elle se fond parfaitement dans les concepts de démocratie environnementale et de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Téléologiquement les deux concepts se rejoignent autour de l’idée rawlsienne20 de Justice sociale21. Cette Justice sociale se comprend, pour les deux concepts, comme la prise en compte des dilemmes sociaux et environnementaux de notre temps. En plus d’avoir les mêmes finalités, la démocratie environnementale et la RSE partagent au moins certaines de leurs modalités. En effet, selon le vice-président Sauvé, la démocratie environnementale traduit une nouvelle forme de citoyenneté et repose essentiellement sur le droit d’information et le droit de participation22. Pour ce qui est du droit d’information des citoyens, la RSE s’en est d’abord emparée comme norme privée qu’elle s’imposait23, puis se l’est vu imposé comme obligation légale24. Pour ce qui est du droit de participation, la démarche volontaire des entreprises n’est pas encore la « norme », même si l’on peut considérer l’influence de l’opinion publique25. Dans les deux cas la finalité est la même : la participation à l’élaboration de la norme sociale et environnementale par le citoyen individuel – distinct de la volonté générale – d’une part, et l’opérateur économique d’une autre.
L’émergence de cette Démocratie délibérative, ce renouveau du contrat social, aurait aussi un effet notable, celui de raffermir la responsabilité sociale et environnementale. La Démocratie délibérative – récipiendaire de la Justice sociale et symptomatique du passage de la pyramide au réseau26, du gouvernement à la gouvernance27 – permet ainsi de prendre au sérieux la responsabilité environnementale et sociale28. Au surplus de cette classique responsabilité ex post, elle pourrait permettre de mettre en place une responsabilité ex ante, Principe responsabilité, développée par Hans Jonas29. L’étude de la responsabilité n’est d’ailleurs pas anodine vis-à-vis de l’acceptabilité, l’étymologie de la notion nous apprenant que le concept était au départ politique30 – et attaché à la confiance. D’ailleurs, pour Jonas, l’ultime objet de la responsabilité est le « maintien des rapports de confiance comme tels, sur lesquels reposent la société et le vivre ensemble humain »31 – proposition qui pourrait s’apparenter à l’ultime objet du contrat social. En plus de renouveler notre contrat social bicentenaire, le Principe responsabilité pourrait être l’apport juridique à un commencement de solution au problème de notre siècle : le dérèglement climatique.
S’esquisse alors un nouveau contrat social dont la finalité serait la responsabilité envers les générations futures, ayant pour objet la Justice sociale et dont la forme serait la Démocratie délibérative (I). La Démocratie délibérative, dans son acception de « démocratie continue » pourrait ensuite devenir le soubassement nécessaire à l’édification d’un Principe responsabilité traduit juridiquement (II).
I. Un nouveau contrat social ayant pour objet la Justice sociale : l’émergence de la Démocratie délibérative
Les principes de la justice sociale étant, pour Rawls, ceux qui « fournissent un moyen de fixer les droits et les devoirs dans les institutions de base de la société et […] définissent la répartition adéquate des bénéfices et des charges de la coopération sociale »32, il apparaît utile d’associer les citoyens à l’édification de ceux-ci dans un objectif d’acceptabilité. Cette utilité est d’autant plus apparente que l’urgence climatique a agrégé l’objectif de protection de l’environnement à la justice sociale. L’association des citoyens pourrait ainsi être réalisée via la démocratie délibérative – favorisée par la gouvernancisation du droit (A) – cette forme délibérative de la démocratie étant nécessaire à la mise en œuvre du Principe responsabilité (B).
A. Une émergence de la Démocratie délibérative symptomatique de la gouvernancisation du droit
Pour Henri Bouillon, la gouvernance désigne « la nouvelle posture que doit adopter l’autorité politique face à une société civile réputée autonome »33 quand pour le professeur Supiot elle désigne « cette intériorisation de la norme et l’effacement de l’hétéronomie »34. Cette notion de gouvernance est la traduction juridique de ce que dogmatisait Friedrich Hayek : « nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coercition »35. Fruit du glissement sémantique du peuple en société civile, de la souveraineté à la subsidiarité36, la gouvernance peut avoir pour effet la décentralisation de la production normative.
Cette décentralisation de la production normative ne va pourtant pas de soi dans notre république jacobine où l’on considère que de « lui-même le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours. […] Voilà d’où naît la nécessité d’un Législateur37 ». Ce postulat, dans notre Ve République, aboutit à démocratie représentative poussée à son paroxysme, si bien que le référendum – exemple topique de la démocratie participative – a pour étymologie la locution latine de « ad referendum »38 c’est-à-dire ratifier la décision politique, prendre acte. Le référendum ne serait donc pas tant une forme de démocratie participative mais une modalité de la démocratie représentative. Pourtant, du fait de la gouvernancisation de la production normative, différents acteurs sont aujourd’hui associés à cette production normative. Les lois Grenelle39 en sont le meilleur exemple – réunissant les cinq principales parties de notre contrat social : l’État, les collectivités territoriales, les associations environnementales ainsi que des représentants des salariés et des employeurs. Pour ce qui est de l’objectif de protection de l’environnement, cette gouvernancisation a deux traductions juridiques : l’une dans le cadre de la démocratie environnementale et l’autre dans le cadre de la RSE.
La première traduction juridique, la démocratie environnementale découle des droits d’information et de participation consacrés par l’article 7 de la Charte de l’environnement40.
Pour ce qui est de la seconde traduction juridique, dans le cadre de la RSE, l’on parle plus volontiers d’une obligation d’information qui apparaît comme la seule intéressante à étudier (le droit de participation étant cantonné à de rares expérimentations). L’efficience de l’obligation d’information a pour mythe fondateur l’arrêt Kasky contre Nike de la Cour suprême de Californie de 200241, qui « utilisant une disposition de la loi californienne sur les usages honnêtes en matière commerciale, a condamné Nike pour publicité mensongère parce que l’entreprise n’avait pas respecté les clauses de son propre code de conduite42 ». En France, l’efficience des obligations légales d’information des entreprises date de la loi NRE de 200143, avec un reporting renforcé en matière sociale et environnementale par la loi Grenelle II44.
Cette diversité des sources de production de la norme, par les citoyens dans leur individualité et par les opérateurs économiques, constitue un terreau fécond pour la démocratie délibérative en ce sens que la « raison d’être de la participation est de parvenir à une décision légitime et la meilleure possible45 », la « mise en réseau des instances participative [étant] donc encouragée46 ».
Encore faut-il déterminer les modalités d’application de cette participation, notamment quant à sa temporalité.
B. La Démocratie délibérative et la forme continue de la démocratie : conditio sine qua non au Principe responsabilité
L’idée d’une forme continue de démocratie comme conditio sine qua non au Principe responsabilité n’est pas nouvelle. Dans sa Théorie de la Justice, John Rawls indiquait déjà que la « position originelle » (à son contrat social) impliquait de « supposer que les partenaires représentent une ligne continue de revendications47 » et supposait aussi que « la chaîne de générations, dans son ensemble, peut être unie et que toutes peuvent s’accorder sur des principes qui prennent en considération les intérêts de chacune48 ».
Contrairement à Rawls qui base la responsabilité envers les générations futures sur le principe d’épargne juste49, Hans Jonas base sa théorie le devoir ontologique de l’homme à se préserver50 – et ainsi préserver son environnement. Cette discordance est schématisée par François Ost entre un modèle rawlsien dit « domestique »51 (car se limitant aux descendants dits « immédiats ») et un modèle jonassien dit « herculéen »52 (car basé sur l’asymétrie, rejetant « toute forme de logique de donnant-donnant53 »). La pensée de Hans Jonas pourrait ainsi être résumée par la phrase : « [i]nclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir54 ». Toutefois, que l’on prenne la conception rawlsienne ou jonassienne de notre devoir envers les générations futures, l’on ne peut concevoir la responsabilité subséquente dans une temporalité arrêtée. Selon nous, cette position remet en cause l’internalisation des externalités négatives développées par Arthur Cecil Pigou55 et Ronald Coase56. Cette théorie économique de l’internalisation des externalités négatives avait été traduite juridiquement par le courant des property rights57 – dont l’exemple topique est le principe du pollueur-payeur58. Il apparaît ainsi que les mécanismes de droit économique de l’environnement ne sont pas en adéquation avec la tentative rawlsienne et jonassienne de changement de paradigme. Encore faut-il proposer une nouvelle façon d’aborder la « responsabilité environnementale ».
L’une des propositions est de considérer que l’individu a toujours été la source de norme. L’on peut ainsi considérer qu’il est possible « d’imputer à la “masse sociale” la responsabilité de n’importe quel système de droit existant59 » car « l’affirmation de la liberté absolue de l’individu débouche ainsi sur la perspective […] de la responsabilité morale et politique d’une population avalisant60 ». Si le citoyen est la source de la norme il en devient ainsi responsable, mais pour que cette responsabilité puisse prendre en compte les changements sociaux et environnementaux actuels, il faut qu’elle soit mouvante. Pour cela, en France, l’on peut évoquer la démocratie continue du professeur Dominique Rousseau61. Cette démocratie continue serait la traduction juridique de démocratie délibérative d’Habermas62. Ici encore il serait question de trouver un autre schéma entre espace civil et espace politique (« l’espace public » d’Habermas), espace où se forme la volonté générale selon le professeur Rousseau63. Ces espaces peuvent ainsi être la RSE ou la démocratie environnementale. Pour ce qui est de la démocratie environnementale, le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique du 28 août 2019 prévoyait que le Conseil de participation allait remplacer le CESE et donner lieu aux articles 70, 70-1, 70-2 et 71 de la Constitution64. Ce Conseil de participation aurait pu assurer « la participation du public au processus d’élaboration des projets d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national » et réunir les conventions de citoyens tirés au sort sur des sujets sociaux et environnementaux. Dans tous les cas, la loi organique du 15 janvier 2021, relative au conseil économique, social et environnemental a ajouté à la compétence de ce dernier la possibilité de mettre en place des consultations publiques (avec citoyens tirés au sort)65.
La démocratie délibérative est aussi inextricablement liée à la responsabilité. Rappelant les pensées de Habermas, de Hirshman, de Dewey, de Rorty et de Ricoeur, Jean-Louis Le Moigne rappelle que « la délibération est d’abord un projet éthique, celui précisément de la solidarisation responsable66 ». Ce faisant, l’on peut commencer à envisager une refonte du principe de responsabilité en Principe responsabilité.
II. La traduction juridique du Principe responsabilité : la redéfinition du principe de responsabilité
Du fait de l’urgence climatique, notre principe de responsabilité paraît aujourd’hui inadéquat (A), impliquant la consécration d’une co-responsabilité ex ante (B). On retrouve ainsi la dichotomie Ostienne entre la responsabilité-sanction et la responsabilité-couverture d’une part, et la responsabilité-prévention et la responsabilité-participation d’autre part67.
A. À droit constant : le dépassement nécessaire d’une responsabilité environnementale ex post
Aujourd’hui, il y a un consensus assez large quant à l’inefficience de la responsabilité « classique » dans une optique de protection de l’environnement68. Quant à la RSE, elle est aussi fortement critiquée, évoquant « les promesses d’ivrognes jurant à la cantonade qu’ils vont cesser de boire demain, plutôt que de la responsabilité au vrai sens du mot69 » – rappelant les mots de Milton Friedman : « l’unique responsabilité sociale de l’entreprise est celle de faire des profits70 ».
L’une des premières anicroches est de savoir si l’environnement (ou la nature) est un sujet ou un objet, même si François Ost propose de dépasser cette difficulté en considérant la nature comme un projet71. D’un point de vue philosophique, ce serait choisir entre une écologique profonde72 ou une écologie anthropocentrique73. L’une comme l’autre des propositions a donné lieu à des transpositions juridiques différentes en fonction des États auteurs68. L’une comme l’autre apporte ses avantages et ses inconvénients53. Le choix reste ainsi, comme souvent, philosophico-politique.
Autre anicroche, la multiplicité des acteurs dans une société aujourd’hui mondialisée « qui devrait impliquer une redistribution des responsabilités, aboutit plutôt à leur dilution74 », d’autant plus que la responsabilité est elle-même diluée par la multiplication de ses sources (comme la création d’un préjudice spécial : le préjudice écologique avec l’affaire Erika75 ; ou les débats autour de l’écocide76 et sa non-apparition en tant que tel dans la loi dite « climat et résilience »77).
Enfin, la responsabilité environnementale ex post implique souvent « [u]ne responsabilité déviée du pollueur à l’autorité publique78 ». C’est ici la figure de l’État garant en dernier ressort79 qui est mobilisée. Eu égard à la conception libérale de l’État, la responsabilité de celui-ci serait subsidiaire mais salutaire80 (après épuisement des autres sources de responsabilité mais fatalité de celle-ci). C’est un des symptômes de la « socialisation des risques81 » – bien connu en droit de l’environnement, notamment en ce qui concerne les installations classées pour la protection de l’environnement82. Le cas topique est lorsque le débiteur d’une obligation de réparation est insolvable, et ne peut donc s’acquitter des externalités négatives qu’avait engendrées son activité. L’adage ubi emolumentum ibi onus laisse ainsi la place à un nouveau : privatisation des bénéfices, publicisation des pertes.
S’ensuit une philosophie générale de la responsabilité qui a du mal à prendre en compte les générations futures car fondée en réaction, dans un but de réparation d’un dommage présent ou passé. C’est pourquoi une refondation éthique du principe de responsabilité est nécessaire – un mouvement juridique s’amorçant dès maintenant.
B. À droit prospectif : l’hypothétique consécration d’une co-responsabilité ex ante
Une co-responsabilité ex ante ne serait pas uniquement qu’une transposition juridique de l’œuvre de Jonas mais une construction normative nouvelle combinant responsabilité éthique et responsabilité juridique83. Un des arguments pour la recherche d’une co-responsabilité est là encore à chercher chez Jonas qui évoque « la responsabilité de l’homme envers l’homme84 », ce qui impliquerait « l’inséparabilité de la responsabilité et de la solidarité humaine85 ». Cette réparation sur fond de théorie solidariste est déjà ancienne – la professeure Geneviève Viney écrivait que les finalités de la responsabilité étaient « la réponse au trouble social86 ». De tels mécanismes avaient déjà été mis en place en matière sociale, aboutissant à un « vaste système d’assurance collective visant à prévenir et surtout à réparer, grâce à la mise en œuvre du devoir juridique de solidarité, les conséquences néfastes résultant de la survenance d’un certain nombre de risques sociaux87 ». Toutefois il apparaît nécessaire d’associer d’autres acteurs que les personnes publiques pour éviter au plus la situation classique de l’État garant en dernier ressort88.
Cette co-responsabilité ex ante n’est pour autant pas nouvelle ; dès la déclaration de Rio l’on prévoyait que « les États ont des responsabilités communes mais différenciées89 ». En droit interne l’on peut retrouver cette logique dans le principe de précaution issu de la Charte de l’environnement, où l’idée est d’empêcher le dommage90. Au niveau infra-constitutionnel, dans une logique de RSE, l’on peut évoquer la naissance de l’obligation de vigilance des sociétés mères – obligations tant de hard law91 ou de soft law92. Dans une logique de démocratie environnementale, le principe de précaution semble renforcer l’intérêt des dispositifs de démocratie délibérative93 – et peut-être ces derniers renforceront ces premiers. Au regard de la récente réforme du CESE88, ces dispositifs démocratiques semblent d’ailleurs se généraliser et se pérenniser.
Même si nous n’avons, pour l’instant, pas assez de recul pour comprendre les implications concrètes de ce nouveau paradigme du principe de responsabilité qu’est cette transposition juridique du Principe responsabilité, nous observons une profonde mutation de notre droit sur fond d’acceptabilité. D’une double crise – climatique et démocratique – semble se négocier un nouveau contrat social. Reste alors une question : sera-t-il suffisant ?
« Sur ce point, on touche à des questions essentielles de philosophie du droit. L’incapacité ou le refus de penser à la limite est un trait profond des sociétés occidentales contemporaines. Cette idéologie de la non-limite est condamnée à rencontrer la seule limite qui s’impose quand on veut n’en observer aucune : la limite catastrophique »94.
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Notes
- Carbonnier, cit. par UNTERMAIER, 1998, p. 499 ; à lire avec la voix de Fabrice Lucchini.
- UNTERMAIER, 1998, p. 499.
- « qu’il faut être sobre de nouveautés en matière de législation […] qu’au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer » (PORTALIS, 1801).
- « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite » fut le constat de 1991 (CE, 1991) ; en 2016 ce fut un constat d’échec des politiques voulant résorber cette tendance (CE, 2016).
- Première occurrence légale : L. n° 2019-1147, 8 nov. 2019, relative à l’énergie et au climat (art. 1er).
- LEVADE, 2020, p. 377-382 ; aussi (plus ancien mais tout autant d’actualité) : CHEVALLIER, 2002, p. 361-381.
- COURNIL, 2018, p. 17-26.
- REY, 2019, p. 16.
- Ibid., p. 16-17.
- HABERMAS, 1997.
- Ibid., p. 478 ; D’ailleurs, sur ce point, l’on peut rapprocher les pensées d’Habermas et de François Ost. Dans son ouvrage De la Pyramide au Réseau il distingue trois critères pour ce qui est de la validité d’une norme ou d’un acte juridique : la validité formelle, la validité empirique et la validité axiologique. L’acceptabilité peut, selon lui, être présentée comme l’une des facettes de la validité axiologique (OST, VAN DE KERCHOVE, 2002, p. 324-325).
- Ibid., p. 475 ; il fonde d’ailleurs son paradigme procédural du droit sur sa précédente théorie de l’agir communicationnel (HABERMAS, 1981).
- ROUSSEAU, 2001 ; Rousseau n’est toutefois pas le seul à avoir écrit autour du concept de contrat social (à l’instar de Spinoza, Locke – pour un auteur libéral – Hobbes, Hume ou encore Bakounine) mais il est, pour le cas français, son inspirateur le plus célèbre. De plus, Jürgen Habermas fonde sa construction du contrat social en critiquant celle de Jean-Jacques Rousseau – ainsi ce sera sa conception que nous utiliserons comme contrat originel contre lequel le nouveau contrat social se forme ; pour une étude détaillée de leurs conceptions du contrat social : DOSSO, 2012, p. 184.
- HABERMAS, 1997, p. 117.
- Sur la légitimation législative par l’espace public : ibid., p. 469.
- Ibid., p. 474.
- LE MOIGNE, 2006, p. 387.
- Certains considèrent que Rawls a aussi théorisé la démocratie délibérative : LECLERC, 2008, p. 494-511.
- HABERMAS, 1997, p. 119.
- RAWLS, 2009.
- Les principes de la justice sociale, selon Rawls, étant ceux qui « fournissent un moyen de fixer les droits et les devoirs dans les institutions de base de la société et ils définissent la répartition adéquate des bénéfices et des charges de la coopération sociale » (ibid., p. 30-31).
- SAUVÉ, 2010.
- ROLLAND, 2006, p. 93-111.
- Exemple : L. n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques.
- MALECKI, 2015, p. 241-257.
- OST, VAN DE KERCHOVE, 2002.
- SUPIOT, 2015 ; Idée aussi développée dans SUPIOT, 2005, p. 223-273.
- DELMAS-MARTY, SUPIOT (dir.), 2015.
- JONAS, 2000.
- Que le terme soit dérivé du latin respondere ou dérivé du droit constitutionnel anglais responsability (REY, 2019, p. 3207).
- JONAS, 2000, p. 187.
- RAWLS, 2009, p. 30-31.
- BOUILLON, 2021, p. 19.
- SUPIOT, 2015, p. 243.
- HAYEK, 1947, p. 20.
- SUPIOT, 2015, p. 77.
- ROUSSEAU, 2001, p. 74.
- « “les demander pour en rapporter à qqn” » (REY, 2019, p. 3128) ; c’est-à-dire entériner la décision d’un autre.
- L. n° 2009-967, 3 août 2009, de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement ; L. n° 2010-788, 12 juil. 2010, portant engagement national pour l’environnement.
- « Art. 7. – Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
- Voir TREBULLE, 2004, p. 261.
- MARTIN, 2017.
- L. n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (art. 116) ; d’un point de vue doctrinal, la professeure Blandine Rolland considère que nombre d’engagement des entreprises sont des engagements unilatéraux assez ferme d’exécuter, et se trouvent donc dans le cadre de la théorie de l’obligation naturelle transformée en obligation civile (ROLLAND, 2006, p. 103).
- L. n° 2010-788, 12 juil. 2010, portant engagement national pour l’environnement (art. 225).
- MORIO, 2020, p. 458.
- Ibid., p. 462.
- RAWLS, 2019, p. 161.
- Ibid., p. 161-162.
- Ibid., p. 324-333.
- JONAS, 2000, p. 163 ; pour une définition juridique des « générations futures » : GAILLARD, 2011.
- OST, 2003, p. 281.
- Ibid., p. 284.
- Id.
- JONAS, 2000, p. 40.
- PIGOU, 1920.
- COASE, 1960, p. 1-44.
- SUPIOT, 2015, p. 332.
- Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, 13 juin 1992, doc. ONU A/ CONF.151/26 Rev. 1, (art. 16).
- MORELOU, 2006, p. 744 ; Cette pensée est issue d’une critique (là encore) de la démocratie représentative : « La démocratie s’est introduite en France sous la forme de la démocratie représentative … Toute institution qui eût permis à la nation de faire entendre sa voix, telle l’appel au peuple, le référendum ou la dissolution était rigoureusement écartée de la Constitution. Le régime représentatif s’opposait ainsi radicalement à la démocratie directe, au moyen d’une fiction qui lui servait tout à la fois à fonder et à masquer cette opposition. » (CAPITANT, 2004, p. 346-347).
- Ibid., p. 743-744.
- ROUSSEAU (dir.), 1995.
- Le professeur Rousseau transpose d’ailleurs « l’agir communicationnel » en « agir constitutionnel » (ROUSSEAU, 2020 (b)).
- ROUSSEAU, 2020 (a), p. 436.
- Projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique (n° 2203), 29 août 2019 (dépôt) (art. 1).
- LO n° 2021-27, 15 janv. 2021, relative au Conseil économique, social et environnemental (art. 4) ; Le mécanisme des assemblées citoyennes tirées au sort est aussi critiquable car délégitimant d’autres formes d’expression comme le référendum ou la manifestation (COURANT, 2020, p. 504-505).
- LE MOIGNE, 2006, p. 378.
- OST, 1995, p. 281-322.
- OST, 2003 ; DELMAS-MARTY, SUPIOT (dir.), 2015.
- SUPIOT, 2004, p. 541.
- FRIEDMAN, 1970, p. 32-33.
- OST, 2003, p. 235-343.
- NAESS, 1973, p. 95-100.
- FERRY, 1992.
- DEVAUX, MARTIN-CHENUT, 2015, p. 361.
- Cass. Crim., 25 sept. 2012, n° 10-82.938 ; aujourd’hui codifié aux articles 1246 à 1252 du Code civil.
- Voir : NEYRET, 2015 (a) ; NEYRET, 2015 (b).
- L. n° 2021-1104, 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (art. 280).
- DEGUERGUE, 2009, p. 573.
- BRUNET, 2015, p. 275.
- Ibid., p. 277.
- CE, 2005, p. 196.
- Voir : GEIB, LELIÈVRE, 2021, p. 757.
- Sur le sujet : OST, 2003 ; TORRE-SCHAUB, 2019, p. 138-142.
- JONAS, 2000, p. 193.
- LE MOIGNE, 2006, p. 379.
- VINEY, 1990, p. 288.
- BORGETTO, 1993, p. 369.
- Voir supra.
- Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (principe 7).
- Art. 5 : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
- L. n° 2017-399, 27 mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (art. 1).
- L. n° 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (art. 169 portant modification de l’art. 1833 du Code civil).
- REBER, 2021, p. 399-425.
- SUPIOT, 2018, p. 163.