Concept-clé
La e-rumeur est une information sans certitude (fausse ou douteuse), non vérifiée, de source inconnue, diffusée sur Internet et qui désigne l’intentionnalité d’un message faux. Elle vise généralement à manipuler ou tromper les destinataires, voire à fragiliser, à discréditer l’adversaire.
Certaines circonstances sont propices à l’apparition de rumeurs et deux contextes particuliers en favorisent leur émergence. Le premier s’inscrit dans les moments où la vie est perturbée par un évènement exceptionnel et dramatique (une épidémie, un attentat, une guerre, etc.), car la situation bouleversante augmente le sentiment de menace potentielle et entraîne une posture défensive face au contenu des informations. Le second concerne les évènements inhabituels laissés inexpliqués par les canaux officiels et publics de communication. Dans ces cas précis, le manque d’information est générateur d’ambiguïtés. Aussi pour pallier des incertitudes anxiogènes, la rumeur permet de proposer des interprétations rassurantes qui se substituent aux connaissances rationnelles. « La rumeur est une formidable réponse face à l’ignorance1.». Pour qu’une personne relaie une rumeur, elle doit se sentir concernée par les contenus de l’information et son degré d’implication détermine son adhésion et sa propension à la retransmettre.
Synonymes
- Rumeur électronique
- Rumeur en ligne
- Infox
- Hoax
- Fake news
- Fausses allégations en ligne
Sans explication, j’ai vu le regard de mes collègues changer tout d’un coup. Malgré mes démentis, cette rumeur sur ma vie privée me poursuit encore et toujours.
– une victime
Ce qu’il faut retenir…
Au regard des études empiriques menées, plusieurs constantes semblent invariables dans l’élaboration de la rumeur :
- elle s’impose avant tout sur le registre de la révélation inédite, du sensationnel, du subversif, voire du scandaleux. Sa sémantique est toujours marquée par la clandestinité et adopte le ton de la confidence (révélation d’un scandale caché, contre-version à la version officielle, etc.) ;
- elle renforce les liens à l’intérieur du groupe qui la partage (fonction d’intégration sociale) et accentue les logiques de différenciation avec les autres groupes (fonction de différenciation sociale) en s’exprimant généralement par l’attaque d’une personne ou d’un groupe d’individus ;
- quatre thèmes narratifs semblent être privilégiés : la faute, la trahison, le complot et le mal caché. Si les mêmes biais de négativité sont régulièrement convoqués, elle subit des adaptations visant à la rendre actuelle et proche ;
- elle joue des rapports de promiscuité que génère Internet sur les médias et réseaux sociaux, pour toucher un auditoire très large excessivement rapidement (recours à des images ou vidéos) ;
- elle se diffuse sous couvert d’anonymat (notion de « bruit qui court ») empêchant ainsi son démenti. Mais paradoxalement, elle joue toujours sur la notion de source de confiance (ex. l’ami d’un ami) même si le relayeur n’est jamais le témoin direct ;
- la plausibilité de l’allégation est contestable et au gré de la diffusion, l’information peut se transformer en omettant certains éléments, en les polarisant, en les généralisant, en les surspécifiant (ajout de détails).
Aux origines
De nombreux médiévistes considèrent que la diffusion des nouvelles au Moyen Âge passait majoritairement par le bouche-à-oreille et même si aucune trace écrite ne permet d’en apporter le témoignage, il leur semble légitime de considérer que les rumeurs trouvent leurs fondements à cette époque avec les dénonciations de mœurs légères, les suspicions de complots, les fausses morts de rois, etc. Le mot « rumor » désigne d’ailleurs à partir du XIIIe siècle un bruit qui court, en empruntant des voies informelles. Il s’agit dans le sens commun d’une nouvelle qui se répand, d’un bruit critique, mais dont l’origine et la véracité demeurent incertaines.
Ce n’est qu’en 1902 que la rumeur est officiellement étudiée comme objet scientifique par un psychologue allemand, William Stern. Sur la base d’une expérimentation sociale (le jeu du téléphone encore pratiqué par les enfants dans les cours de récréation), il a été le premier à identifier des caractéristiques propres : la rumeur est selon lui décomposable, péjorative et dangereuse. Puis à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la rumeur est devenue un véritable enjeu scientifique polémique notamment avec les psycho- sociologues Allport et Postman, qui se sont attachés à montrer les processus de transformation des messages : la réduction, l’accentuation et l’assimilation.
De nombreux scientifiques considèrent encore aujourd’hui que la rumeur fait office de chambre d’écho de la société et témoigne toujours de l’état des interrogations des individus, de leurs angoisses partagées : comme si elles pouvaient être regardées au prisme d’un métalangage collectif.
Exemple concret
Que dit le cadre légal…
Plusieurs textes existent en droit français pour réprimer les diffuseurs de fausses nouvelles dans l’intention de nuire, mais également pour fixer des règles aux plateformes numériques :
- l’article 27 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 punit la propagation de fausses nouvelles lorsqu’elles sont susceptibles de troubler la « paix publique » ;
- l’article 29 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse concerne l’infraction de diffamation, définie par la loi sur la liberté de la presse (« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ») ;
- l’article 9 alinéa 2 du Code civil concerne un domaine plus restreint qui est celui de l’atteinte à l’intimité de la vie privée (tout ce qui a trait à la vie sentimentale ou à la santé).
Par ailleurs, depuis la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004, les plateformes, en leur qualité d’hébergeurs, ont l’obligation de détenir et conserver les données permettant l’identification des personnes qui utilisent leurs services et qui auraient contribué à créer des contenus illicites.
Pour aller un peu plus loin…
Quelques références scientifiques :
- Aldrin Philippe, Sociologie politique des rumeurs, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, 304 pages.
- Badouard Romain, Le désenchantement de l’internet. Désinformation, rumeur et propagande, FYP éditions, coll. « Présence/Questions de société », 2017, 179 pages.
- Campion-Vincent Véronique, La société parano. Théories du complot, menaces et incertitudes, Payot & Rivages, coll. « Essais Payot », 2005, 240 pages.
- Dauphin Florian, Les Fake News au prisme des théories sur les rumeurs et la propagande, Études de communication, vol. 53, n° 2, 2019, p. 15-32, [https://doi.org/10.4000/edc.9132].
- Froissart Pascal, La rumeur. Histoire et fantasmes, Belin, 2010, 279 pages.
- Henric Lise, Les fake news, entre outils de propagande et entraves à la liberté de la presse, Hermès, la Revue, vol. 82, n° 3, 2018, p. 120-125, [https://doi.org/10.3917/herm.082.0120].
- Morin Edgar, La rumeur d’Orléans, Seuil, 1969, 256 pages.
- Prasad Jamuna, The psychology of rumor: a study relating to the great indian earthquake of 1934, British Journal of Psychology, vol. 26, 1935, p. 1-15.
- Rouquette Michel-Louis, Les rumeurs, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Le Sociologue », 1975, 144 pages.
- Scharnitzky Patrick, La fonction sociale de la rumeur, Migrations Société, vol. 109, n° 1, 2007, p. 35-48, [https://doi.org/10.3917/migra.109.0035].
- Simon Linda, Les rumeurs, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, coll. « Le point sur… Psychologie », 2015, 130 pages.
- Taïeb Emmanuel, Persistance de la rumeur. Sociologie des rumeurs électroniques, Réseaux, vol. 106, n° 2, 2001, p. 231-271.