Le sujet des deux articles du chapitre (l’article sur J. R. Commons et celui qui porte sur les deux traités de Montchrestien et de Cantillon) est nettement différent de celui des articles du chapitre 1. Il s’agit, non pas d’historiographie, mais d’histoire des idées économiques. Au cours des années 1990 et 2000, j’ai participé, de façon durable, à deux groupes de travail réunissant des spécialistes de plusieurs disciplines qui se réclament, d’une manière ou d’une autre, d’une vision institutionnaliste de l’économie, et notamment de la monnaie. Les deux articles de ce chapitre résultent de ma participation, au cours de ces années 1990 et 2000, au travail de l’un de ces deux groupes, qui se nommait “Dons, Monnaies, Prélèvements”, et faisait partie du Centre de Recherches Historiques (Unité Mixte de Recherche relevant de l’EHESS et du CNRS). Par ma participation à la réflexion collective de ce groupe, qui réunissait des historiens et des économistes, je souhaitais améliorer ma connaissance de l’Histoire économique et de l’Histoire des doctrines économiques. Dans les dernières années du XXe siècle, le travail du groupe a porté sur l’institutionnalisme de John R. Commons (1862-1945), économiste américain qui a fait partie des conseillers de Franklin D. Roosevelt. Par la suite, dans les premières années de ce siècle-ci, le groupe “Dons, Monnaies, Prélèvements” s’est consacré aux deux traités d’Antoine de Montchrestien1 et de Richard Cantillon2.
Pour mieux situer le travail que notre groupe “Dons, Monnaies, Prélèvements” a consacré à J. R. Commons, il faut se reporter au volume que nous avons publié en 2001 dans les Cahiers d’Économie politique, sous la direction d’Alain Guéry3. Quoiqu’il fût le résultat d’une réflexion commune, le choix de l’œuvre de J. R. Commons a posé à plusieurs historiens du groupe, dont moi, un problème délicat. En effet, comme je l’explique au début de mon article, Commons n’était pas intéressé par les époques précédant la Révolution industrielle. Il n’était pas possible d’utiliser son texte au premier degré, comme un moyen direct de connaissance et d’interprétation de périodes comme l’Antiquité et le Moyen Âge. Comme le lecteur s’en apercevra, je me suis efforcé d’utiliser indirectement ses catégories et ses classifications (en ce qui concerne les transactions, et, d’autre part, quant à ce qu’il nomme l’‟intangible property”), avec l’objectif de mieux connaître certains aspects de l’histoire économique antique. Cet effort m’a intéressé et même séduit, et il n’a pas déplu aux responsables des Cahiers d’Économie politique. J’en ai parlé à plusieurs reprises avec Lucien Gillard, membre de notre groupe, et je le remercie vivement pour les informations qu’il m’a fournies et les conseils qu’il m’a donnés.
Je suis particulièrement convaincu et intéressé par les réflexions que je fais dans la dernière partie de mon article sur des passages de Pline le Jeune, de Caton et de Pline l’Ancien. J. R. Commons, en effet, m’a aidé à distinguer deux stratégies de gestion des terres et des domaines, qui ne sont pas clairement identifiées et qualifiées dans les textes antiques, et que la bibliographie actuelle sur le sujet ne distingue pas suffisamment. Cette utilisation des catégories de J. R. Commons relatives à la propriété montre que les grands propriétaires romains mêlaient ces deux stratégies, très différentes aux yeux de Commons : l’une relève de ce qu’il nomme la propriété immatérielle et l’autre de ce qu’il nomme la propriété intangible.
À propos de Commons, je me borne ici à reprendre une autre brève remarque que j’ai faite dans l’article. Comme l’objectif de Commons, dans Institutional Economics, est d’analyser l’économie à partir des décisions de justice4, une approche pourrait être de se concentrer de la même manière sur les décisions de justice de la société préindustrielle considérée (en l’occurrence, la cité de Rome et l’Empire romain), et de chercher à tirer des conclusions de cette comparaison terme à terme. Je ne me suis pas engagé dans une telle direction, mais il me semble qu’elle pourrait présenter un réel intérêt.
Après J. R. Commons, notre groupe s’est occupé simultanément de deux traités, l’un d’Antoine de Montchrestien, qui date de 1615, et l’autre de Richard Cantillon (1755), comme je l’ai dit plus haut. Certes, plus d’un siècle s’est écoulé entre l’élaboration du premier et celle du second, et d’autre part ils n’appartiennent pas au même “genre littéraire”, à la même espèce de littérature économique et politique : le traité de Montchrestien a pour objectif de donner des conseils au roi (le jeune Louis XIII) et à la Régente, préoccupation que n’a absolument pas R. Cantillon. En outre, R. Cantillon utilise des concepts et des catégories qui annoncent déjà l’économie dite Classique, ce qui n’est pas le cas de l’autre traité. Malgré ces différences, il nous a semblé intéressant de travailler à la fois sur les deux, et je ne pense pas que nous ayons eu tort. En tout cas, les historiens du groupe, à commencer par moi, se sont beaucoup plus facilement adaptés à ce projet qu’à celui sur J. R. Commons.
Les travaux de notre groupe sur ces deux traités ont été publiés dans un volume édité par l’ENS de Lyon, sous la direction de A. Guéry5.
J’ai écrit deux contributions pour ce volume. L’une, que j’ai choisi de ne pas faire figurer dans le présent recueil d’articles, porte sur les allusions à l’Antiquité dans les deux traités de Montchrestien et de Cantillon6. L’autre, qui à l’inverse y figure, traite du rôle de l’entreprise et de l’entrepreneur dans les deux traités. Pourquoi ai-je choisi de centrer cette contribution sur l’entreprise et l’entrepreneur ? Il y a à cela deux raisons, dont l’une résulte davantage de mes réflexions sur l’Antiquité et dont l’autre est plus événementielle. Première raison de ce choix : les mots “entreprise” et “entrepreneur” sont très difficiles à traduire en latin, ils ne me semblent pas avoir d’équivalents exacts en latin. Le travail collectif de notre groupe sur Montchrestien et Cantillon m’a paru une excellente occasion de réfléchir sur ces notions en relation avec l’Antiquité. D’autre part, il y avait dans notre groupe C. Lamouroux, spécialiste de la Chine, et il étudiait alors les recherches d’un certain Paul Smith sur la bureaucratie de la Chine ancienne conçue comme une entreprise. Nous avons projeté, à un certain moment, de présenter une contribution commune ou deux contributions parallèles. Même si nous avons renoncé à ce projet, il en est resté, dans mon article, cette réflexion sur l’entrepreneur et l’entreprise.