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Chapitre 7. Innovation dans la géographie naturelle

Chapitre 7. Innovation dans la géographie naturelle

Méditation, le mot n’est pas trop fort pour décrire l’intensité et la continuité de la pensée de Humboldt.

Georges Gusdorf, Les Sciences humaines et la pensée occidentale,
vol. 1, La Révolution galiléenne, 1969, p. 366-367.

En ce qui concerne Humboldt, son intérêt pour l’occupation historique de la planète apparaît dans nombre de ses travaux… Une tradition fut ainsi initiée et l’un des premiers liens [dans cette chaîne] serait le livre de Lucien Febvre et Bataillon : La Terre et l’évolution humaine (1922). Seuls des esprits d’une exceptionnelle largeur semblent toutefois capables d’embrasser l’unité des problèmes géographiques. On peut souligner que ni Daunou, ni Humboldt, ni Lucien Febvre n’étaient des géographes dans le sens restrictif du terme. On doit clairement en conclure que le spécialiste est, par vocation, incapable de prendre de la distance vis-à-vis de l’objet de sa recherche. Sans connaître ce qu’il recherche, il ne peut pas savoir exactement ce qu’il trouve. Aussi paradoxal que cela puisse sembler, même le sens de la vérité géographique ne semble pas avoir été clairement établi. Peut-être l’existence même de géographes n’est-elle pas une preuve suffisante de l’existence de la géographie, dont le statut, l’unité et l’autonomie restent contestées, alors que ceux qui sont le plus concernés ne s’inquiètent pas de poser la question de manière profonde.

Charles Minguet, Alexandre de Humboldt, historien
et géographe de l’Amérique espagnole, 1799-1804
, 1969, p. 64.

Introduction : géographie, géographie naturelle
et histoire naturelle

Quelques-uns des géographes les plus imaginatifs du début du XIXe siècle ne travaillaient pas en géographie physique, mais en quelque chose que l’on peut décrire comme « géographie naturelle ». Comme je l’ai soutenu dans le chapitre 1, la géographie du XVIIIe siècle était une description, soit graphique, soit textuelle. Comme telle, sa fonction était la description de toute la nature. C’était donc en restant fidèles à la tradition géographique que les géographes pouvaient continuer à décrire la totalité de la nature, de la géologie aux plantes et aux sociétés humaines. C’était ce que faisaient les deux géographes de la nature discutés au chapitre 5, en particulier Bory de Saint-Vincent. La plupart des sciences de la vie et de la terre se spécialisaient à un rythme croissant dans la première moitié du XIXe siècle : cela conduisit à marginaliser les géographes naturels, qui ne réussirent pas à laisser une marque dans l’une ou l’autre de ces nouvelles sciences émergentes. Un certain nombre de concepts analytiques et synthétiques plus tard associés à la géographie physique émergèrent pourtant à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe : les paysages et les régions naturelles sont des objets et des échelles d’analyse qui méritent l’attention ; les interrelations entre les domaines (par exemple, les plantes et les roches, ou le climat et le sol) sont aussi révélatrices du fonctionnement du monde naturel que la comparaison des mêmes phénomènes à travers l’espace et peuvent révéler beaucoup sur la nature passée et présente de la terre. Ces idées résultent du travail et des développements dans l’observation de terrain, dans la mathématisation, dans l’usage des probabilités, dans la recherche causale guidée par la théorie, et dans la production de formes plus sophistiquées d’expression descriptives, analytiques et graphiques. Bien que nous les considérions aujourd’hui comme fondamentalement géographiques, elles n’émergent pas, et ne peuvent pas émerger, de la géographie française qui est alors pratiquée. Elles ne sont pas davantage adoptées par les géographes comme centrales dans leurs préoccupations jusqu’à une époque beaucoup plus tardive. Ces idées sont plutôt le résultat du travail et des discussions d’un certain nombre de chercheurs qui commencent à aller au-delà de l’histoire naturelle classificatrice vers une recherche plus systématique. Le plus remarquable de ceux-ci est Alexandre de Humboldt, en grande partie parce qu’il intègre à la fois le holisme (équivalent de la préoccupation de la géographie française pour la description universelle, mais fondamentalement inspiré par la philosophie de la nature germanique) et la nature systématique des sciences modernes de la terre et de la vie qui sont en train d’émerger. Bien que Humboldt ait des contacts étendus avec le monde de la science et de l’art, il travaille en restant pour l’essentiel sans relations avec les géographes qui, bien qu’ils le lisent et correspondent parfois avec lui, ne voient pas que, dans son travail, il y a une focalisation et une série d’approches ayant le potentiel le plus à même de convenir à leur champ. On aurait tort de condamner les géographes français pour leur étroitesse d’esprit. Ils travaillent sous des contraintes de structure et de mode d’expression. La géographie n’est pas la recherche au libre parcours et excitante menée par Humboldt. C’est un champ lié à la description textuelle et graphique du monde et de tout ce qu’il contient. C’est un champ vacciné à la fois contre les éclairs de fantaisie de la géologie et contre les tentatives de Buache de « prédire » la structure de la terre. Les géographes français ne sont pas engagés dans ce que nous appelons aujourd’hui géographie physique, ou quoi que ce soit de similaire. Le terme existe, mais les contemporains l’utilisent pour décrire cartographiquement les lignes générées par la nature plutôt que par « l’homme ». Le terme ne porte certainement que peu de son identification ultérieure avec la géomorphologie comme étude des formes de terrain, de leur formation et de leur déclin. C’est plutôt une géographie descriptive du monde naturel, à la fois organique et inorganique, qui tend à renoncer à son identité au profit de la botanique, de la zoologie ou de la géologie chaque fois que des questions de causalité sont abordées. Cette absence d’identité est rendue évidente par l’appel en faveur de l’usage du terme de géographie physique formulé par Augustin Pyrame de Candolle en 18201. Il serait donc plus approprié de décrire le travail des géographes de cette période, si largement focalisé sur le domaine naturel, comme une « géographie naturelle ».

Il y a une autre raison pour laquelle cette terminologie est plus appropriée. Les géographes de l’époque sont beaucoup plus influencés par le modèle classificatoire de l’histoire naturelle que par le type de recherche mené par Georges Cuvier, Humboldt et de Candolle – quelles que soient les belles paroles qu’ils leur prodiguent. Plus encore que le modèle de la physique, avec ses relations de cause à effet et son mode d’expression et d’analyse de plus en plus mathématique, les approches traditionnelles des sciences naturelles semblent idéales pour domestiquer la variété, la diversité et les particularités des mondes physiques et humains. Après tout, l’histoire naturelle a réussi à mettre de l’ordre dans le royaume des plantes et des animaux. Elle y est parvenue à travers la lente et soigneuse collecte de spécimens et de croquis, leur comparaison, leur dénomination et leur localisation (et leur re-nomination et re-localisation) au sein d’une structure de solidarités semblable à un arbre généalogique. Au sens le plus profond, le savoir humain lui-même (les « connaissances humaines ») est conçu en des termes semblables par nombre de géographes et de non-géographes ; des arbres et des schémas de connaissance, incorporant des exercices semblables de re-localisation et de re-nomination, gagnent en popularité et en nombre au cours du XIXe siècle2. Nous avons déjà mis en évidence l’influence de cette conception de la science dans les débuts de l’ethnographie et de l’ethno-géographie (voir chapitre 4). Il y a aussi des signes forts de son influence sur la géographie régionale de la fin du XIXe siècle3. C’est toutefois dans le domaine naissant des sciences de la terre du début du XIXe siècle que l’influence du modèle de science descriptif, progressif et orienté vers la classification est le plus fort. Dans les sciences de la terre, la tendance est peut-être accentuée par la confusion, la recherche biaisée et la fureur théologique qui semblent être le produit principal de l’incursion de la géologie du XVIIIe siècle dans les questions de cause, d’origine et de théorie.

Alors que les sciences sociales et les sciences de la terre débutantes regardent vers l’histoire naturelle et son souci de classification comme modèle de science, ainsi que Foucault et d’autres l’ont souligné, l’histoire naturelle elle-même traverse quelque chose comme une mutation au début du XIXe siècle4. Cela résulte en partie du sentiment croissant de l’importance de la relation entre les plantes et les animaux, d’une part, et leur habitat de l’autre, et de la découverte de ce que les climats de l’Europe ont changé au cours du temps (laissant, dans certains cas, un témoignage fossile de plantes et d’animaux inadaptés aux climats de l’Europe moderne). Le sentiment de l’importance de l’habitat combiné avec les concepts de changement du climat local, d’extinction et de transformation conduit à une exploration des relations fonctionnelles entre la structure des plantes et des animaux et l’environnement naturel. Ainsi, même lorsque l’histoire naturelle du XVIIIe siècle est utilisée comme modèle pour certaines sciences, l’étude des mondes des plantes et des animaux est en train de subir une modification qui donne finalement naissance à la biologie moderne. Une partie de cette modification implique une prise de distances vis-à-vis de la classification et de la description, et un glissement vers une exploration des fonctions et des mécanismes du monde naturel davantage explicative et guidée par l’hypothèse. C’est une transformation lente dans laquelle des aspects de l’approche plus ancienne au monde naturel subsistent à côté de nouvelles façons radicales de penser. Cependant, on peut le soutenir, la plus grande partie du travail mené en histoire naturelle dans les premières décennies du siècle se ramène encore à la description et à la classification.

Certains de ceux qui déclarent avoir un intérêt pour la géographie naturelle cherchent à rompre avec certains éléments des structures mises en place par l’histoire naturelle du XVIIIe siècle et aussi avec ceux mis en place par la géographie. Alexandre de Humboldt est de certaines façons un traditionnaliste et dans d’autres, un innovateur remarquable. Dans sa Géographie des plantes, en particulier, il offre une vision forte et contemporaine d’une large partie de la recherche en histoire naturelle du début du XIXe siècle, ainsi que de la nature de l’innovation qu’il propose :

« La recherche menée par les botanistes est généralement focalisée sur une très petite fraction de la science. Les botanistes sont généralement presque totalement occupés par la découverte de nouvelles espèces de plantes, par l’étude de leur structure externe, par les traits qui les distinguent et par les analogies qui les réunissent en classes et familles. Cette connaissance de la forme des êtres organisés est sans aucun doute la base principale de l’histoire naturelle descriptive. Elle doit être vue comme indispensable à l’avancement des sciences qui traitent des propriétés médicinales des plantes, de leur culture et de leurs applications industrielles. Mais si cette science mérite l’attention d’un grand nombre de botanistes, il n’est pas moins nécessaire de prendre en considération la géographie des plantes. Cette science, qui n’existe maintenant que par son nom, constitue cependant une part importante de la physique générale. C’est la science qui étudie les plantes en termes de leurs associations locales sous les différents climats »5.

Si Humboldt se montre impatient à l’encontre de l’histoire naturelle traditionnelle et de sa description et classification sans fin, il l’est également à l’encontre des approches géographiques traditionnelles. Il rejette ainsi la réduction de l’approche géographique à la description telle qu’elle est défendue par Conrad Malte-Brun, John Pinkerton, Adrien Balbi et de nombreux autres géographes. Il ne partage pas non plus la tendance qui prévaut parmi les géographes non militaires à préférer l’autorité académique à l’observation de terrain6. Il ne voit pas non plus la carte topographique ou géographique comme le but ultime de toute recherche. En ignorant ces préjugés géographiques, Humboldt et de rares autres innovateurs contribuent, souvent sciemment, à la reformulation en cours des sciences de la vie et de la terre. Leurs essais pour trouver des approches alternatives sont rapportés dans leurs publications, mais aussi dans les néologismes avec lesquels ils cherchent à baptiser leurs nouveaux intérêts, par exemple « géographie botanique ou géographie des plantes » comme opposée à « phytologie générale »7, « géognosie »8 comme opposée à « géologie » ou « géographie physique »9, « oryctognosie » comme opposée à « minéralogie »10 et une série d’autres termes comme « l’histoire naturelle des époques du monde physique »11, « statistiques végétales »12, « la physique de la terre »13, « geogénie »14, « géognomie », « ontogonie », « ontographie », « ontonomie »15, « physionomie de la terre »16, « orographie et hydrographie comparatives »17… Cette prolifération de termes est une manifestation de surface d’un effort profond pour re-conceptualiser le monde naturel, et contrôler et diriger son étude dans de nouvelles directions. On peut soutenir qu’Alexandre de Humboldt est le plus éclectique de ces innovateurs, s’il n’est pas toujours le plus original18. Toutefois, si nous replaçons Humboldt dans le contexte de la géographie telle qu’elle est écrite et pratiquée au début du XIXe siècle, il est radicalement différent et se montre innovateur dans deux domaines : dans la nature de la science qu’il pratique et la manière dont il la pratique (c’est l’objet de ce chapitre) et la saveur particulière du holisme, ou de la quête d’unité, qu’il apporte à l’étude de la nature (discutée à la fois dans ce chapitre et dans le chapitre 3).

La quête d’unité de Humboldt est moins un argumentaire ou une théorie à la recherche d’une preuve qu’une présupposition fondamentale et une force de motivation qui guident ses investigations. En fin de compte, il recherche « la connaissance des lois de la nature »19 qui jouent un rôle fondamental (mais pas nécessairement déterminant) dans tous les domaines. « L’isochronisme de formations largement étendues » qu’il observe en Europe et dans les Amériques et « leur ordre admirable de succession »20 nourrissent et consolident sa croyance et conduisent à ce que les historiens de la géographie ont décrit comme sa méthode comparative. Comme il le déclare lui-même, alors qu’il a consacré une part significative de sa vie à l’observation en dessinant et cartographiant des régions inconnues, en bref, à la récolte de faits et à l’examen de détails, il préfère infiniment l’étude des liens et des relations entre des phénomènes tels que la géographie des plantes, la migration des plantes sociales, et la relation entre ces phénomènes et le climat, le sol et l’activité humaine, etc.21. Il cherche même à connecter et étudier la relation entre, par exemple, son étude de la géographie des plantes et celle des formes de terrain, chacune d’elle étant en elle-même une étude de relations22. Humboldt est convaincu que l’on peut établir une analogie entre les relations entre forme, structure et fonction que Cuvier a découvertes dans les études anatomiques d’organismes, et le type de forces internes que lui-même recherche dans le monde physique23. La tension revigorante dans le travail de Humboldt est ainsi le dilemme même auquel fait face la géographie du XIXe et du XXe siècles : comment réconcilier l’étude des domaines physique et social ; et comment rendre compatibles une vision et une approche unifiées du monde avec la recherche d’explication et de cause basée sur l’observation et guidée par la théorie. Dans toute cette démarche innovatrice, Humboldt essaie de garder une vision totalisante du cosmos tout en tirant pleinement avantage de l’éclairage que l’on peut tirer de la science empirique, expérimentale et théorique. En un sens, il essaie de réconcilier une science émergente du XIXe siècle déjà façonnée par des structures discursives avec la science moins bien définie et délimitée des Lumières.

Il n’est pas facile de caractériser la science des Lumières. Dans les cercles scientifiques, les Lumières en France sont caractérisées par un enthousiasme rationnel ou par le sentiment qu’avec de bonnes questions, la plupart des énigmes seront élucidées ; par une croyance dans le progrès, aussi bien humain que naturel ; par une passion pour l’exploration, l’observation et le recueil d’information (et de spécimens) et par le sentiment que la collecte et la classification des observations conduira par elle-même aux Lumières ; et par un héritage cosmologique aristotélicien qui suggère que tout dans le Cosmos est lié par une chaîne universelle d’êtres (avec, ou sans, des anges et Dieu à son sommet). Bernard Smith a étudié la vision artistique qui accompagne la science des Lumières comme un néo-classicisme artistique qui considère l’unité d’inspiration et l’expression comme plus importantes que la fidélité et le détail de la peinture. Smith soutient que Humboldt cherche une unité nouvelle – une unité écologique – qui pourra réconcilier le développement croissant d’une science empirique conduisant à la rupture de l’unité, et le holisme d’une vision et d’une expression artistiques. Cette unité artistique n’est pas néo-classique. L’art n’entraîne pas de sacrifier le détail dans la nature, la rudesse et le sens du particulier pour atteindre un sentiment plus haut de l’unité. C’est un talent artistique – et une unité – dérivés d’une approche analytique et pénétrante de la représentation des formes du terrain et des paysages24.

Mon argument est parallèle à celui de Bernard Smith. Celui-ci soutient que Humboldt fournit « le paysage typique » (c’est-à-dire un paysage conçu pour capter l’apparence d’un système écologique), puis, évoluant parmi des artistes de paysage comme Hodges et Weber, qu’il le pourvoie d’une « justification théorique ». Smith appuie largement son argument sur les écrits de Humboldt sur l’apparence de la nature, sur le paysage, sur la peinture paysagère, et même sur ses rares mais emphatiques commentaires sur la photographie. Dans ce chapitre, je désire explorer « cette justification théorique », ou la solide pensée qu’il y a derrière l’attitude Humboldt vis-à-vis de la représentation. Ma position est peut-être très proche de ce qui est au centre des préoccupations de Michael Dettelbach25. Au lieu de me concentrer sur la peinture de paysage, j’ai choisi d’explorer les idées et les approches innovantes développées par Humboldt et leur lien avec la représentation. Dit autrement, je suis intéressée à la structure intellectuelle de l’unité que Humboldt essaie de discerner et à sa relation moins avec la peinture de paysage qu’avec son expérience des cartes, de la cartographie proto-thématique, des graphiques et des diagrammes. Dans ses graphiques scientifiques, il est en train de développer ou d’adapter à partir du travail d’autres chercheurs un langage – ou une façon de voir – qui encouragerait à la fois la profondeur conceptuelle et la vision holistique. Je ne dis pas que Humboldt ait réussi dans son entreprise, mais celle-ci était cohérente et puissante.

Ayant exploré, dans le chapitre 3, la quête d’unité à la fois de la nature de la science poursuivie par Humboldt26 essentiellement à travers le Cosmos, nous considérerons ici en profondeur la nature fortement innovatrice de la science physique de celui-ci, particulièrement dans le contexte de la recherche de ses contemporains « géographes naturalistes » : parce qu’en dépit de son engagement fondamental en faveur de l’unité des sciences, Humboldt fait partie des savants du début du XIXe siècle, en particulier Cuvier et le marquis Pierre Simon de Laplace, qui mènent le mouvement général qui s’éloigne des sciences essentiellement descriptives et classificatrices, vers les sciences qui incorporent pleinement une vision unifiée de la nature. Comme cela a dû ressortir clairement de la discussion de leur travail dans le chapitre 5, il n’y a pas de vision unificatrice de la nature dans le travail d’André de Férussac ou de Jean-Baptiste-Geneviève-Marcellin Bory de Saint-Vincent. De Férussac disperse son attention sur nombre de questions centrées sur l’histoire naturelle, l’histoire militaire, la géographie, la statistique et la gestion bibliographique de la science. Son travail d’histoire naturelle sur les escargots terrestres et d’eau douce est le plus synthétique de son œuvre scientifique. Il cherche à y combiner l’histoire naturelle classificatrice avec l’étude de la formation géologique et de la distribution des espèces. Son effort en ce sens n’est cependant pas continu. Son travail en géographie n’est pas lié à celui en histoire naturelle et dépend de son rôle d’officier d’état-major. De Férussac apporte une large expérience à la géographie et une certaine connaissance des domaines les plus étroitement liés à cette discipline, y compris une histoire naturelle sensible à l’espace, à la géologie et à la statistique. Il cherche à rétablir le statut de la géographie par rapport à ces domaines bourgeonnants. Manquant d’un soutien adéquat, il abandonne cet effort et ne revient jamais vers lui. Son travail relatif au Bulletin (pleinement analysé dans le chapitre 5) est également distinct de ses deux autres entreprises, bien qu’il y ait entre ces trois projets une cohérence et une continuité qui vient d’une même imagination éclairée. Il paraît cependant clair que de Férussac voit ces trois projets comme distincts, faisant parti de phases différentes de sa vie et unifiés seulement par le fait qu’il en est l’auteur. La carrière de Bory de Saint-Vincent reflète bien le dilemme auquel sont confrontés les géographes, et, dans son étendue, ressemble de près à celui de Charles Athanase Walckenaer (voir chapitre 8). Il se sent compétent pour participer à une grande variété de types de recherche, depuis la spéculation sur les origines de « l’homme » jusqu’à la zoologie et à la botanique. Il écrit des histoires militaires et des récits de voyages, et fabrique des cartes. N’étant une autorité sur rien, mais participant de manière significative à la plupart des grandes expéditions scientifiques d’État au cours de sa vie, il n’y a pas de vision unificatrice dans son travail. Il est toujours en action, répond à toute invitation à écrire ou à diriger, mais ne pense fort que rarement, et n’essaie jamais de manière soutenue à ajuster toutes les pièces de son raisonnement. Quand on les compare aux géographes de cabinet du début du XIXe siècle, ces géographes naturalistes à formation militaire sont hautement innovants. Ils ne suivent pas leurs collègues de cabinet qui rejettent la théorie et fuient l’explication, ils décrivent un champ de plus en plus large de connaissances. Ils répondent plutôt à la nature changeante de la science et à la croissance rapide des façons d’étudier les aspects de la nature en se salissant les mains sur le terrain. Ceci présente deux problèmes : il n’y a que peu de limites au type de recherche qu’ils peuvent mener, et il n’y a rien qui assure la cohérence de cette recherche ou qui lui donne de l’unité. Ils sont beaucoup plus proches, par l’esprit et par le contenu, du travail et de la pensée de Humboldt que des géographes de cabinet, mais, en vertu de leur approche relativement peu réflexive et rigoureuse, ils manquent beaucoup de la puissance que l’on peut trouver dans la pensée et les écrits de Humboldt.

Les innovations de Humboldt
dans la recherche géographique

Théorie, explication et causalité

À une époque où nombre de géographes – mais en aucun cas, tous –, repoussés par les excès de la géologie et par les généralisations étonnamment mal conçues de Buache condamnent volontiers la « théorie », Humboldt adopte sans réserve celle-ci, l’explication et la causalité. Également troublé par certaines des assertions les plus ridicules de la géologie, il évite la recherche de l’origine, ou plus particulièrement, la quête de l’origine première27. Il n’accepte pas plus, et en aucune manière, la prétention de Buache d’être capable de prédire la structure montagneuse du globe à partir de son système hydrographique28. La théorie scientifique de l’hydrographie, en opposition à la sorte d’hydrographie divinatoire défendue par Buache, doit être construite à partir du sol.

« C’est de la connaissance intime de l’influence exercée par les inégalités de la surface, la fonte de la neige, les pluies ou les marées périodiques, sur la rapidité, les sinuosités, les contradictions, les bifurcations et la forme des bouches du Danube, du Nil, du Gange ou de l’Amazone, que nous formons une théorie générale des cours d’eaux, ou plutôt un système de lois empiriques qui inclut tout ce qui est commun et analogue dans les phénomènes locaux et partiels »29.

Contrairement à la focalisation sur l’identité et l’analogie des formes qui caractérise l’histoire naturelle traditionnelle, la théorie, pour Humboldt, entraîne la recherche des analogies, des parallèles et des équivalents30. La théorie, c’est les lois empiriques, ou l’extraction de ce qui est analogue dans les phénomènes physiques, et la combinaison de ces lois ou analogies. Et l’élaboration de la théorie est le but de la science.

L’identification des analogies et des lois empiriques exige de comprendre la cause. Dans son introduction à l’idée d’utiliser des lignes de niveau pour la représentation des isothermes, Humboldt prévient que si les diverses causes de la température locale ne sont pas comprises, les essais de généralisation et d’établissement de moyennes élimineront alors les facteurs les plus importants déterminant la distribution et le développement de la vie organique « comme circonstances extérieures et perturbatrices »31. On doit, soutient Humboldt, être très prudent en établissant des moyennes de phénomènes qui « dépendent de la nature du lieu, de la constitution du sol et de la disposition de la surface du globe vis-à-vis des rayons du soleil »31. Surtout, lorsqu’on généralise des températures, on doit avoir présent à l’esprit leurs causes multiples et leur importance relative32. L’attention à la cause requiert un équilibre soigneux entre, d’un côté, un empirisme excessif et, de l’autre, l’oubli des faits. Ainsi, tout en expliquant l’importance théorique de son travail, Humboldt plaide contre le pur empirisme33. Tout en étant convaincu que les sciences ne pourront pas être profitablement structurées ou conduites par l’empirisme, il est également certain que « cela handicaperait l’avancement de la science que d’essayer de s’élever aux idées générales tout en négligeant la connaissance des faits eux-mêmes »34.

Le travail de Humboldt est bien étayé par la théorie, l’analogie, la généralisation et l’exploration des causes. Il est difficile de donner la préférence à l’une des multiples théories qu’il développe. Peut-être, pourtant, la théorie la plus présente dans son œuvre, et qui est commune à toutes ses théories, est la discussion selon laquelle la localisation, conçue dans ses trois dimensions (latitude, longitude et altitude ; ou, en termes géognostiques, position et superposition), est la clé de la compréhension du monde naturel. La localisation, comme il le démontre dans son fameux diagramme thématique montrant la distribution des plantes en fonction de l’altitude, incarne les particularités de la température, de la composition chimique de l’air, de la présence ou de l’absence de formations rocheuses (qui sont elles-mêmes fonction de l’action historique de forces similaires), de l’intensité de la lumière, de l’humidité, de la réfraction, mais aussi de la localisation en termes de position relative des masses d’eau et des continents…35. La localisation humboldtienne est ainsi un concept de loin plus complexe et riche que celui de localisation dans le sens géographique traditionnel. D’autres chercheurs trouvent son approche de la localisation suffisamment convaincante et puissante pour s’appuyer dessus. La discussion théorique de de Candolle selon laquelle les géographes botanistes devraient s’attendre à trouver des espèces analogues dans des habitats similaires peut être vue comme une élaboration de certains des arguments de Humboldt sur le rôle de la localisation dans le monde naturel36.

Mouvement, changement et distribution

Une des différences les plus prononcées entre la recherche de Humboldt et la plus grande partie du travail mené par les géographes et par la plupart des naturalistes en France à son époque est son attention aux éléments dynamiques et changeants du paysage. L’attachement de la géographie à la description, et particulièrement à la carte, fait précisément du mouvement et du changement la dimension exclue du tableau et rend donc impossible son analyse. En histoire naturelle, la classification connaît encore un engouement à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, et cela oriente ce champ d’étude vers le statique et, comme nous l’avons déjà discuté, vers l’identité. Humboldt est en désaccord avec cette approche du monde naturel. Il exprime éloquemment sa frustration à l’égard de cette perspective dans une lettre de 1794 à Schiller :

« Aujourd’hui, l’histoire de la nature a été étudiée de telle manière qu’elle retient seulement les différences de forme dans l’étude de la physionomie des plantes. Cette étude de la physionomie des plantes et des animaux a fait de l’enseignement des caractéristiques et de l’identification une science si sacrée que notre science botanique peut être vue seulement comme un objet de méditation pour les hommes voués à la spéculation. Mais vous sentez, comme je le fais, que quelque chose d’un peu plus haut doit être cherché ; qu’il y a quelque chose qui doit être redécouvert. Nous devons suivre Aristote et Pline, qui incluaient dans leur description de la Nature à la fois un sentiment esthétique et l’éducation artistique de l’homme. Ces Anciens avaient certainement une vision plus large que celle de nos misérables archivistes [Registratoren] de la Nature. Ce sont, pour moi, les objets qui semblent mériter l’attention et qui ne sont jamais pris en compte : l’harmonie générale des formes ; le problème de savoir s’il a existé au départ une forme de plante, que l’on peut maintenant trouver sous mille formes de gradations ; la dispersion de ces formes à la surface de la terre ; l’impression variable de joie et de mélancolie que le monde des plantes suscite chez les hommes sensibles ; le contraste entre les roches massives, mortes, immobiles (et même les troncs d’arbres qui semblent inorganiques) et le tapis vivant de végétation qui, en un sens, couvre délicatement le squelette avec une chair plus tendre ; l’histoire et la géographie des plantes, c’est-à-dire la description historique de la diffusion générale des plantes à la surface de la terre, qui constitue une partie non étudiée de l’histoire générale du monde ; l’investigation des plus vieilles formes primitives de végétation que l’on peut trouver dans ces monuments funéraires (pétrifications, fossiles, minerais de charbon, charbon) ; l’habitabilité progressive de la terre ; les migrations et les voyages des plantes – plantes sociales ou plantes isolées – avec l’utilisation de cartes pour ce faire ; quelles sont les plantes qui ont suivi certains peuples ? une histoire générale de l’agriculture ; une comparaison des plantes cultivées et des animaux domestiques, l’origine de deux dégénérescences ; quelles plantes se conforment plus ou moins strictement à la loi de la symétrie des formes ? le retour des plantes cultivées à l’état sauvage (plantes américaines aussi bien que plantes persanes – plantes sauvages du Tage à l’Oby) ; la confusion générale dans la géographie des plantes causée par la colonisation. Je m’inquiète constamment de ces problèmes, mais le bruit fait autour de moi sur ce sujet me rend impossible de m’y abandonner d’une façon systématique. Je trouve que je me suis exprimé dessus comme un fou. J’espère malgré tout que vous partagez totalement mes sentiments »37.

Dans leurs études de géographie des plantes, Humboldt comme de Candolle, dont le travail sur la géographie des plantes est un perfectionnement de celui de son aîné, doivent résister à de fortes tendances à la classification statique. L’accent mis par de Candolle sur la « station », c’est-à-dire les conditions dans lesquelles peut pousser chaque espèce, implique bien plus que l’ajout d’une ligne de description au bas de la classification. En fait, de Candolle argumente contre tout essai d’aboutir à une classification naïve ou « finale » des stations. Ce à quoi il cherche à arriver, c’est aux interactions entre les forces extérieures agissant sur les plantes et entre les plantes en compétition, et à l’influence de ces dernières et d’autres facteurs (tels que les différents modes de reproduction et les seuils de tolérance à des conditions en-deçà de celles qui sont idéales) sur à la fois la structure des plantes et leur distribution. Un tableau statique de la distribution des plantes n’est pas le but ultime de sa recherche : ce qui l’est, c’est la compréhension de l’interaction des forces.

L’intérêt de Humboldt pour la migration des plantes (et des animaux et des hommes), leur colonisation de territoires particuliers et leur tendance à former des masses relativement uniformes de végétation, ou pas, etc., fait partie, on peut même le soutenir, d’un intérêt plus large pour le mouvement, le changement et en fait l’échange. Cela s’étend bien au-delà du monde des plantes, jusqu’au mouvement ou au pendage des roches (dont il ne peut pas tout à fait croire l’étendue réelle et la signification) et bien au-delà du monde naturel, jusqu’au mouvement et à l’échange des métaux précieux. Dans les Fluctuations de l’or, Humboldt étudie les forces dynamiques à l’arrière-plan de la distribution des métaux précieux et leur impact sur les prix avec son habituelle sensibilité à la complexité des interactions38.

Il y a une autre différence significative entre la curiosité de Humboldt ou celle de de Candolle d’une part et celle de la plupart des géographes et des naturalistes du début du XIXe siècle de l’autre. Humboldt est tout aussi intéressé par la distribution que par la localisation. Sa géographie des plantes, et celle de de Candolle, sont toujours focalisées sur la distribution de la vie organique en relation avec la distribution des facteurs qui l’influencent. La « géognosie » de Humboldt a comme objet premier la localisation, la distribution et la comparaison des roches. Son travail sur les isolignes cherche à fournir le moyen de décrire la distribution de la température autour du globe. Humboldt étend même son intérêt pour la distribution des plantes à la distribution des poissons ou des animaux (et aux différents niveaux d’oxygène dans les différents organes)39. Finalement, son travail sur la fluctuation des prix porte avant tout sur la distribution globale des métaux précieux. En développant ces idées, il fait fréquemment preuve d’un sens aigu de la nature spatiale et dynamique ou fluide (au moins avec le temps) des phénomènes40.

Multidiscursivité, mathématisation et observation

L’exactitude, l’évaluation chiffrée et la mesure constituent des préoccupations majeures de la pensée géographique de la fin du XVIIIe siècle et, plus généralement, de la pensée scientifique. À première vue, Humboldt semble avoir participé à cette tendance. Si pourtant nous comparons la préoccupation dominante de mesurer et de cartographier « n’importe quelle chose et toute chose » affichée par les géographes de l’expédition d’Égypte, avec la propre description de Humboldt de ses opérations cartographiques et astronomiques en Amérique, nous observons une différence marquée41. Le souci de Humboldt n’est pas tant la précision et quelque chose saisissant la vraie Amérique sur le papier et en chiffres. Son but est plutôt de fournir de l’information sous une forme qui améliore la comparabilité et l’analyse des données de multiples points de vue. Il tente l’abstraction. Le propos de cette abstraction n’est pas la possession ou la re-création, mais une analyse améliorée. La précision n’a donc pas la même importance. Humboldt explique ainsi qu’un lecteur attentif de sa « Carte de la Nouvelle Espagne » verrait qu’elle ne s’accorde pas complètement avec sa « Carte de la route de Mexico à Durango ». Ceci, explique-t-il, est simplement le résultat d’une combinaison de différentes sources et du processus d’adaptation employé pour compiler chacune42. Ainsi, pour Humboldt, si l’écart est reconnu et sa source comprise, il n’y a aucun souci de plus à se faire. La vérité absolue du tableau n’est pas le problème.

Ce que la mesure, les nombres et les statistiques permettent, c’est une certaine transférabilité des données et de l’analyse d’un champ à l’autre : une véritable interdiscursivité. Pour Humboldt, toujours soucieux de l’unité de la nature et des sciences, cette capacité de comparaison est puissante. Son mémoire sur les isolignes est conçu précisément pour rassembler et comparer les mesures de température afin que « la théorie puisse encourager les corrections fournies par les divers éléments considérés »43. La qualité des données, surtout le nombre des observations et la qualité des instruments utilisés, est importante, mais certains de ces problèmes peuvent être minimisés par la théorie des probabilités44. Ce qui est plus important est d’avoir de l’information sur la température sous une forme qui puisse également bien être utilisée pour élaborer et tester la théorie en géographie des plantes, en économie ou même en géognosie.

Pour Humboldt, l’isoligne, et plus généralement une échelle graphique à base chiffrée, est analogue à la révolution apportée par le thermomètre au XVIIe siècle45, et constitue peut-être sa continuation. Pour la première fois, le thermomètre permet de suivre exactement la trace de ce qui est en train de se produire à la surface de la terre, comparant hier et aujourd’hui, comparant ici et là, et enregistrant l’information. Des données d’ordre numérique comparable sont la base à partir de laquelle l’étude de phénomènes aussi complexes que, par exemple, les restes fossiles (géographie historique des plantes et des animaux) peut commencer à être utile pour l’élucidation de la chronologie géologique.

« Comparer des formations en relation avec des fossiles, c’est comparer les Flores et les Faunes de contrées variées à des dates variées ; c’est résoudre un problème tellement compliqué qu’il est modifié instantanément par l’espace et par le temps »46.

Sans chiffres et sans statistiques comparables, comment les processus derrière les formations géologiques peuvent-ils être le moins du monde étudiés ?

Certains domaines de recherche sont plus ouverts à la mathématisation. « Les détails de l’histoire naturelle sont étrangers aux statistiques » observe Humboldt. Mais la géographie naturelle, en vertu de son aptitude à convertir en nombre et statistique les données de l’histoire naturelle, peut beaucoup contribuer à la formation d’une idée exacte de la richesse territoriale d’un État47. En ce sens, à travers des données numériques comparables, elle peut constituer un champ unifiant capable de lier nature et société.

Bien sûr, pour Humboldt, derrière le nombre se trouve l’observation. Son voyage à travers l’Amérique méridionale et centrale est totalement consacré à l’observation et occasionnellement à l’expérimentation48. Dans sa relation de ses voyages en Amérique du Sud, il souligne qu’alors que le XVIIIe siècle a été caractérisé par d’extraordinaires développements dans l’instrumentation, il n’y a pas eu de croissance des observations pour tirer avantage de ces améliorations49. Il est prêt à utiliser les observations des autres, comme l’impliquent l’ambition et l’échelle de son objet50. C’est néanmoins ses propres observations qui l’ont rendu capable de trier et de juger cette grande masse de faits.

L’échelle, le paysage et la région naturelle

Un des traits les plus passionnants du travail de Humboldt est sa sensibilité à l’échelle. Il a une forte tendance, en particulier dans son travail sur la géographie des plantes, à élargir ou diminuer l’échelle, depuis la discussion à micro-échelle d’une plante particulière jusqu’à l’analyse des conditions et du climat locaux et jusqu’à des observations et des généralisations d’échelle continentale. Il est pourtant intensément conscient des dangers de cette sorte d’élision de l’échelle, en particulier dans les domaines de l’analyse et de la preuve51. Une comparaison féconde portant sur des aires étendues exige une attention soigneuse aux conditions et mécanismes locaux.

Humboldt a une échelle favorite d’analyse. Celle-ci peut être décrite comme géographique, écologique et basée sur le paysage. C’est cette échelle d’analyse qui, il le sent, a le pouvoir non seulement d’intéresser mais aussi d’émouvoir l’esprit humain. Il soutient qu’elle est aussi valide que l’exploration de toute autre échelle d’existence.

« La configuration des grandes masses montagneuses, la grande diversité des contours des hauts sommets, situés comme les basses terres au milieu des agitations de l’océan atmosphérique, sont parmi les éléments qui constituent ce que nous pouvons appeler la physionomie de la nature. L’apparence des montagnes contribue non moins que leur forme, leur taille et le groupement des plantes, non moins que les différentes espèces d’animaux, les nuances de la voûte céleste et l’intensité de la lumière réfléchie à déterminer le caractère d’un paysage et l’impression générale faite sur l’homme par les différentes zones de la terre »52.

Peut-être plus qu’à toute autre chose, Humboldt s’intéresse aux paysages et à leur apparence caractéristique. Qu’est-ce qui, par exemple, est responsable de l’apparence très différente du paysage dans les zones tempérées par opposition à ceux des régions tropicales ? En répondant à cette question, et dans son attention au paysage en général, il ne perd jamais de vue la cause et le processus, ou l’action du processus avec le temps. Ainsi, par exemple, il décrit la topographie de la vallée de Mexico, qu’il considère comme idéale pour la cartographie trigonométrique dans les termes suivants : « les vastes plaines de Zelaya et de Salamanca, unies comme la surface des eaux qui semble avoir couvert le sol durant de nombreux siècles… »53. Mais c’est la beauté du paysage (du paysage à échelle humaine – celui de la vue des montagnes depuis Mexico par exemple) auquel Humboldt est le plus sensible, et seule une focalisation sur l’échelle géographique peut révéler cette beauté54.

La focalisation de Humboldt sur le paysage se rapproche étroitement d’un autre concept qui est devenu important dans le courant des XIXe et XXe siècles : la région naturelle. Bory de Saint-Vincent semble avoir tourné autour d’un concept semblable dans son Guide du voyageur en Espagne. Toutefois, alors que Bory de Saint-Vincent ne fait qu’effleurer l’idée, Alexandre de Humboldt explore le concept de région naturelle et l’échelle d’analyse du paysage dans nombre de ses textes, de ses cartes et de ses tableaux de paysage. L’idée de région naturelle a été retracée par Paul Claval et Michel Chevalier jusqu’à Giraud-Soulavie, l’ecclésiastique provincial qui, durant la première moitié de sa carrière très fragmentée, écrit l’Histoire naturelle de la France méridionale (1780-1784) et l’incomplète Histoire du Vivarais (1779-1788)55. Giraud-Soulavie et Humboldt, séparés par l’âge, par la politique, par la religion et par la nationalité, partagent pourtant la même préoccupation pour la végétation caractéristique d’altitudes particulières, de types de sol… en bref, de régions naturelles. Dans son article encyclopédique de 1820 sur la géographie des plantes, dans laquelle il propose quelque chose comme une historiographie de ce domaine, de Candolle lie le travail de Giraud-Soulavie et celui de Humboldt56. Giraud-Soulavie a développé quelques-unes des idées de base clés de l’arrière-plan de la géographie des plantes, quoique d’une façon impressionniste, presque littéraire, alors que Humboldt a posé les éléments essentiels de cette science. On peut toutefois dire de de Candolle aussi bien que de Humboldt, plus soucieux des processus responsables de la distribution des plantes que de la délimitation des régions, qu’ils ont donné seulement un coup de pouce au concept. La région naturelle, en tant qu’idée, est en fait reprise et développée, avec un accent plus géologique dans les années 1820 et 1830 par Omalius d’Halloy et Coquebert de Monbret en tant que « région physique »57.

Structure intérieure et fonctions

Si au lieu de décrire les intérêts de Humboldt en faisant usage de nos termes disciplinaires, qui est de séparer les sciences naturelles des sciences humaines, nous les percevions dans sa vision unificatrice, nous pourrions dire que Humboldt s’intéresse fondamentalement au « genre de vie » des plantes, des animaux, des humains et même, en un sens, des roches. Aujourd’hui, nous distinguerions ceux-ci comme un intérêt pour le genre de vie des plantes, des animaux et des humains et comme une focalisation sur les interactions entre les phénomènes physiques. La curiosité est pourtant toujours la même dans les deux cas. Humboldt cherche à comprendre comment marchent les choses et comment elles marchent ensemble pour créer ce qu’elles sont pour le regard humain ordinaire ou admiratif. Ainsi, les différences dans les « mœurs et les coutumes » notées dans les récits de voyage méritent l’attention, mais seulement si l’auteur du texte peut prendre du recul vis-à-vis de la scène pour se concentrer sur les relations entre les gens pris en considération. Humboldt ne doute pas que la société au sens large soit composée de telles interactions entre les individus58. L’incapacité de la plupart des récits de voyage à pénétrer dans ce type de profondeur sociale frustre Humboldt. En fait, il a tant de difficulté avec le flux dominant du récit de voyage qu’il se trouve, à la fin, incapable d’en écrire un59.

Il y a un parallèle entre l’intérêt de Humboldt pour les interactions qui se cachent derrière les caractéristiques sociales et son attention à tous les aspects de la physiologie animale qui peuvent influencer le comportement animal. Ce type de recherche exige des dissections, et Humboldt déclare que, comme l’anatomie animale n’est pas son but principal, les opérations qu’il a occasionnellement pratiquées en ce domaine ont pu manquer de raffinement. Il considère néanmoins les dissections qu’il a effectuées en Amérique du Sud comme une contribution mineure aux larges efforts de Cuvier pour aller au-dessous de la surface dans la compréhension de la relation entre structure physiologique et comportement animal, et pour les lier à la classification60. Mais ici à nouveau, Humboldt découvre que ses deux objectifs – l’étude anatomique systématique et son effort pour se doter d’une sorte de panorama cartographique du territoire dans lequel il se déplace (analogue peut-être à un récit de voyage) – sont en conflit61.

De la même manière que Humboldt cherche à comprendre comment fonctionnent les sociétés humaines et comment se comportent les animaux, il aspire aussi à comprendre la géographie des plantes. Ainsi, pour de Candolle aussi bien que pour lui, comprendre les forces externes qui agissent sur les plantes ne fournit qu’une partie de l’explication. Humboldt a surtout le souci de recentrer le travail des naturalistes sur les forces géographiques qui créent des communautés de plantes. Il est ainsi conscient de ce que les communautés et les paysages de plantes sont le résultat de l’interaction de forces externes et de structures et contraintes internes. Le fait que les couches extérieures d’une plante particulière soient composées d’un matériel soit charbonneux, soit résineux peut avoir à faire avec sa survie dans des conditions froides. La survie à différents niveaux d’éclairage peut être déterminée par la structure particulière des racines ou des feuilles de la plante. Et la survie à des conditions différentes d’humidité peut avoir à faire avec la spongiosité relative de la plante, le nombre de ses pores, etc. En fait, de Candolle est convaincu que les conditions précises dans lesquelles une plante germe ne peuvent être comprises qu’au niveau de l’excitabilité de ses fibres et tissus62. Aller au-delà de la couche de surface – celle qui a constitué la préoccupation principale des naturalistes durant des générations – est, encore une fois, essentiel pour comprendre le mode de vie des plantes.

Humboldt est également soucieux de l’exploration des interactions internes complexes dans ses études géognostiques. Son but est d’aller au-delà de la classification des types de roche pour acquérir la compréhension de la structure géognostique du globe. Il assimile en fait les types de questions qu’il pose en termes de géologie, de stratigraphie et de formes de terrain aux types de questions que Cuvier pose sur les structures internes des animaux63. Les roches, bien sûr, n’ont pas de mode de vie. Le cours de la vie ou de la nature ont aidé à créer, avec le temps, la structure géognostique de la terre. Dans la perspective de Humboldt, donc, son étude de la géognosie va au-delà de la topographie superficielle de Dolomieu et Saussure en direction de la préoccupation de Werner pour la structure intérieure de régions particulières64. Le but de Humboldt, dans ses études de la société, du comportement animal et de la géographie des plantes n’est pas de se concentrer sur la particularité des phénomènes, mais de comprendre les interactions complexes entre les phénomènes particuliers qui a créé, dans le cas de la géognosie, la région physique65.

Un nouveau type de carte

Humboldt n’a pas « inventé » la carte thématique. Un petit nombre de tels travaux ont précédé Humboldt de centaines d’années66. Il développe et explique toutefois quelques-unes des formes basiques d’expression utilisées dès lors dans ce type de carte. Il réfléchit aussi à la pertinence de ces cartes pour la nouvelle science qu’il pratique et il la démontre67. Denis Wood a aussi soutenu qu’il n’existe pas quelque chose comme une carte thématique en soi ; toutes les cartes ont des thèmes et, il aurait pu ajouter, toutes les cartes incarnent une théorie (peut-être scientifique) sur la nature du monde68.

Même ceux qui sont relativement peu informés de l’histoire de la cartographie trouveront pourtant la plupart des cartes thématiques fondamentalement différentes par leur nature de la carte topographique, par exemple. Quelle est alors cette différence et pourquoi est-elle importante ? Il y a nombre de suppositions au sujet de la nature de la réalité et de ce qu’il est important de représenter derrière la carte topographique comme derrière la carte thématique. Il y a quand même un sentiment différent de certitude et de réalité à propos de ces deux cartes. Le but affirmé de la carte topographique est le mimétisme. Elle est conçue pour remplacer la réalité par un tableau plus utile et simplifié des aspects communément acceptés comme saillants de la réalité. En ce sens, et d’un point de vue grammatical, c’est simplement une phrase déclarative : une déclaration descriptive très élargie. Reconnaître l’importance de cette sorte de déclaration, presque une classification, est, pour l’administration de l’État, une des grandes réalisations du XVIIIe siècle. C’est en ce siècle que cette codification du langage de la description prend place et commence à se répandre à travers toute l’Europe.

La carte thématique a une structure logique plus proche d’un argument hypothétique : si nous considérons ceci (l’information topographique basique sur la carte) comme étant plus ou moins vrai, et si nous l’utilisons pour donner une structure spatiale à cela (des données hiérarchiquement structurées que l’on ne trouve généralement pas sur les cartes topographiques) et peut-être également à une autre chose (d’autres données hiérarchiquement structurées), nous obtenons alors une configuration intéressante qui n’est généralement pas davantage visible sur la carte topographique que dans le paysage. La carte thématique incarne alors un débat sur des phénomènes invisibles, ou des phénomènes en cours de changement, ou sur des interactions entre des phénomènes. Elle ne fonctionne pas comme un enregistrement, mais comme un dispositif analytique mis de côté lorsque la question étudiée est résolue. Alors, bien que toute chose soit une construction mentale, on peut soutenir qu’il en existe différents types.

Une autre différence entre la carte topographique et la carte thématique réside dans leur place au sein de la division du travail. La carte topographique était, et est encore, une carte fabriquée par des spécialistes, des gens essentiellement préoccupés par l’expression correcte, cohérente et complète d’une spécification descriptive élaborée de la topographie : des gens qui en viennent à être appelés cartographes. La carte thématique était, et est, généralement conçue et souvent réalisée par des chercheurs et des scientifiques qui sont des spécialistes des données hiérarchiquement structurées : des chercheurs qui travaillent sur la société ou sur la terre. Leur préoccupation se situe moins dans le langage de la description que dans la logique de l’argumentation, si bien que toutes les innovations dans l’expression sortent alors de la nature de l’argumentation.

Tout ceci pourrait n’être guère considéré que comme un à-côté définitionnel intéressant, si ce n’est que le développement et l’élaboration de la carte thématique correspondent à un changement dans la nature de la science sociale et naturelle. Ce n’est pas une coïncidence si la carte thématique s’est affirmée au début du XIXe siècle. Ce n’est pas non plus une coïncidence si elle a été l’objet d’une attention spéciale de la part d’Alexandre de Humboldt, dont le travail et les préoccupations illustrent ce glissement depuis la science descriptive vers une science explicative théoriquement conduite et centrée sur l’observation et l’analyse du changement, de la distribution, des interactions et du fonctionnement intérieur des phénomènes naturels et sociaux.

En 1807, Humboldt a une connaissance des cartes qui peut rivaliser avec celle de n’importe quel ingénieur topographe, cartographe à des fins commerciales ou géographe académique. Non seulement il collecte des données astronomiques, géodésiques et d’itinéraires pour beaucoup de ses propres cartes et plans, mais il comprend les décisions critiques derrière la compilation de ces données. Ainsi, dans son Atlas géographique et physique du Royaume de la Nouvelle-Espagne, il est capable d’expliquer ses cartes, ses sources et ses décisions d’une manière dont peu, avant ou depuis d’Anville, ont été capables. Humboldt a, en fait, la faculté d’appréciation d’un cartographe compilateur pour savoir quelles parties du monde ont été cartographiées, à quelles échelles et avec quel degré d’exactitude. Il est conscient de combien peu de lieux, même au cœur de l’Europe, ont été bien localisés69. C’est sa connaissance de bien davantage que les cartes qui lui donne une compréhension des cartes elles-mêmes, plus profonde que celle que l’on peut trouver dans n’importe lequel des travaux de d’Anville. Par exemple, sa sensibilité à la forme des paysages et son sens de leur interrelation avec l’hydrologie, la géologie et l’histoire lui donnent une attitude plus critique à l’égard de la description du terrain. Il se plaint ainsi à propos des cartes contemporaines de la vallée de Mexico :

« En dépit de combien cette contrée est intéressante à trois niveaux, en termes de son histoire, de sa géologie et de son architecture hydraulique, il n’y a pas une seule carte existante dont la contemplation donnera naissance à un sentiment réel de la forme de la vallée »70.

Comment, alors, une telle forme pourrait-elle être représentée ? En pratique, Humboldt choisit généralement les hachures. Toutefois, sa conscience de combien peu de choses sont connues à propos du paysage et de la topographie dans la plupart des parties du monde le rend prudent pour se prononcer pour l’utilisation des hachures ou pour celle des courbes de niveau. Ainsi, à une époque où beaucoup de cartographes soutiennent qu’en raison de leur plus grande exactitude, les courbes de niveau, doivent remplacer la méthode plus traditionnelle de rendu du relief par des hachures dans l’élaboration des cartes topographiques, Humboldt soutient que les symboles picturaux des collines peuvent plus exactement refléter l’état présent de la connaissance71. Humboldt est loin d’être naïf en ce qui concerne les cartes topographiques traditionnelles et leurs limitations pour l’interprétation des phénomènes qu’il cherche à étudier.

C’est à partir de cette base de connaissance, à propos des cartes comme à propos des processus physiques et sociaux, que Humboldt commence à faire des expériences de représentation graphique. Il n’est pas le seul à mener ces expériences, mais il est conscient de développer quelque chose d’analogue à certains des outils graphiques développés par des gens comme Giraud-Soulavie, August Crome, Jean-Étienne Guettard, J.L. Dupain-Triel et, de manière plus importante, William Playfair. Si son expérimentation graphique constitue intellectuellement un jeu, elle a aussi un objectif. Humboldt cherche un langage spatial plus analytique qui permettrait le transfert presque intuitif de la compréhension d’un genre graphique à un autre et d’un spécialiste d’un corps de connaissances à un autre. Humboldt essaie de trouver un langage capable d’exprimer sa vision de l’unité de la nature avec la rigueur nouvellement découverte des sciences systématiques. À cette fin, il expérimente avec les isolignes, les cartes de distribution, les cartes de flux, une carte de l’erreur, des carrés proportionnels, quelque chose qu’il appelle « pasigraphie », et un graphique pictural multidimensionnel. Ces arguments graphiques sur les relations dynamiques dans l’espace, sur les distributions et sur les interactions – qui souvent révèlent des configurations non visibles à l’œil nu et créent un nouvel espace/temps systématique, plutôt que géographique – semblent suggérer à Humboldt que son intuition au sujet de l’unité de la nature est saine.

Les isolignes (ou lignes tracées entre les mesures d’égales valeurs d’un phénomène particulier [altitude, température, niveau de couverture nuageuse, etc.]) ne sont pas une innovation récente. Pourtant, et bien qu’elles aient été développées par Halley plus d’un siècle plus tôt pour montrer les configurations de la déclinaison magnétique, Humboldt souligne que leur potentiel réel n’a pas été mis en œuvre.

Humboldt tire les isolignes d’une obscurité relative précisément à cause de leur capacité à montrer des configurations non visibles à l’œil ou des configurations si complexes qu’elles sont obscures pour les sens. Les isolignes constituent une méthode par laquelle des données numériques disparates peuvent être rapprochées et rendues accessibles à l’interprétation théorique43.

Avec un tel mode de représentation graphique rigoureux mais simplificateur, de grands volumes de données peuvent être traitées, rendant possible de considérer même « l’influence des causes locales de perturbations »72. De fait, l’utilisation d’isolignes, en révélant de nouvelles configurations et en facilitant la comparabilité des données, conduira les chercheurs à réfléchir en retour sur les données qu’ils sont en train de collecter, et d’en réexaminer la rigueur et la valeur. Une fois que ce souci aura été mis en œuvre dans la collecte et l’interprétation des données, Humboldt prévoit qu’il pourra même être possible de théoriser de manière adéquate l’action de la radiation solaire sur la terre et de calculer la distribution de la chaleur reçue du soleil tout autour du globe.

La grande valeur de la représentation graphique, et des isolignes plus particulièrement, est leur remarquable capacité à révéler des relations entre (et la relative importance de), par exemple, la latitude et la continentalité, l’altitude et la répartition des vents, ou l’humidité, la lumière et la pression73. Les cartes géographiques et leur pouvoir de révéler les configurations géographiques des données localisées sont analogues aux cartes thématiques et à leur capacité à révéler des configurations jusque-là invisibles dans les données systématiques. L’espace et spécialement le temps représentés par ces cartes sont un peu différents de l’espace géographique et du code temporel relativement court incarnés dans la plupart des cartes. L’espace est systématique, et structuré pour révéler les relations entre phénomènes physiques74. Le temps, au lieu d’exprimer, par exemple, la France en 1756, peut exprimer la variation des températures au cours de mois, de décennies ou même de centaines d’années. Tout ceci étant donné, on s’attendrait à ce que Humboldt démontre le pouvoir cartographique de ses isolignes par une carte mondiale. Comme Arthur Robinson et Helen Wallis l’ont expliqué, nous ne savons pas exactement pourquoi il n’a pas inclus dans son article sur les isothermes la carte qui est en fin de compte publiée dans les Annales de chimie et physique. Il peut avoir eu plus à faire avec les épreuves et tribulations des Mémoires… d’Arcueil75. Humboldt sait certainement que, parfois, l’espace de la carte peut être problématique et intellectuellement contraignant. Il peut ainsi avoir considéré que son essai de 1813, « Des lignes isothermes et la distribution de la chaleur sur le globe », est suffisamment bien illustré par un tableau structuré par des « bandes isothermes » de cinq degrés Celsius. En fait, c’est parfaitement en accord avec l’un des buts principaux de cet essai qui est de rompre ce qui enchaîne le concept de température à la latitude. Il imagine un tableau, que l’on peut entièrement relier à une carte, mais dont l’espace est défini non pas par la latitude mais par des bandes de moyenne annuelle de température76. Cela revient à donner à « l’espace systémique » priorité d’expression sur « l’espace géographique ».

Les cartes, les tableaux et les graphiques conviennent tous très bien, mais l’usage intelligent des isothermes doit être informé par la connaissance des systèmes physiques et naturels. Les relations peuvent être seulement apparentes, ou sans importance, si elles ne sont pas étayées par des données et une théorie, par exemple, de la géographie des plantes, de la physique, de la chimie, etc. Les isolignes offrent alors la possibilité de capitaliser vraiment sur les données numériques tout en accroissant la probabilité d’une perspective plus intuitive77.

Dans certains cas, les expériences de cartes thématiques de Humboldt sont plus spéculatives que réelles. Souvent parce que les données ne sont pas disponibles pour entreprendre la cartographie ou même en faire une maquette. Tel est le cas avec la carte botanique proposée pour les régions habitées par des espèces uniques (ou plantes sociales). Humboldt imagine que cette carte révélerait presque certainement que de telles plantes ont créé des obstacles significatifs à l’établissement des hommes et au mouvement des armées. Elles apparaîtraient, pense-t-il, comme ayant formé des barrières aussi significatives à la mobilité humaine que les montagnes ou les mers.

Les cartes topographiques ou géographiques standard offrent des moyens limités de décrire les flux et les mouvements. Humboldt produit au moins un graphique pour montrer le flux des métaux entre l’Europe et l’Amérique du Nord. La carte, en fait une carte pseudo-thématique, n’apporte que peu d’information. C’est une carte du monde centrée sur le Pacifique. Elle montre seulement, comme le suggère le titre, les routes par lesquelles les métaux précieux sont véhiculées entre les continents. Humboldt place toutefois la carte à côté de quatre graphiques montrant (i) le volume de métaux précieux extrait des mines dans les Amériques depuis 1500 ; (ii) la quantité d’or et d’argent extraite des mines mexicaines depuis 1700 ; (iii) la proportion d’or et d’argent extraite dans les différentes parties de l’Amérique du Centre et du Sud ; et (iv) la proportion de l’argent produite par l’Amérique, l’Europe et l’Asie. Il n’y a qu’un pas timide à faire pour aller de cette carte et de ses graphiques associés à une carte thématique, telle que celles produites par C. J. Minard et qui expriment les volumes par l’épaisseur des flèches. Il est important de noter qu’en séparant la carte et le graphique, Humboldt est capable de développer pleinement les deux dimensions de l’espace et du temps.

Il suggère ainsi la profondeur et l’importance de la relation entre les Amériques et l’Europe78. Bien que son graphique soit assez mince en matière d’information, Humboldt est pleinement conscient de la perspective intéressante qui pourrait résulter de la cartographie d’activités humaines de toutes sortes et même de la comparaison de ces résultats avec les résultats des investigations sur les configurations spatiales du monde physique.

Sur une note quelque peu sardonique, Humboldt explore les espaces alternatifs créés par les géographes contemporains et passés dans la région du Centre Sud de l’Amérique du Nord au moyen d’une carte de l’erreur. Sur cette carte intitulée « Carte des fausses positions de Mexico, d’Acalpuco, de Vera Cruz et du pic d’Orizaba », Humboldt trace le contour du Mexique et situe ces localisations selon Arrowsmith, d’Anville, Covens, Harris et la Connaissance du temps de 1804, parmi d’autres. Nombre de ces autorités placent effectivement Acalpuco bien au large dans le Pacifique, et Mexico presque n’importe où au Mexique, y compris dans le golfe du Mexique ou près de la côte Pacifique. Cette carte, basée sur la Mapa critica Germaniae de Tobias Mayer, est conçue pour montrer « juste combien imparfaites ont été les cartes publiées du Mexique »79, mais c’est aussi un joli portrait des géographies imaginatives pratiquées par beaucoup de contemporains de Humboldt.

Dans l’un de ses graphiques les plus imaginatifs, Humboldt compare l’étendue territoriale comparée relative de l’Espagne et de ses possessions coloniales de l’espace au moyen de carrés proportionnels80. Accompagnant ce graphique, il y en a un autre qui compare quatre dimensions : la taille comparative de la population du territoire européen par contraste aux territoires coloniaux, et la taille comparative de l’extension de ces mêmes aires. Cette représentation est hautement suggestive des questions sur la nature du colonialisme qui n’ont été explorées qu’au XXe siècle. Humboldt commente ainsi cette représentation :

« Les figures combinées sur cette planche démontrent ce qui est dit ci-dessous sur l’extraordinaire disproportion observable entre l’étendue des colonies et l’aire de la métropole européenne. L’inégalité de la division territoriale de la Nouvelle Espagne a été rendue apparente par une représentation des intendances par des carrés concentriques. Cette méthode graphique est analogue à celle qui a été pour la première fois ingénieusement utilisée par M. Playfair dans son atlas commercial et politique et dans ses cartes statistiques de l’Europe. Sans attribuer trop d’importance à ces schémas, je ne peux quand-même pas les regarder comme de simples jeux intellectuels sans relation avec la science. Il est vrai que Playfair montrait la croissance de la dette nationale anglaise qui avait une forte ressemblance avec le pic de Tenerife. Mais les physiciens ont depuis longtemps utilisé des figures similaires pour montrer la montée et la chute du baromètre et la température mensuelle moyenne. Il serait ridicule d’essayer d’exprimer par des courbes des idées morales, la prospérité des peuples ou la décadence de leur littérature. Mais tout ce qui a à voir avec l’étendue ou la quantité peut être représenté géométriquement. Les projections statistiques, qui parlent aux sens sans fatiguer l’intellect, ont l’avantage de porter l’attention vers un grand nombre de faits importants »81.

Humboldt ne devait pas imaginer que c’étaient précisément les usages qu’il estimait absurdes pour de telles représentations qui allaient devenir de plus en plus persuasifs à la fois dans les sciences sociales et dans le domaine public.

Humboldt s’intéresse davantage aux phénomènes naturels qu’aux phénomènes sociaux et est de loin plus intéressé par les formes de terrain et les paysages qu’il ne l’est par les structures géologiques. Il est toutefois conscient de la recherche et de l’innovation dans ces domaines. Il a noté les diagrammes stratigraphiques qui se multiplient dans les études géologiques et s’est convaincu qu’ils pourraient être modifiés pour faciliter l’étude de la géognosie. Par géognosie, Humboldt entend l’étude comparative de la superposition des roches et des types de roches autour du globe. Le propos de cette étude n’est pas la cartographie détaillée de la stratigraphie des couches mais l’acquisition d’un sens de leur forme commune, de leur développement commun et des façons selon lesquelles les paysages se sont altérés comme résultat des conditions locales. Il n’est donc pas intéressé par le type de détail chimique ou minéral recherché par les géologues mais est à la recherche d’une représentation plus générale qui lui permettrait d’appréhender immédiatement les configurations similaires ou identiques dans des aires largement séparées. À cette fin, il se fait l’avocat de deux techniques de représentation, l’une étant graphique (« imitative ou figurée ») et l’autre « algorithmique ». La technique graphique que propose Humboldt ressemble tout à fait au diagramme stratigraphique du géologue sauf qu’elle couvre une aire beaucoup plus large, accorde plus d’attention aux formes de terrain en question et généralise les formations sous la forme de parallélogrammes avec peut-être quelques pointillés supplémentaires pour suggérer « les relations de composition et de structure » qui préoccupent tant les géologues82. « L’esquisse géognostique des formations entre la Vallée de Mexico, Moran et Totonilco », dessiné en 1803 par Humboldt et gravée en 1833 semble être le seul exemple de cette pasigraphie graphique. Elle porte largement témoignage d’une information inadéquate sur les structures au-dessous de la topographie de surface pour l’essentiel de l’aire décrite83. Humboldt produit aussi des profils conçus pour révéler et accentuer la topographie du Mexique central84. Il cherche un type particulier d’information sur la succession et l’âge relatif des roches. Il croit pouvoir les déchiffrer en « fixant l’attention sur les relations les plus générales de position relative, d’alternance et de suppression de certains termes des séries » :

« Toute la géognosie de position étant un problème de séries, ou de succession simple ou périodique de certains termes, peut être exprimée par des caractères généraux, par exemple, par les lettres de l’alphabet… Plus nous faisons abstraction de la valeur des signes (de la composition et de la structure des roches), mieux nous saisissons, par la concision d’un langage en quelque sorte algébrique, les relations les plus compliquées de position et le retour périodique des formations. Les signes “alpha”, “béta” et “gama” ne représenteront plus le granite, le gneiss ou le micaschiste ; le grés rouge, le zechstein et des grés variés ; la craie, le grés tertiaire avec lignite, et le calcaire parisien ; ils seront simplement les termes de séries, simples abstraction de l’esprit »85.

Au-delà de la recherche de configurations dans les structures souterraines et entre les continents, Humboldt recherche des modes de représentation qui pourraient générer des idées capables d’établir un pont sur l’écart entre deux domaines :

« Dans cet essai géognostique, tout comme dans mes recherches sur les lignes isothermes, sur la géographie des plantes et sur les lois qui ont été observées dans la distribution des corps organiques, j’ai entrepris, tout en présentant le détail des phénomènes, de généraliser les idées en ce qui les concerne, et de les connecter avec les grandes questions de philosophie naturelle. Je me suis principalement attardé sur les phénomènes d’alternance, d’oscillation et de suppression locale, et sur ceux qui résultent du passage d’une formation à une autre en conséquence d’un développement intérieur. Ces sujets ne sont pas de simples spéculations théoriques ; loin d’être inutiles, ils nous conduisent à la connaissance des lois de la nature »19.

Si le but final est le déchiffrement des lois de la nature et sa méthode, de mettre l’accent sur quelques concepts clés, il cherche aussi à établir un lien entre ses travaux géognostiques et botaniques à un niveau plus banal. Ainsi, ses diagrammes de formes de terrain incluent des informations sur la température, la ligne des neiges éternelles, etc., ce qui est destiné à fournir des liens scalaires fondés sur des mesures avec « la grande figure attachée à ma Géographie des plantes » !45.

L’expérimentation de Humboldt qui a eu le plus d’influence en matière d’expression graphique est sans question son graphique pictural multidimensionnel reproduit dans son Essai sur la géographie des plantes et intitulé « Géographie des plantes équinoxiales. Tableau physique des Andes et pays voisins ». Le souci dominant dans cet essai et dans son « Tableau » est à la fois d’introduire une nouvelle façon de regarder le monde des plantes pour ses collèges naturalistes et pour un public plus large et de démontrer comment toutes les forces et tous les aspects de la nature sont réellement connectés. En un sens, donc, son Essai sur la géographie des plantes est, plus que n’importe quel autre de ses autres travaux, une version concise du Cosmos. Son « Tableau », on peut le soutenir aussi, est une version encore plus concise de cet Essai. En dépit de la longueur des cinq volumes du Cosmos, Humboldt croit à la puissance d’une expression concise et précise qui pourrait convaincre les sceptiques de l’importance de chercher les interconnexions entre les différents domaines et les différentes lignes d’enquête86. Le « Tableau » présente une vue de trois pics d’une chaîne de montagne, l’un qui est coloré par la végétation alors que les deux autres portent le nom des plantes à trouver à ces altitudes. Sur les côtés de l’illustration, il y a une échelle graduée en toises et en mètres. Des colonnes parallèles à la colonne mètres/toises indiquent les températures minimales et maximales à des altitudes données ; la composition chimique de l’air à différentes hauteurs (oxygène, hydrogène, gaz carbonique) ; les limites inférieures des neiges éternelles à différentes latitudes ; les animaux typiques que l’on peut trouver à chaque élévation ; la température à laquelle l’eau bout (à différentes altitudes) ; des « vues géologiques » dans lesquelles il observe que le type de roche est indépendant de l’altitude mais que dans toute aire donnée, il y a un ordre de superposition, de pendage et de direction des lits qui est déterminé par « un système de forces particulier ». Dans la même colonne, il décrit alors la superposition standard et souligne ce qui est géologiquement particulier en ce qui concerne les régions équatoriales : profondeur des lits, élévation des formations post-granitiques, etc. Des colonnes parallèles suivantes décrivent : l’intensité de la lumière à différentes élévations ; le niveau d’humidité à différentes altitudes ; comme apparaît le bleu du ciel mesuré par cyanomètre à différentes élévations ; la force de gravitation à différentes altitudes ; les types d’agriculture pratiqués aux diverses altitudes ; l’incidence des phénomènes électriques à des élévations variées ; les altitudes mesurées dans différentes parties du monde ; la distance à partir de laquelle les montagnes seraient visibles depuis la mer en faisant abstraction de la réfraction, et la réfraction à une altitude donnée et à 0° de température.

Dans le texte de son Essai, Humboldt essaie alors d’amener le lecteur à ses propres conclusions en discutant les liens entre les phénomènes qu’il a été incapable de mettre en évidence sur le graphique. Ces liens incluent celui entre la géographie des plantes et la géologie que l’on peut trouver dans les restes fossiles de plantes (ce qui ajoute la dimension du temps géologique)87 ; le lien entre la géographie des plantes et l’histoire politique et morale de « l’homme » forgée par le besoin humain de nourriture (ce qui ajoute une dimension humaine à l’histoire matérielle)88 ; et le lien entre la nature et l’être spirituel de « l’homme » à trouver dans les arts imitatifs (ce qui ajoute la dimension de l’histoire intellectuelle)89. Ces relations soulèvent des questions scientifiques fondamentales sur l’histoire de la terre et sur l’histoire humaine sur la terre – précisément les questions qu’Humboldt désire que se posent ses lecteurs.

À la fin de ce remarquable essai, qu’illustre son encore plus remarquable « Tableau », Humboldt, un des plus grands représentants au XIXe siècle de la recherche de terrain, parle du pouvoir de l’étude à travers les livres et l’art. Ajoutant un thème rappelant de façon frappante ceux plus tard développés par Foucault dans sa « Fantaisie de la Bibliothèque »90, il commente :

« C’est sans aucun doute comment les Lumières et la civilisation influencent le plus le bonheur individuel. Ils [les livres et l’art (ou le texte et les graphiques)], nous font vivre dans un seul et même temps le présent et le passé. Ils rassemblent autour de nous tout ce que la nature a produit dans les différents climats et nous mettent en contact avec tous les peuples de la terre. Nous reposant sur les découvertes déjà effectuées, nous pouvons bondir dans le futur, et avec la prémonition des conséquences des phénomènes, nous pouvons établir les lois de la nature. C’est à travers cette recherche que nous ouvrons la voie au plaisir intellectuel, à une liberté morale qui nous fortifie contre les coups du destin et qu’aucune puissance extérieure ne peut affaiblir »91.

Tel est en effet le propos de son œuvre : placer « l’homme » dans une position à partir de laquelle il pourra observer la nature, s’observer lui-même et contempler les réalisations du cosmos entier.

Conclusion

Ce chapitre s’est efforcé de capter l’essence de la « méditation » de Humboldt sur le cosmos au cours d’une vie d’exploration, de recherche, d’expérimentation, de discussion et de réflexion. Quand nous examinons son travail et l’opposons à l’histoire naturelle ou à la géographie des Lumières, sa nature innovatrice nous saute aux yeux. Le contraste avec le type de questions que se posaient les géographes de cabinet contemporains – encore focalisés sur la surface plate et statique des cartes, ou sur la description littéraire dérivée de résultats de seconde, troisième ou quatrième main – est fort. Les géographes militaires, représentés dans cet ouvrage par de Férussac et Bory de Saint-Vincent, étaient intéressés par la théorie, l’explication, la causalité ; ils exploraient le changement et la distribution, spécialement celle des plantes et des mollusques ; et dans le cas de Bory de Saint-Vincent, ils jouaient avec le concept de région naturelle. En opposition avec Humboldt, pourtant, ils tenaient leur inspiration de la croissance des sciences de la vie et de la terre qui se développaient autour d’eux et abandonnaient pour l’essentiel l’unité qui reposait au cœur de l’entreprise géographique.

Se trouvant à cheval sur un glissement majeur de la nature des sciences modernes de la vie et de la terre depuis la description vers l’explication, Humboldt fait siennes la théorie, sa puissance explicative et son exploration immédiate de la causalité. Insatisfait de l’étude du fixe et du statique, sa curiosité se tourne vers le mouvement, le changement et la distribution. Allant au-dessous de la surface, il s’efforce de comprendre les structures et les fonctions des phénomènes, que ceux-ci soient organiques, non organiques ou sociaux. Il défend et montre la route vers une nouvelle multidimensionnalité à travers le langage universel des mathématiques. Il joue avec les concepts d’échelle pour essayer d’arriver à une unité d’analyse qui lui permette à la fois d’analyser et de synthétiser.

Humboldt essaie aussi de retenir quelque chose du holisme de la géographie traditionnelle, et sur ce point, de celui de la science des Lumières, qui voyait le cosmos comme un tout qui pouvait être élucidé par la description. En géographie, cette description prenait deux formes : la description textuelle et la description graphique, qui cherchaient à situer toute chose dans un système de coordonnées à deux dimensions. En histoire naturelle, le système descriptif qui évoluait était la classification. Les deux impliquaient un tout qui puisse être graduellement rempli en accord avec une conception utilement rigide de la nature. Les deux requéraient observation critique et collecte des données. Le travail de Humboldt est innovatif dans sa tentative de rompre avec, et d’aller au-delà, des systèmes de classification des « misérables archivistes de la nature », pour voir et combiner ce que ces systèmes de catalogage ne peuvent pas percevoir. En géographie des plantes, cela signifie de sacrifier la classification basée sur des caractéristiques superficielles pour une analyse combinée de l’interaction des structures intérieures et des influences extérieures basées sur la localisation et une physique de la nature. En cartographie, cela implique de mettre en doute et de tester la véracité des cartes et leurs formes classiques d’expression, allant au-dessous et au-dessus de leur surface pour explorer des coupes et des élévations liées aux localisations et pour reformuler la carte afin de passer d’une conception descriptive à une discussion nourrie de théorie. Tous ces éléments font partie d’un effort plus large pour saisir d’un seul coup d’œil la nature en grand détail en utilisant les percées venant de la physique expérimentale, de l’anatomie, de l’observation géodésique et astronomique… et en même temps avec un holisme capable d’intégrer la nature organique, inorganique et humaine dans toute sa diversité et sa complexité.

La montée de la cartographie thématique coïncide avec le développement de nouvelles technologies de reproduction graphique, à commencer par la lithographie dans les années 1820. La cartographie thématique est sans aucun doute bien servie par ces technologies, qui permettent l’usage de la couleur et rendent les cartes moins coûteuses, plus faciles à dessiner et plus faciles à intégrer dans des textes. De même, l’établissement de levers statistiques réguliers mène à l’accumulation de données qui commencent, au milieu du siècle, à faciliter l’expression graphique de l’information. Ce sont aussi les types de questions que les chercheurs commencent à poser à propos du monde naturel et humain qui stimulent le développement de cette nouvelle forme graphique d’expression. La cartographie thématique naît précisément au cours de cette période, qui enregistre un glissement d’un mode plus descriptif à un monde plus explicatif d’investigation. C’est loin d’être une coïncidence : la carte thématique favorise l’analyse tout en permettant la synthèse, toutes deux géographiques ou pas. En expérimentant avec les cartes, les graphiques et les coupes etc., Humboldt cherche des moyens d’exprimer ce qui était séminal dans son travail. Il est à la recherche d’un langage qui soit à la fois descriptif mais aussi analytique : capable d’aller au-delà de l’espace géographique pour assumer les espaces de la théorie scientifique ; capable de comparer des choses semblables en des lieux très différents ; et capable de révéler de nouvelles liaisons. L’expérimentation menée par Humboldt en manière d’expression graphique est intéressante parce qu’elle est suggestive d’un glissement à la fois dans la nature et dans le langage de la science.

Notes

        

  1. De Candolle, « Géographie botanique » (1820), p. 422. Ce que de Candolle désirait, et qui lui manquait, était une description complète de tous les traits physiques de la terre. Une telle description aurait naturellement requis une compréhension suffisante pour identifier les traits saillants. Ce qu’il demandait, c’était donc quelque chose bâti sur le même patron que la carte géologique de France au 1/80 000 pour le monde entier. Ce type de travail n’en était qu’à ses débuts à l’époque de de Candolle et reposait en fin de compte sur l’important travail théorique et empirique mené en géologie au début du XIXe siècle. La caractérisation par de Candolle de ce type de description ou de cartographie comme « cette partie de la physique générale qui est réellement une partie de la géographie » est également intéressante.
  2. Voir par exemple Omalius d’Halloy, « De la classification » (1834) ; Omalius d’Halloy, « Note additionnelle » (1838) ; Cortambert, Mélanges géographiques (1862) ; et Férussac, « Tableau générateur et analytique » (1821). Humboldt dans son Cosmos (p. 39-40) proposait la liste des travaux suivants comme des tentatives importantes pour établir une classification des sciences : Père Grégoire Reisch, Margarita Philosophica 1486, 1504… 1535 [il notait que seule l’édition de 1513 avait un important contenu géographique] ; Sir Francis Bacon, Of the Advancement and Proficiency of Learning or the Partitions of the Sciences (1674) ; Denis Diderot et Jean d’Alembert, « Essai d’une distribution généalogique des sciences et des arts principaux », dans Diderot et d’Alembert, Supplément (1780) ; André-Marie Ampère, Carmen mnemonicum. Classification des connaissances humaines, ou Tableaux synoptiques des sciences et des arts (n.l., s.d.) ; Révérend William Whewell, The Philosophy of the Inductive Sciences Founded upon Their History (1840) ; Roswell Park, Pantology, or a Systematic Survey of Human Knowledge (1847).
  3. Voir par exemple Mackinder, On the Scope (1951 [1887]).
  4. Bochner, Eclosion and Synthesis (1969) ; Cunningham et Jardine, « Introduction: The Age of Reflexion » (1990), p. 1-9 ; Outram, Georges Cuvier (1984), voir spécialement p. 4.
  5. Humboldt, Essai sur la géographie des plantes (1805), p. 13-14.
  6. Il est intéressant de comparer ici l’exclusion du voyage du projet de géographie dans Pinkerton, Modern Geography (1807), p. xxxii. La gifle irritée de Humboldt à Pinkerton dans son Essai sur la géographie des plantes (1805), p. x-xi, suggère juste combien il trouvait ridicule de telles attitudes : « Travaillant sur la localisation, je ne me serais pas attendu à me voir adresser des reproches avec acrimonie [n. de bas de page : Géographie moderne de Pinkerton, traduite par Walckenaer ; vol. 6, pp. 174-77] pour avoir trouvé le cours des rivières et la direction des [chaînes] de montagne très différentes de la carte de La Cruz ; mais c’est le lot des voyageurs de déplaire lorsqu’ils observent des faits contraires à l’opinion reçue ».
  7. De Candolle et Humboldt, « Géographie Botanique » (1820), p. 422.
  8. Sur le terme « géognosie » et le contexte et l’histoire complexes de ses significations, voir Greene, Geology (1982), p. 38-39.
  9. Humboldt reprend le terme et le mode d’étude de son professeur Abraham Gottlob Werner qui partageait avec lui une formation d’ingénieur des mines. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 66-67, 80-82.
  10. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 2.
  11. Girault-Soulavie, Histoire naturelle de la France méridionale (1780), 1, p. 15-16.
  12. De Candolle, « Géographie Botanique » (1820), p. 361.
  13. De Candolle, « Géographie Botanique » (1820), p. 423.
  14. Omalius d’Halloy, De la classification (1834), p. 5.
  15. En utilisant ces cinq derniers termes, avec en plus de celui communément utilisé de « géognosie », de Férussac essayait, en première instance, de distinguer, puis de combiner, les résultats des sciences focalisées sur l’inanimé et de celles focalisées sur les êtres vivants. La seconde partie de chaque terme était conçue pour faciliter la différenciation entre les sciences de la formation, les sciences descriptives ou celles focalisées sur « la manière d’exister », ou sciences recherchant des lois d’existence. Voir « Tableau générateur et analytique » (1821).
  16. Humboldt, Cosmos (1849), 1, p. 28.
  17. Humboldt, Cosmos (1849), 1, p. 41.
  18. Le sentiment que sa recherche était innovante, en fait qu’il était en train d’inventer un nouveau domaine, est clair dans sa description des buts de son expédition américaine. Voir Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales (1816), 1, p. 3.
  19. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. vi.
  20. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 20 et 23.
  21. Cela est clair à travers tout son travail, mais est plus directement exprimé dans Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales (1816), 1, p. 3-5.
  22. On trouve la meilleure expression de son intention dans son souci de lier à l’altitude son fameux diagramme thématique montrant la prévalence des plantes et intitulé « Géographie des plantes équinoxiales. Tableau physique des Andes et Pays voisins. Dressé d’après des observations et des mesures prises sur les lieux depuis le 10e degré de latitude boréale jusqu’au 10e de latitude australe en 1799, 1800, 1801, 1802 et 1803 » avec ses bloc-diagrammes dépeignant la forme du paysage. Voir la reproduction facsimile par Hanno Beck et Wilhelm Bonacker de Humboldt, Atlas géographique et physique (1969), p. lxxii.
  23. Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales (1816), 1, p. 99.
  24. Smith, European Vision (1988), p. 4, 18, 27-29, 203-212.
  25. Dettelbach, dans son superbe essai dans Visions of Empire, voit l’engagement de Humboldt en faveur de l’unité du cosmos comme une partie de son projet plus large d’investigation en physique globale. Il soutient que Humboldt était profondément influencé par la physique laplacienne, qui cherchait à comprendre le monde à travers la multiplication d’observations basées sur des mesures, et par la réponse esthétique allemande (en particulier dans les écrits esthétiques de Friedrich Schiller) à l’imposition par Napoléon d’un contrôle étatique centralisé moderne (anti-local) sur les principautés allemandes. Voir Dettelbach, « Global Physics » (1996), p. 258-292.
  26. « Les sciences physiques sont tenues ensemble par les mêmes liens qui unissent tous les phénomènes de la nature », Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales (1816), 1, p. 5.
  27. Comme le faisaient beaucoup de géographes du XIXe siècle. Voir Rudwick, The Great Devonian Controversy (1985), p. 20 ; et Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 1, 5, 34, 85.
  28. Une de ses déclarations les plus claires sur la nature de la théorie, ses origines dans la recherche empirique et sa grande distance avec la spéculation, venait d’une réfutation courtoise mais sans équivoque de la théorie de Buache. Voir la reproduction facsimile par Beck et Bonacker de Humboldt, Atlas géographique et physique (1969), p. xlix-l.
  29. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 78-80.
  30. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 18.
  31. Humboldt, « Des lignes isothermes » (1817 [1813]), p. 469.
  32. Humboldt, « Des lignes isothermes » (1817 [1813]), p. 470-471.
  33. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. vi-vii.
  34. Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales (1816), 1, p. 6.
  35. Humboldt, « Géographie des plantes équinoxiales » (1805 [1973]).
  36. De Candolle et Humboldt, « Géographie botanique » (1820), p. 383-384, 413.
  37. Minguet, Alexandre de Humboldt (1969), p. 76-77.
  38. Humboldt, The Fluctuations of Gold (1900), p. 30. Ce travail a été publié pour la première fois sous le titre « Ueber die Schwankungen der Goldproduktion mit Riicksicht auf staatswirthschaftliche Probleme », dans Deutsche Vierteljahres Schrift 1 (1838) IV, p. 1-40. Je dois cette référence au Dr. Ingo Schwartz.
  39. Humboldt et Bonpland, Recueil d’observations (1811), p. 298-304.
  40. Humboldt, The Fluctuations of Gold (1900), p. 43.
  41. Godlewska, « Map, Text and Image » (1995), p. 5-28.
  42. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), planche 6 et discussion.
  43. Humboldt, « Des lignes isothermes » (1813), p. 462.
  44. Humboldt, « Des lignes isothermes » (1813), p. 462-463, 542, 602, et 496 ; Beck et Bonacker, Atlas géographique et physique (1969), p. lxxx.
  45. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), p. lxxii.
  46. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 58.
  47. Humboldt, Political Essay (1811), p. 46.
  48. Humboldt, « Sur la respiration des crocodiles » (1811), p. 253-259, 49-92.
  49. Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales (1816), p. 7.
  50. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 76.
  51. Dans son essai « Sur deux nouvelles espèces de crotales [serpents à sonnettes] », parlant de l’incidence variable des serpents dans les différentes parties du monde, il faisait montre à la fois de rigueur et de subtilité dans les comparaisons, et du rôle critique de la sensibilité à l’échelle utilisée pour étayer de telles comparaisons. Voir Humboldt, « Sur deux nouvelles espèces de crotales » (1811), p. 1-8.
  52. Humboldt, Volcans des Cordillères (1854), p. 5.
  53. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), p. 6.
  54. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), p. lxxviii.
  55. Claval, Régions, nations (1968) ; et Chevalier, « L’Abbé Soulavie » (1986), p. 81-100.
  56. De Candolle, « Géographie Botanique » (1820).
  57. Omalius d’Halloy, Division de la terre (1839) ; et Omalius d’Halloy, Observations sur un essai (1823).
  58. Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales (1816). Humboldt exprime périodiquement son dégoût pour les relations de voyage, comme aux pages 6-7. Aux pages 48-51 Humboldt discute de la contradiction entre l’étude scientifique des peuples et de leurs coutumes, et le centre d’intérêt et l’approche d’un récit de voyage.
  59. Cela ressort clairement de son incapacité à compléter son Voyage aux régions équinoxiales, et de la nature un peu agitée de sa prose. Humboldt semblait incapable de choisir entre une approche systématique d’une part et une narration de l’autre, avec des transitions abruptes d’une approche à l’autre. Il préférait clairement l’analyse systématique : il dit au lecteur qu’il choisit à regret d’écrire une narration à cause du temps nécessaire et de la difficulté à publier une grande partie de son travail systématique.
  60. Humboldt et Bonpland, Recueil d’observations de zoologie (1811) ; Humboldt, « Mémoire sur 1’os hyoïde » (1811), p. 1-13 ; Cuvier, « Recherches anatomiques » (1811), p. 93-126.
  61. Humboldt, Sur les singes (1811), p. 306.
  62. De Candolle, « Géographie botanique » (1820), p. 365-366, 369, 371-372.
  63. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 54.
  64. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 81.
  65. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 83-84.
  66. Pour une excellente discussion de ces cartes proto-thématiques, que Palsky décrit comme des « cartes spéciales » et comme « cartes singulières », voir Palsky, « Aux origines de la cartographie thématique » (1996), p. 129-145 ; et Palsky, Des chiffres et des cartes (1996).
  67. Robinson et Wallis soutiennent que l’utilisation par Humboldt de l’isotherme et de sa présentation dans un article sur les isolignes à l’Académie française des Sciences en 1817 a été le catalyseur de beaucoup d’usages similaires de l’isarithme en cartographie thématique. Robinson et Wallis, « Humboldt’s Map of Isothermal Lines » (1967), p. 122.
  68. Wood (avec Fels), The Power of Maps (1992), p. 25.
  69. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), p. lxxxii.
  70. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), p. lv.
  71. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), p. lxvii.
  72. Humboldt, « Des lignes isothermes » (1813), p. 463.
  73. Humboldt, « Des lignes isothermes » (1813), p. 510-511.
  74. À ce propos, l’espace que l’on peut trouver dans certaines cartes thématiques deviendrait de plus en plus éloigné de l’espace géographique, comme dans le cas de cartes génétiques dans lesquelles l’espace est défini chimiquement plutôt que topologiquement.
  75. Robinson et Wallis, « Humboldt’s Map of Isothermal Lines » (1967), p. 122.
  76. « Bandes isothermes et distribution de la chaleur sur le globe », dans Humboldt, « Des lignes isothermes » (1813), p. 602.
  77. « La plupart des phénomènes naturels ont deux parties distinctes : une qui peut être soumise à un calcul rigoureux ; l’autre peut seulement être atteinte par l’induction ou par l’analogie », Humboldt, « Des lignes isothermes » (1813), p. 545.
  78. Dans son commentaire de ce graphique, il remarquait : « Cette carte montre le flux et le reflux de la richesse métallique. Nous pouvons voir ici le mouvement général d’Ouest en Est qui est à l’opposé des flux des océans, de l’atmosphère et de la civilisation de nos espèces ! », Beck et Bonacker, Atlas géographique et physique (1969), p. lxxxiii.
  79. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), p. lxvi.
  80. Ce graphique est adapté d’un autre développé par Auguste Comte. Pour ce lien, je suis redevable à Sybilla Nikolow, « Rendering the Strength of the State Visible: August Comte’s Statistical Maps Around 1800 », communication présentée au symposium : « New Perspectives on Alexander von Humboldt. An International Symposium », Georg-August-Universität Göttingen, 29-31 mai 1997.
  81. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), p. lxxxiii-lxxxiv.
  82. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 476-477.
  83. Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), planche 21.
  84. Dans sa description de ces diagrammes dans lesquels il exagérait la hauteur des formations pour donner un sentiment plus clair de leur apparence, il suggérait la raison pour laquelle il abandonnait en fin de compte sa pasigraphie graphique. Voir Beck et Bonacker dans Atlas géographique et physique (1969), planches 12-15 et p. lxx.
  85. Humboldt, A Geognostical Essay (1823), p. 466-467.
  86. Humboldt, Essai sur la géographie des plantes (1805), p. v-vi.
  87. Humboldt, Essai sur la géographie des plantes (1805), p. 19-23.
  88. Humboldt, Essai sur la géographie des plantes (1805), p. 27-30.
  89. Humboldt, Essai sur la géographie des plantes (1805), p. 30.
  90. Foucault, « Fantasia of the Library » (1977), p. 87-109.
  91. Humboldt, Essai sur la géographie des plantes (1805), p. 35.
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Pau
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111633
ISBN html : 2-35311-163-7
ISBN pdf : 2-35311-164-5
ISSN : 2827-1882
30 p.
Code CLIL : 3396
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Godlewska, Anne Marie Claire, « Innovation dans la géographie naturelle », in : Godlewska, Anne Marie Claire, La science géographique en France de Cassini à Humboldt. Une mutation hésitante, Pau, PUPPA, Collection Sp@tialités 3, 2023, 273-302 [en ligne] https://una-editions.fr/innovation-dans-la-geographie-naturelle/ [consulté le 26/02/2024].
doi.org/10.46608/spatialites3.9782353111633.10
Illustration de couverture • peinture d'Izabella Godlewska de Aranda.

Dans la collection papier

L’imaginaire géographique.
Entre géographie, langue et littérature
,
par Lionel Dupuy, Jean-Yves Puyo, 2015
ISBN : 978-2-35311-060-5
Prix : 25 €

De l’imaginaire géographique aux géographies de l’imaginaire.
Écritures de l’espace
,
par Lionel Dupuy, Jean-Yves Puyo, 2015
ISBN : 978-2-353110-68-1
Prix : 15 €

Aménager pour s’adapter au changement climatique.
Un rapport à la nature à reconstruire ?
,
par Vincent Berdoulay, Olivier Soubeyran, 2015
ISBN : 978-2-35311-071-1
Prix : 18 €

De la spatialité des acteurs politiques locaux.
Territorialités & réticularités
,
par Frédéric Tesson, 2018
ISBN : 978-2-35311-087-2
Prix : 18 €

L’imaginaire géographique.
Essai de géographie littéraire
,
par Lionel Dupuy, 2019
ISBN : 978-2-35311-097-1
Prix : 18 €

Poésie des mondes scientifiques,
par Sonia Dheur, Jean-Baptiste Maudet, 2020
ISBN : 978-2-35311-115-2
Prix : 20 €

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