« L’ordre, c’est toujours impopulaire ! »1
Employée par tous les juristes – constitutionnalistes comme administrativistes2 –, la puissance publique est un véritable serpent de mer. Maintes fois approchée, jamais cette notion ne s’est véritablement laissé apprivoiser. Omniprésente dans les manuels de droit, grande absente des textes suprêmes3. Par ici synonyme de souveraineté4, par-là synonyme d’Administration5. Conceptuellement convaincante6, concrètement en crise7. En réalité, il semblerait que le dédale doctrinal fusant autour de ce concept fondateur du droit public ait pour fil d’Ariane la justification suivante : « si la question “Qu’est-ce que la puissance publique ?” n’a pas trouvé de véritable réponse, c’est qu’elle n’a été que très rarement posée »8.
Le concept d’acceptabilité a au moins ceci de commun avec la puissance publique qu’il est tout aussi flou et indéfini. Absent du langage du juriste, il le pousse hors de sa zone de confort, le portant vers des terres sociologiques qu’il a toujours pris soin de maintenir éloignées9.
Soit dit en passant, il est arrivé – et il arrive toujours –, que les constitutionnalistes s’intéressent à la question de l’acceptabilité, notamment s’agissant de la réception sociale de certaines décisions de justice. Ce constat est particulièrement vrai s’agissant des décisions rendues par le Conseil constitutionnel10. Il ne suffit pas qu’une décision soit convaincante juridiquement, encore faut-il qu’elle soit socialement acceptable11. De la même façon, en matière administrative, si l’on décide de se mettre en quête d’acceptabilité, c’est en toute logique du côté de la science administrative qu’il faudra se tourner. L’étude de cette dernière laisse apparaître une fonction administrative en pleine mutation12. Elle tourne le dos à l’autoritarisme et à l’unilatéralisme pour leur préférer la performance et la promotion d’une « citoyenneté administrative »13. Ce phénomène n’est que la projection concrète de l’émergence du concept de gouvernance14, dont les juristes usent (voire abusent) depuis quelques années.
Bref, peut-être ne partons-nous pas totalement de zéro s’agissant du concept d’acceptabilité. Faisons le point.
D’une part, débattons des termes. Aborder l’acceptabilité de la puissance publique revient-il à disserter sur l’acceptation de la puissance publique ? Non15. Déjà parce que l’idée même d’une synonymie parfaite en langue française est sujette à débats16. Surtout, parce que les termes d’acceptabilité et d’acceptation traduisent en réalité une appréhension temporelle différente. S’interroger sur l’acceptation d’un système implique de regarder vers le passé17. Il s’agit de dresser un bilan, ce que l’on fait nécessairement a posteriori (comment pourrait-on s’imaginer dresser un constat d’accident automobile avant même que l’accrochage n’ait lieu ?). Ainsi, traiter de l’acceptation de la puissance publique conduirait à établir un état des lieux, c’est-à-dire, plus prosaïquement, à nous demander ce que les citoyens pensent de l’exercice concret de la puissance publique. Acceptent-ils ce phénomène ? Ce n’est pas ce qui est attendu de nous. L’acceptabilité – au contraire – nous force à ajuster notre focale vers l’avenir. Autrement dit, il n’est plus question de rétrospection mais de prospection18. Notre mission est donc de jauger les « “chances” ou “probabilités” »19 que la puissance publique soit acceptée par ses destinataires. Le chemin est clairement indiqué. Nous devons partir de ce qu’est la puissance publique dans son for intérieur pour jauger de son caractère acceptable.
D’autre part, interrogeons-nous sur le critérium de l’acceptabilité. D’aucuns lient la notion d’acceptabilité à celle d’obéissance. L’idée est alors la suivante : si obéissance il y a, acceptable serait la norme. Autrement résumé, un système présentant un degré d’acceptabilité suffisant conduirait ses destinataires à s’y conformer sans rechigner. L’obéissance découlerait alors soit de la crainte – « j’obéis à cette norme parce que j’ai peur de la sanction » –, soit du respect témoigné par les destinataires de la norme à l’égard de son auteur – « j’obéis à cette norme parce que son auteur est à mes yeux légitime pour me l’imposer » –, soit enfin du calcul stratégique20 opéré par le destinataire – « j’obéis à cette norme parce que j’ai davantage à y gagner qu’en lui désobéissant21 ». Toutefois, une telle analyse souffre de quelques faiblesses. L’idée selon laquelle un système juridique serait « acceptable » en ce qu’il produit des normes dont les sanctions sont telles qu’elles dissuaderaient même le plus réfractaire des réfractaires de les enfreindre fait nécessairement tiquer. Rapprocher la notion d’acceptabilité de celle d’obéissance risquerait sans doute d’entraîner une dénaturation de la première, tout en légitimant à l’excès la seconde. Certes, si une norme est acceptable, celle-ci sera probablement respectée. Pour autant, l’inverse n’est pas nécessairement vrai : une norme respectée par ses destinataires n’est pas toujours acceptée22. Le critère de l’obéissance n’est donc pas idoine. D’autres auteurs estiment que l’acceptabilité d’une norme est conditionnée à l’aspect participatif qui caractériserait sa procédure d’édiction. En d’autres termes, l’ouverture des processus décisionnels à l’ensemble des acteurs impliqués par la norme considérée augmenterait son taux d’acceptabilité23. Cette vision est largement développée en droit de l’environnement24. Selon nous, un lien étroit est alors tissé entre norme acceptable, norme acceptée, procédure participative et légitimité25. Autrement dit, l’acceptabilité pourrait se mesurer sous la forme d’un taux, calculé à l’aune de l’ensemble des garanties existantes dans le processus d’édiction et d’exécution de la norme, qui assureraient son accessibilité, sa légitimité et, partant, son appropriation par ses destinataires.
Forts des apports de ces quelques prolégomènes, nous pouvons tenter d’établir une méthodologie d’étude. Le sujet implique donc que nous disséquions la notion de puissance publique, que nous en étudions sa « substantifique moelle26 », afin d’y déceler – ou non – la présence « d’indices d’acceptabilité », c’est-à-dire d’éléments qui laisseraient à penser que la puissance publique est acceptable. Cette ambition a tout de la gageure. Pourtant, celle-ci mise en action, nous arrivons au constat suivant : la puissance publique présente un nombre certain de caractères laissant à penser que son « acceptation »27 repose en réalité sur des fondations solides, celles-ci constituant son acceptabilité. Nous rendrons compte de ce constat de deux manières, toutes deux articulées autour du concept de coercition, archétype de la puissance publique. D’une part, nous démontrerons que la puissance publique constitue davantage qu’un simple outil de contrainte (I). D’autre part, nous soulignerons que la puissance publique est elle-même contrainte (II).
I. Admettre28 que la puissance publique n’est pas qu’un pouvoir de contrainte
Il n’y a probablement pas de lecture plus abondante que celle qui réduit la puissance publique à un pouvoir de contrainte, unilatéral, froid, et généralement29 impopulaire. Or, ne voilà là que la partie immergée de l’iceberg. En réalité, tel Janus30, la puissance publique a deux visages, renvoyant d’une part à une acception intrinsèque et d’autre part à une vision extrinsèque. En premier lieu, l’acceptabilité de la puissance publique prend vie au regard de l’existence même de son aspect intrinsèque, selon lequel elle constitue avant tout un pouvoir d’action de nature juridique (A). En second lieu, l’acceptabilité de la puissance publique se jauge aussi à l’aune de la relativité de son aspect extrinsèque. En effet, l’unilatéralisme n’épuise pas le concept de puissance publique (B).
A. Dévoiler la face cachée de la puissance publique : mise au jour d’une définition intrinsèque
« En droit administratif, la puissance publique se définit comme une puissance non consentie »31. Sans autre forme de procès, la puissance suprême est traditionnellement présentée comme un pouvoir de contrainte. Y renoncer constituerait même une forme de capitulation pour Marie-Anne Frison-Roche32. Comme l’a résumé Hans Kelsen lui-même, « [o]n est accoutumé de voir dans l’exercice de la puissance publique une expression de force, cette force que l’on tient pour un attribut si essentiel de l’État que l’on caractérise précisément l’État comme une force, comme une puissance »33. Imprégnée de la doctrine subjectiviste allemande que l’on sait focalisée sur la notion de Souveraineté et « influencé[e] par la nature du régime politique de l’Empire allemand, favorables (sic) aux constructions autoritaires »34, cette conception s’est nourrie de la frontière de papier qui existe entre la notion de puissance publique et celle de souveraineté. Cette porosité des concepts a conduit à ce que la doctrine fasse déteindre les caractères de la seconde sur la première35. Jean Bodin a été sans doute l’un des premiers juristes à avoir importé cette assimilation conceptuelle36. Pour autant – et alors même que « l’idée de Puissance publique s’était depuis un certain temps déjà dissociée de la notion de Souveraineté, même en Allemagne »37 –, une partie influente de la doctrine française a continué d’alimenter la confusion, qu’il s’agisse tant d’Hauriou que de Duguit ou encore d’Esmein38, de sorte que la puissance publique s’est retrouvée durablement associée à la domination.
Or, la puissance publique est-elle vraiment un pouvoir de domination ? Si oui, est-ce là son unique visage ?
Il est indiscutable que la puissance publique constitue une source de contrainte39. Que l’on ne s’y méprenne pas : il n’est pas question ici de soutenir le contraire. Cependant, c’est une acception purement subjective de la puissance publique qui nous est ici offerte. En réalité, si l’on s’essaie à objectiver la notion – c’est-à-dire si l’on tente de la définir intrinsèquement –, cette dernière dévoilera alors une face nouvelle d’elle-même, détachée de toute référence à la domination. Jean-Arnaud Mazères a parfaitement saisi cette ambivalence de la notion de puissance publique et l’a mise en exergue en nourrissant son analyse par les travaux d’Hannah Arendt40. Il en conclut ainsi que « [l]a puissance, c’est d’abord cette potentialité de l’action, l’énergie première qui permet d’entreprendre quelque chose, de créer de fonder, de réaliser une idée ou un projet »41. Cette piste a été récemment développée par Henri Bouillon, dans sa thèse consacrée à la définition du droit public. Celui-ci, après avoir constaté que « la doctrine subjectiviste modifie forcément l’origine de la puissance et infléchit sa nature »42, établit la puissance publique comme étant un pouvoir d’action de nature juridique ayant pour fondement l’énergie sociale émanant de la société, finalisé par la poursuite du Bien commun et caractérisé par son exorbitance43. Le rapport de domination n’apparaît alors plus du tout, la puissance publique se donnant ici à voir comme une capacité d’agir en faveur du Bien commun dans des conditions exorbitantes du droit commun44.
Dès lors, observée par le prisme d’une définition objectivée, détachée de toute considération impérativiste, la puissance publique semble offrir de nouveaux horizons d’acceptabilité.
B. Relativiser l’assimilation classique entre domination et puissance publique : relecture de la définition extrinsèque
Pour autant, subjectivement entendue, la puissance publique redevient indéniablement une œuvre de domination. Pour paraphraser Louis Bahougne, ce qui était un « pouvoir de » dans la conception objective, devient un « pouvoir sur » lorsque l’objet de pensée – ici, la puissance publique –, est appréhendé dans sa relation avec les sujets45. Pour autant, là encore, l’on peut détecter une source d’acceptabilité non négligeable. Son identification implique que l’on passe au peigne fin la définition extrinsèque de la puissance publique. De cette façon, nous conclurons à la relativité de l’assimilation entre puissance publique et pouvoir de domination.
John Austin considérait que chaque règle de droit – entendue au sens le plus large – était constitutive d’un ordre46. Hans Kelsen partageait la même opinion47. Nul ne pensait en réalité qu’une règle juridique puisse être non obligatoire48. Ceci justifie sans doute que la puissance publique soit classiquement présentée comme reposant sur un rapport d’autorité, indifférent à la question de savoir si ses destinataires sont consentants49.
Or, le fait est que nous assistons à une « évolution des formes de pouvoir et d’autorité [qui] semble s’être généralisé[e] »50. Le droit se ramollirait, l’amplitude de ses textures s’élargirait au profit d’une souplesse que l’on ne lui connaissait pas51. Ce que l’on appelle communément soft law – ou droit souple –, traduit certes l’exercice du pouvoir d’action juridique qu’est la puissance publique, mais en révèle surtout « une relativisation […] et une perte d’attrait de l’unilatéralité »52. Catherine Thibierge justifie ainsi l’émergence du droit souple par la « métamorphose du rapport à l’autorité […]. À une autorité […] jadis fortement caractérisée par la soumission et la contrainte, s’est en partie substituée une autorité soucieuse de légitimer son action, ouverte au dialogue, et en quête de l’adhésion de ses destinataires »53. Le droit souple permettrait de développer un certain dialogue dans l’élaboration de la norme, « facteur de renforcement de son acceptation sociale »54. Il vise à réduire activement le fossé qui sépare la norme kelsénienne des citoyens et « joue [ce faisant] la carte de l’adaptabilité et de la proximité »55. François Ost ira jusqu’à qualifier ce phénomène d’œuvre de « désengagement de la puissance publique »56. Par conséquent, même dans l’approche qui met en avant la puissance publique dans sa relation avec ses sujets, la contrainte n’a pas de monopole. Elle apparaît aujourd’hui comme une pierre d’achoppement normatif. Ainsi, la « vieille représentation d’une puissance publique d’abord fondée sur l’autorité et la hiérarchie cède doucement sa place [à] une logique de réseau, de partenariat et de contrat »57.
Dans le même ordre d’esprit, le recours à tout va au contrat dans la mise en œuvre de l’action publique – voire à des espèces curieuses qui en intègrent l’esprit sans en porter vraiment l’habit58 –, s’inscrit également dans cette optique. Cela va de soi, « [l]e commandement, l’ordre, l’interdiction, s’expriment, en effet, plus volontiers par des procédés unilatéraux que par des accords de volontés »59. Le contrat séduit davantage en ce qu’il « repose sur la négociation et le consensus plutôt que sur l’autorité »60, facteurs d’une meilleure acceptabilité. S’il est vrai que certaines activités ne peuvent intégrer le champ contractuel parce que trop imprégnées de puissance publique61, cela ne signifie pas à l’inverse que les secteurs qui peuvent faire l’objet d’une contractualisation sont dénués de tout lien avec la puissance publique. L’action publique est aujourd’hui largement contractualisée, cela ne fait plus aucun doute62.
Par cet exercice de décorticage définitionnel, nous avons tenté de rendre la puissance publique accessible (ce qui constitue déjà en soi une facette de l’acceptabilité). Ce faisant, nous avons en outre dégagé une double source d’acceptabilité en démontrant la relativité qui caractérise le lien entre puissance publique et domination. Or, un second pan d’acceptabilité semble également résider dans l’idée selon laquelle la puissance publique est elle-même contrainte.
II. Admettre que la puissance publique est elle-même contrainte
Que l’idée d’une puissance publique contrainte ait pu étonner par le passé est d’une certaine façon compréhensible63, bien que si l’on adhère à la théorie selon laquelle la souveraineté constitue la plus haute forme de puissance publique64, il apparaît que cette dernière ne peut être conçue que comme juridiquement contrainte65. Quoi qu’il en soit, cette conception ne doit plus surprendre aujourd’hui. La théorie allemande de l’autolimitation ayant été largement remise en cause par les publicistes français – adeptes de l’hétérolimitation –, l’acte administratif unilatéral « cess[e] d’apparaître comme l’émanation d’un “être suprahumain” pour devenir [un] dériv[é] de l’ordonnancement juridique »66.
Ainsi, l’acceptabilité de la puissance publique est garantie par le fait qu’elle se trouve juridiquement soumise. Comme le relevait déjà Jean Rivero, « l’administration apparaît […] infiniment moins libre, dans l’exercice de sa volonté, que les particuliers »67. Les sujétions imposées à la puissance publique sont en réalité de deux natures. D’une part, l’exorbitance qui caractérise la notion n’infuse pas uniquement les prérogatives de la puissance publique68 mais déteint aussi sur ses devoirs. Dès lors, la puissance publique est soumise à des sujétions que ne connaissent pas les administrés, dont il conviendra de rappeler l’existence (A). D’autre part, la nature particulière de cette catégorie de sujétions ne doit pas obérer la seconde – bien plus contraignante pour les détenteurs de puissance publique –, qui renvoie aux sujétions de droit commun, identifiables par le prisme « de la dialectique de l’individu et du pouvoir »69 (B).
A. Rappeler l’existence des sujétions exorbitantes imposées aux détenteurs de la puissance publique
« La “dérogation au droit commun” ne se fait pas à sens unique, mais dans les deux directions, opposées, du plus et du moins »70. Si le « plus » – c’est-à-dire les prérogatives offertes aux détenteurs de parcelles de puissance publique –, a fait l’objet de nombreux écrits, le « moins » – c’est-à-dire les sujétions exorbitantes –, n’ont jamais fait couler beaucoup d’encre en réalité71. Pour autant, leur existence constitue la preuve même de ce que la puissance publique n’a pas enfanté un pur « droit de privilèges »72. Bien au contraire, les sujétions exorbitantes semblent légitimer le droit public73.
La notion même de compétence, outil de diffusion de la puissance publique, témoigne de ce que cette dernière ne peut échapper aux sujétions. Olivier Beaud rappelait à cet égard que « [l]’État, […] en tant qu’unité [de décision et d’action], ne saurait se composer du seul Souverain […] : il lui faut des collaborateurs et des subordonnés, donc tout un appareil de gouvernants et de bureaucrates »74. Or, si l’on adhère à la thèse qui présente la compétence comme un droit subjectif, l’on admettra que l’idée selon laquelle l’octroi d’une compétence à un organe implique a minima de la part des autres organes qu’ils la respectent75. En outre, si l’on se place cette fois du côté de l’entité habilitée, l’on va voir apparaître pléthore d’obligations dont l’effet est d’encadrer l’exercice juridique par l’organe habilité de sa compétence76. Ainsi, la compétence traduit une limitation de l’État77, puisqu’« auréolée de l’idée d’État de droit »78. Or, les personnes physiques de droit privé n’agissent pas sur le fondement de compétences mais sur celui de leur capacité79. La différence tient dans ce que les détenteurs de la puissance publique n’ont « pas la faculté mais le devoir d’exercer [leur] compétence toutes les fois que l’intérêt général l’exige »80.
On voit discrètement la seconde sujétion exorbitante apparaître. La puissance publique est en outre très largement contrainte par sa propre raison d’être : l’intérêt général. Celui-ci forme l’« horizon indépassable de la puissance publique »81 et son « mobile profond »67. Les auteurs n’ont eu de cesse de rappeler au fil des siècles l’imperméabilité de la frontière que constitue l’intérêt général et au-delà de laquelle la puissance publique n’est plus. « Sa finalité est une limite »82. Autrement dit, « les personnes publiques ne sont pas libres de déterminer la cause de leurs actes juridiques »83. La faveur historique réservée à l’unilatéralisme trouve sans doute là sa justification. L’impérativité attachée aux commandements des détenteurs de parcelles de puissance publique se justifie par la nécessité absolue qu’il y a à faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts privés84.
Il existe bien d’autres sujétions exorbitantes, que nous n’aborderons pas faute de place. Il demeure qu’elles participent à limiter le rayon d’action de la puissance publique et forment par là même un véritable plafond de verre. Ces sujétions constituent surtout, en ce qui nous intéresse, autant de sources d’acceptabilité, qui se muent en véritables garanties puisque leur « violation peut être invoquée à l’appui d’un recours »85.
B. Réaffirmer le rôle de premier plan exercé par les sujétions de droit commun dans la canalisation de la puissance publique
Bien que fascinantes parce qu’infusées d’exorbitance, les sujétions de puissance publique ne rendent compte en réalité que de la face immergée de l’iceberg. Si l’on veut dégager un gisement d’acceptabilité en démontrant que la puissance publique est contrainte dans son exercice, il est indispensable de regarder du côté des sujétions de droit commun. En effet, « [l]’étude de la limitation de la puissance publique par les sujétions de puissance publique est […] très réductrice [car] elle écarte ce qui […] fait l’essentiel de cette limitation »69, et plus précisément « une sujétion globale : l’obligation de respecter le droit »86. L’idée que l’État « lui-même accepte de se considérer comme lié par le droit » conduit Prosper Weil à parler de véritable miracle87. Imbibé de l’idéologie révolutionnaire, le bras armé de l’État soumis au respect du droit qu’il a lui-même édicté, est ainsi qualifié d’« administration de droit » sous la plume de Guy Braibant qui y voit sans difficulté un aspect majeur de l’État de droit88. Le principe de légalité « est une contrainte pour l’action administrative en tant que principal instrument d’assujettissement »89. L’ensemble de l’action administrative est soumis au respect de la hiérarchie des normes90, ce qui englobe également l’action administrative des personnes privées91. L’Administration, projection concrète de l’État à l’échelle de l’action concrète92, ne doit en aucun cas aller à l’encontre de la loi (lato sensu), c’est-à-dire qu’elle ne peut intervenir qu’en complément ou parallèlement à cette dernière93.
La puissance publique ne doit pas mal faire, certes, mais elle ne doit pas non plus faire mal94. Le temps où Édouard Laferrière affirmait que « le propre de la souveraineté est de s’imposer à tous, sans qu’on puisse réclamer d’elle aucune compensation »95 est clairement révolu. Historiquement, le principe était celui d’une irresponsabilité de la puissance publique96. Jamais il n’a été question que le souverain athénien rende des comptes à une quelconque autre entité que Dieu. La France de l’Ancien Régime reposait sur le même postulat97. De la mission divine exercée par le monarque « découle une présomption d’infaillibilité »98. L’exerce abusif du pouvoir d’expropriation a conduit l’Assemblée constituante de 1789 à consacrer le premier article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à l’inviolabilité du droit de propriété. La puissance publique se retrouva ainsi contrainte par ce nouveau droit individuel reconnu aux citoyens et sa responsabilité ne tarda pas à être admise par le Conseil d’État à raison des dommages causés aux biens des administrés. Marginalement, à la fin du XIXe siècle, beaucoup plus rigoureusement à la fin des années 192099. Aujourd’hui, la responsabilité de la puissance publique constitue « en France un moyen essentiel d’assujettissement de l’Administration au droit, dont le succès auprès des administrés ne s’est jamais démenti »100. La « période moderne »101 du droit de la responsabilité de la puissance publique saillit de garanties d’acceptabilité, qu’il s’agisse de la multiplication des hypothèses d’engagement de la responsabilité publique ou encore du recul de la place de la faute lourde.
Ainsi, la puissance publique entretient une double relation avec le droit. Il est à la fois son outil principal – la puissance publique étant un pouvoir d’action juridique avant toute chose –, ainsi que sa propre limite. Dans cette seconde acception, celle qui nous retient ici, le droit apparaît comme ayant triomphé face à l’emprise d’un État qui aurait pu préférer le garder sous sa coupe102. La « puissance apparaît [alors] comme une compétence, encadrée par le droit »72. Outre la lecture qui donne à voir les principes de légalité et de responsabilité comme constituant des limites à l’exercice de la puissance publique, cette dernière y trouve également une importante source de légitimité. « Dans un État de droit, caractérisé par la subordination de l’État à des normes juridiques, c’est la soumission à la loi [entendue largo sensu] qui fonde la légitimité des gouvernants et de l’appareil chargé de mettre en place la puissance étatique »103. Dès lors, en dépit des apparences, les sujétions imposées à la puissance publique pourraient être regardées comme permettant paradoxalement d’accroître la puissance de la puissance publique en ce qu’elles favorisent très largement son acceptabilité. C’est ce que Danièle Lochak met en exergue au travers du caractère mystificateur de l’État de droit104.
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Notes
- Réplique empruntée au maréchal des logis-chef Ludovic Cruchot, interprété par l’iconique Louis de Funès, tirée de l’œuvre Le gendarme à Saint-Tropez, réalisée en 1964 par Jean Girault. Celui-ci répondait alors à sa fille (incarnée par Geneviève Grad) qui le questionnait sur sa rigueur excessive à l’égard de ses hommes, craignant qu’il ne se rende impopulaire.
- HAQUET, 2012, p. 45.
- « [I]l est remarquable d’observer que la puissance publique n’est pas inscrite dans les textes fondamentaux. Elle est innommée : nulle trace dans la Constitution de 1958 ni dans celles qui l’ont précédée » (DENIZEAU, 2015, p. 3).
- Voir notamment sur ce point : BEAUD, 1994.
- Michel Rousset relevait ainsi que la locution de puissance publique était souvent utilisée dans un sens personnaliste : « la Puissance Publique c’est l’État, ou l’Administration de l’État » (ROUSSET, 1960, p. 8). Tel est le cas notamment lorsque l’on aborde la question de la responsabilité de l’État (la doctrine parle fréquemment de la « responsabilité de la puissance publique »).
- Si l’on considère la souveraineté comme la puissance publique suprême, et « [p]uisque la souveraineté de l’État passe par l’appropriation exclusive du pouvoir normatif, il est nécessaire que ses rouages administratifs – cette souveraineté de l’État en action – participent également à l’exercice de ce pouvoir et édictent à leur tour des règles générales, hypothétiques et impersonnelles » (PLESSIX, 2022, p. 256-257). Ainsi présentée, la puissance publique apparaît comme un pouvoir de domination, impliquant un « lien de droit inégalitaire marqu[é] du sceau de l’unilatéralité » (BOUILLON, 2018, p. 277 et s.).
- PICARD, 1999, p. 11. Cette « impuissance publique » aurait ainsi pour effet un accroissement du rôle joué par les acteurs privés (OST, VAN DE KERCHOVE, 2010, p. 121-122).
- MAZÈRES, 2006, p. 9.
- « Une des convictions les plus profondes, constitutives même de la profession de juriste, n’est-elle pas que le fait social ne sera jamais du droit ? » (BANCAUD, 1982, p. 111. V. aussi : CAILLOSSE, 2011, p. 187). Pour une position plus mesurée : CARBONNIER, 1972.
- Leur acceptabilité est en partie liée à la problématique de leur accessibilité (v. par ex. : LE QUINIO, 2017. Pour l’auteur, « [l]’acceptation sociale de la décision par ses destinataires, et plus largement l’opinion publique, constitue une forme de contrôle démocratique sur la juridiction »).
- Voir sur la question : SCHNAPPER, 2010, p. 224 et s.
- KOUBI, 2014.
- CHEVALLIER, 2013.
- Pour une vision globale du sujet : BOUILLON, 2021.
- Voir sur ce point la riche contribution de Paul Batelier (BATELIER, 2015, p. 37 et s.).
- Voir sur la question : KLEIBER, 2009.
- HEUSCHLING, 2012, p. 32-33.
- En cela, l’acceptabilité et l’acceptation forment un véritable continuum sociologique (v. par ex. : BOBILLIER-CHAUMON, DUBOIS, 2009, p. 355).
- HEUSCHLING, 2012, p. 32.
- Voir sur l’arbitrage stratégique entre les avantages et les risques d’une violation de la législation : BECKER, 1968, p. 169.
- BAECHLER, 2001, p. 130 et s.
- Sur ce point, les mesures adoptées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire lié à la pandémie de 2020 constituent un bon exemple, ou plus récemment encore, s’agissant de la réforme des retraites.
- BASILIEN-GAINCHE, 2012, p. 93 et s.
- Voir par ex. : ROMI et al., 2021, p. 211. Pour les auteurs, le droit de l’environnement influe sur les autres branches du droit « dans une recherche d’acceptabilité des décisions ».
- GENTRON, YATES, MOTULSKY, 2016.
- RABELAIS, 1535, p. 6.
- Nous ne débattrons pas de la question de savoir si la puissance publique est acceptée ou non par les citoyens, et ce pour les raisons que nous venons d’évoquer. L’usage des guillemets vise à traduire la distance que nous souhaitons entretenir vis-à-vis de cette problématique.
- Le verbe « admettre » sera entendu conformément à la définition que lui attribue le Dictionnaire de l’Académie française (9e édition), c’est-à-dire « reconnaître comme acceptable », URL : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9A0554, consultée le 8 septembre 2023.
- « [I]l y a des situations où tout le monde est d’accord pour donner à l’expression de la collectivité des moyens exorbitants pour sauvegarder l’intérêt général. Il y a des moments où tout le monde est d’accord pour transgresser certains intérêts ou pour en sauvegarder d’autres qui paraissent plus essentiels sur l’échelle des valeurs » (CHEVÈNEMENT, 1999).
- Janus, dieu romain des transitions, est usuellement représenté sous la forme d’un humanoïde bifrons, c’est-à-dire coiffé d’une tête à deux visages.
- DUPRÉ DE BOULOIS, 1999, p. 66.
- FRISON-ROCHE, 1995, p. 573.
- KELSEN, 1962, p. 284.
- ROUSSET, 1960, p. 57.
- Il n’y a, pour s’en rendre compte, qu’à lire la thèse remaniée d’Olivier Beaud (1994, p. 17 et s.).
- BODIN, 1576. Voir notamment : BARRAUD, 2017. En sens contraire : CARRÉ DE MALBERG, 1920, p. 70.
- ROUSSET, 1960, p. 56. Comme le souligne Jean-Arnaud Mazères, « la distinction souveraineté-puissance renvoie […] aux doctrines publicistes allemandes (Jellinek, Meyer, Laband entre autres) de la fin du XIXème siècle, la distinction entre puissance et souveraineté ayant en partie son fondement dans la prise en considération de la nature féodale de l’État » (2006, p. 20-21).
- Ces auteurs, tout en identifiant une double approche – interne et externe – de la souveraineté, décrivaient la première comme englobant des prérogatives de domination, qui caractérisaient en réalité l’aspect subjectivisé de la puissance publique. Ainsi, Léon Duguit défendait que les « expressions [de] souveraineté, pouvoir politique, pouvoir de domination sont synonymes et que l’on peut dire aussi dans le même sens puissance publique » (1923, p. 402). Olivier Beaud fait remarquer à ce titre que la dissociation entre puissance publique et souveraineté n’est retenue que par une partie minoritaire de la doctrine (1994, p. 10).
- Pour Hans Kelsen, « ce qu’on appelle la puissance publique est la validité d’un ordre juridique étatique effectif » (KELSEN, 1962, p. 284).
- ARENDT, 1983.
- MAZÈRES, 2006, p. 31.
- BOUILLON, 2021, p. 231.
- Ibid., p. 228 et s. On retrouve d’ailleurs cette acception dans les travaux de Michel Rousset, qui définit la puissance publique comme un pouvoir originaire juridique, réglementé en fonction d’un but, se caractérisant par sa nature globale qui justifierait sa supériorité juridique (1960, p. 190).
- CHABASSIER, 2014, p. 96.
- BAHOUGNE, 2015, p. 127.
- AUSTIN, 1885, p. 88.
- KELSEN, 1997, p. 70.
- DABIN, 1961, p. 204.
- HECQUART-THÉRON, 1998, p. 7.
- LAVERGNE, 2013, p. 31 ; DE BÉCHILLON, 1997, p. 192. L’idée étant que « par la douceur on expédie mieux les affaires, et on acquiert une grande gloire » (BOSSUET, 2003, p. 78).
- THIBIERGE, 2009, p. 790 et s.
- BOUILLON, 2021, p. 67. D’aucuns parlent de « contournement de l’unilatéralité » (CHEVALLIER, 1988, p. 57), cette même unilatéralité qui aboutit à une vision biaisée de l’acte administratif (PLESSIX, 2003, p. 722 et s.).
- THIBIERGE, 2003, p. 599.
- RASSAFI-GUIBAL, 2014, p. 85 ; ROCHFELD, 2011, p. 439 : « la concertation dans l’élaboration de la norme faciliterait son acceptation par les citoyens et, partant, son effectivité ».
- MEKKI, p. 20.
- OST, VAN DER KERCHOVE, 2010, p. 152.
- RAIMBAULT, 2006, p. 236.
- HOURSON, 2014.
- SEILLER, 2020, § 274.
- CONSEIL D’ÉTAT, 2008, p. 15.
- Qu’il s’agisse d’interdire à l’Administration de confier à un tiers certaines activités (CE, 11 mai 2009, Ville de Toulouse, n° 296919, Rec. p. 190) ou de lui interdire plus globalement d’exercer sa compétence par contrat (par exemple, en matière de police : CE, Ass., 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary, Rec. p. 595) ou plus récemment s’agissant de la mission de recouvrement des dettes publiques : CE, Sect., 6 novembre 2009, Société Prest’Action, n° 297877).
- GAUDIN, DUBOIS, 2000 ; HECQUARD-THERON, 1993.
- ROUSSET, 1960, p. 26 et s.
- LOYSEAU, 1595, Chap. 3, p. 53 et s. ; PLESSIX, 2022, p. 253.
- DE GAUDEMAR, 2012, p. 197.
- GIRARD, 2013, p. 446.
- RIVERO, 1953, p. 279.
- Laquelle ne se traduit d’ailleurs pas nécessairement par une contrainte. « La prérogative de puissance publique peut être une décision administrative unilatérale positive à l’instar d’une mesure de protection ou de prestation entrant dans la mission du service public considéré » (MARTINEZ, 2023, p. 1474). Davantage qu’une marque de contrainte, la prérogative de puissance publique implique l’exclusivité dans le recours à certains moyens permettant de parvenir au Bien commun.
- DE GAUDEMAR, 2012, p. 208.
- RIVERO, 1953. V. aussi : WEIL, POUYAUD, 2017, p. 41.
- Voir toutefois : DUFAU, 2000, p. 12-13.
- CHEVALLIER, 1988.
- DE GAUDEMAR, 2012, p. 200.
- BEAUD, 1994, p. 154.
- Voir en ce sens : KELSEN, 1996, p. 136. Référence est ici faite au concept de « compétence délimitante » développée par Linditch, 1997, p. 201.
- Florian Linditch recourt à l’expression de « compétence structurante » pour désigner cette seconde réalité (1997, p. 203). Si la doctrine est partagée sur l’emploi des termes de compétence, pouvoir ou capacité (voir en ce sens : HERTZOG, 2002, p. 236-237), elle semble néanmoins s’accorder implicitement sur l’idée d’une représentation de l’action des personnes publiques sous la forme de cercles concentriques. « Le plus grand, commun à toutes les personnes publiques, prohibe toute action dépourvue de lien avec l’intérêt général. Le second est propre à chacune d’elle et les identifie les unes par rapport aux autres » (DEVILLERS, 2019, p. 72).
- « Une des caractéristiques de nos ordres juridiques […] est qu’ils ont tendance à transformer l’exercice de tout pouvoir propre en compétences, c’est-à-dire en l’exercice d’un pouvoir fonctionnel, dérivé d’une habilitation qui, à la fois, en conditionne et en limite l’exercice » (MAULIN, 2008, p. 35).
- BEAUD, 2008, p. 14.
- Ce point est volontairement simplificateur ; la capacité étant nécessaire à l’exercice des compétences des personnes publiques (et donc non exclusive du droit privé) là où la compétence intéresse également les personnes morales de droit privé (v. sur ce point : BOUILLON, 2018, p. 508, § 520 et p. 512-513, § 526-527).
- DE GAUDEMAR, 2012, p. 203. Dans le même sens : JÈZE, 1923, p. 58. Pour une présentation de la réglementation de la compétence, voir BOUILLON, 2018, p. 465 et s. Voir également PARINET, 2017, p. 103 et s.
- PONTIER, 2004, p. 1001.
- BOUILLON, 2021, p. 16.
- FEVROT, 2005, p. 2365.
- V. notamment : CHEVALLIER, 2015, p. 84.
- DUFAU, 2000, p. 35.
- CHIFFLOT, TOURBE, 2022, p. 135, § 135.
- WEIL, POUYAUD, 2017, p. 5.
- BRAIBANT, 1993, p. 409.
- SEILLER, 2018, p. 243. Voir aussi : CHEVALLIER, 1990, p. 1651.
- Art. L. 100-2 du CRPA.
- WEIL, POUYAUD, 2017, p. 81.
- PLESSIX, 2020, p. 253.
- CHEVALLIER, 1993, p. 19.
- DELAUNAY, 2013.
- LAFERRIÈRE, 1896, p. 13.
- WALINE, 2020, p. 541 et s.
- Même s’il arrivait que des dédommagements pécuniers soient accordés, ils l’étaient « davantage sur la base de jugements d’équité que sur le fondement d’une logique de responsabilité » (PLESSIX, 2020, p. 704).
- TEISSIER, 1906, p. 8.
- DUEZ, 2012, p. 5 et s.
- PLESSIX, 2022, p. 703.
- MOREAU, 2011, p. 657.
- V. notamment : COHEN-TANUGI, 1985.
- LOCHAK, 1981.
- Ibid.