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Le Grand Oral en modalité bilingue Basque-Français :
une opportunité pour améliorer les compétences plurilingues des élèves scolarisés dans le système d’immersion linguistique ?

Le Grand Oral en modalité bilingue Basque-Français :
une opportunité pour améliorer les compétences plurilingues des élèves scolarisés dans le système d’immersion linguistique ?

Introduction

Seuls quatre ans nous séparent de la première session du Grand Oral. Pourtant, les fondements de cette épreuve semblent avoir des origines beaucoup plus lointaines, car elle évoque l’importance de la parole et l’éloquence dans la formation des jeunes orateurs sur leur parcours pour devenir des citoyens1.

D’autre part, la jeunesse de l’épreuve n’est pas un obstacle pour projeter des possibilités et des limites qu’elle pourrait offrir. Par exemple, dans le cas des élèves en modèle d’immersion en langue basque, où le basque est la principale langue de scolarisation, nous pouvons imaginer que la composition d’une épreuve orale exigeante dans une autre langue pourrait poser des difficultés. Encore plus dans les cas où lors de l’examen ils sont appelés à gérer deux langues, comme c’est le cas des élèves ayant choisi la spécialité en langue basque.

Dans cet article, nous présenterons d’abord le contexte général du Grand Oral, en reprenant quelques notions à l’origine de cette épreuve. Nous examinerons ensuite la structure de l’examen et nous nous arrêterons sur une modalité en particulier : le Grand Oral bilingue. Plus précisément, nous nous intéresserons aux productions des élèves du Lycée Bernat Etxepare à Bayonne qui ont la possibilité de passer l’épreuve sur un mode bilingue, en basque et en français. Avec les épreuves du baccalauréat, ces élèves achèvent leur parcours scolaire immersif en langue basque.

Cet article fait partie d’une thèse doctorale qui propose un processus didactique pour travailler le Grand Oral avec ces élèves. Par conséquent, dans le courant de cet article, nous décrirons les principaux éléments de cette proposition et nous montrerons les premiers résultats de l’analyse des premières productions des étudiants.

En effet, lors de cette analyse, nous avons identifié quelques opportunités d’apprentissage que cette épreuve du Grand Oral pourrait générer en matière de gestion des langues, à l’instar de la question de l’alternance linguistique ou de la présentation et de l’adaptation des textes de référence.

Ainsi, dans les lignes qui suivent, nous essaierons de mettre en lumière les avantages que cette situation de communication peut présenter au regard des compétences orales plurilingues des élèves scolarisés dans le modèle immersif.

Le Grand Oral

La renaissance de la formation à l’oratoire

L’éducation secondaire en France, et particulièrement le lycée, vit de nos jours une période de changements et d’adaptations profonds à tous les niveaux. Depuis 2018, des nouveautés ont été introduites concernant les matières, les programmes et l’évaluation, dont les examens du baccalauréat. En effet, la réforme du lycée général et technologique a mis fin en particulier à un système de séries quasi inchangé depuis 1965 et a constitué un véritable bouleversement pour la communauté éducative2.

Dans le cadre de cette rénovation, une nouvelle épreuve a ressurgi des cendres de la rhétorique : Le Grand Oral (désormais GO).

Loin d’être une invention, l’enseignement de l’éloquence reprend la place centrale perdue depuis des décennies, explique le linguiste et formateur en rhétorique Julien Barret au magazine « Pour l’éco »3 :

… présent à la Renaissance, l’enseignement de l’éloquence a disparu au début du XXe siècle, quand la classe de rhétorique, où l’élève écrivait des discours, a été remplacée par le commentaire composé et la dissertation. À cette occasion Roland Barthes note que le mot d’ordre de l’école, qui était « apprendre à écrire », est devenu « apprendre à lire ». Aujourd’hui, avec le Grand Oral, il semble que l’école veuille « apprendre à parler ».

En outre, l’historien de la rhétorique Pierre Chiron dans son ouvrage Manuel de rhétorique, ou, comment faire de l’élève un citoyen4 indique que les compétences rhétoriques devraient avoir toujours une place prééminente dans l’éducation actuelle. Dans une émission intitulée « Bac, le grand oral en question »5 et diffusée sur France Culture, Pierre Chiron analyse les dimensions sociales et rhétoriques de cette épreuve. Lors de son intervention, il a qualifié le GO « d’exercice de maturité » qui permet à l’élève de travailler des compétences particulières tout en lui apportant la possibilité de porter un regard rétrospectif sur son parcours scolaire. Le philosophe a souligné également le rôle que cette épreuve pourrait jouer dans le développement de l’élève en tant qu’orateur. Il a également mis l’accent sur la dimension politique et démocratique du Grand Oral. En effet, cet exercice amène l’élève à exprimer sa pensée, à la formuler dans sa spécificité, tout en anticipant sur la réaction des autres. L’introduction du GO pourrait donc offrir aux élèves l’opportunité de travailler des compétences oratoires dont ils auront besoin dans leur vie d’adultes.

Dans le même temps, selon la linguiste Emmanuelle Guérin, cet examen serait susceptible d’ouvrir une réflexion sur la place de l’oral dans l’enseignement secondaire en général, et dans l’enseignement des langues en particulier :

De fait, cette nouvelle épreuve du baccalauréat réactive la légitimité des questionnements sur la place de l’oral dans les enseignements. L’oral est – du moins dans les textes – pensé dans toute sa dimension, notamment en tant qu’il peut constituer un « levier d’égalité des chances »6.

Dans cet article, nous souhaitons précisément montrer qu’un travail didactique élaboré dans une perspective plurilingue pourrait améliorer les compétences orales des lycéens qui passeront le GO en modalité bilingue Français-Euskara. Mais avant d’entrer dans le détail de ce dispositif didactique, nous avons voulu résumer les caractéristiques de cette épreuve.

Description de l’épreuve

Pour introduire ce qui fait la spécificité de l’exercice dans sa version bilingue, nous commencerons par décrire les différents aspects généraux de l’épreuve du GO. Puis nous préciserons les modalités particulières qui concernent les élèves de spécialité Langues, littératures et cultures étrangères et régionales (désormais LLCER), principaux protagonistes de notre étude.

Comme nous l’avons déjà mentionné, le Grand Oral est l’une des cinq épreuves terminales du baccalauréat général et du baccalauréat technologique. Cette épreuve orale a lieu à la fin de l’année de la classe de terminale.

a) Déroulement

L’élève présente au jury 2 sujets choisis et travaillés avec ses enseignants de spécialité. Ensuite le jury choisit l’un de ces sujets et l’élève a 20 minutes de préparation dans une salle prévue à cet effet.

Pour l’examen, à partir de la session de 2024, l’élève aura 10 minutes de présentation à l’oral (rappel des questions et argumentaire contenant ses réponses) et 10 minutes d’entretien avec le jury.

Le jury est composé par un enseignant de l’une des spécialités choisies par l’élève et un enseignant jouant le rôle du « candide » qui n’enseigne aucune des spécialités choisies par l’élève.

Dans le cas des spécialités de LLCER7, le deuxième membre du jury ne parlera pas nécessairement la langue de spécialité. Le but étant de faire une présentation à un public indistinct, la configuration du jury dans le cas des spécialités LLCER pourrait entraîner une difficulté majeure. En effet, l’élève doit prévoir un dispositif particulier d’explicitation et de médiation réalisé dans les deux langues pour faciliter l’interaction avec le membre du jury qui ne parle pas la langue de spécialité.

b) Contenu

L’élève est invité à élaborer deux questions qui portent sur les deux enseignements de spécialité soit pris isolément, soit abordés de manière transversale. Elles mettent en lumière un des grands enjeux du ou des programmes de ces enseignements8 :

Les questions proposées par l’élève au jury doivent rester personnelles. Elles doivent rendre compte de son implication dans ces enseignements de spécialité. Elles expriment sa rencontre avec le(s) programme(s), une appropriation de ce(s) programme(s) et une réflexion personnelle et construite sur ce(s) programme(s) tout en constituant le vecteur de la relation qui s’établira entre le jury et lui.

Le Grand Oral en modalité bilingue

Si le GO se déroule en français pour la plupart des élèves, elle peut également donner lieu à l’utilisation d’une langue régionale pour les élèves qui suivent les spécialités de LLCER.

En effet, ces derniers peuvent choisir d’utiliser la langue de spécialité lors de certaines parties de leur intervention9 : l’argumentation, la conclusion et une partie de la session questions-réponses avec le jury.

C’est justement sur le plan de l’échange avec le jury qu’une gestion linguistique supplémentaire entre en jeu pour ces élèves. Ainsi, si l’un des examinateurs ne maîtrise pas la langue de spécialité, il peut, au cours de l’échange, poser des questions pour que l’élève lui fournisse des explications en français. À cette occasion, l’élève pourra faire preuve de précieuses compétences d’explicitation et de vulgarisation10 des sujets abordés.

Ce dernier point nous semble particulièrement intéressant pour approfondir la question des compétences bilingues attendues chez l’élève. En effet, celui-ci est amené à prévoir un dispositif particulier d’explicitation et de médiation dans les deux langues pour faciliter l’interaction avec cette personne a priori « non bilingue », ce qui demande une analyse en profondeur de la situation de communication.

C’est le cas des élèves de la spécialité LLCER langue basque du Lycée Bernat Etxepare de Bayonne, qui accueille les collégiens issus des établissements affiliés à la Fédération des Ikastola, Seaska. Dans le système dit immersif qui est pratiqué dans ces écoles, le basque est la langue de scolarisation principale pour les élèves.

Pour les élèves qui ont suivi cette scolarité spécifique, la configuration bilingue de l’examen est tout à fait significative au plan pédagogique, car elle leur permet de faire appel aux deux langues qu’ils emploient dans leur vie quotidienne : le français, langue principale de socialisation, et le basque, langue de scolarisation. Pour terminer cette présentation, nous allons décrire plus en détail ce modèle éducatif en immersion dans la langue basque.

Contexte éducatif et sociolinguistique de l’étude

Pour cette section, nous allons nous focaliser sur l’histoire et l’état actuel de ce modèle d’enseignement, ainsi que sur le contexte sociolinguistique vécu par les élèves que nous suivons dans notre étude.

Le modèle d’immersion en langue basque

C’est à la fin des années 50 que plusieurs écoles publiques et privées ont profité de la voie ouverte par la loi Deixonne (1951), la première et la seule de la législation française à traiter l’enseignement des langues régionales11. Elle donnait la possibilité aux enseignants d’utiliser ces langues en classe, faisant ainsi de la langue basque matière à part entière12. Une décennie plus tard, en 1968, la première Ikastola fut ouverte à Arcangues, à la suite de l’initiative d’un groupe de parents qui finançait le projet dans sa totalité.

Ce modèle s’est développé au fil des années et en 1992 Seaska a obtenu pour ses établissements le statut du contrat d’association avec l’État et des contrats de droit public pour ses enseignants.

Aujourd’hui, la Fédération des Ikastola compte 4 300 élèves repartis en 33 écoles primaires, 5 collèges et 1 lycée, le lycée Bernat Etxepare de Bayonne, qui réunit presque 500 élèves provenant de tout le territoire.

Concernant l’enseignement de la langue basque, il y a depuis les années 60 d’autres écoles, collèges, lycées publics et privés qui offrent une éducation à parité horaire ou bilingue. Les écoles offrant ce modèle, ainsi que les Ikastola en modèle en immersion, comptent chaque année de nouvelles classes et filières. Le nombre d’élèves augmente d’un 4,7 % chaque année, ce qui veut dire 364 élèves supplémentaires par année scolaire13. En même temps, dans l’enseignement public des filières en immersion sont en train d’ouvrir chaque année dans des écoles maternelles.

La principale différence entre les écoles qui offrent un modèle de parité horaire ou quelques filières en immersion et le réseau Seaska, est l’utilisation de langue basque en dehors de la classe. En effet, les Ikastola sont les seuls établissements où toute la communication est sensée de se dérouler en euskara.

Tout le personnel non enseignant (restauration scolaire, accompagnement des enfants en difficulté, entretien des locaux, etc.) est bascophone14. Ceci assure en théorie la possibilité pour l’enfant de ne vivre qu’en Basque dès l’instant où il a franchi la porte de l’école, l’objectif étant l’acquisition d’un bilinguisme équilibré.

Contexte éducatif et sociolinguistique du groupe

Le groupe que nous sommes en train de suivre dans le cadre de notre expérimentation est composé par 20 élèves du seul lycée en modèle immersif en langue basque. Ces élèves ont choisi la spécialité de LLCER basque lors de leur entrée en Première. Cela implique 4 heures supplémentaires dans cette langue par rapport aux autres élèves lors de la première année et 6 heures lors de l’année de terminale.

La raison principale du choix de ce groupe d’élèves tient à la double singularité qu’ils présentent : d’une part, c’est le seul groupe d’élèves inscrits dans la spécialité LLCER basque qui a accompli un parcours complet en modèle immersif (pour l’année scolaire 2023-2024 il y a 4 élèves supplémentaires qui ont choisi cette spécialité dans deux lycées qui n’appartiennent pas à Seaska – Fédération des Ikastola – mais proposent des sections bilingues à parité horaire). D’autre part, parmi les lycéens en modèle immersif en langue basque, ce groupe est le seul à avoir le droit d’utiliser leur langue de scolarisation lors d’un examen officiel du BAC.

Cette deuxième particularité mentionnée, fait l’objet d’une revendication au sein des Ikastola, qui réclament depuis quelques années le droit pour leurs élèves de passer les examens officiels dans leur langue de scolarisation.

Par rapport aux programmes de l’Éducation Nationale (désormais EN) la langue basque, en tant que langue régionale, reçoit le même traitement que le reste des langues vivantes. C’est-à-dire qu’elle bénéficie de la même quantité d’heures que les langues étrangères, telles que l’anglais ou l’espagnol, par exemple et cela, dans les mêmes conditions pédagogiques. Ce traitement est indépendant de la relation sociolinguistique entre les langues. Des facteurs comme la situation de diglossie ne sont pas déterminants dans la répartition horaire ou le contenu des programmes.

En outre, il faut noter également que la langue basque de spécialité ne peut se cumuler avec une autre spécialité de langue15, ce qui met une langue minorisée en concurrence avec des langues socialement considérées comme « utiles »16.

Cependant, pour les élèves en modèle immersif la relation avec la langue basque va plus loin de celle qu’on peut avoir avec une matière scolaire. En effet, en plus d’être leur principale langue de scolarisation, elle est aussi une langue de socialisation, tout au moins au sein de leur communauté éducative.

Néanmoins la présence de cette langue dans le reste des secteurs sociaux est encore aujourd’hui très minoritaire. En guise d’exemple, la dernière enquête portant sur l’usage des langues dans la rue réalisée courant l’année 2021 a montré qu’à Bayonne (ville où le lycée est situé) l’utilisation du basque est du 2,5 %. Dans l’ensemble du Pays basque Nord (désormais PBN), elle est du 4,5 %17.

Cela pourrait s’expliquer par le fait que la présence de la langue basque au PBN reste encore limitée dans les contextes publics et formels, tels que l’administration, les médias ou les services. Néanmoins depuis la création de l’Office Publique de la Langue Basque en 200418, il existe une politique publique en faveur de la revitalisation de la langue basque.

Dans ce contexte, l’école immersive est appelée à prendre en charge et à promouvoir les compétences linguistiques nécessaires pour répondre aux besoins communicationnels dans ces contextes, particulièrement à l’oral. Et cela toujours en renforçant et en garantissant la présence des genres informels, car leur développement n’est pas nécessairement assuré par le milieu social, comme Joaquim Dolz le rappelle lors de son entretien avec Paula Navarro19.

Méthodologie de l’étude

Jusqu’au présent nous avons détaillé les circonstances générales et particulières de l’épreuve du GO, ainsi que le profil scolaire des élèves qui participent à notre étude. Nous abordons maintenant les bases théoriques du cadre didactique dans lequel nous sommes en train de créer notre proposition d’entraînement pour le Grand Oral : une séquence didactique (désormais SD) pour tirer le plus grand profit possible de la nature bilingue de l’épreuve, en matière de compétences discursives bi-plurilingues.

Transposition didactique du Gand Oral bilingue

Ce cadre s’appelle l’Interactionnisme Sociodiscursif (ISD)20 et il offre une base théorique-méthodologique pour étudier l’enseignement des activités langagières spécifiques. Ainsi, son auteur principal, Jean-Paul Bronckart, propose les productions textuelles comme formes de l’agir humain, des unités communicatives avec des conditions d’ouverture et de clôture entièrement déterminées grâce auxquelles nous pouvons analyser des productions linguistiques.

Depuis plusieurs décennies, les genres sont considérés comme un vecteur central des apprentissages langagiers car ils permettent de modéliser les pratiques langagières de référence présentes dans la société comme des objets d’enseignement ou comme des genres à enseigner21. « Le genre textuel est un macro-outil, mais pour enseigner un genre il nous faut également des outils. C’est dans ce sens que je soutiens l’idée d’une ingénierie didactique pour fabriquer des outils pour enseigner ».22 Dans le cadre de notre recherche, le travail sur un genre textuel formel bilingue à l’oral est particulièrement pertinent compte tenu du contexte sociolinguistique du Pays basque Nord où, comme nous l’avons expliqué lors de la section précédente, l’environnement ne garantit pas la présence de la langue basque dans les fonctions académiques et administratives. C’est donc à l’école (en modèle d’immersion) de générer ces opportunités pour assurer un bilinguisme complet incluant la plus grande variété textuelle et communicative possible dans le but de former des citoyens bilingues23.

C’est ainsi que nous arrivons à la « transposition didactique » : « L’exercice de recréation des situations communicatives de la vie commune au sein de l’école, en les adaptant pour des objectives précises tout en respectant leur nature textuelle et générique »24.

Dans le cas de notre étude, cette démarche de transposition nous a amenés à effectuer des adaptations, pour des raisons de limitation de temps et de ressources pédagogiques, que nous allons brièvement expliquer par la suite.

Prenons l’exemple du choix de la problématique. Comme nous l’avons précisé lors de la description de l’épreuve du GO, chaque élève est appelé à élaborer deux questions à présenter au jury. Or, au moment du début de notre étude, les élèves étaient en fin d’année de Première. Leur maîtrise du programme de cycle terminal n’était donc pas suffisante pour pouvoir rédiger deux problématiques distinctes. Pour pallier cette difficulté liée au contenu de l’épreuve, nous avons décidé, avec les enseignantes de spécialité LLCER langue basque, de fixer une problématique commune pour tous les participants. Cette question a été choisie sur la base d’une thématique travaillée en classe et proche de la réalité sociologique des élèves : « Est-il si idéal d’habiter à la campagne ? ».

La démarche de transposition, nous mène vers l’élaboration d’un modèle didactique du genre, qui sera travaillé a posteriori dans la SD.

Ce modèle didactique a, selon Dolz et Gagnon25, pour objectif d’identifier des dimensions « enseignables » susceptibles de générer des activités et des séquences d’enseignement :

Le modèle didactique du genre nous fournit, en effet, en quelque sorte des objets potentiels pour l’enseignement. Potentiels, d’une part, parce qu’une sélection doit être faite en fonction des capacités des apprenants, d’autre part, parce qu’il ne saurait s’agir d’enseigner le modèle en tant que tel : c’est à travers des activités, par des manipulations, en communiquant ou en méta-communiquant à leur propos que les apprenants vont, éventuellement, avoir accès aux genres modélisés26.

En effet, un modèle didactique désigne la description provisoire des principales caractéristiques d’un genre textuel en vue de son enseignement.

Revenons à la question du genre textuel : il ne faut pas oublier que le GO est toujours une épreuve en construction qui connaît encore des changements de forme mais aussi de contenu, ce qui entraine une difficulté supplémentaire à l’heure d’établir des modèles ou de choisir des exemples.

En outre, cet aspect évolutif et non stabilisé est accentué lorsqu’il s’agit de caractériser le GO en modalité bilingue et particulièrement en ce qui concerne la spécialité langue basque. Concrètement, les seuls modèles potentiels étant les productions des élèves des années précédentes, nous avons tenté de les récupérer, mais cela n’a pas été possible. Néanmoins, il est indispensable d’observer des modèles pour caractériser un genre textuel, comme le précisent Dolz et Schnewly27 :

Pour caractériser les genres oraux, il est indispensable de procéder à un recueil de documents authentiques (…). Plus le corpus sera riche et varié, plus l’observation portera sur des réalisations textuelles diverses correspondant aux genres de textes travaillés (…), permettant d’établir des normes langagières d’usage « objectives » sur lesquelles baser les attentes concernant le comportement des élèves.

Pour faire face à cette problématique, nous avons fait recours à trois sources qui permettent d’encadrer les critères d’analyse des productions initiales et ainsi établir les caractéristiques attendues d’une production du GO en modalité bilingue basque/français. Nous vous les présentons dans la Figure 1 :

Définition des critères d’analyse.
Fig. 1. Définition des critères d’analyse.

Ce sont les textes officiels de l’Éducation Nationale, les pratiques des enseignantes LLCER et la bibliographie de référence des genres textuels similaires.

Création d’une séquence didactique pour travailler le GO en modalité bilingue

Partant des principes exposés jusqu’à présent, nous allons à continuation décrire le dispositif didactique que nous tenons à proposer.

Dans l’école genevoise initiée par Bronckart, la séquence didactique se définit comme un dispositif didactique créé pour l’enseignement d’un genre textuel.

Nous pourrions aussi le décrire comme un ensemble de périodes scolaires organisées de manière systématique autour d’une activité langagière (exposés, débats publics, etc.) dans le cadre d’un projet de classe28.

Pour l’enseignement de l’oral, les auteurs genevois ajoutent à la définition la volonté d’instaurer en classe une véritable culture de la parole publique. Cela rejoint l’idée de reprendre aujourd’hui en classe l’entraînement à l’éloquence, idée que nous avons développée lors de la présentation du Grand Oral, et qui rend son enseignement si pertinent.

Le schéma de Dolz et Schnewly (fig. 229) montre les quatre parties d’une séquence didactique suivant le modèle genevois :

Modèle genevois des séquences didactiques.
Fig. 2. Modèle genevois des séquences didactiques.

a) Mise en situation

Dans notre cas, lors de cette phase de « mise en situation », les objectifs principaux consistent, d’une part, à présenter les lignes générales du projet aux élèves et, d’autre part, à offrir une représentation détaillée du genre textuel du GO.

Il faut garder à l’esprit que le groupe d’élèves sélectionné pour la recherche était en année de Première au moment où nous avons effectué cette session. Il leur manquait donc une année scolaire complète avant de passer le GO réel. Par conséquent, bien que la plupart des élèves aient pu avoir un écho de cet examen, nous avons considéré que pour la plus grande partie du groupe, les objectifs, les caractéristiques principales et la portée du test étaient inconnus au moment de la mise en situation.

C’est pour cela qu’en concertation avec les enseignantes de LLCER, nous avons décidé nous-mêmes de la durée, de la structure et du contenu de cette première session : en mai, elles nous ont accordé deux sessions de 50 minutes en continu, sessions que nous avons divisées en quatre parties principales : présentation du projet, présentation de la structure du GO, un exemple pratique du GO et enfin une analyse de l’exemple.

En ce qui concerne l’exemple, nous avons voulu proposer une simulation du GO à la classe. Pour ce faire, nous avons mis en place un jeu de rôles : la chercheuse a incarné une élève qui passe le Grand Oral, et le jury a été composé par l’une des enseignantes de LLCER et l’un des directeurs de thèse, qui a joué le rôle du membre du jury qui ne parle pas basque. Durant cet exercice, la problématique et les textes de référence utilisés ont été les mêmes que ceux utilisés pour les productions initiales, comme indiqué lors de la modélisation du GO.

b) Productions initiales

L’enregistrement vidéo des productions initiales a eu lieu au cours de la première semaine de juin 2023, au lycée, dans des conditions qui reproduisaient au maximum la situation de communication du GO, avec la chercheuse et l’un des directeurs de la thèse comme membres du jury, toujours en reproduisant les rôles et l’emploi des langues prévu pour l’épreuve réelle.

Ensuite tous les textes ont été transcrits et codifiés par la chercheuse principale et c’est en analysant ces productions que nous allons étudier le potentiel de ce genre textuel comme levier pour le développement de certaines capacités orales multilingues au sein du groupe de lycéens suivi.

c) Étapes à venir

Après avoir transcrit et analysé les productions initiales des élèves en première, la prochaine tâche consistera à déterminer quels seront les éléments qui composeront les ateliers à proposer pour l’entraînement au GO en modalité bilingue Basque/Français.

La durée et le contenu de ces ateliers restent encore à déterminer. Dès maintenant, nous pouvons indiquer que le groupe de 20 élèves sera divisé en deux : un groupe expérimental et un groupe dit de contrôle. Dans un premier temps, le groupe expérimental suivra les ateliers programmés au sein de la SD, tandis que le groupe de contrôle travaillera sur d’autres activités, qui ne seront pas en lien avec le GO.

Ensuite, les élèves des deux groupes seront à nouveau enregistrés lors de la réalisation d’une modalisation du GO, et cela pendant la phase des productions finales.

C’est justement en comparant les productions du groupe expérimental et de contrôle que nous espérons pouvoir observer les avancées du travail réalisé dans la SD et arriver à déterminer si nos interventions ont eu l’impact attendu. En même temps, les productions finales de tous les participants seront comparées avec leurs productions initiales.

S’agissant d’un SD expérimentale et afin d’assurer l’équité entre tous les participants vis-à-vis de l’examen officiel, nous avons prévu de renouveler les ateliers avec le groupe de contrôle à l’issue de la comparaison des résultats de notre expérimentation.

Analyse des textes initiaux

À continuation, nous allons approfondir l’analyse des éléments étudiés au sein des productions initiales des élèves de spécialité LLCER en fin d’année de Première. Cette analyse nous semble pertinente car elle nous permettra d’établir un premier diagnostic au sujet des compétences et des outils linguistiques plurilingues des élèves en début de séquence. Cela permettra également d’identifier les éventuelles entrées pour assurer le développement de ces capacités.

Critères d’analyse des productions initiales

Comme indiqué lors de la caractérisation du genre textuel du GO, l’absence de documents authentiques rend difficile la tâche de fixation des critères d’analyse des productions initiales. Pourtant, en travaillant sur les trois axes mentionnés plus haut (programmes, avis et expériences des enseignantes, textes de référence pour les genres oraux), nous sommes arrivés à faire une description des phases qui potentiellement impliquent une gestion de la situation communicative bilingue lors du Grand Oral.

Description des phases et des productions initiales

Ensuite, nous allons essayer de décrire les phases qui, à notre avis, demandent une mobilisation des compétences plurilingues, en développant l’analyse des productions recueillies et des critères d’amélioration de chaque compétence.

a) Phases d’ouverture et de clôture

Les moments de prise de parole et de clôture du discours sont déterminants dans les genres oraux formels. Par exemple, lors de la description de l’exposé oral, Dolz et Schnewly nomment la prise de parole « phase d’ouverture ». C’est le moment où l’orateur prend contact avec le public, dans notre cas le jury et le salue et légitime sa prise de parole.30

Il faut peut-être rappeler que pour le GO le jury et l’élève se sont déjà rencontrés 20 minutes auparavant, au moment où la problématique à présenter est choisie. Néanmoins, suivant la recommandation des enseignantes de spécialité consultées et selon d’autres indications contenues dans les éléments pédagogiques de préparation au GO31 il semblerait pertinent que l’élève salue à nouveau le jury lors de la prise de parole au début de son argumentation. Dans le cas des élèves ayant choisi une spécialité LLCER, cette salutation-présentation pourrait donner à l’élève l’occasion d’employer la langue de spécialité pour la première fois, et ainsi établir les prémisses d’un cadre communicatif bilingue. L’option la plus pertinente semblerait d’utiliser une formule assez habituelle dans les interactions formelles quotidiennes au Pays basque Nord : « Egun on, bonjour »

Dans les productions initiales, 15 élèves sur 20 ont salué le jury au début de leur intervention, la plupart d’entre eux (11/20) dans la langue qu’ils ont choisie pour débuter leur argumentaire, c’est-à-dire le français. La formule bilingue a été employée par un seul élève.

Pour la clôture, les auteurs indiquent qu’elle doit être symétrique à la phase d’ouverture et l’orateur devrait y trouver l’occasion de remercier le public de son attention et d’ouvrir la discussion sur les questions.

Cela n’a pas été le cas dans les productions initiales des élèves, qui n’ont pas explicité la fin de leurs discours, créant souvent un hiatus dans la situation communicative. La gestion de la parole reste donc un élément à travailler car elle pourrait activer la conscience métalinguistique des orateurs, ainsi que leur autonomie.

b) Alternance linguistique : mise en place et explicitation

Le choix d’utiliser ou pas la langue de spécialité et l’espace dédié à chaque langue appartient au candidat. Néanmoins, le ministère de l’Éducation Nationale32 donne certaines recommandations qui sont souvent prises en compte par les candidats, comme nous le verrons par la suite :

Il faut éviter la confusion et donc le mélange des langues pour le candidat comme pour les examinateurs. On pourra suggérer une utilisation par « blocs » selon le schéma suivant (à titre indicatif) :
Début de la présentation de la question en français afin de faciliter la compréhension de l’examinateur non spécialiste ; suite et fin de la présentation en langue de spécialité ; première moitié de l’échange en langue de spécialité ; seconde moitié de l’échange en français.

Ainsi, l’alternance linguistique a été présente dans la totalité des textes enregistrés lors de cette première phase des productions initiales. Tous les élèves sans exception ont employé les deux langues lors de leur argumentation et nous n’avons pas perçu de difficulté au moment de faire alterner les deux langues. Pareillement, tous les élèves ont réagi correctement lors des interactions avec le jury dans les deux langues et mobilisent la langue sollicitée à tout moment de l’épreuve.

Cependant, nous avons trouvé deux modèles dans la mise en place de l’alternance linguistique : la plupart (17/20) ont suivi le modèle suggéré par les textes officiels, tandis que 3 élèves ont préféré de commencer par l’introduction en basque, en la traduisant juste après.

Cependant, seuls deux élèves ont explicitement indiqué cette alternance au début de leur présentation :

1 : Beraz e : / lehenik e : / hasiko naiz sarrera egiten euskaraz eta : / beharrez fen : / behar baldin badu / (Frantses hiztuna seinalatzen du) frantsesez eginen dut. //
[Traduction : Donc d’abord je vais commencer par l’introduction en basque et s’il le faut, s’il en a besoin (elle pointe le membre non bascophone du jury) je la traduirai.]

11: Beraz eh sartzea frantsesez / gero euskaraz eta ondorioa euskaraz
[Traduction : Donc l’introduction sera en français, la suite en basque et la conclusion en basque]

Ce fait ne surprend pas les enseignantes de spécialité, qui jusqu’à présent n’ont pas privilégié l’explicitation de l’alternance linguistique dans leurs critères ou recommandations pour le GO. Les raisons qui justifient ce choix sont : d’une part, le fait que c’est souvent le jury qui rappelle la formule d’alternance proposée avant de commencer l’examen ; d’autre part, que même dans les cas où cela ne se produit pas, tous les membres du jury ont connaissance de l’alternance officiellement recommandée. Cependant, les enseignantes restent ouvertes à l’idée de prévoir un moment, en dehors de la phase d’argumentation, au début de la prise de parole de l’élève, pour rapidement présenter le déroulement de l’alternance.

Cette dernière idée nous semble pertinente et nous l’encouragerons lors des ateliers, car compte tenu de l’enjeu que la gestion de deux langues implique pour l’élève, prendre un moment pour annoncer le déroulement de l’alternance pourrait entraîner un double effet positif : d’un côté rassurer l’orateur dans son choix et d’un autre côté guider l’attention du jury, ce qui permettra de prévoir les parties qu’il va potentiellement comprendre et ainsi d’anticiper sur ses questions. En fin de compte, même si les recommandations officielles sont connues par tous les participants de la situation de communication leur rappel pourrait contribuer à la fluidité des échanges.

En outre, nous considérons que la pertinence de l’explicitation de l’alternance linguistique ne se limite pas seulement au moment de prendre la parole, mais elle peut servir aussi comme lien entre les parties de l’argumentation, quand celles impliquent un changement de langue.

Dans les textes initiaux, la méthode la plus répandue parmi les élèves pour changer de langue au sein de leur discours est d’employer un connecteur exprimant la conséquence, tel comme « donc » ou « alors ». Voyons un exemple :

5 : landa eremuan bizitzea edo lan egitea maitasunaren adierazgarri da // Eh pour eh : // eh donc en prenant compte des deux côtés / des côtés positifs et négatifs
[Traduction : vivre ou travailler à la campagne est un signe d’amour]

Afin d’adoucir la transition entre les parties du discours et l’alternance des langues, nous proposerons de travailler sur des techniques discursives pour remobiliser l’attention du public, telles que les reformulations et les explicitations : « je vais ensuite traduire la conclusion… ».

c) Présentation du plan et transitions entre phases

La présentation du plan est habituelle et centrale dans certains genres textuels proches au Grand Oral. Dolz et Schnewly33 accentuent l’importance de cet exercice et sa finalité au sein du discours :

Au-delà d’une simple énumération d’idées ou de sous-thèmes, celle-ci remplit ici une fonction métadiscursive rendant transparentes, explicites, tant pour l’auditoire que pour l’exposant, les opérations de planification en jeu. Son efficacité est double, éclairant sur le produit (un texte planifié) et sur le procédé (la planification) en même temps.

Toutefois, les enseignantes consultées indiquent avoir écarté la présentation du plan pour des raisons liées aux contraintes de temps. Il faudrait rappeler que la partie expositive-argumentative de l’élève se limitait à 5 minutes jusqu’au changement annoncé par la note de service du 28 septembre 202334. En vue du doublement du temps prévu pour cette partie, ce critère pourrait varier à partir de la session 2024. Nous soutiendrons cette démarche, qui nous semble pertinente au regard de la nature expositive du genre.

En observant les textes initiaux des élèves, nous n’avons pas trouvé de présentation du plan complet. Pourtant, en ce qui concerne l’argumentation, nous avons remarqué que la plupart des élèves (19/20) ont suivi un plan dichotomique où ils ont exposé les avantages et les inconvénients de la vie à la campagne. C’est justement lors de la mise en place de cette argumentation qu’ils ont utilisé certains outils linguistiques que nous détaillerons par la suite :

La moitié (16) des élèves font une sorte de résumé du contenu de leur argumentation, en présentant les deux parties principales du déroulé. Voyons deux exemples :

2 : je vais tenter de répondre à cette question en traitant : d’abord les mauvais côtés de la campagne et ensuite eh les bons côtés de la campagne.

10 : je vais vous dire eh / je vais vous expliquer / les inconvénients et les avantages de vivre à la campagne /

Cette explicitation, qui se réalise dans la plupart des cas en français (17/20), permet au membre non-bascophone du jury de se faire une idée des arguments principaux que l’orateur exposera ensuite en basque. En même temps, cela pourrait lui donner des pistes pour pouvoir rebondir sur une partie ou une autre lors de la session d’échanges.

d) Citation des références littéraires

Les références littéraires sont un élément constitutif des genres oraux d’argumentation. Dans le cas du Grand Oral, elles peuvent aider à démontrer que l’élève maîtrise le sujet choisi, ainsi qu’à mettre en avant les contenus acquis au sein du programme de spécialité.

Dans ce genre textuel, la citation des documents-sources est souvent utilisée pour renforcer ou illustrer ses arguments, et on peut donc s’attendre à ce que l’orateur les cite au cours de son argumentation. C’est justement un fait que les enseignantes de spécialité soulignent comme élément de différenciation avec l’épreuve orale de spécialité, où les candidats sont appelés à construire une argumentation en partant des documents de référence travaillés en classe.

Néanmoins, dans l’exemple travaillé lors de la session de contextualisation, nous avons pris la décision de citer les documents en français dans la phase d’introduction, afin d’informer le membre non bascophone et lui proposer la possibilité d’approfondir ces documents lors de l’échange.

Voici la formule que nous avons utilisée et qui a été reproduite par plus de la moitié des élèves (13/20) lors de la session initiale :

Pour cela, je vais évoquer trois textes travaillés en classe de spécialité en langue basque : l’interview avec Miren Aire, bergère aux Aldudes, un passage du livre Lekuak de Bernardo Atxaga ; et un passage du roman Basa de Miren Amuriza.

Ce modèle semble pertinent en regardant les critères d’évaluation indicative proposés par l’EN35, où la qualité de l’interaction est évaluée comme très satisfaisante si l’élève « s’engage dans sa parole, réagit de façon pertinente. Prend l’initiative dans l’échange. Exploite judicieusement les éléments fournis par la situation d’interaction. »

Or, le moment d’introduction des références lors du GO bilingue est une pratique qui n’est toujours pas fixée. Même si la présentation en début de texte semblerait pertinente comme exercice de médiation linguistique, les enseignantes de spécialité LLCER langue basque sont partagées sur cette option pour deux raisons principales : d’une part, la citation des documents en début de texte pourrait leur donner une place plus centrale que celle qu’ils sont censés avoir dans le genre. D’autre part, cette pratique n’est pas répandue quand les références sont issues d’une langue ou une culture puissante comme l’anglais ou l’espagnol et par conséquent, on pourrait argumenter que le faire pour la langue basque irait contre le principe d’égalité des langues de spécialité.

Quoi qu’il en soit, il est envisageable que les élèves utilisent des documents de référence qui nécessiteront une traduction ultérieurement dans le texte. C’est pourquoi nous allons ensuite analyser les pratiques des élèves dans les productions initiales, en soulignant le potentiel de ces citations pour la médiation. Nous allons analyser deux aspects : la mention des auteurs et le type de texte.

Comme mentionné lors de l’explication du modèle didactique, trois documents de référence ont été choisis avec la collaboration des enseignantes. Ce sont des textes que tous les élèves ont travaillés en classe et qu’ils sont censés de connaître.

Voici la nature de ces documents :

  1. L’interview avec Miren Aire, bergère aux Aldudes, qui a été publié dans le magazine « Argia ».
  2. Le roman « Basa » (qu’on pourrait traduire par « Sauvage ») écrit par Miren Amuriza, qui raconte l’histoire d’une femme âgée qui veut rester dans sa ferme face à la volonté de ses enfants de l’envoyer dans un EHPAD.
  3. Un extrait du livre « Lekuak » (lieux) de Bernardo Atxaga, l’un des écrivains le plus connus dans la culture basque qui fait dans cet ouvrage une récapitulation de textes qui évoquent les lieux les plus significatifs de sa vie.

Dans le tableau ci-dessous, nous avons rassemblé les citations des trois auteurs :

Tableau 1. Citation des auteurs.
Tableau 1. Citation des auteurs.

Comme indiqué sur les deux premières colonnes (tableau 1), la plupart des élèves ont mentionné les auteurs en employant leur nom complet. Néanmoins, si on regarde la quantité des termes employés pour faire référence à chaque personne, nous pouvons observer que dans le cas de Miren Aire le nombre et la variété sont plus évidentes que pour les deux autres auteurs. Nous pourrions suggérer que des facteurs comme la familiarité ou la proximité géographique avec ces personnes ont pu avoir une influence dans le nombre de citations.

Analysons à la suite les références au type de document :

Par rapport à la mention du type de texte, nous pouvons observer (tableau 2) que le roman « Basa » a été le plus facilement identifié dans les deux langues, tandis que la nature des autres documents a donné lieu à des interprétations plus diverses.

Tableau 2. Citation du type de document.
Tableau 2. Citation du type de document.

Toujours dans le cas de la mention des types de texte, il nous semble important de souligner que le nombre de variations employées pour dénommer les types de texte est plus important en français qu’en basque, notamment pour le document 2. Cela pourrait indiquer une tentative de la part de l’élève de rendre la citation plus accessible au membre non bascophone du jury.

Précisément, l’une des caractéristiques propres au genre textuel du GO, est le temps d’échange avec le jury. Comme précisé lors de la description de l’épreuve (voir § Description de l’épreuve), ce moment dure 10 minutes et chaque membre du jury pose des questions au candidat pour évaluer la solidité de ses connaissances et ses capacités argumentatives. Tenant en compte du profil académique et linguistique de chaque membre du jury, l’élève peut tenter d’anticiper certaines questions qui pourraient lui être posées et, en conséquence, introduire dans son argumentation des pistes pour attirer l’attention de l’un ou de l’autre des membres du jury.

L’une de ces pistes peut être liée à la médiation linguistique et aux documents de référence, puisque l’élève pourrait lors de son discours inviter le jury à solliciter une traduction ou une explication de certains mots en euskara, tels que les titres des ouvrages par exemple.

C’est le cas du deuxième document dans les productions initiales, le roman « Basa ». Le titre de ce document est lié à la problématique et sa traduction pourrait ouvrir le débat sur la pertinence du document. Cela a été le cas lors des questions des productions initiales, lorsque le jury a voulu connaître la signification du titre. Nous détaillons la scène en guise d’illustration :

17 : dans le livre Basa de Miren Amuriza
Jury : donc eh Sabina c’est la protagoniste du livre Basa // Basa ? c’est un mot basque ça ?
17 : oui, Basa ça veut dire sauvage

Dans tous les cas, la citation des références littéraires et leur traduction semblent être un élément à tenir en compte pour la médiation linguistique et culturelle, car elle amène l’élève à se questionner sur le référentiel de ces documents et leurs auteurs, dans un exercice méta-linguistique et plurilingue complexe.

Conclusion

Dans cet article nous avons tenté d’identifier et d’analyser les possibilités que la version bilingue du Grand Oral pourraient susciter lors du travail sur les compétences orales multilingues des élèves dont la langue principale de scolarisation est le basque. Pour ce faire, nous avons analysé les textes produits par les élèves de la spécialité LLCER basque, après avoir reçu une courte formation d’un an avant l’épreuve proprement dite.

Nous avons vu que ces élèves alternent les deux langues sans problème lors d’une production orale formelle. Cependant, certaines caractéristiques propres à ce genre textuel ont encore une marge d’amélioration. Nous avons analysé des exemples concernant la structuration du texte, l’explicitation métalinguistique ou encore la gestion de l’alternance linguistique et ses implications effectives dans la communication.

En tout état de cause, l’analyse effectuée jusqu’à présent nous a permis de confirmer que le genre textuel du Grand Oral, caractérisé et modélisé suivant les principes de l’Intéractionisme Sociodiscursif, ainsi que l’implémentation de l’outil des séquences didactiques, permettent d’analyser les compétences initiales des étudiants et donnent des indices pour procéder à une analyse du genre textuel afin d’identifier des éléments d’amélioration.

Dans les mois à venir, nous continuerons à collaborer avec les enseignantes de spécialité LLCER langue basque afin de concevoir une SD bilingue pour travailler le Grand Oral bilingue. Par rapport à l’emploi des langues lors de la séquence, nous envisageons de proposer que les modules soient majoritairement composés d’activités en langue basque, tout en prévoyant des moments pour que les élèves intègrent ce qu’ils ont appris dans leur répertoire de compétences bilingues. Ainsi, certains moments de l’épreuve évoquée dans cet article seront repris au cours de ce travail et les élèves s’entraîneront dans des situations communicatives similaires à celle qu’ils connaîtront le jour du GO.

Avec ce travail, nous souhaiterions contribuer à l’amélioration des compétences orales des lycéens tout en rendant visibles et en mettant en valeur les compétences plurilingues que ces élèves ont acquises lors de leur parcours en modèle d’immersion en langue basque.

Bibliographie

Ouvrages et articles d’ouvrages

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  • Bronckart J.-P. (1996), Activité langagière, textes et discours : pour un interactionnisme socio-discursif, Lausanne, Delachaux et Niestlé.
  • Charriton H. (2022), « Maîtrise et pratique de la langue basque chez des lycéens bascophones : enquête sociolinguistique dans trois établissements bayonnais », thèse inédite soutenue à l’Université Bordeaux Montaigne.
  • Chiron P. (2018), Manuel de rhétorique, ou, Comment faire de l’élève un citoyen, Paris, Les Belles Lettres.
  • Dolz J., Schneuwly B. (1998), « L’exposé oral », dans Pour un enseignement de l’oral : initiation aux genres formels à l’école, Paris, ESF éditeur, p. 141-157.
  • Dolz J., Schneuwly B. (1998), Pour un enseignement de l’oral : initiation aux genres formels à l’école (6e éd. Pédagogies), Paris, ESF éditeur.
  • Escudé P. (2013), « Histoire de l’éducation : imposition du français et résistance des langues régionales », dans Kremnitz G. (dir.), Histoire sociale des langues de France, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 339-352.
  • Ortega A., Anakabe, M.J. (2015), « Integración de lenguas y áreas desde los proyectos globales: una propuesta de integración de las materias Conocimiento del Medio, Euskera, Lengua Castellana e Inglés », dans Garcia-Azkoaga I. M, Idiazabal I. (dir.), Para una ingeniería didáctica de la educación plurilingüe, Euskal Herriko Unibertsitatea/Universidad del País Vasco, p. 291-320.

Articles de journaux et revues

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  • Dolz J., Gagnon R. (2008), « Le genre du texte, un outil didactique pour développer le langage oral et écrit », Pratiques, 137-138, p. 179-198. https://doi.org/10.4000/pratiques.1159 [consulté 06/2024]
  • Dupont P, Dolz-Mestre J. (2020), « Les genres oraux : quels dispositifs pour apprendre ? », Recherches, 73, p. 9-20.
  • Guérin E. (2020), « Du “petit” oral de la maison au “grand” oral de l’école… », Le français aujourd’hui, 208 (1), p. 107-121. 107-21.  10.3917/lfa.208.0107 [consulté 06/2024]
  • Navarro P. (2023), « Entrevista con Joaquim Dolz: “En cada género y en cada situación hay dimensiones de la oralidad que merecen ser trabajadas” », Oralidad-es, 9, p. 1-11. https://doi.org/10.53534/oralidad-es.v9a1 [consulté 06/2024]
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Sitographie

Podcast audio

Divers

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  • Caillot M., Sidokpohou O. (2023), « La réforme du lycée général et technologique. Rapport à monsieur le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse », Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche.

Notes

  1. Chiron, 2018.
  2. Caillot, Sidokpohou, 2023.
  3. Barret, 2022.
  4. Chiron, 2018.
  5. France Culture (2021), audio.
  6. Guérin, 2020, p. 108.
  7. Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse, 2020.
  8. Ibid.
  9. Ibid.
  10. Ibid.
  11. Escudé, 2013.
  12. Urteaga, 2021.
  13. Urteaga, 2018.
  14. Coyos, 2016.
  15. Charriton, 2022.
  16. Pourqueviventnoslangues ! https://pourqueviventnoslangues.jimdofree.com/manifeste/ [consulté le 13 février 2013].
  17. Altuna Zumeta, Iñarra Arregi, Basurto Arruti, 2022.
  18. Urteaga, 2022.
  19. Navarro, 2023.
  20. Bronckart, 1996.
  21. Dupont, Dolz-Mestre, 2020.
  22. Navarro, p. 7.
  23. Ortega, Anakabe, 2015.
  24. Aldekoa, 2020, p. 43.
  25. Dolz, Gagnon, 2008.
  26. Dolz, Schneuwly, 2009, p. 73.
  27. Ibid., p. 70.
  28. Ibid.
  29. Ibid., p. 94.
  30. Dolz, Schneuwly, 1998.
  31. Bulletin officiel spécial n° 2 du 13 février 2020, Note de service n° 2020-036, 11 février 2020 relative à l’Épreuve orale dite « Grand oral » de la classe de terminale de la voie générale à compter de la session 2021 de l’examen du baccalauréat.
  32. Ibid, p. 46.
  33. Dolz, Schneuwly, 1998.
  34. Bulletin officiel n° 36 du 28 septembre 2023, Note de service du 26-9-2023 relative au Baccalauréats général et technologique. Épreuve orale dite Grand oral de la classe de terminale des voies générale et technologique : modification.
  35. Bulletin officiel spécial n° 2 du 13 février 2020, Note de service n° 2020-036, 11 février 2020 relative à l’Épreuve orale dite « Grand oral » de la classe de terminale de la voie générale à compter de la session 2021 de l’examen du baccalauréat.
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Pau, Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782353110025
ISBN html : 978-2-35311-002-5
ISBN pdf : 978-2-35311-003-2
Volume : 4
ISSN : 2827-1971
Posté le 15/07/2024
20 p.
Code CLIL : 3767; 4093; 4091;
licence CC by SA

Comment citer

Rodriguez-Aguirre, Amaia, Casenave, Jean, Olçomendy, Argia, « Le Grand Oral en modalité bilingue Basque-Français : une opportunité pour améliorer les compétences plurilingues des élèves scolarisés dans le système d’immersion linguistique ? », in : Alkorta, Itziar, Hernández, Yannick, Etxeberria, Urtzi, dir., Mugarteko ingurumena: aldaketa klimatikoa, hezkuntza-testuinguruak eta erronka digital berriak / Environnements transfrontaliers : changements climatique, contextes éducatifs et nouveaux défis numériques / Entornos transfronterizos: cambio climático, contextos educativos y nuevos retos digitales, Pessac, PUPPA, collection Schol@ 4, 2024, 133-153, [en ligne] https://una-editions.fr/le-grand-oral-bilingue-basque-francais [consulté le 15/07/2024].
http://dx.doi.org/10.46608/schola4.9782353110025.13
Illustration de couverture • d’après © Metamorworks / Adobe Stock, T. Ferreira, PUPPA.
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