« Liberté d’expression et représentation de la femme ne font pas nécessairement bon ménage ! » 1 : un bien petit jeu de mot pour décrire un grand problème de société. En effet, si la liberté d’expression est théoriquement garantie à toute personne, tant au niveau européen 2, communautaire 3, que français 4, les femmes ne semblent toujours pas libres de revendiquer leurs idées, leurs envies, leurs choix, et encore moins leurs convictions ; cette revendication étant entendue comme la réclamation de quelque chose qui est considérée comme due 5.
Certes, la liberté d’expression n’est pas une liberté absolue. Elle peut en effet connaître des restrictions lorsqu’elles sont « nécessaires, dans une société démocratique […] » 6. C’est ainsi qu’en France, certaines manifestations d’opinions sont interdites au nom de la protection d’un intérêt spécifique : lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie 7, négation du génocide arménien 8, etc.
Mais C’est ainsi que l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) interdit toute distinction « fondée notamment sur le sexe […] » 9, tout comme l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Pour autant, durant des siècles, les discriminations fondées sur le sexe ont été omniprésentes, les femmes n’étant pas reconnues comme l’égal des hommes en faits comme en droit. Il s’agit bien là de sexisme. Selon Natacha Henry, écrivaine féministe, le sexisme « est une discrimination en fonction du sexe. Dans la très grande majorité des cas, il s’agit d’un traitement différentiel au détriment des femmes » 10. Toujours selon elle, la manifestation du sexisme est toujours très répandue à ce jour, dans des formes variées : commentaires déplacés, dévalorisation, protectionnisme infantilisant, suggestions culpabilisantes…
Pourtant, dès la Révolution française, les premières revendications égalitaristes ont eu lieu. C’est à partir de ce moment que l’on pourrait dater en France l’apparition de ce que l’on appelle aujourd’hui le féminisme, entendu comme étant le « mouvement social qui a pour objet l’émancipation de la femme, l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique » 11.
Cependant, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 12 n’a pas pris en compte ces exigences égalitaires. Aucune référence aux femmes n’y est faite, ni même à leurs droits. C’est pourquoi, en 1791, Olympe de Gouges, célèbre femme politique française, a rédigé à son tour la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne 13. Sa revendication n’a malheureusement pas eu l’effet escompté, puisqu’elle lui aura valu la guillotine. De plus, dès l’entrée en vigueur du Code civil napoléonien en 1804, les revendications des femmes ont été écrasées.
Revendications après revendications, les femmes ont pu acquérir des droits qui paraissent aujourd’hui naturels. Le législateur a répondu successivement à ces revendications : en 1907 14 en permettant aux épouses de disposer librement de leur salaire, en 1909 15 avec la création des congés maternité et en 1920 16 en accordant le droit syndical aux femmes mariées. Cependant, l’étape importante a évidemment été la reconnaissance du droit de vote aux femmes. En France, il a été acquis le 21 avril 1944 17 ; à savoir un siècle après l’instauration du suffrage universel masculin.
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les revendications féministes prirent de l’ampleur. C’est avec la Constitution du 27 octobre 1946, notamment l’alinéa 3 de son préambule qui dispose que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme », que l’émancipation sociale, politique, syndicale et professionnelle des femmes a réellement débuté.
Une revendication a toujours fait débat et semble encore être controversée aujourd’hui, à savoir le droit des femmes de disposer librement de leur corps. En effet, en comparaison avec la reconnaissance des autres droits, les droits relatifs aux corps des femmes n’ont été reconnus que très tardivement. Ce n’est qu’en 1967 18 que la France autorisera les moyens de contraception (préservatifs, pilule contraceptive pour les femmes dont l’accouchement présente un risque pour elle ou l’enfant…). Ce n’est qu’en 1974 19 que la France permettra la distribution de la pilule contraceptive à toutes les femmes. Et ce n’est qu’en 1975 20, à l’initiative de Simone Veil, alors ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, que la France légalisera l’avortement.
Pourtant, depuis les premières revendications pour la reconnaissance de l’égalité, les femmes ont utilisé leur corps pour manifester leurs idées. C’est ainsi que dès la Révolution française, Marianne est devenue la figure symbolique de la République française. Icône de la liberté et de la démocratie, son profil apparait sur de nombreux documents officiels, sur les timbres et sur les pièces de monnaie. Pourtant, la représentation la plus connue de Marianne est celle du peintre Eugène Delacroix dans son œuvre La liberté guidant le peuple, où l’allégorie de la République est représentée avec l’un de ses seins nu. Pour autant, la libre disposition de leur corps par les femmes n’est toujours pas acquise aujourd’hui. Si les femmes ne peuvent encore à ce jour disposer librement de leur corps (arrêtés anti-topless, arrêtés anti-burkini, censure du corps de la femme sur les réseaux sociaux…), elles peuvent encore moins l’utiliser pour revendiquer leurs idées.
Cette problématique est intrinsèquement liée à celle de la sexualisation du corps des femmes. Dès le plus jeune âge, un grand nombre de parties du corps de la femme sont considérées comme sexuelles, notamment les seins. C’est ainsi que dès le collège, les débardeurs, les chemisiers décolletés sont des vêtements interdits pour les filles. En effet, la plupart des règlements des établissements scolaires imposent désormais une « tenue correcte ». Mesure éminemment emprunte de sexisme, elle a pourtant été confortée par le Gouvernement en place, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation, ayant prôné le port de la « tenue républicaine » à l’école. Cette sexualisation du corps de la femme est la cause de la réticence de la France à établir et faire respecter le droit de la femme de disposer de son corps.
Ainsi, quelles que soient les convictions que veulent affirmer les femmes avec leur corps, qu’elles soient matérielles comme intellectuelles, qu’elles soient individuelles comme collectives, qu’elles soient politiques ou non, c’est le moyen de revendication qui sera pointé du doigt, sans que la revendication elle-même ne soit réellement prise en compte. La revendication des idées par les femmes au moyen de leurs corps semble poser problème en France, notamment lorsqu’il s’agit de revendiquer des convictions politiques. Nous prendrons alors deux exemples : la revendication politique de Madame Corinne Masiero à la cérémonie des César ainsi que les revendications du mouvement Femen.
I- L’exemple de la revendication politique de Corinne Masiero
Le vendredi 12 mars 2021 s’est tenue la 46e cérémonie des César. Réputée pour mettre en scène les acteurs durant les séquences de remise des prix, cette cérémonie a permis plusieurs revendications, notamment politiques. C’est ainsi que la comédienne Corinne Masiero a « marqué les esprits en ôtant un costume de Peau d’Âne ensanglanté, se retrouvant entièrement nue » 21. En effet, cette cérémonie a été l’occasion pour plusieurs membres de la communauté du cinéma français de mettre en avant leurs revendications et leurs préoccupations en lien avec l’impact de la crise sanitaire sur le monde de la culture. Pour se faire, Corinne Masiero a remis le prix du meilleur costume, entièrement nue, avec écrit sur le ventre « No culture, no future » et sur le dos « Rends nous l’art, Jean ». Cependant, beaucoup de personnalités, du monde politique comme du monde de la culture, ont considéré qu’il s’agissait purement et simplement d’une exhibition sexuelle. Mais la question se pose alors de savoir si l’exhibition peut être réprimée lorsque le but n’était pas de montrer ses organes génitaux en public 22, mais bien de revendiquer une opinion politique. En effet, par la démonstration de cette conviction, Corinne Masiero n’a fait que « réclamer ce qui est considéré comme revenant de droit, comme dû, comme indispensable » 23. Elle n’a donc fait que revendiquer une idée politique avec son corps.
Comment considérer qu’il s’agit d’exhibition sexuelle au sens de l’article 222-32 du Code pénal ? Cet article dispose que « L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende », sans définir ce qu’est l’exhibition sexuelle. Ainsi, si le qualificatif « sexuelle » renvoie à ce « qui a rapport au sexe » 24, l’exhibition sexuelle renvoie à ce « qui concerne la sexualité, les comportements liés à la satisfaction des besoins érotiques, à l’amour physique » 25. Cet article se trouvant dans la section du Code pénal relative aux « agressions sexuelles », l’exhibition sexuelle doit être appréhendée en tant que perversion sexuelle. L’élément moral doit donc être compris comme l’attitude psychologique de la personne qui exhibe son sexe ou toute partie du corps sexuellement signifiante aux fins d’en tirer une satisfaction quelconque. Ainsi, l’élément moral du délit d’exhibition sexuelle correspond à la conscience et la volonté d’exhiber son sexe ou ses seins dans un lieu public accessible aux regards du public, puisque « la simple nudité d’un individu sans atteinte provocante ou obscène ne suffit pas à constituer le délit reproché ». Dans le cas d’espèce, le but de Corinne Masiero n’était pas de provoquer ou d’agir de manière obscène. Il s’agissait simplement d’une revendication politique comme une autre : « l’idée était de montrer qu’on était à poil, il fallait vraiment le faire sinon ça n’a aucun sens » 26. Son but n’était donc pas d’imposer son corps mais de faire passer un message par la « manière forte ».
Toutefois, malgré ces éclairages pourtant évidents, cette revendication politique ne semble toujours pas faire l’unanimité. En ce sens, Julien Aubert, ancien député de la 5ème circonscription du Vaucluse, a pu s’exprimer sur le réseau social Twitter avec ces mots : « j’interpelle le procureur de la République de Paris sur la scène d’exhibition de Mme Corinne Masiero », avec le soutien d’une dizaine de parlementaires membres du mouvement Oser la France. Il s’agit ainsi d’une « démarche suggérant que pour eux, la nudité des femmes serait toujours considérée comme sexuelle, et devrait être interdite toute manifestation politique ou artistique » 27.
Pourtant, ce que ces politiques considèrent comme de l’exhibition sexuelle semble déranger lorsqu’il s’agit d’une femme qui utilise son corps pour revendiquer une idée politique, mais pas lorsqu’il s’agit d’un homme. Est-il vraiment nécessaire de rappeler le nombre d’hommes qui se sont mis en scène nus, à la télévision, et même précisément à la cérémonie des César, pour revendiquer une idée politique ou seulement pour faire rire ? Pour ne citer qu’un seul exemple, dans le même contexte, dans les mêmes circonstances, nous pourrions évoquer la revendication de Sébastien
Thiéry lors de la cérémonie des Molières de 2015, cérémonie au cours de laquelle l’auteur s’était entièrement dénudé pour dénoncer la discrimination sociale contre les auteurs de l’écrit, privés de chômage. Cependant, dans ce cas, la scène a fait rire. Le public a applaudi la prestation. Et aucune plainte pénale n’a été déposée à son encontre.
Ainsi, l’accusation des parlementaires à l’encontre de Corinne Masiero n’est pas fondée. C’est ce qu’a d’ailleurs retenu le Procureur de la République de Paris, Rémi Heitz, qui a classé sans suite le signalement. Dans sa réponse du 22 mars 2021, le Procureur de la République explique en effet que « le comportement de la prévenue s’inscrivait dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination […] aurait constitué une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ». Ainsi, il estime que « au regard de la démarche poursuivie par l’intéressée, qui souhaitait attirer l’attention du public sur les difficultés actuelles rencontrées par les professionnels du spectacle, une poursuite serait inopportune », et souligne par ailleurs qu’elle serait « vouée à l’échec au regard de la jurisprudence récente de la Cour de cassation ».
En effet, récemment, la Cour de cassation a rendu une jurisprudence favorable aux démarches de protestation politique puisqu’elle a définitivement validé la relaxe d’une ancienne militante Femen, Iana Zhdanova, pour sa revendication seins nus au musée Grévin en 2014 28.
II- L’exemple des revendications des Femen
Groupe féministe d’origine ukrainienne, fondé à Kiev en 2008 par Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Oleksandra Schevchenko, ses membres sont connues à l’international pour leurs actions seins nus avec des slogans écrits sur le corps, leur but étant de défendre activement les droits des femmes. Sans surprise, ce moyen de revendication est controversé, notamment en France, pays où les seins sont considérés comme une « zone érogène » 29, à savoir des zones susceptibles de provoquer une excitation sexuelle si elles sont stimulées. Cependant, scientifiquement, il a été prouvé non seulement que les seins ne sont que des zones érogènes secondaires, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas des zones génitales, mais également que les femmes et les hommes possèdent les mêmes zones érogènes 30 ! Ainsi, comment justifier que l’on interdise à une femme d’utiliser ses seins comme moyen de revendication, alors que les hommes peuvent s’exposer torse-nu sans que cela ne dérange. Pourquoi ne pas considérer et apprécier de la même manière des parties du corps similaires chez la femme et l’homme ?
C’est ce que semble prendre en considération la Cour de cassation depuis peu 31. En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation apprécie in concreto la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression. Pour autant, dans une affaire de 2019, la Cour considérait que la prévenue avait « volontairement dénudé sa poitrine dans une église qu’elle savait accessible aux regards du public, peu important les mobiles ayant, selon elle, inspiré son action » 32. En l’espèce, deux libertés s’opposaient : la liberté d’expression d’une part, et la liberté de pratiquer sa religion d’autre part. Au regard des faits et des circonstances, notamment parce que la prévenue n’avait pas fait que dévoiler sa poitrine, mais avait également simulé un avortement sur l’autel à l’aide de morceaux d’abats, l’appréciation opérée par la Cour semble juste.
La Cour d’appel de Paris, tout comme le tribunal correctionnel, s’était prononcé en faveur de la condamnation de la prévenue du fait de son exhibition sexuelle. Cette dernière s’est pourvue en cassation. Cependant, contrairement à l’arrêt de 2020 33, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, considérant que la décision de la Cour d’appel « n’a pas apporté une atteinte excessive à la liberté d’expression de l’intéressée, laquelle doit se concilier avec le droit pour autrui, reconnu par l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme, de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion » 34.
Or, en 2020, la Cour de cassation, qui a eu l’occasion de se prononcer sur une revendication similaire, a fait évoluer sa jurisprudence en la matière, avec l’affaire du musée Grévin. Rappelons brièvement l’affaire en cause. Le 5 juin 2014, Iana Zhdanova, membre des Femen, s’est présentée au musée Grévin, à Paris, dans la salle des « chefs d’État », exposant sa poitrine avec l’inscription « Kill Putin ». Faisant tomber la statue de Vladimir Poutine et y plantant à plusieurs reprises un pieu métallique en déclarant « Fuck dictator, fuck Vladimir Poutine » ; elle est interpellée. Elle a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour exhibition sexuelle et dégradations volontaires du bien d’autrui. Déclarée coupable de ces deux délits, elle est condamnée à une amende de 1500 euros. Toutefois, la prévenue et le ministère public font appel de ce jugement. La Cour d’appel de Paris la relaxe du chef d’accusation d’exhibition sexuelle, au motif que le délit ne peut être constitué en l’absence « de tout élément intentionnel de nature sexuelle ». Ainsi, la Cour d’appel semble faire une appréciation stricte de l’article 222-32 du Code pénal. En effet, cet article ne définit pas l’exhibition sexuelle. Il faut donc se référer à une définition littérale, à savoir que l’exhibition sexuelle renvoie à la sexualité et aux comportements liés à la satisfaction des besoins érotiques. On comprend alors aisément que l’élément moral du délit doit être compris comme l’attitude psychologique de la personne qui exhibe son corps aux fins d’en tirer une satisfaction sexuelle. La simple nudité d’un individu, sans atteinte provocante ou obscène, ne peut suffire à constituer ce délit. Cependant, la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas fait la même interprétation, puisqu’elle a cassé et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris nouvellement composée 35.
La Cour d’appel de Paris s’est prononcée à nouveau dans le même sens, et elle est même allée plus loin : elle considère non seulement que « l’intention exprimée était dénuée de toute connotation sexuelle » et ne visait « pas à offenser la pudeur d’autrui » ; mais surtout que l’exhibition relevait « de la manifestation d’une opinion politique, protégée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Le procureur général près la Cour d’appel de Paris se pourvoit en cassation. La Cour fait ainsi jouer l’effet justificatif de l’article 10 de la Convention européenne. C’est d’ailleurs sur ce fondement que l’affaire de 2019 a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme sur le fait de savoir si l’atteinte portée à la liberté d’expression était nécessaire. C’est ainsi que la Cour de cassation est amenée une nouvelle fois à se prononcer sur le cas d’une revendication politique au moyen du corps de la femme. Or, la Cour fait une interprétation contestable du Code pénal, en considérant que la seule exhibition de la poitrine d’une femme entre dans les prévisions du délit d’exhibition sexuelle même si l’intention exprimée par l’auteur est dénuée de toute connotation sexuelle. Elle considère en effet que : « C’est à tort que la cour d’appel a énoncé que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle » 36.
Pourtant, pour que ce délit soit caractérisé, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’une intention sexuelle était nécessaire, notamment parce que cet article se trouve dans la section 3 du Code pénal relative aux agressions sexuelles. Toutefois, en l’espèce, elle apprécie de façon très large, peut-être trop, l’intention en cause. D’autant qu’elle ne contredit pas expressément les motifs de la Cour d’appel de Paris. Cette interprétation pourrait alors être remise en cause au regard du principe de légalité des délits et des peines, protégé par les articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme, du fait de l’imprécision du délit d’exhibition sexuelle.
Par ailleurs, elle considère que « l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors qu’il résulte des énonciations des juges du fond que le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ». De ce fait, elle rejette le pourvoi et fait ainsi jouer, tout comme la Cour d’appel, l’effet justificatif 37 de la Convention européenne pour protéger les protestations politiques quel que soit le mode de revendication.
En effet, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme est susceptible de produire un effet justificatif. Il dispose notamment que « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. […] ». Pour cela, la Cour de cassation fait référence à la nature et au contexte de l’agissement en cause. Ainsi, selon les circonstances de l’espèce, pour certaines revendications, l’article 10 de la Convention pourra produire un effet justificatif, tandis que pour d’autres, non.
Ainsi, on constate que depuis peu, la Cour de cassation s’efforce de faire une appréciation in concreto, non seulement des circonstances de l’exhibition sexuelle (notamment en prenant en compte le lieu, le public…), mais également des revendications politiques (en 2019, la revendication se heurtait à la liberté de religion, tandis qu’en 2020, la revendication ne se heurtait à aucun autre droit ou liberté). Certes, l’appréciation de la constitution de l’élément moral du délit d’exhibition sexuelle demeure contestable au regard de l’article du Code pénal ; mais la Cour de cassation semble opérer désormais une réelle appréciation afin de protéger le droit pour les femmes de revendiquer leurs idées avec leur corps. La future décision de la Cour européenne des droits de l’homme, saisie de l’affaire de 2019, permettra certainement, et il faut l’espérer, de clarifier un peu plus le régime juridique applicable à ces actions de revendication.
Bibliographie
ARLIN (Ph.), Sexuellement incorrect, Paris, Éditions de La Martinière, 2017.
CONTE (Ph.), MAISTRE DU CHABON (P.), Droit pénal général (7e édition), Paris, Armand Colin, 2004.
Sitographie
HENRY (N.),« La liberté d’expression s’arrête où commence la violence », L’Humanité, 13 décembre 2004, consultable en ligne : https://www.humanite.fr/la-liberte-dexpression-sarrete-ou-commencela-violence-318592
MASIERO (C.),« Faut arrêter de se foutre des artistes. Et de tout le monde », Interview donnée à MédiaPart, 17 mars 2021, consultable en ligne : https://www.mediapart.fr/journal/france/170321/ corinne-masiero-faut-arreter-de-se-foutre-des-artistes-et-de-tout-le-monde
Observatoire de la liberté de création, L’observatoire de la liberté de création soutient Corinne Masiero contre l’ordre moral sexiste, 18 mars 2021, Ligue des droits de L’homme, consultable en ligne : https://www.ldh-france.org/lobservatoire-de-la-liberte-de-creation-soutient-corinnemasiero-contre-lordre-moral-sexiste/
SOUVANSLASY (L.), « César 2021 : « débile », « ridicule », « à pleurer »… La 46e cérémonie sous les critiques », Midi Libre, 17 mars 2021, consultable en ligne : https://www.midilibre.fr/2021/03/17/cesar-2021debile-ridicule-a-pleurer-la-46e-ceremonie-sous-les-critiques-9433473.php
Notes
- Seban & Associés, « Liberté d’expression et représentation de la femme ne font pas nécessairement bon ménage ! », consultable en ligne : https://www.seban-associes.avocat.fr/liberte-dexpressionrepresentation-de-femme-ne-necessairement-menage/
- Conv. EDH, art. 10 §1, « Liberté d’expression ».
- CDFUE, 7 déc. 2000, art. 11, « Liberté d’expression et d’information ».
- DDHC, art. 11.
- CNRTL, entrée : « revendiquer ».
- Conv. EDH, art. 10 §2, « Liberté d’expression ».
- Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, JORF, n° 0162, 14 juillet 1990.
- Loi n° 2001-70 du 29 janvier 2009 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, JORF, n° 0025, 30 janvier 2001.
- Conv. EDH, art. 14, « Interdiction de discrimination ».
- HENRY (N.), « La liberté d’expression s’arrête où commence la violence », L’Humanité, 13 décembre 2004.
- CNRTL, entrée : « féminisme ».
- Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 26 août 1789.
- Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 5 septembre 1791.
- Loi du 13 juillet 1907 relative au libre salaire et contribution des époux aux charges du ménage, JORF, 16 juillet 1907.
- Loi du 27 novembre 1909 garantissant leur travail ou leur emploi aux femmes en couches, JORF, 28 novembre 1909, p. 11386.
- Loi du 12 mars 1920 sur l’extension de la capacité civile des syndicats professionnels, JORF, 14 mars 1920.
- Ordonnance du 21 avril 1994 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération, JORF, 22 avril 1944.
- Loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L. 648 et L. 649 du code de la santé publique, JORF, 29 déc. 1967.
- Loi n° 74-1026 du 4 décembre 1974 portant diverses dispositions relatives à la régulation des naissances, JORF, 5 déc. 1974.
- Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, 18 janvier 1975.
- SOUVANLASY (L.), « César 2021 : « débile », « ridicule », « à pleurer » … La 46e cérémonie sous les critiques », Midi Libre, 17 mars 2021.
- CNRTL, entrée : « exhibition sexuelle ».
- CNRTL, entrée : « revendiquer ».
- CNRTL, entrée : « sexuelle ».
- CONTE (P.) et MAISTRE DU CHAMBON (P.), Droit pénal général, (7e éd.) Armand Colin, 2004.
- Interview de Corinne Masiero, Mediapart, 17 mars 2021.
- Ligue des droits de l’homme, L’observatoire de la liberté de création soutient Corinne Masiero contre l’ordre moral sexiste, communiqué de l’Observatoire de la liberté de création, 19 mars 2021.
- Cass. crim., 26 février 2020, n° 19-81.827.
- ARLIN (P.), Sexuellement incorrect, Libérez votre désir le sexe n’a pas de genre, préf. LAHAIE (B.), 2017, Éditions de La Martinière, 256 p.
- Ibid.
- Cass, crim., 26 février 2020, n° 1 9-81.827.
- Cass, crim., 9 janvier 2019, n° 17-81.618.
- Cass, crim., 26 février 2020, n° 19-81.827.
- Ibid.
- Cass, crim., 10 janvier 2018, n° 17-80.816.
- Ibid.
- ROETS (D.),« De l’exhibition de sa poitrine par une femme comme mode d’expression politique : les Femen sauvées par l’effet justificatif de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme », Gazette du Palais, n° 11, mars 2020, p. 16.