Par nature transdisciplinaire1, l’ethnoscénologie promeut une pratique inclusive et contemporaine dans l’étude des arts vivants et performatifs. Elle réfléchit à un ensemble d’outils et de méthodes dans l’articulation de ses objets de recherche et s’intéresse à de nouvelles perspectives en matière d’enquête de terrain2. Consciente de l’aspect insaisissable des objets étudiés en ce qu’ils incarnent des pratiques vivantes et éphémères3, l’ethnoscénologie apporte un regard transdisciplinaire et réflexif visant à établir de nouveaux savoirs esthétiques, théoriques et épistémologiques qui permettent d’opérer un point de vue situé4, essentiel aux fondements théoriques de la pensée queer5. Comme exposé par Nathalie Gauthard, fondatrice de la Société Française d’Ethnoscénologie, « cette étude des pratiques actives a pour fonction, en particulier dans un contexte de “regard inégal”, de dépasser l’ethnocentrisme fidèle à sa posture postcoloniale et inclusive de départ6 ». Se focalisant sur la connaissance des praticien.nes, les méthodes d’enquête considèrent la posture active de l’ethnoscénologue, parfois practicien.ne. En outre, cette discipline accorde une attention particulière aux pratiques performatives identifiées au cœur des stratégies d’empouvoirement7 des minorités sexuelles et de genre.
Les spécificités épistémiques de l’ethnoscénologie permettent d’intégrer, entre autres, des approches qui se développent peu à peu en France telles que la recherche-création. Convoquant à la fois recherche académique et pratique artistique, la recherche-création considère le processus de création comme une partie intégrante de l’activité de recherche. Selon Pierre Gosselin, elle se décline en deux types de pensées sans cesse soumis à des allers-retours réflexifs : l’expérientiel, entendu comme la subjectivité de la pensée via la pratique artistique, et le conceptuel, en tant qu’objectivité de la pensée par l’analyse scientifique8. C’est dans cette démarche que l’observation photographique est employée : le processus itératif de la recherche-création par la photographie opère un dialogisme entre les créations artistiques produites sur le terrain et les réflexions théoriques/conceptuelles générées par leur analyse. La photographie favorise non seulement l’immersion de terrain par sa pratique artistique, mais elle ouvre également des perspectives épistémologiques dont l’objectif est, in fine, d’élaborer de nouveaux savoirs à travers l’objectivation de données d’expériences subjectives. Dans un contexte de recherche et de création, l’appareil photographique apparaît comme un instrument transdisciplinaire et réflexif qui allie méthode ethnographique, production artistique et étude des arts vivants et performatifs. Il enrichit les données de terrain et permet de les retranscrire sous d’autres formes de supports que les notes écrites. Si les entretiens ethnographiques permettent de donner voix aux concerné·es, la photographie ethnographique peut donner vie aux représentations observées et contribuer à leurs circulations mémorielles. À la croisée des études queer et de l’ethnoscénologie, le processus d’observation photographique est ainsi présenté comme une pratique située, réflexive et interdisciplinaire. Après une brève présentation typologique du terrain d’enquête situé à Paris et Bordeaux, les qualités de cette démarche seront justifiées par ses caractéristiques épistémologiques. Ses fonctions de revalorisation symbolique, l’application de protocoles participatifs et son potentiel de production d’archive vivante seront présentés.
L’enquête de terrain s’est déroulée entre 2019 et 2023, à Paris et Bordeaux au sein de vingt espaces organisant des évènements drag. Ces bars associatifs, salles de spectacles et boîtes de nuit sont situés en rive droite parisienne, dans le centre ancien bordelais et en périphérie de ces villes. Les lieux étudiés dans le cadre de cette recherche ne constituent pas une cartographie exhaustive des scènes drag parisiennes et bordelaises car la contamination, entendue comme émulation et profusion des pratiques drag9 rend leur traçabilité complexe. Les espaces ont été sélectionnés selon plusieurs critères : les recommandations de mes informateur·ices, les scènes sur lesquelles ces dernier·es performaient et la promotion des évènements sur les réseaux sociaux. Les observations de terrain ont donc eu lieu au sein d’évènements drag-queens, drag-queers et drag-kings à l’issue desquels 18 entretiens semi-directifs ont été menés.
Une typologie du drag contemporain
Par l’usage de l’humour et de l’extravagance, les performances drag déstabilisent l’ordre normatif selon lequel le sexe et le genre seraient indissociables et mettent en lumière les mécanismes culturels qui en maintiennent le contrôle hétéronormatif10. Entendues comme des résistances performatives éminemment politiques, les pratiques dragsont multiples ets’appliquent à la définition d’un :
« sujet queer », forcément « mauvais élève » anti-assimilationniste et « out », qui cherche à exploiter les ressources de la marge et reste attentif aux discriminations, que celles-ci se produisent à l’extérieur ou à l’intérieur de la communauté politico-sexuelle dont il se réclame11.
Le travestissement performatif a établi des outils de résistance qui ont participé à la théorisation d’un savoir queermilitant et anti-hégémonique12 et se perpétue dans l’expression de pratiques drag subalternes (drag-kings, drag-queers). Néanmoins, la médiatisation récente des drag-queen révèle une dépolitisation croissante de cette pratique.
Drag-queens
Les drag-queens, dont les pratiques sont les plus populaires, sont généralement performées par des hommes cisgenres13 qui incarnent avec dérision une féminité exacerbée. L’art drag-queen, qui connaît depuis la fin des années 2000 un succès médiatique sans précédent, doit sa popularité à la télé-réalité américaine Ru Paul’s Drag Race. L’émission met en scène des concurrentes s’affrontant dans des défis artistiques pluridisciplinaires au sein desquelles l’incorporation de normes hégémoniques constitue les codifications du drag populaire. Au détriment des revendications militantes, pourtant initialement associées aux fondements du mouvement queer14, les drag-queens s’inscrivent progressivement au sein de dynamiques néo-libérales. L’enjeu croissant de la professionnalisation et de la compétitivité entre les artistes performeur.ses se traduit par le développement massif d’évènements drag (drag-shows, compétitions, brunch animés, cabarets…). Ces derniers ciblent de plus en plus des publics mixtes et détenteurs de forts capitaux économiques.
Drag-kings
Parallèlement, les drag-kings ne bénéficient pas de la même visibilité ou professionnalisation que les drag-queens. S’ils déplorent leur exclusion médiatique, leur invisibilisation intra et extra-communautaire est significative des inégalités systémiques et de l’effacement médiatique/géographique des espaces dédiés aux minorités sexuelles et de genre. Bien moins nombreux que les bars et scènes dits gays, les espaces queer et lesbiens à Paris survivent par leur non-mixité ou mixité choisie qui demeurent le plus souvent autogérés. Couramment considérés comme des femmes cisgenres se travestissant en homme, les drag-kings s’avèrent être majoritairement des hommes trans ou des personnes non-binaires dont les performances, le plus généralement politisées, diffèrent des codes hégémoniques des drag-queens. Comme l’explique Clark Pignedoli15, considérer le sexe et le genre d’assignation comme point de départ du drag-king reviendrait à réitérer la croyance selon laquelle le drag détiendrait une « base biologique » tout en invisibilisant l’autodétermination des personnes qui se sont dés-identifiées de leur sexe et de leur genre d’assignation. Fondées sur l’incorporation d’esthétiques davantage subordonnées16, les pratiques drag-king représentent alors des « espaces de brèche »17 où la (re)construction de son propre genre et des masculinités plurielles devient possible.
Drag-queers
Par l’expression d’esthétiques hybrides et/ou circassiennes, les drag-queers incarnent de nouvelles formes de travestissement performatif. À l’issue des observations menées sur les lieux d’enquête, il est en effet possible de témoigner de l’émergence de cette catégorie. Si les drag-queers s’étendent à un champ large de possibilités de travestissement, iels peuvent être identifiés par la réappropriation de certains codes du drag populaire, tout en s’émancipant d’une imitation binaire et/ou hégémonique du genre. Ces dernier·es incarnent des êtres hybrides, recourent à l’expression de créatures mythologiques, animales ou encore végétales18 et sont majoritairement observés dans des espaces subalternes issus de la culture techno19.
Lors de l’enquête de terrain, les nombreuses sollicitations médiatiques résultant de la popularisation des spectacles drag ont significativement minimisé les opportunités de prises de contact avec les artistes. En tant que chercheure non-performeuse, le dépassement du statut de spectatrice acquis lors des premiers pas en observation flottante20 se limitait à une observation passive des performances. N’ayant pas accès aux coulisses des représentations, il était impératif de pouvoir accéder à des espaces plus intimistes de mon terrain pour établir un véritable recueil de données. Si les interactions recherchées ne pouvaient être résolues par l’exercice de l’observation participante à travers la pratique drag, l’outil empirique de l’observation photographique a permis d’obtenir une posture participative sur le terrain.
L’observation photographique comme point de départ épistémologique situé
Entretenir une relation affinitaire avec les acteur.ices de son terrain de recherche représente un facteur essentiel dès lors qu’il limite les risques de désinformation et/ou d’exotisation de groupes socialement marginalisés et opprimés. La production d’un savoir queer requiert donc inéluctablement la présence d’un terrain et/ou d’une expérience affinitaire vécue ou partagée21.
Si la production d’archives visuelles s’intègre pleinement au protocole de recueil de données, elle peut également être utilisée à des fins performatives. Par un usage mi-artistique mi-documentaire, elle autorise non seulement l’acquisition d’un statut d’observant·e-pratiquant·e et le dépassement de la posture de spectacteurÊice, mais permet aussi une immersion facilitée au terrain qui autoriserait l’accès à certains espaces sélectifs. Cette méthode, applicable aux terrains sensibles22 contourne de fait le risque de se confronter aux positions réfractaires de certaines personnes à divulguer des informations au profit des sciences sociales, souvent considérées d’essentialisantes23 et susceptibles d’entrainer des rapports pouvoir/savoir24. Le sociologue Emmanuel Beaubatie évoque à ce propos l’entremêlement potentiel de la méfiance envers l’expertise professionnelle des personnes enquêtées avec la trajectoire située du/de la chercheur.e25. Dans une perspective féministe, la théorie des savoirs situés défend l’idée que la construction des savoirs provient inévitablement de l’expérience, et qu’il est nécessaire d’en prendre conscience pour l’intégrer comme point de départ épistémologique. En se « positionnant », le/la chercheur.e entame une démarche réflexive sur sa propre expérience. Sandra Harding définit ce « principe de réflexivité »26 comme un processus d’objectivation du sujet connaissant qui, ajouté au « principe d’étrangeté » (partir d’une position minoritaire), maximiserait l’objectivité. C’est ce qu’elle nomme l’objectivité forte : « l’idée d’objectivité forte conceptualise l’intérêt qu’il y a à placer le sujet de connaissance dans le même plan critique et causal que l’objet de son enquête »27. Cette théorie se situe aux fondements de la « science de relève » (« successor science »28) car elle favorise les points de vue minoritaires des femmes et autres individus marginalisés par les institutions dans le but de produire des savoirs plus pertinents et moins discriminants. L’objectivité forte serait ainsi une science réflexive, ouverte à la critique épistémique et attentive à ses conditions de production, sans négliger les rapports de pouvoir qui en découlent.
À l’instar de cette approche, la démarche à mi-chemin entre la photographie documentaire et l’enquête ethnographique peut donc être considérée comme un « mode d’approche et une condition d’acceptation sur un temps long »29 qui laissent aux enquêté·es la possibilité d’attribuer au/à la chercheure un rôle, une fonction à leur présence30. La photographie ethnographique peut ainsi être employée comme un témoignage, dont l’appareil est un médium qui satisfait à la fois le processus scientifique et les intentions/attentes des enquêté·e·s. Par cela, le recueil d’archives visuelles résulte – à l’instar du savoir queer – d’un processus ambivalent qui peut s’exercer tant bien dans une démarche artistique qu’universitaire.
Les questionnements méthodologiques suscités par la mise en pratique de la photographie ont donné lieu à la théorisation de ses qualités transdisciplinaires ainsi que l’établissement de protocoles précis, dont l’ensemble des procédés donnent lieu au processus d’« observation photographique »31.
Particulièrement collaboratives, les fonctions de l’observation photographique ont premièrement été établies dans le but d’éliminer les rapports hiérarchiques dans la relation chercheur·e/informateur·ice. De fait, par la constitution d’un échange artistique entre l’enquêteur·ice et l’enquêté·e, les rôles et statuts de chacun·e s’ouvrent à une relation égalitaire : l’usage de la photographie peut susciter un sentiment de validation chez les informateur·ice·s qui tend à l’émergence de biais de confirmation ; l’informateur·ice ne se pense plus sujet mais modèle, voire muse. Également envisagée comme une forme de contre-don, la photographie favorise la complicité et l’accord d’entretiens qualitatifs, et remplit une fonction de « revalorisation symbolique »32 qui participe pleinement à la représentation des identités queer33.
Dans le cadre d’une enquête de terrain, les photographies sont amenées à être réalisées dans des conditions fluctuantes qui exigent, selon les contextes, des protocoles adaptés. À la croisée de l’observation participante et de la participation observante, il a été possible d’identifier trois fonctions qui résultent d’une démarche réflexive et participative :
- La documentation collective : le rôle de l’enquêteur·ice est de photographier l’ensemble du terrain pendant le déroulé de l’évènement étudié et de participer à la communication visuelle des personnes impliquées : effectuer des portraits avant les représentations, immortaliser les répétitions, les moments en coulisses et enfin les performances devant le public. Ces clichés deviennent des supports de communication des collectifs et de leurs évènements. Dans ce sens, la possibilité d’accéder aux véritables « coulisses » des évènements permet l’analyse esthétique des pratiques performatives contemporaines mais aussi l’observation d’interactions intra-communautaires.
- La collaboration individuelle : cette fonction est plutôt utilisée dans des conditions de contre-don et de demande d’entretien, ou bien d’anticipation de ceux-ci à l’occasion d’une première rencontre lors d’une représentation. La collaboration individuelle a pour but de faciliter de futurs échanges et de nouer une relation artistique avec les potentiel·le·s informateur·ices. Ce processus peut également contribuer à la communication visuelle des artistes photographié·es.
- La participation indirecte : les clichés de l’enquêteur·ice sont diffusés sans son intervention directe, et parfois ni sans celle des modèles concerné·es. Les photographies sont récupérées et partagées dans des articles journalistiques en tant que supports visuels pour des annonces de représentations, sur les réseaux par des organisateur.ices d’évènements queer, ou encore exposées dans le cadre d’évènements queer et/ou drag. Cette fonction traduit le potentiel de circulation de la production ethno-artistique, véritable archive vivante créée in-situ.
Ainsi, la mise en pratique de ces protocoles invite à mener un travail réflexif34, méthodologique et hybride35 sur la production analytique d’une démarche artistique. En incitant les artistes-chercheur·es à explorer leur terrain sous un angle double, les trois enjeux scientifiques, pédagogiques et stratégiques relevés par Thibaut Menoux36 sont justifiés ainsi :
- Enjeux scientifiques : la photographie ethnographique permet la restitution d’un point de vue situé depuis lequel les matériaux de recherche sont produits. Thibaut Menoux compare ce processus à celui d’une « coulisse », d’une « cuisine » de l’enquête, à travers laquelle « la réflexivité conditionne la scientificité ».
- Enjeux pédagogiques : pour une meilleure compréhension des exigences épistémologiques, le/la chercheur·e-photographe doit expérimenter la production et l’exploitation pratique de son propre matériau.
- Enjeux stratégiques : l’analyse des conditions de production des matériaux révèle des affinités, des liens dans l’alliance entre la photographie et les sciences sociales qui peuvent permettre à l’enquêteur·ice de conserver les traces de leurs méthodologies sur le terrain.
L’observation photographique peut donc être considérée comme une contribution ethno-artistique de l’enquêteur·ice ; ce processus ambivalent, à la croisée de l’observation participante et de la participation observante, permet de marquer les représentations d’une histoire sociale et culturelle précise et contribue à un processus d’archivage actif des représentations drag.
Produire l’archive vivante
Consistant à collecter, conserver et partager toute documentation dans une perspective de valorisation et de « devoir de mémoire », l’archivage des mémoires queer se trouve aujourd’hui au cœur de débats engendrés par leur institutionnalisation. Depuis 2017, le Collectif Archives LGBTQI+ demande l’acquisition d’un espace et de subventions suffisantes pour pouvoir visibiliser, conserver et transmettre l’histoire des minorités sexuelles et de genre. Bien que divers fonds d’archives institutionnels se sont établis depuis les années 1980 en France, ceux-ci sont majoritairement issus de contextes répressifs37. Essentiellement policières et psychiatriques, ces « archives violentes »38 ne suffisent pas à représenter la diversité des mémoires queer. En outre, la violence archivale est observée dans les protocoles de sélection39 qui impulsent un tri subjectif des archives institutionnelles, contribuant de fait à l’effacement archivistique des lesbiennes, des travailleur.ses du sexe, des personnes trans et/ou racisées40.
Si les logiques patrimoniales et temporelles des archives institutionnelles mènent à une « dépossession du pouvoir archivistique, personnel et politique41 », Sam Bourcier propose avec le collectif Archives LGBTQI+ de constituer des archives queer vivantes. Contrairement aux autres modèles d’archives institutionnels qui auraient tendance à constituer des archives « mortes », l’archive vivante s’engage à « produire le futur ». Inclusive, active et engagée, elle serait produite par les concerné·e.s dans une volonté de dépasser les contraintes patrimoniales des archives et revendiquerait une « politique du savoir, du témoignage et de la performance42 ». L’archive vivante peut circuler sous forme d’objets, de revues, de textes théoriques, mais aussi de photographies, films ou encore d’enregistrements sonores. Par l’emploi de la photographie dans une perspective ethnographique, l’archive vivante constitue alors une praxis située disposant d’outils ethnoscénologiques. Créée et/ou co-créée par les concerné·es, elle incarne de fait une résistance et un renversement d’expertise :
[L’archive vive] place les minorités en position d’expert·es de leurs propres vies. Les LGBTQI sont légitimes pour raconter l’histoire de leurs luttes, passées ou en cours et expliquer leurs cultures au sens large du terme et ses codes. Leurs archives sont également des supports de la recherche et la production des savoirs, l’affirmation personnelle et culturelle et la lutte contre les discriminations43.
Si les sensibilités queer sont historiquement nées de l’urgence à être représentées dans des contextes répressifs, leurs archives contribuent à construire une histoire culturelle qui retrace la complexité de l’activité queer44. L’archive vivante ne raconte donc pas seulement la mémoire et le passé, mais elle produit un savoir présent et futur. Par la réappropriation d’outils technologiques et par le biais du geste artistique, elle permet non seulement de raconter l’histoire des luttes queer, mais aussi de témoigner de leurs codes et transformations, dont la compréhension demeure essentielle pour une transmission contemporaine du savoir queer. En somme, le processus d’observation photographique peut être envisagé comme outil ethnoscénologique qui témoigne des interprétations et transformations performatives des scènes drag contemporaines. C’est à travers la théorisation de stratégies collaboratives que la photographie ethnographique s’emploie à produire un savoir de la résistance. Par son potentiel de production d’archives vivantes, l’appareil photographique contribue à la constitution d’un savoir queer situé. L’observation photographique se propose ainsi comme une piste réflexive dans l’étude interdisciplinaire du genre et de la performance.
Notes
- Entretien avec Pradier Jean-Marie, « La perception ethnoscénologique », Les périphériques vous parlent, 12, été 1999, p. 26-35.
- Gauthard Nathalie, « L’Ethnoscénologie et le réseau mycélien », L’Ethnographie, Création·Pratiques·Publics, 5-6, 2021. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=1033.
- Ibid.
- Harding Sandra, « “Strong Objectivity”: A Response to the New Objectivity Question », Synthese, vol. 104, 3, “Feminism and Science”, September 1995, p. 331-349. Haraway Donna, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences – fictions – féminismes, Paris, 2007, Exils.
- Preciado Paul B., ”Savoirs_Vampires@War”, Multitudes, vol. 20, 1, 2005, p. 147. URL : https://doi.org/10.3917/mult.020.0147. La pensée queer est entendue comme un domaine de réflexions et théories développées dans une approche critique des catégories binaires de sexe et de genre. Elle s’inscrit dans un mouvement (social, artistique et militant) issu des luttes pour les minorités sexuelles et de genre, et est apparue dans les années 1990 en France, dans le contexte d’émergence des études de genre.
- Gauthard Nathalie, « L’Ethnoscénologie et le réseau mycélien », art. cit.
- Halberstam Jack, Female Masculinity, Durham, Duke University Press, 1998 ; Lorenz Renate, Art Queer, Une théorie Freak, Marie-Mathilde Bortolotti (trad.), Paris, B42, 2018, p. 197.
- Gosselin Pierre, « La recherche en pratique artistique. Spécificité et paramètres pour le développement de méthodologies », in : Gosselin Pierre, Le Coguiec Éric (dir.), La Recherche création. Pour une compréhension de la recherche en pratique artistique, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2006, p. 27.
- Lorenz Renate, Art Queer, Une théorie Freak, op. cit. ; Fiorilli Olivia et al., Il re nudo: per un archivio drag king in Italia, Pise, ETS, 2014, p. 120.
- Butler Judith, Trouble dans le Genre (C. Kraus, Trad.) Paris, La Découverte, 2005, p. 26.
- Bourcier Sam, Queer Zones. La Trilogie, Paris, Amsterdam, 2018, p. 152.
- Halberstam Jack, “What’s that smell? Queer temporalities and subcultural lives’, International journal of cultural studies, vol. 6, 3, 2003, p. 313–333. De Lauretis Theresa, Théorie queer et cultures populaires : de Foucault à Cronenberg (trad. P. Molinier et S. Bourcier), Paris, La Dispute, 2007.
- À ce jour, un nombre croissant de femmes, cisgenres ou transgenres, adoptent également la pratique artistique de la performance drag-queen.
- Le mouvement queer est entendu comme une diversité de pratiques sociales, artistiques et militantes issues des luttes sociales des minorités. Les actions d’Act Up-Paris, des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence ou encore du collectif Le Zoo ont contribué à importer la valeur militante du terme queer en France à la fin du XXe siècle. Voir à ce sujet : Bourcier Sam, Zoo, Q comme Queer : les séminaires Q, [juin] 1996 [et juin] 1997 [au Centre gai et lesbien de Paris], Lille, Les Cahiers Gai-Kitsch-Camp, 1998, p. 125. Voir aussi : Le Talec Jean-Yves, Folles de France. Repenser l’homosexualité masculine, Paris, La Découverte, 2008.
- Pignedoli Clark, Les contributions théoriques et les apports heuristiques des voix et des théories trans à la conceptualisation des pratiques drag king, Montréal,Université du Québec à Montréal, 2021.
- Connell Raewyn W., Masculinities, Oakland, University of California Press, 2005 [1995].
- De Lauretis Teresa, op. cit.
- Les esthétiques drag-queers ne sont pas sans lien avec les incarnations performatives freak théorisées par Renate Lorenz dans Art Queer, Une Théorie Freak, op. cit. Pour en lire la recension, voir : Cervetti Jade, « Renate Lorenz, Art Queer, Une théorie Freak, Marie-Mathilde Bortolotti (trad.), Paris, B42, 2018, 197 p. », L’ethnographie, 5-6, 2021.
- Racine Étienne, Le phénomène techno : Clubs, raves, free-parties, Paris, Imago, 2004.
- Pétonnet Colette, « L’observation flottante. L’exemple du cimetière parisien », L’Homme, XXII (4), 1982, p. 37-47.
- Pignedoli Clark, Les contributions théoriques et les apports heuristiques des voix et des théories trans à la conceptualisation des pratiques drag king, Montréal,Université du Québec à Montréal, 2021.
- Bouillon Florence, Fresia Marion, Tallio Virginie (dir), Terrains sensibles. Expériences actuelles de l’anthropologie, Paris, EHESS, 2005.
- Lire à ce propos l’essai de Tagonist Ann, « Fuck you and fuck your fucking thesis », Livejournal, 2009.
- Foucault Michel, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 2001 [1975].
- Beaubatie Emmanuel, « Qui a le droit d’étudier le genre et comment ? Réflexions sur le point de vue et la catégorisation du sexe à partir d’une enquête par méthodes mixtes sur les trans’ », Bulletin de Méthodologie Sociologique, SAGE, 2021, p. 7.
- Harding Sandra, « “Strong Objectivity”: A Response to the New Objectivity Question », Synthese, vol. 104, 3, “Feminism and Science”, September 1995, p. 331-349.
- Harding Sandra, Whose Science, Whose Knowledge? Thinking from women’s lives, Ithaca NY, Cornell University Press, 1993, citée par École de Philosophie, cours ‘objectivité forte et savoirs situés’, p. 7.
- Harding Sandra, « “Strong Objectivity”: A Response to the New Objectivity Question », art. cit.
- Leroy Anne in Dantou Jean-Robert, Menoux Thibaut, Nouel Mathias, Weber Florence, Pour une alliance entre photographie et sciences sociales, Auto-Edition, 2020.
- Ibid., p. 152.
- Le Gall Brice, « L’observation photographique. Auto-analyse d’une enquête sur les gilets jaunes », Condition humaine/Conditions politiques, 2, 2021.
- Ibid.
- Dans cette lignée, les œuvres de Nan Goldin (The Other Side, Göttingen, Steidl, 1993, 192 p.) ont contribué à la mémoire collective des communautés queer et drag de Boston au travers de clichés mi-artistiques, mi-documentaires. Plus récemment, le/la photographe non-binaire sud-africain·e Zanele Muholi, qui se définit comme « activiste visuel.le », participe à la visibilisation des communautés noires LGBTQI+ à travers des photographies ethno-artistiques (Somnyama Ngonyama, Salut à toi, lionne noire !, Paris, Delpire, 2016).
- Pluta Izabella, Losco-Lena Mireille, « Pour une topographie de la recherche-création », Ligeia, vol. 137-140, 1, 2015, p. 39-46.
- Fourmentraux Jean-Paul, Artistes de laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique, Paris, Hermann, 2011.
- Collectif, « Pratiques de la réflexivité photographique », Dantou Jean-Robert, Menoux Thibaut, Nouel Mathias, Weber Florence, Pour une alliance entre photographie et sciences sociales, 2020, p. 149.
- Zimmermann Quentin, « Multiplier nos présences, occuper la mémoire », Colloque Voix vives, ou l’histoire orale du présent, Groupe d’études politiques en réseaux, 6 juin 2018 ; Bourcier Sam, Queer Zones. La Trilogie, op. cit. ; Faure Ruby, « Tordre les archives (queering archives) : oui, mais dans quel sens ? », GLAD !,, 11, 2021. URL : https://doi.org/10.4000/glad.3255.
- Entretien avec Sam Bourcier, « C’est nous qui savons le faire ! », Numéro deux, 2020.
- Derrida Jacques, « Trace et archive, image et art », Collège iconique, INA, 25 juin 2002.
- De nombreux collectifs (Archilesb, Vigitrans, Lopattaq, ArchiQ…) se sont mobilisés dans les années 2000 pour dénoncer la sous-représentation des minorités sexuelles et de genre. Les protestations évoquaient notamment l’occultation de certaines archives (sida, prostitution) et un manque notoire de transparence ou de communication sur les projets d’archives institutionnelles.
- Bourcier Sam, « La Fièvre des Archives #1 – Le pouls de l’archive, c’est en nous qu’il bat », Friction Magazine, 2018.
- Bourcier Sam, « La fièvre de l’archive », in : Colloque International en perspectives de genre et de sexualité dans la création artistico-littéraire francophone contemporaine, 26, 27 et 28 novembre 2018.
- Collectif d’Archives LGBTQI+, « Notre philosophie de l’archive ». URL : https://archiveslgbtqi.fr/notre-philosophie-de-larchive/.
- Halberstam Jack, op. cit.