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Giulia Sfameni Gasparro, “Les cultes isiaques en Sicile”, dans L. Bricault (éd.), De Memphis à Rome. Actes du Ier Colloque international sur les études isiaques, Poitiers-Futuroscope, 8-10 avril 1999, RGRW 140, Leyde-Boston-Cologne, 2000, 35-62.

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Les documents des cultes égyptiens en Sicile, monuments archéologiques, épigraphiques et numismatiques, permettent de distinguer deux domaines géographiques et culturels très différents pour ce qui concerne l’antiquité de leur introduction et l’ampleur de leur diffusion. En effet, de petits objets appartenant aux arts mineurs (amulettes, scarabées, oushebtis, etc.) ont circulé dans toute l’île pendant les périodes archaïque et classique. Ils ne sont certes pas l’expression d’un culte aux dieux égyptiens, mais reflètent plutôt un intérêt pour les aspects magiques ou funéraires des croyances de l’Égypte, voire pour des produits artistiques “exotiques”1.

Au début de la période hellénistique et durant l’Empire romain, on constate, dans les régions occidentales influencées par la culture punique, la persistance de ces anciens usages. Les mêmes monuments des arts mineurs, des amulettes, des statuettes en terre cuite d’Isis, des petits bronzes à l’image de la déesse et d’autres divinités de son entourage (Sarapis, Osiris, Horus-Harpocrate), témoignent d’une dévotion de particuliers plutôt que d’un culte public ou officiel2.

Au contraire, dans la Sicile orientale d’ancienne culture grecque, dès la haute époque hellénistique, une documentation très riche et variée atteste une présence sans cesse grandissante du culte d’Isis et des divinités de sa “famille”, Sarapis, Horus-Harpocrate, et parfois Osiris et Anubis. La précocité et l’ampleur de la propagation des cultes isiaques en Sicile orientale doivent être interprétées en rapport avec le réseau étroit de relations économiques, politiques et culturelles établi avec l’Égypte ptolémaïque, qui s’affirme surtout lors du règne long et florissant de Hiéron II. Il ne s’agit certes pas d’affirmer une intervention officielle de la part des pouvoirs politiques à cette époque pour “introduire” ces cultes. Le souverain syracusain maintient et renforce dans ces domaines l’empreinte toute grecque de la tradition culturelle et religieuse. Toutefois, l’ouverture internationale assumée par son activité politique et l’équilibre poursuivi avec habileté entre Rome et l’Égypte lagide par Hiéron ont donné à la polis sicilienne une position politique très solide parmi les grandes puissances hellénistiques et une dimension cosmopolite sous l’aspect culturel. C’est à l’arrière-plan de ces relations politiques et culturelles que l’on doit situer le phénomène singulier de la reconnaissance officielle des dieux égyptiens dans les principales poleis grecques de Sicile orientale à la fin du IIIe ou au début du IIe siècle a.C., lorsque, après les troubles qui suivirent la mort de Hiéron et la conquête de Syracuse par Rome, elles frappent des émissions en bronze avec les images d’Isis et de Sarapis. Il semble alors que ces villes aient voulu montrer à l’extérieur un visage international, en soulignant à la fois leur identité grecque et leur participation à un circuit cosmopolite, héritage d’un passé glorieux d’indépendance et de pouvoir politico-économique face aux conquérants romains.

À partir de cette époque, on commence à percevoir dans l’île la présence grandissante des Italiens et des Romains. Il s’agit non seulement des résidents stables, comme certains propriétaires de terres, des agriculteurs, mais plus fréquemment de marchands et de soldats, d’administrateurs et de fonctionnaires de conditions différentes. Les recherches récentes ont montré une présence notable des représentants de la classe très active des equites romains. Les Romains et les Italiens qui, nombreux, fréquentaient les grandes villes grecques de Sicile dès le début de l’époque hellénistique et tout au long des trois derniers siècles a.C. ont eu la possibilité de connaître les dieux égyptiens, et Isis en particulier, ces dieux qui avaient leurs temples à Tauromenium, Catane et Syracuse, et dont les images étaient véhiculées par de nombreuses séries monétaires. Les cités des “Grecs de Sicile” ont donc pu être, au même titre que les grands centres commerciaux de l’Orient comme Alexandrie et Délos en premier lieu, ou de la péninsule italienne, tel Pouzzoles, des intermédiaires décisifs, d’abord pour la connaissance et plus tard pour l’accueil des dieux égyptiens dans la ville même de Rome3.



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  1. Pour cette valeur des scarabées et des amulettes égyptiens, voir F. De Salvia, “I reperti di tipo egizio di Pithekoussai: problemi e prospettive”, dans Contribution à l’étude de la société et de la colonisation eubéennes, Cahiers du Centre Jean Bérard, II, Naples, 1975, 87‑97.
  2. G. Sfameni Gasparro, I culti orientali in Sicilia, Leyde, 1973, 83-98, Cat. 209-272 et 274-304. Des monuments des arts mineurs, dont l’origine parfois n’est pas sûre, sont conservés dans les collections des Musées de Cefalù (Kephaloidion), Himera/Therma, Solous, Palerme, Erice, Trapani, Lilybée et Mozia. La typologie des amulettes égyptiennes ou égyptisantes de Mozia a été analysée par G. Matthiae Scandone, “Gli scarabei egiziani ed egittizzanti delle necropoli di Mozia”, dans Mozia VII, Rome, 1972, 121-132 ; ead., “Materiali egiziani ed egittizzanti del museo di Mozia”, RSF 3,1, 1975, 65-73 ; S. Verga, “Considerazioni in margine al significato magicoreligioso e alla tipologia dei “ugiat” conservati nel Museo J.Withaker di Mozia”, SicArch, 43, 1980, 15-24 ; A. Fresina, “Amuleti del Museo J. Whitaker di Mozia”, SicArch, 43, 1980, 27‑50. Pour les exemplaires de Palerme, I. Tamburello, “Aspetti di Palermo punica: gioielli ed amuleti, filiva cavrin”, dans Miscellanea di Studi classici in onore di Eugenio Manni, vol. VI, Rome, 1980, 2069-2083 ; ead., “Magia e religiosità a Palermo punica”, SicArch, 49‑50, 1982, 45‑56.
  3. Cette thèse avait déjà été développée par G. Sfameni Gasparro, “La Sicilia tra l’Egitto e Roma: per la storia dei culti egiziani in Italia”, dans N. Bonacasa et al. (éds), L’Egitto in Italia dall’antichità al Medioevo, Rome, 1998, 653-672. Pour une opinion différente, M. Malaise, Les conditions de pénétration et de diffusion des cultes égyptiens en Italie, Leyde, 1972, 261-263 ; id., “Documents nouveaux et points de vue récents sur les cultes isiaques en Italie”, dans Hommages à M. J. Vermaseren. II, Leyde, 1978, 659-663.
Bricault, Laurent (2008) : “Giulia Sfameni Gasparro, ‘Les cultes isiaques en Sicile’, dans L. Bricault (éd.), <i>De Memphis à Rome. Actes du I<sup>er</sup> Colloque international sur les études isiaques, Poitiers-Futuroscope, 8-10 avril 1999</i>, RGRW 140, Leyde-Boston-Cologne, 2000, 35-62”, Ausonius éditions BIS I, [En ligne] https://una-editions.fr/sfameni-2000/ [consulté le 15 août 2021].

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