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Traduire le roman pastoral : La Galatea de Cervantès

Traduire le roman pastoral : La Galatea de Cervantès

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Roman pastoral et double langage

Peut-on, à propos du roman pastoral en général, parler de langue de bois ou de double langage ? Si la langue de bois cherche, au pire, à entraver la communication et la pensée, et au mieux, dans sa nuance soft, comme le « politiquement correct », appauvrit de fait la pensée1, le langage du roman pastoral ne relève pas de toute évidence de cette catégorie, ne serait-ce que dans ses intentions. Soulignons ici le fait que, s’il partage avec le « politiquement correct » une stratégie d’atténuation (dans son cas d’atténuation de la charge érotique), force est de constater qu’il cherche à en dire plus que son sens littéral, dénotatif.

Il nous semble important de noter que les codes du roman pastoral et de son langage sont au départ éminemment marqués socialement : littérature pour aristocrates en mal d’évasion, cherchant à échapper à la contrainte des objectifs inatteignables de la perfection spirituelle, perfection qui de fait était aussi une perfection sociale, familiale (on pense au code de l’honneur) et politique (fidélité sans faille au roi de droit divin). Cette littérature d’évasion recueille certaines traditions thématiques dont la plus notable est le locus amœnus dans le cadre d’une opposition Village versus Cour. Ce cadre est une véritable scène théâtrale puisque les bergers arcadiens sont des nobles déguisés, même si, à la différence des nobles réels qui endossent l’habit pastoral le temps d’une mascarade de cour, les Arcadiens le font pour l’entièreté de leur vie littéraire. C’est que pour le lecteur de romans pastoraux, il s’agit de faire abstraction de l’invraisemblance des situations pour goûter aux analyses des passions qui hypertrophient l’espace textuel, réduisant l’action proprement dite à quelques schémas restreints2. Il y a nécessairement un pacte de lecture entre le lecteur cible et le texte, pacte qui exige que ce lecteur connaisse et adhère au code de lecture qui veut que ce n’est pas tant l’action qui régit la narration mais les épanchements sentimentaux, ou l’analyse de ceux-ci par un narrateur extradiégétique omniscient et tout-puissant agissant comme un relais entre le lecteur du monde réel et le personnage de fiction. Si ce code ferme la lecture aux non-initiés, il ouvre a contrario un immense champ de significations aux initiés (soit le lecteur – plus souvent la lectrice – visé). Nous pouvons donc d’ores et déjà définir le langage du roman pastoral non pas comme un double langage « appauvrissant », mais comme un langage double, voire multiple, foisonnant. Au-delà du dénoté (les aventures sentimentales prévisibles régies par une combinatoire3 mécanique des passions), ce que recherchent les lecteurs, c’est de s’immerger, et dans les méandres psychologiques de l’âme humaine, et dans des références mythologiques demandant une certaine culture, et dans un langage riche et raffiné, valant en soi et pour soi. Sans compter la délectation qu’apporte le jeu du déchiffrage en soi du code par le lecteur initié qui se sent intégré ainsi dans un cénacle du bon goût et du raffinement.

Les traductions françaises des pastorales ibériques

Bien entendu nous parlons là du genre pastoral au moment de sa « résurrection » au cours de la Renaissance d’abord sous sa forme versifiée (par exemple les Eglogas de Garcilaso, l’Arcadia de Sannazar), puis sous sa forme prosifiée, romanesque, avec la redécouverte du texte de Longus (1559, traduction d’Amyot), puis la parution la même année, de la Diana de Montemayor4.

La fortune éditoriale de cette œuvre et de ses traductions a été bien étudiée par divers critiques dont Marta Teixeira à l’ouvrage de laquelle nous renvoyons5. Pour Marta Teixeira, ces traductions plus ou moins fidèles eurent un double objectif : d’une part, enrichir la langue française et la hisser au rang de langue de culture à travers la traduction d’un texte prestigieux (« La défense et illustration de la langue française », 1549, n’est pas très loin) ; d’autre part légitimer les codes nouveaux d’un nouveau genre le « roman » qui se détachait alors, comme en Espagne d’ailleurs, du roman de chevalerie. Ce n’est qu’à partir de l’Astrée d’Honoré d’Urfé (1607-1627) que les traductions des romans pastoraux espagnols se verront soumises à une adaptation selon les canons de ce roman français. Les traductions, adaptations, réécritures, créations de romans pastoraux auront alors une double matrice : la Diana espagnole et l’Astrée française, cela à partir des années 1620.

Cette date où le roman pastoral entre en crise (cela est dû en partie à un changement culturel de la société, appelé par les érudits « héroïsation » de la culture) est celle où les romans pastoraux espagnols font l’objet d’adaptations et de réécritures explicites. Pourquoi puiser dans le vivier hispanique alors que la France disposait depuis Urfé de ses propres modèles ? Tout simplement parce que les best-sellers étrangers faisaient autorité. Il s’agissait donc d’un retour aux sources, non pas dans un but de restauration de modèles anciens, mais de légitimation de modèles nouveaux. Ce phénomène d’auctoritas-alibi, sera encore plus flagrant au XVIIIe siècle avec l’élargissement du lectorat des bergeries qui ferait évoluer le roman pastoral vers le roman bucolique, sentimental et moralisant (on pense à Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre).

La Galatea et sa traduction tardive

C’est dans cette phase éditoriale que se situe la première adaptation de La Galatea de Cervantès par Florian en 1784 (l’édition princeps de La Galatea est de 1585) dans laquelle l’espace pastoral original devient l’espace galant des bergeries du XVIIIe siècle. N’oublions pas que, si le XVIIe siècle fut le siècle des traductions qui façonnèrent la langue française et sa prose, le XVIIIe siècle, s’émancipant de l’auctoritas, préféra les « belles infidèles »6. Il faut attendre le XXIe siècle (2001) pour que La Galatea proprement dite soit traduite en français par Claude Allaigre dans la Pléiade.

Pourtant l’ouvrage connut un succès réel et même au-delà des frontières de l’Espagne : édition princeps d’Alcalá en 1585, de Lisbonne en 1590, de Paris en 1611 par César Oudin (en espagnol). Le roman était connu internationalement mais dans sa version espagnole : n’oublions pas la présence espagnole aux XVIe-XVIIe siècles dans toutes les cours européennes et la forte pénétration du castillan dans celles-ci7. Cette anomalie peut s’expliquer par le début du déclin du genre pastoral dès 1585, mais surtout par l’occultation de cette œuvre cervantine par une autre qui, elle, fut abondamment traduite et à plusieurs reprises, je veux parler du Don Quichotte. En fin de compte, au XVIIe siècle, ce qui circula le plus en langue française de l’œuvre de Cervantès, ce fut le Don Quichotte et quelques Nouvelles exemplaires.

À ce phénomène occultant, il faut ajouter le déclin du genre pastoral tel que constitué à la fin du XVIe siècle, très sensible dès 1620, et, certainement, nous ne croyons pas nous tromper en l’affirmant, le début du déclin de la toute-puissance espagnole, perceptible dès les années 1620, concomitant de la montée en puissance de la France et de sa langue. Si le « Grand Siècle » a été abusivement assimilé au règne de Louis XIV, l’historiographie s’accorde à dater l’essor de la puissance politique française et de ses arts et lettres autour de 1620 avec le règne de Louis XIII qui voit le rétablissement de l’autorité royale et la fin des guerres de religion. La montée en puissance politique de la France s’accompagne d’une montée en puissance linguistique, le français supplantant peu à peu l’espagnol dans les cours européennes. Quant au renouvellement romanesque qui allait s’écarter des sentiers pastoraux, il se ferait à partir des romans anglais au XVIIIe siècle, le corpus espagnol pastoral servant de base à des adaptations comme la Galatée de Florian en 1784. C’est que la hiérarchie des langues évolue avec le contexte historico-politique et il est bien connu que toutes les langues ne font pas l’objet de traductions de façon égale.

La traduction littéraire de La Galatea

En fin de compte, la première et unique traduction de Galatea paraîtra en 2001 dans la collection la Pléiade (Allaigre). Cette ellipse de quatre siècles sur le marché de la traduction exonérera la traduction française de La Galatea des objectifs suivis par les traducteurs des premiers romans pastoraux ibériques. Il ne s’agit plus de traduire un best-seller mais un objet culturel destiné à un public éclairé ou susceptible de chercher à enrichir sa propre culture littéraire, cela dans un contexte qui est celui de la traductologie actuelle8 : dialogue interculturel, ouverture à l’autre par la connaissance de la culture hispanique, promotion de celle-ci par un traducteur qui est aussi un universitaire spécialiste reconnu de littérature classique et de linguistique. La tâche est en elle-même ardue car au code pastoral conçu pour une élite disparue, s’ajoute la distance historique et culturelle qui superpose encore un code à déchiffrer à celui de l’espagnol du XVIe siècle. La stratégie, et donc, les objectifs du traducteur, sont clairement exposés dans la « Note sur la traduction et la réception de l’œuvre »9. C’est une traduction littéraire, un vrai travail de création, mais qui demeure dans un dialogue interlinguistique et interculturel, à la différence des traductions des XVIe et XVIIe siècles qui faisaient entrer le texte traduit dans le bon goût, la clarté (autoproclamée) de la langue française. Bien entendu, en dépit du public visé (le lectorat de la Pléiade est un lectorat cultivé), la distance culturelle, qui ne tient pas seulement au code pastoral, exige un travail d’exégèse brillamment mené dans l’étude introductive et dans les notes et annexes. On ne peut que constater qu’un texte conçu au départ pour une élite sociale ou culturelle retrouve un lectorat analogue dans sa première et unique traduction, abstraction faite de l’évolution historique qui a marqué la composition des élites.

Il est toutefois un type d’objectifs que le traducteur n’a pas vocation à considérer, celui de la promotion par l’apprentissage de la langue castillane. Nous abordons là le champ de la traduction universitaire avec ses retombées didactiques qui recoupent et dépassent les objectifs du traducteur littéraire, question que nous évoquerons dans l’exemple décrit plus avant.

Les premières pages de La Galatea

Nous allons à titre de simple exemple examiner le cas du début du roman en mettant en regard les choix de l’adaptateur Florian (depuis une position hégémonique de la langue et culture cible), du traducteur littéraire (Claude Allaigre), et du traducteur universitaire, en identifiant plus particulièrement les difficultés que pose le langage codé pastoral. Nous aborderons cet exemple en l’insérant dans trois problématiques qui se posent au traducteur ou à l’adaptateur de romans pastoraux anciens : la traduction des pièces poétiques (qui interrompent le fil de l’action), le traitement de l’onomastique, et le traitement de la prose pastorale et de son style alambiqué.

L’extrait en annexe qui nous sert d’exemple avait été donné en travaux dirigés. On y lira, en majuscules, les éléments qui requièrent une explication culturelle, et en gras ceux qui relèvent plus particulièrement du code pastoral. On voit d’emblée se dessiner dès cette première page une carte du Tendre (jointe en annexe) dont il convient (pour les étudiants, en spécifiant bien qu’elle fut mise en forme par Madeleine Scudéry entre autres) d’expliciter le sens et aussi la filiation (amour courtois, néo-platonisme, références sociales, contexte historique). Par facilité pédagogique, le chant d’introduction d’Elicio a été omis, chant qui est reproduit en annexe avec, en regard, la traduction d’Allaigre, et l’adaptation de Florian. Enfin, l’exemplier se termine avec l’adaptation du passage par Florian qui correspond, pour le texte choisi, aux extraits encadrés et aux deux premières strophes du poème d’introduction encadrées également.

Le poème d’introduction

Florian adapte les quatre octavas reales de Cervantès en deux sizains alternants alexandrins et octosyllabes ABABB, variantes des strophes que l’on peut retrouver dans la poésie de thème pastoral comme le rondeau ou la villanelle. Adaptation drastique, nuancée toutefois par la note de bas de page mettant en regard ses deux derniers vers et les vers correspondants du poème de Cervantès. Cette note semble à la fois une justification de son adaptation, et un repentir, qui est aussi une reconnaissance de la valeur des vers de Cervantès : « Y assi un pequegno (sic) alivio al dolor mio/ No hallo en monte, en llano, en río »10.

En effet dans son introduction, Florian revendique le choix de ne pas traduire fidèlement le texte cervantin, mais de l’adapter au goût français, en insistant sur la question des vers : « les vers surtout ne ressemblent à l’espagnol que dans les endroits cités ». La ressemblance, dans le cas présent, est toute relative : « Mais les ruisseaux, les bois et les échos,/ne peuvent soulager mes peines »11. En fin connaisseur de la langue et de la culture espagnoles, Florian avait certainement conscience de l’affadissement que supposait son adaptation par rapport à ces deux vers cervantins. Ainsi les « échos » reprennent-ils, en le réduisant à un phénomène acoustique, le thème de la nymphe Écho du poème de Cervantès, thème dont Allaigre saura exploiter toute la richesse dans sa traduction (voir infra). Du point de vue spatial, « les ruisseaux » et « les bois » de Florian évoquent un simple locus amœnus, espace de l’intimité bucolique, quand la déclinaison cervantine de l’espace, relevant davantage de la natura naturans12, fait passer son personnage du sommet le plus élevé au fleuve, dont on sait depuis Manrique qu’il est une métaphore du chemin vers la mort, autrement dit, de l’exaltation due à la passion amoureuse au désespoir le plus tragique. C’est un espace plus vaste, habité par les éléments naturels, les abstractions ou les dieux quand le locus amœnus de Florian est l’espace champêtre et « douillet » des fêtes galantes du XVIIIe siècle. La citation des vers d’origine montre bien qu’en dépit de ses positions théoriques sur la traduction-adaptation au « bon goût » français, Florian a conscience de la supériorité des vers cervantins et de la perte qu’ils subissent dans sa réécriture.

C’est que la question de la poésie lui pose un double problème, de style, et de contenu :

[…] son style et surtout ses vers le mettent au-dessous de Montemayor. Gâté par le malheureux goût de scolastique qui régnait alors, Cervantès fait disserter ses bergers comme s’ils étaient sur les bancs. Ils prononcent de longs traités pour ou contre l’amour : ils y citent Minos, Ixion, Marc-Antoine, Rodrigue, tous les héros de la fable et de l’histoire […]. En voilà bien assez pour donner une idée du mauvais goût qui régnait alors et auquel Cervantès lui-même n’a pas échappé.13 

On comprend donc pourquoi il n’adapte que les deux premières octavas de Cervantès, expression de la plainte, les deux suivantes dissertant sur le paradoxe que suppose la recherche par Elicio de sa propre souffrance amoureuse.

Pour Florian, la traduction fidèle, voire littérale, n’est pas le meilleur service que l’on puisse rendre à un texte étranger. Ainsi, dans le cas du Don Quichotte, la seule traduction disponible alors est, selon lui : « trop loin de l’élégance, de la finesse de l’original »,14 car le traducteur :

[…] a rendu le mot espagnol par le mot français qu’il trouvait dans le dictionnaire, sans comparer, sans choisir : il a oublié que, surtout dans le comique, aucun mot n’a de synonyme, qu’un seul est le bon, que tout autre est mauvais. La manière dont il a traduit les morceaux de poésie, qui sont en grand nombre dans Don Quichotte, ferait penser que les vers espagnols sont ridicules. Cependant ils sont presque tous agréables, peut-être un peu trop recherchés, mais Cervantès écrivait pour sa nation, dont le goût ne ressemble pas au nôtre ; et son traducteur, qui écrivait pour nous, pouvait, en conservant les pensées de Cervantès, affaiblir quelques comparaisons, adoucir quelques images, et surtout donner de la douceur et de l’harmonie à ses vers ; […] Quand on traduit un ouvrage d’agrément, la traduction la plus agréable est à coup sûr la plus fidèle.15

De la « belle infidèle » prônée pour la traduction du Don Quichotte, à la refonte originale dans l’adaptation qu’il nous propose dans sa Galatée, Florian franchit sans complexe un pas qui s’explique donc par des raisons idéologiques et esthétiques.

On est loin des options d’Allaigre, qui, comme il l’explique dans sa notice à La Galatea, reste au plus près de la versification, de la prosodie, de la tonalité du poème cervantin, sans jamais en sacrifier le sens. Il va même jusqu’à adopter les règles typographiques de la poésie espagnole en ne mettant pas systématiquement de majuscule au début du vers. La mise en italique des éléments glosés dans les strophes sont autant de notes explicatives pour son lecteur cultivé, mais non érudit. Le fait de rester aussi près que faire se peut du poème de Cervantès s’inscrit dans une démarche de traduction qui vise à valoriser l’altérité de la culture d’origine, qui l’est ici à un triple titre : la langue, la distance chronologique et donc culturelle, et le code pastoral. C’est le cas du traitement de l’espace analysé supra à propos de l’adaptation de Florian, qui dessine, chez Cervantès, une géographie plus vaste et philosophiquement plus riche (pensons au fleuve de la Vie auquel le début du texte en prose fait allusion) que le coin de verdure intimiste conventionnel qui s’inscrit dans une plaine que l’on perçoit comme plus agricole, voire physiocratique, et familière que le vaste « llano » cervantin. En s’attachant à l’esprit autant qu’à la lettre, faisant fi des codes du « bon goût » classique français, Allaigre fait entrer le texte dans un dialogue interculturel qui est certainement ce que recherche le lecteur de la Pléiade. L’adaptation de Florian, elle, visait un public plus large et surtout moins élitaire du point de vue culturel16. On remarquera que dans la traduction d’Allaigre seule la glose est mise en exergue par les italiques comme pour attirer l’attention sur un aspect stylistique avec lequel le lecteur français, même cultivé, est moins familiarisé, car formé aux textes du classicisme français, alors que le lecteur cultivé espagnol l’est davantage aux textes dits baroques. Pour ce qui est des références mythologiques, ou de la situation conventionnelle de désespoir amoureux par la faute de l’insensibilité de la Dame, nul besoin de commentaire ni d’indice, le lecteur de la Pléiade possédant en principe ces codes qui sont communs aux genres pastoraux ou courtois des deux littératures. Par contre quatre notes érudites relevant de l’exégèse, non nécessaires à la compréhension du passage, peuvent être consultées en fin d’ouvrage par les « lecteurs curieux »17 qui pourront compléter leur culture ou leur érudition littéraires, tout en éclairant les choix de traduction retenus.

La première18 souligne l’inadéquation entre le contenu de l’églogue de style conventionnellement humble, et la forme des octavas reales relevant du style élevé. Au style élevé appartient aussi le jeu conceptuel avec reprises corrélatives qu’Allaigre choisit de souligner par des italiques. Le choix de traduire en hendécasyllabes relève de la même volonté de rendre le style élevé du poème d’introduction. Or, selon nous, Allaigre va plus loin en conservant la structure de l’octava real (ABABABCC), appelée dans les manuels de poésie française « octave italienne ». Choisir l’octave italienne en hendécasyllabe, vers très peu employé dans la poésie française s’il en est, de préférence à des huitains en alexandrin ou décasyllabe, correspondant en poésie française à l’hendécasyllabe espagnol, relève de cette stratégie du dialogue interculturel suivie dans sa traduction.

La note 2 éclaire le choix de suivre l’édition princeps dans la traduction de « Eco amarga » par « Écho amère » contre l’interprétation corrective de certaines éditions qui traduisent par « écho amer » (voir supra notre commentaire sur l’adaptation de Florian) : l’adjectif « amère » « fait référence à la douleur de l’amant dédaigné, comme Écho fut dédaignée de Narcisse. Le sort présent d’Elicien, amoureux de l’indifférente Galatée, fait écho à celui de la nymphe »19. Le choix de traduction est donc motivé par une exégèse riche et rigoureuse que ne peut qu’apprécier le lecteur visé par l’édition, puisqu’il enrichit sa lecture.

L’onomastique

On observe le même principe dans les deux notes suivantes consacrées à l’onomastique d’Élicien et de Galatée. Si du point de vue de la transposition onomastique, les binômes Elicius-Elix et Félix-Félicien motivent la traduction d’Elicio par Elicien, la note 3 met en avant la richesse sémantique du lexème qui non seulement renvoie à Elicius, un des surnoms de Jupiter, mais encore « récupère les signifiés du verbe latin elicio et de l’adjectif elicitor qui correspondent aux principales caractéristiques du héros dans l’œuvre […] »20. En effet, ce nom, en activant les sens du verbe elicio, désigne le personnage comme « celui qui attire », comme le « fil conducteur » du roman, comme le personnage dont la hauteur des sentiments en fait un être « raffiné », comme celui qui « arrache » Galatée au destin matrimonial que veut lui imposer son père, comme celui qui sait tirer des sons d’un instrument et, par paronymie, comme celui qui n’accomplit que des actes « licites ».

La note 4 analyse comment le nom espagnol « Galatea », par jeu paronymique, enrichit celui de la nymphe Galatée hérité de la tradition virgilienne et ovidienne. Ainsi :

on peut décomposer le nom espagnol en gala-tea (or tea veut dire « flambeau », de sorte que la dame se désigne comme le flambeau de l’amant) ou en Gala-théa pour placer à une hauteur divine (thea/theos, soit Gala -thea face à Elicius-Jupiter) les sentiments des jeunes gens, selon un autre topique récurrent dans l’œuvre.21

Si Allaigre insiste sur ses choix de traduction onomastique, c’est que l’onomastique construit dans l’univers de La Galatea cervantine un système cohérent et signifiant même si certains personnages échappent au déterminisme onomastique ou fonctionnent sur le mode de la distance ironique dans une mise en cause du code pastoral22. Nous ne pouvons exposer ici la minutieuse étude consacrée à l’onomastique dans la notice introductive23, mais nous citerons simplement la façon très pertinente de cadrer cette question :

Cervantés s’inscrit avec son ironie coutumière dans le débat sur la validité de l’imposition d’un nom aux choses, un thème qu’il exploitera jusqu’à la fin. De ce point de vue, la pastorale est un lieu idéal : lieu du début des choses, il est aussi celui de leur nomination […]. La conception platonicienne du nom concorde avec la tradition biblique ; dans la langue adamite aussi, le mot et la chose sont nécessairement liés, et une telle coïncidence ne peut que convenir au traitement du nom chez Cervantès. C’est en effet par une image biblique que le procédé de la nomination est, dès le début du roman, incorporé au récit : « Érastre venait, accompagné de ses mâtins […] les appelant par leurs noms, qui donnaient à chacun le titre que sa condition et son tempérament méritaient. »24

On comprend bien alors le soin apporté dans ses notes explicatives au commentaire de ses choix de traduction onomastique. Prenons quelques exemples significatifs.

Cervantès traduit Timbrio par Timbrien, par paronymie avec Timbreo, « l’Apollon Thymbréen, plusieurs fois nommé ainsi dans le Voyage au Parnasse […] dont il a la valeur et la beauté »25. Le « lecteur curieux » ne peut que goûter cette explication qui tient de l’exégèse et convoque le riche univers littéraire cervantin. Or il nous semble que ce choix est d’autant plus heureux que « Timbrien » établit, par identité de finale, une juste correspondance avec « Élicien ». En effet, Timbrien est, dans le roman byzantin en miniature inséré des Deux amis, le pendant d’Elicien dans le récit pastoral global, le personnage qui, au final, est récompensé par l’amour de sa dame, ce que l’on peut espérer pour Élicien à la fin du livre IV, lorsque l’histoire de ses amours avec Galatée prend enfin son essor.

D’autres choix de traduction ne sont pas commentés, et pourtant auraient mérité de l’être. Les deux paysans Blas et Minguet (traduction de Bras et Mingo), ne sont certes que mentionnés, mais leurs noms rustiques, et typiquement castillans, participent de ce qu’Allaigre décrit comme une rencontre, puis une interpénétration du mythique et du réel. Si Minguet est l’équivalent exact français de Mingo, on s’étonne que Bras n’ait pas été traduit par Blaise, mais par son équivalent non rustique espagnol Blas. Peut-être s’agissait-il de fomenter une fois de plus le dialogue interculturel, Blas ayant pour un lecteur français des connotations d’exotisme littéraire (on pense à Gil Blas de Santillane de Lesage) ?

La comparaison avec l’onomastique de l’adaptation de Florian est éclairante, et en particulier pour ce dernier exemple, comme on le verra.

On observe, chez Florian, une absence de cohérence apparente en matière de traduction des noms, même si certaines traductions surprenantes s’expliquent finalement par un souci de bienséance et de vraisemblance, ces deux concepts étant entendus comme ce qui est admissible pour le lecteur visé par l’auteur, soit un lecteur dont la culture se situe dans la moyenne de l’époque, un lecteur qui cherche seulement le délassement dans ces histoires de bergers. Quand il ne trouve pas d’équivalent français évident, mais que le terme espagnol lui semble faire sens, c’est-à-dire, bucolique, il ne le traduit pas. C’est ainsi que Galatea est rendu par Galatée, mais qu’Elicio garde son nom espagnol, que Teolinda devient Téolinde mais qu’Eleuco est toujours Eleuco26. Or d’autres choix en matière onomastique doivent nous interpeller. Ainsi le nom du père de Galatée, « Aurelio », qui aurait pu être facilement transposé en « Aurélien », est-il remplacé par celui de « Mœris ». Ce nom renvoie au personnage virgilien des Bucoliques, un homme âgé qui, dans l’églogue IX, devise avec Lycidas sur les malheurs de Ménalque, dépossédé de ses biens. Comme l’Aurelio cervantin, c’est donc une figure d’homme mûr, préoccupé par les biens matériels et en ce sens, ce nom n’apporte rien de nouveau à la configuration du personnage. En revanche, par rapport à Aurelio, il perd ce rapport aux lauriers d’or d’Apollon fomenté par la paronomase Aurelio/Laurel, et donc son rapport à l’acte d’écriture poétique surtout si on considère que la fille d’Aurelio, Galatée « … est l’or du Tage, ou son joyau, comme le dit Érastre l’éploré lorsqu’il apprend qu’elle est promise à un Portugais, et donc à l’exil »27. Pour quelle raison la traduction par Aurèle ou Aurèlien qui s’imposait comme un calque facile n’a-t-elle pas été retenue ? Peut-être la connotation impériale du nom gênait-elle Florian, qui a recouru à un nom probablement connu de son lecteur modèle, qui, sans être érudit, avait une connaissance, au moins rudimentaire, de Virgile ?

C’est la même stratégie que l’on observe dans la transposition de Bras et de Mingo, les deux bergers mentionnés dans le récit de Teolinda au Livre I. La connotation rustique et l’ancrage dans la ruralité castillane heurtait certainement la « bienséance » bucolique. C’est pourquoi Florian leur attribue les noms d’Alanio et Sylvain28 ; le premier est repris d’« Alanio » et le second est calqué sur « Silvano », deux bergers de la Diana de Montemayor, roman dont on a déjà évoqué la fortune éditoriale, et en castillan, et sous forme de traductions. Il s’agissait par là de ne pas rompre l’illusion poétique propre à l’univers pastoral.

C’est aussi pour des raisons de vraisemblance que le nom cervantin de certains personnages dont on a vu qu’il n’était pas le fruit du hasard est conservé, et qu’ils se trouvent ainsi reconfigurés. Ainsi « el desamorado Lenio » (Lénie le sans-amour29) est chez Florian « Lenio le vieillard », sans doute parce que pour l’adaptateur, seule la vieillesse peut mettre l’homme à l’abri de l’amour. C’est aussi pour des raisons de vraisemblance que Leonarda, sœur plus jeune de Teolinda chez Cervantès, et qui se fait passer pour elle auprès d’Artidoro, est, dans l’adaptation, sa sœur jumelle, anonyme de surcroît, ce qui se comprend dans la mesure où ce personnage n’est, chez Florian, que le facteur déclenchant des malheurs de Téolinda et d’Artidoro, un personnage simplement mentionné, sans autre rôle dans la fiction.

L’apparence anarchique de l’onomastique florianienne cache en réalité l’objectif constamment poursuivi de baigner le lecteur dans un univers familier, bienséant, et en accord avec le « bon goût » français et son sens de la vraisemblance.

Enfin, il reste à évoquer les choix de traduction onomastique dans le cadre de l’exercice universitaire de la version classique. La pratique commune est de traduire tous les noms ou de n’en traduire aucun, et cela, en fonction du degré de difficulté que ceux-ci présentent pour des étudiants. L’exercice portant sur un extrait d’extension limitée, les choix onomastiques entraînent peu de conséquences au regard de ceux portant sur l’ensemble d’un texte aussi étendu et aussi fourni en personnages que La Galatea, et nous renvoyons une fois de plus à l’étude d’Allaigre30. Ce n’est toutefois pas forcément le choix le plus heureux. Ainsi, dans l’extrait en prose dont nous allons commenter la traduction ci-dessous, c’est l’option de la conservation des noms en espagnol qui a été retenue, tout simplement parce qu’« Elicio » n’a pas d’équivalent exact en français et que le traducteur universitaire n’ose pas s’essayer à l’acte créatif du traducteur littéraire, qui consiste à forger un nom à consonance française, et qui reprend en même temps le programme onomastique de l’espagnol « Elicio », ce que fait Allaigre en proposant « Élicien ». « Galatea » aurait mérité également une traduction, puisqu’elle a son équivalent français exact dans « Galatée ». L’exercice de transposition étant proposé dans le cadre de travaux dirigés, l’enseignant a toutefois eu à cœur de commenter en classe l’origine mythologique du nom, ainsi que les affinités entre le monde pastoral et l’univers bucolique mythologique, entre les bergères de roman et les nymphes, affinités qui insèrent le personnage éponyme du roman dans une longue et riche tradition littéraire que les étudiants ont redécouverte (ou découverte) à l’occasion de cette traduction. Enfin, puisque le texte de la Pléiade est disponible, il a été possible de citer en complément l’étude onomastique d’Allaigre sur les noms des deux protagonistes pour sensibiliser les étudiants, par l’exemple, aux outils méthodologiques31 utiles pour l’étude des textes.

La traduction ou l’adaptation de la prose introductive

Florian32 procède à une rapide ébauche du cadre et des protagonistes. On est dans un roman d’aventures (amoureuses, mais aventures tout de même) et les digressions et analyses alambiquées des sentiments et des situations (dont cette première page de Galatea donne déjà un aperçu) sont sacrifiées au profit de l’action, dont le récit est mené juste avec ce qu’il faut d’éléments pour assurer promptitude et efficacité. Le choix de n’adapter que les deux premières octavas reales relève du même souci de rendement narratif. Florian les retient parce qu’elles suffisent à dire le tourment amoureux du héros alors que chez Cervantès, les deux dernières amplifient ce désespoir jusqu’à lui donner une tonalité tragique. Florian opte donc pour une tonalité plus amène, et cela se ressent dans les choix métriques qui rapprochent ses stances de la villanelle, forme adaptée à la « poésie de village ». Il s’inscrit entre le physiocratisme et le renouveau poétique galant à partir de la redécouverte de Théocrite par Gessner dont il se proclame le disciple. L’adaptation de Florian de la partie aperturale de La Galatea consiste donc à éradiquer et de la prose, et du poème, toute la riche rhétorique cervantine, de n’en conserver que les éléments nécessaires à brosser un cadre et une situation.

Claude Allaigre, pour sa part, se propose d’assurer une certaine élégance de style tout en conservant l’impression d’étrangeté, d’altérité, liée au style baroque de Cervantès et aux codes pastoraux. Ainsi le terme « aborresciese » est-il rendu par « haine » chez Allaigre alors que dans l’exercice universitaire, c’est le terme « inimitié » qui a été retenu, car ayant ce correspondant dans la carte de Tendre (en annexe). Il s’agissait de faire prendre conscience aux étudiants du parallélisme « nuancé » entre codes pastoraux français et hispaniques. Ont également été explorés « exécrât » et « abhorrât » dans le but d’enrichir leur vocabulaire et de leur faire manier le subjonctif imparfait. Dans la traduction universitaire en effet, on recherche un perfectionnement linguistique, ce qui explique ces différences de choix avec le traducteur littéraire.

Mais du point de vue universitaire, il s’agit aussi de construire une connaissance culturelle (l’idéologie, la filiation, les conventions du roman pastoral) et de susciter une prise de conscience quant à l’impact des codes en général et du code pastoral en particulier. Genre destiné à des oisifs de fait, mais aussi, plus intéressant par rapport aux problématiques de notre temps, genre qui promeut la femme qui s’y voit élevée artificiellement au rang de déesse. L’étrangeté de ce type de texte et même de langue (espagnol classique) et de langage (pastoral) est riche du point de vue de ses possibilités d’exploitation pédagogique.

Arrêtons-nous sur quelques exemples (traduction universitaire en romain, traduction d’Allaigre en italique).

Soulignons les problèmes lexicaux :

Ligne 24 :

  • « que al enamorado pastor se le helaban las palabras en la boca » ;
  • « que les mots du berger énamouré [/de l’amoureux berger] se figeaient dans sa bouche [/sur ses lèvres » ;
  • « que les paroles de l’amoureux berger se glaçaient dans sa bouche » [nous soulignons].

La traduction d’Allaigre est à mettre en rapport avec sa glose onomastique de Gelasia et Galatea. La traduction universitaire proposée vise à fournir aux étudiants un équivalent facile à réinvestir dans des contextes analogues.

Le code est aussi exploré :

Lignes 26-27 :

  • « por parescerle que a la honestidad de Galatea se le hacía agravio en tratarle de cosas que en alguna manera pudiesen tener sombra de no ser tan honestas que la misma honestidad en ella[s] se transformase. » ;
  • « tant il lui semblait que c’était faire outrage à l’honnêteté de Galatea que de l’entretenir d’affaires qui d’une quelconque manière pussent avoir l’air de n’être pas si honnêtes qu’à leur contact l’honnêteté elle-même en fût/soit altérée [/contaminée]. » [nous soulignons] ;
  • « car il lui paraissait que c’était faire injure à l’honnêteté de Galatée que d’aborder des choses qui en quelque manière auraient pu avoir une ombre de déshonnêteté, et que l’honnêteté même en aurait été altérée. » [nous soulignons].

Le concept d’honnêteté au sens du XVIIe siècle offre une transposition aisée. Cependant le terme honestidad en espagnol était, et est, d’un usage comparativement moins étendu qu’« honnêteté » en français, l’espagnol lui préférant dans le sens de « vertu féminine » recato (réserve, pudeur, « retrait » de la vie publique). Son emploi ici surprend par rapport aux usages courants de l’époque et il est probable que Cervantès ait choisi ce terme pour déborder du sens trop étroit de « chasteté », puisque « honestidad » peut renvoyer aussi au raisonnable, à la civilité. Ce choix fait écho au portrait qui est fait plus haut de Galatée. Un travail didactique sur ce terme peut être intéressant, car il faut rappeler que le concept d’honnêteté fut aux XVIe et XVIIe un justificatif générique (le roman pastoral comme honnête passe-temps). Selon Teixeira, les premières traductions des romans pastoraux ibériques introduisirent le terme d’honnêteté/honnêteté là où les textes originaux ne parlaient que de beauté. Il s’agissait en fait, par extension sémantique du terme, de reformuler un idéal de courtoisie et de civilité mondaines pour l’élite française33.

Autre élément à souligner : l’inflationisme et la surenchère dans l’affirmation de la vertu, exprimée de façon conceptiste avant l’heure, portés par le raisonnement alambiqué qui se traduit par le rythme ondulant de la phrase.

Le choix de « déshonnêteté » par Allaigre permet d’alléger la construction et de ne garder que le sens causal des connecteurs logiques. La traduction universitaire est, ici, plus littérale si bien que sont conservés les termes d’intensification, cela dans un souci pédagogique (écriture baroque, mentalité de l’excès versus mesure française classique), pour souligner l’inflationnisme du passage.

Conclusion

On voit bien dans l’exemple canonique de La Galatea que la traduction actuelle d’un roman pastoral ne peut viser qu’un objectif interculturel, augmenté dans le cadre didactique d’un objectif de connaissance linguistique. Dans le cas de la traduction universitaire, on peut dire que le fait d’aborder le code du roman pastoral par la traduction est riche de possibilités par la mise en regard de deux cultures, voire quatre, si l’on considère la distance historique de quatre siècles par rapport aux textes originaux. Quant au traducteur qui viserait un public moins élitaire, il serait condamné à renouveler complètement l’entreprise d’adaptation de Florian, en tenant compte, cette fois, des mœurs actuelles, en reprenant peut-être tout ce qui a trait aux questions de genre, tant il nous semble que le roman pastoral en général, et La Galatea en particulier, tiennent un discours qui va au-delà de la promotion de la femme, questionnant la façon dont hommes et femmes se vivent dans leurs passions soumises aux contraintes sociales. Ce sont ces interrogations qui pourraient structurer une éventuelle adaptation « grand public ». En fin de compte, le langage du roman pastoral est, toujours encore, bien plus qu’un double langage, c’est un langage foisonnant dont les sens ne demandent qu’à être éveillés par de nouvelles lectures.

Bibliographie

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Traductions

  • Canavaggio J. (dir.) [2001], Miguel de Cervantès, Don Quichotte de la Manche, précédé de La Galatée, trad. Claude Allaigre et Michel Moner, Œuvres romanesques complètes, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».
  • Florian, J.-P. Claris de (trad.), Galatée, pastorale imitée de Cervantes, Paris, Librairie Chez Gide, 1806.

Annexes

Esto cantaba Elicio, pastor en las riberas de Tajo, con quien naturaleza se mostró tan LIBERAL, cuanto la FORTUNA y el amor escasos, aunque LOS DISCURSOS DEL TIEMPO, CONSUMIDOR Y RENOVADOR DE LAS HUMANAS OBRAS, le trujeron a términos que tuvo por dichosos los infinitos y desdichados en que se había visto, y en los que su deseo le había puesto, por la incomparable belleza de la sin par Galatea, pastora en las mesmas riberas nacida ; y, aunque en el pastoral y rústico ejercicio criada, fue de tan alto y subido entendimiento, que las discretas damas, en los reales palacios crescidas y al discreto tracto de la corte acostumbradas, se tuvieran por dichosas de parescerla en algo, así en la discreción como en la hermosura. Por los infinitos y ricos dones con que el cielo a Galatea había adornado, fue querida, y con entrañable ahínco amada, de muchos pastores y ganaderos que por las riberas de Tajo su ganado apascentaban ; entre los cuales se atrevió a quererla el gallardo Elicio, con tan puro y sincero amor cuanto la virtud y honestidad de Galatea permitía.

De Galatea no se entiende que aborresciese a Elicio, ni menos que le amase; porque a veces, casi como convencida y obligada a los muchos servicios de Elicio, con algún honesto favor le subía al cielo; y otras veces, sin tener cuenta con esto, de tal manera le desdeñaba que el enamorado pastor la suerte de su estado apenas conoscía. No eran las buenas partes y virtudes de Elicio para aborrecerse, ni la hermosura, gracia y bondad de Galatea para no amarse. Por lo uno, Galatea no desechaba de todo punto a Elicio; por lo otro, Elicio no podía, ni debía, ni quería olvidar a Galatea. Parescíale a Galatea que, pues Elicio con tanto miramiento de su honra la amaba, que sería demasiada ingratitud no pagarle con algún honesto favor sus honestos pensamientos. Imaginábase Elicio que, pues Galatea no desdeñaba sus servicios, que tendrían buen suceso sus deseos. Y cuando estas imaginaciones le aviva[ba]n la esperanza, hallábase tan contento y atrevido, que mil veces quiso descubrir a Galatea lo que con tanta dificultad encubría. Pero la discreción de Galatea conoscía bien, en los movimientos del rostro, lo que Elicio en el alma traía; y tal el suyo mostraba, que al enamorado pastor se le helaban las palabras en la boca, y quedábase solamente con el gusto de aquel primer movimiento, por parescerle que a la honestidad de Galatea se le hacía agravio en tratarle de cosas que en alguna manera pudiesen tener sombra de no ser tan honestas que la misma honestidad en ella[s] se transformase.

Miguel de Cervantès, La Galatea, 1585 (Primera Parte ; Libro I).

Cervantes

Octavas Reales ABABABCC

Claude Allaigre

Transposition métrique en octaves italiennes

Florian

Stance type villanelle (adaptée au sujet)

Deux sizains alternants alexandrins et octosyllabes

ABABB

Mientras que al triste, lamentable acento

del mal acorde son del canto mío,

en eco amarga de cansado aliento,

responde el monte, el prado, el llano, el río,

demos al sordo y presuroso viento,

las quejas que del pecho ardiente y frío

salen a mi pesar, pidiendo en vano

ayuda al río, al monte, al prado, al llano

Crece el humor de mis cansados ojos

las aguas deste río, y deste prado

las variadas flores son abrojos

y espinas que en el alma s’han entrado

No escucha el alto monte mis enojos,

y el llano de escucharlos se ha cansado;

y así, un pequeño alivio al dolor mío

no hallo en monte, en llano, en prado, en río.

Creí que el fuego que en el alma enciende

el niño alado, el lazo con que aprieta,

la red sotil con que a los dioses prende

y la furia y rigor de su saeta,

que así ofendiera como a mí me ofende

al subjeto sin par que me subjeta;

mas contra un alma que es de mármol hecha,

la red no puede, el fuego, el lazo y flecha.

Yo sí que al fuego me consumo y quemo,

y al lazo pongo humilde la garganta,

y a la red invisible poco temo,

y el rigor de la flecha no me espanta

Por esto soy llegado a tal estremo,

a tanto daño, a desventura tanta,

que tengo por mi gloria y mi sosiego

la saeta, la red, el lazo, el fuego.

Cependant qu’au triste et lamentable accent

des accords dolents de ma pauvre chanson

qu’à Écho amère au souffle défaillant

le pré et le fleuve, la plaine et le mont

répondent, livrons au sourd empressement

du vent les plaintes d’un cœur dont la passion

s’exhale pour demander, supplique vaine

de l’aide au mont, au fleuve, au pré, à la plaine.

De l’humeur lasse de mes yeux s’enfleront

les eaux de ce fleuve, alors que de ce pré

les fleurs bigarrées sont épineux chardons

qui dans mon âme tendre sont plantés ;

altier, de mon ennui n’a cure le mont

et de l’entendre la plaine s’est lassée :

nul soulagement je ne trouve à ma peine

en pré ni en fleuve, en mont ni en plaine.

J’avais cru que le feu qu’allume dans l’âme

l’enfant ailé, ou bien son cruel lacet,

ou le filet qui les dieux piège en sa trame,

la rigueur enfin de sa flèche acérée,

auraient pu blesser autant qu’ils me condamnent,

l’objet sans pareil dont je suis le sujet ;

mais sur une âme dans le marbre taillée

n’ont prise lacet, feu, flèche ni filet.

Mais moi je veux être à ce feu consumé,

et que le lacet mon humble cou enserre ;

je n’ai pas peur de l’invisible filet

ni que m’atteigne la flèche meurtrière.

Me voilà venu à telle extrémité,

à un tel dommage, une telle misère,

que pour ma joie et pour mon repos je veux

le lacet, le filet, la flèche et le feu.

Avant que le soleil n’ait éclairé nos plaines,

Je fais retentir les échos,

Je fatigue les bois, les prés et les fontaines

Du triste récit de mes maux :

Mais les échos, les bois les prés et les ruisseaux,

Ne peuvent soulager mes peines.

Sur les gazons fleuris, à l’ombrage des chênes,

Je ne trouve plus de repos,

Je gémis, le ramier joint ses plaintes aux miennes,

Mes larmes troublent les ruisseaux :

Mais les ruisseaux, les près les bois et les échos,

Ne peuvent soulager mes peines.34

Adaptation de Florian, 1784

Avant que le soleil n’ait éclairé nos plaines,

Je fais retentir les échos,

Je fatigue les bois, les prés et les fontaines

Du triste récit de mes maux :

Mais les échos, les bois les prés et les ruisseaux,

Ne peuvent soulager mes peines.

Sur les gazons fleuris, à l’ombrage des chênes,

Je ne trouve plus de repos,

Je gémis, le ramier joint ses plaines aux miennes,

Mes larmes troublent les ruisseaux :

Mais les ruisseaux, les près les bois et les échos,

Ne peuvent soulager mes peines.35


Telles étaient les plaintes d’Elicio, berger des rives du Tage. La nature l’avait comblé de ses dons ; mais la fortune et l’amour ne l’avaient pas traité comme la nature. Depuis longtemps il aimait Galatée, sans pouvoir se flatter d’en être aimé. Galatée était une simple bergère du même village qu’Elicio ; mais elle eût été la reine du monde, si le monde s’était donné à la plus belle et à la plus sage.


Notes

  1. Nowicki, Oustinoff, 2015, p. 204-206.
  2. Teixeira, 2009.
  3. Nous voulons dire que toutes les combinaisons des tourments amoureux sont explorées à travers diverses interactions entre les différents couples arcadiens : passion, jalousie, dédain, fidélité sans faille, ingratitude, etc., sont combinés à satiété de façon à établir une carte de Tendre complète, comme la schématisera entre autres Catherine de Rambouillet vers 1654.
  4. Gerhardt, López Estrada, Chevalier, 1980.
  5. Teixeira, 2009.
  6. Oséki-Dépré, 2003, p. 14.
  7. Cervantès, 2001, p. 1452-1454.
  8. Fournier-Guillemette, 2011.
  9. Cervantès, 2001, p. 1452-1456.
  10. Florian, 1806, p. 43.
  11. Ibid.
  12. Dans sa notice à La Galatea, Claude Allaigre remarque très pertinemment que dans La Galatea, « l’art de la poésie est au nombre de ces techniques qui se placent sous l’invocation de Vénus ‒ plutôt que d’Aphrodite ‒, nature naturante observée dans son expansion continue en nature naturée, pour configurer une tierce nature, qui est le domaine de l’humain » (Cervantès, 2001, p.1451) [nous soulignons]. Cette conception de la nature au seuil de la fiction ne doit donc pas nous surprendre.
  13. Florian, 1806, p. 36-39.
  14. Florian, 1806, p. 27-28.
  15. Florian, 1806, p. 27-29.
  16. À ce sujet l’édition princeps de 1783 est en in-12, ce qui veut dire que matériellement le livre équivalait à nos livres de poche actuels. La réédition de 1809 dont nous disposons est en in-18 (13 x 7 x 2 cm), l’ouvrage tenant vraiment dans une poche. Le format est révélateur du type de lectorat visé.
  17. Cervantès, 2001, p. 7.
  18. Cervantès, 2001, p. 1465-1466.
  19. Cervantès, 2001, p. 1466.
  20. Cervantès, 2001, p. 1466-1467, notes 3 et 4.
  21. Ibid.
  22. Cervantès, 2001, p. 1440-1446. On peut apprécier la fécondité de cet axe exégétique dans sa magistrale thèse sur La Lozana andaluza (Allaigre, 1980).
  23. Cervantès, 2001, p. 1440-1446.
  24. Cervantès, 2001, p. 1440-1441.
  25. Cervantès, 2001, p. 1474.
  26. Allaigre exploite la similitude formelle entre la racine grecque de ce nom (leucos, blanc, brillant) et le nom d’origine celtique du peuple des leuques (clairs, brillants) d’autant plus qu’Eleuco, le sage vieillard aux cheveux blancs, porte un nom qui correspond à son aspect tant dans l’espagnol « Eleuco », que dans sa transposition française  « Éleuque ». On a vu l’importance structurelle de l’onomastique pour Allaigre : le calque choisi ici est donc tout à fait pertinent.
  27. Cervantès, 2001, p. 1444.
  28. Respectivement Alain et Silvan dans la première traduction française de 1578. Mais il semble que les nombreuses traductions françaises suivantes n’ont pas toutes reproduit ces traductions, optant souvent pour Sylvain et parfois pour Alanio. Il est probable que Florian a repris ici les noms d’une traduction dont il disposait.
  29. Cervantès, 2001, p. 61.
  30. Cervantès, 2001, p. 1440-1446.
  31. On pourra évoquer le concept d’« onomantomancie » tel que développé et appliqué dans sa thèse par Allaigre (Allaigre, 1980).
  32. On se reportera à l’exemplier en annexe (« Adaptation de Florian », 1784).
  33. Teixeira, 2009, p. 141 sqq.
  34. y así, un pequeño alivio al dolor mío
    no hallo en monte, en llano, en prado, en río.
  35. y así, un pequeño alivio al dolor mío
    no hallo en monte, en llano, en prado, en río.
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Pau
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111688
ISBN html : 978-2-35311-168-8
ISBN pdf : 978-2-35311-169-5
Volume : 1
ISSN : en cours
20 p.
Code CLIL : 4033
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Comment citer

Isabel, Ibáñez, « Traduire le roman pastoral : La Galatea de Cervantès », in : Buisson, Françoise, Daguerre, Blandine, dir., Traduire le double langage : double jeu et double sens, Pau, PUPPA, Collection Alm@e Linguae 1, 2024, p. 23-42, [en ligne] https://una-editions.fr/traduire-le-roman-pastoral/ [consulté le 20/07/2024].
10.46608/almaelinguae1.9782353111688.2
Illustration de couverture • Réalisation T. Ferreira, PUPPA.
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