La voie empruntée “à vue” par chacun des acteurs du projet Sendas epigráficas n’a jamais été qu’engagée, à la manière du passage où grimpeurs et grimpeuses prennent le risque du “vol”, cette chute soudaine et vertigineuse du corps à laquelle ils et elles s’exposent plutôt que de renoncer au pas. Cet engagement de principe – le gage de l’agir en liberté et en risque – a fondé l’expérience collective qui s’est accomplie dans la mise en œuvres des intuitions (intuitio comme modalité du regard) propres à chacun. De fait, l’informe a pris forme à la faveur d’un engagement, cette promesse d’un passage à l’acte, et donc une modalité d’agir sur la matière et partant, sur le monde. Un tel passage à l’acte se fait l’écho des processus à l’œuvre tant dans la création contemporaine que dans l’inscription : l’engagement des créateurs dans le choix des dispositifs formels, celui de l’écrivant jouant avec les signes, l’effort impliqué par une lecture, l’écriture engageante et également engagée hic et nunc. Ainsi le signe graphique est le fruit de gestes, un engagement du corps donc, parfois souffrant. Cette violence à soi imposée par le travail de la matière, dont témoignaient les scribes dans les colophons, a été vécue vivement par Naomi Melville lors de la gravure sa pièce de bois – un travail fastidieux, douloureux – elle se pose pour Pepito Meijon, inscrivant incessamment, quotidiennement, les murs de sa ville pendant plus de trente ans. Il ne reste hélas rien du corps abîmé dans l’inscription, l’expérience somatique n’est jamais transmise, rarement pensée par l’historien, quand pourtant elle accompagne le processus graphique. Aussi, le corps marquant ne se perçoit pas marqué : la création contemporaine a eu alors le mérite de rétablir la réalité du corps vivant dans l’acte épigraphique. Elle est en effet une clé pour se réconcilier avec les évidences sensibles d’un processus – l’émotion, la sensation : les œuvres de Marie Bonnin sont nées d’un désir frustré, celui du contact immédiat avec la matière. Toucher compte du reste comme l’un des sens générateurs du signe, la lettre tracée s’établissant dès lors comme une extension du corps ; elle le “capture” pour le moins, voire l’incarne par des manifestations mimétiques. La médiation technique, celle qui conduit de la main au signe – via le ciseau, le calame, la pointe sèche puis la presse, l’imprimante etc… – ne contrarie pas ce lien organique entre la lettre et le vivant, elle accuse plutôt la force de l’engagement face à la matière et se fait le gage de sa trace. C’est bien la technicité de l’écriture, quelle qu’en soit la forme, comme empreinte d’un corps en action, qui établirait l’inscription comme “archive des intensités”. Le fantôme d’un corps ne se limite néanmoins pas seulement à la temporalité de la réalisation et les manipulations auxquelles donne lieu le sceau (au titre d’un corps “engagé” contractuellement, mais aussi en raison d’une lisibilité contrainte) montrent que l’effectivité de l’écriture s’entend bien sûr dans les proximités sensorielles et tangibles qu’elle entraîne. Ici se situe le moment de basculement, quand l’écriture née d’un corps agissant, engage à son tour les corps : la voix transformant la prosodie du texte en émotion lors de l’énonciation de la prière inscrite dans l’église, les mouvements soutenant un regard en quête de sens dans la contemplation d’une inscription. L’écriture ouvre de fait une voie vers l’engagement, un engagement en puissance donc. Dès lors, la présence de l’inscription, fondée sur son existence physique (fictive ou réelle), son installation, ou encore son contenu s’établit également au-delà d’elle-même, dans l’aura des corps à son contact : ceux de ses créateurs et ceux de ses spectateurs. Une présence engagée et engageante, affaire de “corps à l’approche” et donc d’espace, ce lieu qu’elle transforme via les événements qui s’accomplissent à travers elle. L’inscription est bien à la fois cette formation augmentée de l’écriture via l’action sur la matière, que l’indice et l’occasion d’un agir per forma : soit l’inscription comme performance jamais achevée. Au bout du compte, l’engagement, une fois revenu à l’inscription elle-même et à ses conditions d’existence, n’est rien d’autre que l’un de ses états de fait.