“Du Rhin au Nil. Quelques remarques sur le culte de Sarapis dans l’armée romaine”,
in : Le myrte et la rose. Mélanges offerts à Françoise Dunand par ses élèves,
collègues et amis, réunis par G. Tallet et C. Zivie-Coche,
Montpellier, CENiM 9, 2014, p. 69-77.
L’ancien cloître bénédictin de Marienhausen, près de Rüdesheim (Kr. Darmstadt), dont la première mention remonte à 1189, a livré une inscription répertoriée au CIL XIII sous le numéro 7610. Nous sommes là à moins d’une trentaine de kilomètres du Kästrich, le grand camp de Mayence, sur la rive droite du Rhin. La pierre, aujourd’hui perdue, est connue par une copie, et elle est généralement considérée comme mal lue, voire fausse. J’en redonne le fac-similé d’après le CIL (fig. 1).
La copie des lignes 5 et 6 est réputée fautive en raison du numéro de la légion, la IIII Macedonica, dont on sait qu’elle arriva en Germanie Supérieure sans doute sous Caligula, et qu’elle “disparut” des rôles après la réorganisation de la frontière rhénane au début du règne de Vespasien1. Une dédicace à IOM Serapis d’une époque aussi haute a donc paru depuis toujours complètement absurde aux commentateurs. Sans rejeter formellement l’authenticité de la pierre, E. Birley, avec un humour tout britannique, écrivait ces quelques mots : “It seems difficult to believe that such a dedication can have been made in the Rhineland no later than A.D. 69; the dedicator’s cognomen is of course corrupt, and one would have been happier if the legion had been, for example, VIII Augusta, and the date some time in the first half of the third century”2. M.-T. Raepsaet-Charlier a elle aussi consacré une petite note à ce texte, dans le cadre de son étude sur les formulaires votifs, et en a rejeté pour les mêmes raisons la datation julio-claudienne3.
Les découvertes archéologiques récentes effectuées non seulement à Mayence, mais aussi plus en amont, dans la vallée du Rhin, invitent toutefois à reconsidérer ce texte. Si l’on fait abstraction d’une perle de verre figurant Apis, découverte à Waldgirmes, dans un contexte tardo-augustéen, car un bijou n’atteste pas un culte, pas même une dévotion4, on doit signaler en revanche la découverte récente, dans les principia du camp A d’Oedenburg, d’une statuette d’Isis en argent doré (fig. 2)5. Sauf intrusion tardive toujours possible, mais assez improbable ici, cet objet provient d’un niveau préflavien bien assuré, la troupe ayant de toute façon quitté les lieux au plus tard au début du règne de Vespasien. De tels objets de cultes réputés “non officiels” ne sont pas si rares dans les camps militaires romains, mais ils n’ont guère attiré l’attention jusqu’à maintenant et il est vraisemblable qu’une recherche plus large permettrait sans doute d’exhumer d’autres témoignages qui dorment dans les réserves des musées6. La seconde découverte, essentielle pour mon propos, est évidemment celle du double sanctuaire d’Isis et de Cybèle à Mayence même7. La plus ancienne inscription qu’il a livrée est une dédicace du temple de Cybèle, rédigée lors de sa construction, sans doute sous Vespasien, nommé ici de manière explicite. Le dédicant, un esclave impérial, est a[r]carius (AE 2004, 1014)8. Deux autres dédicaces à la Grande Mère (AE 2004, 1015) et à Isis (AE 2004, 1016) pour la sauvegarde des Augustes, du Sénat, du peuple romain et de l’armée pourraient renvoyer à la révolte de Saturninus, en 89, si l’on considère, avec les auteurs de l’Année épigraphique, que les Augustes sont Domitien et Domitia. Mais l’onomastique des dédicants et des desservants n’exclut pas une fondation plus ancienne9.
Face à un tel contexte archéologique et épigraphique, les préventions contre l’inscription de Marienhausen doivent (à mon avis) tomber, car le principal argument contre sa prise en compte reposait sur l’idée que les cultes Égyptiens ne pouvaient être présents si tôt dans l’armée du Rhin. On ne peut certes proposer une restitution complète et assurée puisque la pierre a disparu et qu’on ne peut vérifier la lecture sur l’original10. L’essentiel n’est pas là mais dans l’association très précoce de Sarapis avec Iupiter Optimus Maximus, dieu officiel de l’armée, si loin de l’Égypte, à une époque où les légionnaires sont encore, dans leur très grande majorité, des Italiens11. Bien sûr, on ignore d’où provient la pierre : elle peut venir de Mayence même, très accessible par le fleuve ; elle peut aussi venir d’un lieu de culte proche de Rüdesheim et avoir été récupérée par les moines de l’abbaye à date ancienne.
Une autre inscription, perdue elle aussi, de Forum Hadriani (Voorburg), chez les Canninéfates, mentionne encore les dieux Égyptiens à la suite de IOM (CIL XIII, 1337*) : I(oui) o(ptimo) m(aximo) Sarapi / Isidi frugifere12 (sic) / Caelesti Fortun(ae) / Bono Euento Felicitati Lari / uiali e[t] Genio / loci L(ucius) Lucretius Pal(atina tribu) Faustinian(us) / (centurio) leg(ionis) I M(ineruiae) p(iae) f(idùm^elis) pro se / suisq(ue)13 r(—)14 u(otum) l(oco) consac(rato)15. La similitude du texte avec l’inscription de Marienhausen a souvent fait considérer cette inscription comme fausse, elle aussi. A. Riese et à sa suite L. Vidman l’ont toutefois retenue et on ne voit pas de raison particulière de mettre son authenticité en doute, pour les mêmes raisons qui invitent à accepter celle de Marienhausen. Elle est assurément postérieure à cette dernière, puisqu’elle mentionne la legio I Mineruia p(ia) f(idelis), un titre obtenu par la légion de Bonn après la révolte de Saturninus, en 8916. Elle peut donc être datée au plus tôt de cette époque, mais l’onomastique du dédicant et la mention de la tribu n’invitent pas à descendre la chronologie trop loin dans le second siècle.
J’ai volontairement, dans mes transcriptions, omis les virgules. Mais on doit évidemment s’interroger, dans le cas de ces deux inscriptions, sur la séquence I(oui) O(ptimo) M(aximo) Sarapi. Faut-il comprendre I(oui) o(ptimo) m(aximo), Sarapi qui serait le commencement d’une liste de divinités ou, au contraire, considérer que IOM et Sarapis ne constituent qu’une seule et même entité religieuse ? Une piste de réflexion peut être fournie par plusieurs inscriptions, dont une, au moins, est datée. Il s’agit de CIL III, 13587, découverte à Jérusalem et gravée en l’honneur de Trajan (= SIRIS 362 ; RICIS 403-0801) : [I(oui)] O(ptimo) M(aximo) Sarapidi / pro salute et uictoria / imp(eratoris) Neruae Traiani Caesaris / optumi Aug(usti) Germanici Dacici / Parthici et populi Romani / uex(illatio) leg(ionis) III Cyr(enaicae) fecit. On trouve sur un autel de Bravoniacum (Kirkby Thore)17, en Bretagne, une dédicace Ioui Serapi18, de chronologie incertaine ; à Vienne, une table de bronze datée de Septime Sévère porte le texte suivant : I(oui) O(ptimo) M(aximo) Sarapid(i) / pro sal(ute) Imp(eratoris) / L(ucii) Septimii Seueri / Pii / Pertinacis Aug(usti) Arabici / Adiaben(ici) Parthici Maximi et /imp(eratoris) M(arci) Aureli Antonini Aug(usti) / [- F]l(auius) Quirin/alis Maximus / trib(unus) mil(itum) leg(ionis) X Gem(inae) / p(iae) f(idelis) u(otum) / s(oluit) l(aetus) l(ibens) m(erito)19. À Carnuntum, dans l’amphithéâtre, on rencontre une dédicace [I]oui / [S]erap[i] / [I]ulius20. Toutes ces inscriptions proviennent de milieux militaires, et on hésite quelquefois sur l’interprétation : entité divine unique ou simple association ? En revanche, tant à Marienhausen qu’à Voorburg il nous semble plus prudent de conclure à une liste de divinités distinctes, comme c’est aussi le cas sur une inscription de Cologne dédiée en 179 à IOM et Sera/pi(di) et / genio loci par un bénéficiaire du consulaire. Nous sommes ici, il est vrai, dans une colonie romaine21. On retiendra pour conclure que la présence des cultes égyptiens dans la vallée du Rhin a été plus précoce qu’on ne le dit généralement ; dans le milieu militaire, hors d’Égypte même, la cohabitation déjà ancienne de Iupiter Optimus Maximus et de Sarapis a pu conduire progressivement, dès le début du IIe siècle, à une forme de fusion des deux divinités22.
La première apparition de Sol, associé à IOM et Sarapis, provient de Crète, et elle est due à l’équipage d’un navire alexandrin qui grave une inscription sous Trajan23 : Ioui Soli Optimo Maximo / Sarapidi et omnibus diis et / Imperatori Caesari Neruae / Traiano Aug(usto) Germanico Dacico n(ostro) / Epictetus libertus tabellarius / curam agente operis Dionysio Sostra/ti filio Alexandrino gubernatore / nauis parasemo Isopharia T(iberii) Cl(audii) Theonis.
Le seul fait que l’inscription soit écrite en latin dans ce milieu grec me semble indiquer que nous pourrions avoir à faire à des militaires et non à des marchands, comme on le suppose d’ordinaire. Le formulaire ne s’y oppose d’ailleurs pas : on trouve en effet des gubernatores dans les vaisseaux de guerre, jusque dans le courant du IIe siècle de notre ère ; le curam agens est un alexandrin, ce qui est normal dans la classis Alexandrina, dont le rayon d’action s’étend jusqu’à Cherchel ; son affranchi est bien sûr un oriental lui aussi, de même que T. Claudius Theon24. Celui-ci est-il un patron marchand ou bien un militaire ? La formulation adoptée (nauis + nom du navire + génitif) peut convenir dans les deux cas. On aurait évidemment préféré disposer d’un sigle de centurie avant le génitif pour acquérir une certitude25.
La mise en page de l’inscription comporte différentes interponctions, notamment entre Maximo et Sarapidi, mais, comme c’est aussi le cas entre Aug et Germanico, entre gubernatore et nauis, entre parasemo et Isopharia, on ne peut tirer de conclusions du rythme de ces hederae. Faut-il considérer que nous sommes en présence d’un Iupiter Sol Optimus Maximus Sarapis, comme le fait L. Bricault, ou de deux divinités encore distinctes, Iupiter Sol Optimus Maximus d’une part, Sarapis d’autre part ? Je serais enclin à traduire : “À Jupiter Soleil très bon très grand, à Sarapis, à tous les dieux et à l’Empereur….”26. On peut hésiter mais il est évident que cette proximité de plus en plus grande devait rapidement conduire à une fusion, ce que montrent les parallèles épigraphiques égyptiens.
G. Tallet a récemment proposé de voir dans la figure de Zeus Helios Megas Sarapis un dieu égyptien fabriqué “pour les Romains” en milieu alexandrin27. Sans reprendre ici toute sa démonstration, je retiendrai l’idée que la diffusion de cette nouvelle entité divine est effectivement liée au maillage des garnisons militaires et commence probablement sous Trajan. On le retrouve ainsi à Bérénice, sur un bloc trouvé à l’entrée des ruines du temple28 et dans les carrières du Mons Claudianus29. Une nouvelle inscription récemment découverte dans le praesidium de Dios, sur la piste de Coptos à Bérénice, vient compléter cette petite série30. Dans ce poste, édifié sous Trajan (114-115), l’architecte Μ. Ἀντώνιος Κέλερ de la 1ère cohorte des Lusitaniens a gravé une dédicace en grec à Zeus Helios Megas Sarapis.
Ce phénomène d’assimilation progressive d’une grande divinité non romaine avec Iupiter Optimus Maximus n’est évidemment pas propre aux cultes égyptiens et on pourrait trouver de nombreux parallèles qui sortiraient du cadre de cette brève étude. O. Stoll, qui a effectué une enquête exhaustive pour le Levant, a bien analysé ce processus de rapprochement progressif31. Citons, par exemple, une inscription de Baalbeck (AE 1957, 118) Regi Deo IOM H(eliopolitano), Veneri, Mercurio dédiée par un str(ator) c(onsularis). Elle ne provient pas, il est vrai, d’un contexte militaire, mais du grand sanctuaire d’Héliopolis. Mais dans l’oasis de Jawf, où la présence de soldats est bien attestée, on trouve une dédicace “pro salute domm(inorum) nn(ostrorum) (duorum) I(oui) O(ptimo) M(aximo) Hammoni et sancto Sulmo”32. Dédiée par un centurion de la III Cyrenaica, elle date évidemment des Sévères. Vers la même époque, à Bostra même, un corniculaire fait graver son vœu à Io(ui) Op(timo) Max(imo) Genio Sancto Hammoni (AE 1952, 248). À Sûr, dans le Lejaa, une tabula ansata porte une dédicace Ioui Hammoni, rédigée par un a questionario (CIL III, 13604). Ce type d’association divine est devenu tellement ordinaire, dans l’armée du IIIe siècle, qu’un papyrus de Dura indique que le mot de passe du jour (27-28 mai 239) est “Iupiter Dolichenus”33. N’insistons pas davantage, mais rappelons que, dans l’évolution du rapprochement puis de la progressive fusion entre le Jupiter capitolin, dieu par excellence des armées, et une grande divinité locale, la garnison romaine d’Égypte ne constitue en aucune manière un cas spécifique et isolé34. La cohabitation est ancienne, on l’a vu, déjà présente au sein des légions rhénanes dès le Ier siècle de notre ère. On rappellera, à ce propos, qu’en 71, Vespasien et Titus avaient passé la nuit précédant leur triomphe près de l’Iseum Campestre de Rome et non, comme d’habitude, au palais impérial (Josèphe, Bell. Iud., 7.123) : bel exemple de l’évolution des mentalités religieuses pour les imperatores qui allaient gravir le lendemain les marches du Capitole dans le costume jupitérien ! Il est vrai que ce temple était situé dans les parages de la villa publica où se rassemblaient ordinairement les armées avant la pompa. Mais par ce geste nouveau que souligne Flavius Josèphe (sans quoi on comprendrait mal pourquoi l’auteur relate cet épisode), les deux empereurs rappelaient la protection que leur avait, dès le début du conflit, accordé Sarapis35. Dès 71-73 des sesterces étaient frappés à Rome, à Tarragone et à Lyon avec la représentation du sanctuaire de l’Iseum Campestre, bientôt consacré comme temple public36. Moins de deux siècles plus tard, l’affirmation de Tertullien selon laquelle le monde entier honore Sarapis témoigne de l’universalité de son culte (Ad Nat., 2.8).
Deux praesidia récemment fouillés dans le désert oriental d’Égypte sont venus apporter une lueur nouvelle sur la traduction matérielle de ce processus d’hénothéisation au sein de l’armée. Dans deux cas, en effet, à Didymoi et à Dios, l’aedes primitive du fortin, édifié l’un sous Vespasien, l’autre sous Trajan, a été déplacée après avoir été ruinée, pour une cause que l’on ignore37. Les nouveaux sanctuaires ont réutilisé d’anciens casernements, à l’occasion d’une restructuration générale des architectures, probablement vers la fin du IIe siècle ou au début du troisième, sans que l’on puisse assigner une date précise à ce processus qui a vu, dans les deux cas, une refonte des aménagements cultuels au profit de Sarapis, au point d’ailleurs que la nouvelle chapelle de Dios a rempli aussi une fonction oraculaire38 (= n°9 et 11). On pourrait déplorer, avec A. von Domaszewski, cette véritable décadence de la religion militaire, telle qu’il se la représentait : “Nichts kann das Dahinschwinden der nationalen Religion leibhafter vor Augen führen, als dieser Jupiter neben den lebensgrossen Cultbildern der orientalischen Götter”39. Décidément, Rome n’était plus dans Rome ! Mais, comme on l’a souligné à plusieurs reprises ces dernières années, ces évolutions religieuses s’inscrivent au terme d’un long processus que notre perception du calendrier de Dura a largement occulté40. L’absence de dévotions à des dieux orientaux dans le Feriale Duranum a conduit à considérer que ces pratiques étaient privées et rejetées hors des camps. Or cela paraît de moins en moins évident, comme l’ont souligné de manière indépendante des auteurs aussi différents que M.-P. Speidel, O. Stoll, N. Belayche41. Dans le cas des fortins du désert oriental, il ne me paraît pas nécessaire, pour expliquer l’existence d’installations cultuelles “sérapéennes” dans l’enceinte, de rappeler la présence de civils dans ces praesidia, même s’il est évident que ceux-ci occupent, au cours du temps, une place de plus en plus grande, et que les postes sont de moins en moins “militaires”, selon notre conception moderne de la caserne, d’où les civils, les femmes et les enfants sont exclus, ce qui est toutefois loin d’avoir toujours été le cas, même dans les castra d’occident, comme le prouve l’exemple de Vindolanda42. À Dios, l’inscription de l’architecte Μ. Ἀντώνιος Κέλερ a été découverte dans le fortin même ; on ne saurait être tout à fait certain qu’elle provient de l’aedes primitive du praesidium, mais on peut être assuré qu’elle ne vient pas de l’extérieur, où il n’y a pas d’habitat annexe. Elle a en outre été dédiée par un architecte de la 1ère cohorte des Lusitaniens, qui n’était sans doute pas de passage mais en fonction dans le fort, probablement à l’époque de sa construction, c’est-à-dire sous le règne de Trajan. Que cette dédicace soit effectuée en l’honneur de Zeus Hélios Megas Sarapis ne constitue pas une exception égyptienne, mais une étape dans un processus général, déjà ancien, de cohabitation religieuse qui devait évoluer longtemps encore.
Au matin du deuxième jour de la bataille de Bédriac, en 69, les soldats de la legio III Gallica saluèrent le soleil levant, à la syrienne : “Undique clamor, et orientem solem – ita in Syria mos est –tertiani salutauere “ (Tacite, Hist., 3.24), une coutume confirmée par Dion Cassius (64.14.3) et Hérodien (4.15). Comme le fait remarquer très justement R. Haensch, ces légionnaires étaient encore, à cette époque, originaires d’un milieu typiquement romain, probablement colonial43. Le fait même qu’ils continuent de pratiquer un rite oriental en Italie, loin de leur lieu ordinaire de garnison, en dit long sur l’évolution religieuse de l’armée, dès le deuxième tiers du Ier siècle de notre ère. Certes on peut trouver banal que les soldats de la III Cyrenaica, originaires d’Égypte, continuent d’honorer Sarapis et lui dédient, à Jérusalem, dès le règne de Trajan, une inscription en association avec Iupiter Optimus Maximus (supra) ; normal aussi que Iulius Apollinarius, un principalis de la même légion, remercie le dieu d’avoir protégé son retour en Arabie dans une lettre adressée à sa famille (P. Mich., VIII, 466) : ne s’agit-il pas, dans les deux cas, de soldats nés dans la vallée du Nil ? Les inscriptions de Marienhausen et de Voorburg, la découverte du double sanctuaire de la Magna Mater et d’Isis, à Mayence, celle de la statuette d’Isis-Fortuna dans les principia néroniens d’Oedenburg viennent toutefois nous rappeler la large et précoce diffusion, en Occident même, des cultes égyptiens dans un milieu militaire où le recrutement des Orientaux était alors pratiquement inexistant44.
Notes
- Pour un résumé commode, J. Gómez-Pantoja, “Legio IIII Macedonica”, in : Y. Le Bohec, C. Wolff (éd.), Les Légions de Rome sous le Haut-Empire, Actes du Congrès de Lyon (17-19 septembre 1998), Lyon, 2000, p. 105-118. La thèse traditionnelle veut qu’elle ait été dissoute après 69 ; une inscription de Côme mentionne toutefois clairement un centurion de la IIII Fl(avia) Macedon(ica) (= AE 1985, 473) et J. Gómez-Pantoja propose en fait une recréation dans les cadres de la nouvelle IIII Flavia.
- E. Birley, “The Religion of the Roman Army: 1895-1977”, in : ANRW II, XVI, 1978, p. 1506-1541 (= MAVORS IV, p. 397-432, sc. p. 413, note 87).
- M.-T. Raepsaet-Charlier, Diis deabusque sacrum. Formulaire votif et datation dans les trois Gaules et les deux Germanies, Paris, 1993, p. 74-75.
- Il s’agit probablement d’un chaton de bague. Cf. A. Becker, G. Rasbach, “Der spätaugusteische Stützpunkt Lahnau-Waldgirmes. Vorbericht über die Ausgrabungen 1996-1997”, Germania, 76, 1998-2, p. 684.
- M. Reddé, “Une statuette d‘Isis dans les Principia”, in : M. Reddé (éd.), Oedenburg. Fouilles françaises, allemandes et suisses à Biesheim et Kunheim, Haut-Rhin, France. Volume 1. Les camps militaires julio-claudiens, Monographien RGZM 79-1, Mayence, 2009, p. 395-397.
- Voir toutefois, pour une brève liste, O. Stoll, Die Skulpturenausstattung römischer Militäranlagen an Rhein und Donau. Der Obergermanisch-rätische Limes I, II, St. Katharinen 1992, sc. p. 101.
- Voir pour l’instant les deux publications préliminaires de M. Witteyer, Göttlicher Baugrund. Die Kultstätte für Isis und Mater Magna unter der Römerpassage in Mainz, Mayence, 2003 ; Das Heiligtum für Isis und Magna Mater, Mayence, 2004.
- AE 2004, 1014 : [- – – Primi]genius [[ -ca 5-]] / [- – – Imp(eratoris) Ve]spasiani Aug(usti) / [- – -]atoris a[r]carius / [- – – Matri] deum ex im[p]erio / [eius – – -] posuit.
- AE 2004, 1015 : Pro salute Augustorum / S(enatus) p(opuli)q(ue) R(omani) et exercitus / Matri Magnae Claudia Aug(usti) l(iberta) Icmas / et Vitulus Caes(aris seruus) sacer(dote) Cla(udio) Attico lib(erto). AE 2004, 1016 : Pro salute Augustorum et / S(enatus) p(opuli)q(ue) R(omani) et exercitus / Isidi Pantheae Claudia Aug(usti) l(iberta) Icmas / et Vitulus Caes(aris seruus) sacer(dote) Claud(io) Attico lib(erto).
- Ainsi peut-on s’étonner, comme M.-T. Raepsaet-Charlier, de l’absence de filiation, mais pas nécessairement de cognomen à cette époque. On serait tenté de traduire PALTR (ligne 5) par Pal(atina) tr(ibu) : cette solution est envisagée aussi par M.-T. Raepsaet-Charlier alors que Gómez-Pantoja 2000 (note 1) propose Pal(atina) Tr(ever), une solution à laquelle je ne crois guère. Peut-on suggérer une mauvaise lecture pour une ligature ETR, mal comprise et transcrite LTR, ce qui pourrait suggérer un cognomen comme Pater(nus) ? On n’est pas non plus en mesure de restituer le P de la 6e ligne. Quant à la formule finale, on pourrait penser à u(otum) l(ibens) l(aetus) c(onsacrauit). Mais l’expression uotum consacrare est mal documentée (voir toutefois CIL VIII, 8306 = ILAlg. II, 7713). Je préfère la scinder et lire pro se suis/que aux lignes 7 et 8, en considérant que la séquence QVL (ligne 8) est une mauvaise lecture pour que. La fin se lirait alors libens consacrauit. Tout ceci reste évidemment spéculatif, faute d’accès à un facsimilé ou à une lecture directe de l’inscription.
- Si j’ai raison, la datation habituelle des formulaires votifs au genius loci, à partir de l’époque antonine, devra ici être révisée ; cf. M.-T. Raepsaet-Charlier (note 3), p. 38.
- Restitution de A. Riese, Das Rheinische Germanien in den antiken Inschriften, Berlin, 1914, n°553, pour frugifero, rapporté par la copie.
- Riese.
- Insoluble.
- Ou l(ibens) consac(rauit), selon Riese.
- Et non pas f(elicis) comme restituent par étourderie L. Vidman, SIRIS 724 et L. Bricaut, RICIS *610/0201.
- Sur la route menant de Catterick à Carlisle, et où se trouve un camp militaire.
- CIL VII, 298 ; RIB I, 762 ; SIRIS 751 ; RICIS 604/0201.
- CIL III, 4560 = SIRIS 667 = RICIS 613/0801. L’inscription suivante CIL XIII, 4561 est une autre dédicace à IOM / Sarapidi par le même tribun.
- CIL III, 11141 = SIRIS 665 = RICIS 613/0701.
- CIL XIII, 12052 = SIRIS 717 = RICIS 610/0101. B. et H. Galsterer, Die römischen Steininschriften aus Köln (IKöln2) (dir.), Mayence, 2010, n°103.
- Je ne prétends évidemment pas avoir cité ici toutes les inscriptions relatives à IOM Sarapis, mais seulement celles qui m’ont paru les plus significatives pour mon propos.
- CIL III, 3 = SIRIS 171 = RICIS 203/0701 = M. Guarducci, Inscriptiones Creticae opera et consilio Friderici Halbherr collectae. II, Tituli Cretae Ocidentalis, Rome, 1939, XX, 7.
- La restitution T(iberius) Claudius a été adoptée par M. Guarducci, pour d’évidentes raisons, bien que l’estampage sur lequel elle a lu le texte ne porte qu’un T. Mais T(itus) reste évidemment possible.
- À moins bien sûr que le T (qui n’apparaît pas sur toutes les copies) ait été mal compris et confondu avec un 7 (sigle de centurie), mais les publications disponibles ne donnent pas de fac-similé de l’estampage. Sur toutes ces questions, je renvoie à M. Reddé, Mare nostrum. Les infrastructures, le dispositif et l’histoire de la marine militaire sous l’Empire romain, BEFAR 260, 1986. Sur le parasemum, transcription du grec παρασήμον, voir p. 67.
- On pourrait de la même manière hésiter sur nombre de traductions proposées par L. Bricault dans les RICIS. Ainsi la séquence Ioui Optimo [maximo] / Neptuno Serap[idi] / pro salute et victoria imperatoris…. de SIRIS 670 = RICIS 614/0201 de Piliscsév, sur le Danube (CIL III, 3637) renvoie-t-elle, à mon sens, à des entités divines différentes et non pas à “Jupiter très bon très grand Neptune Sérapis” ; à Rome l’inscription AE 1938, 63 = SIRIS 391 = RICIS501/0128 du Dolichenum, dédiée IOM Dolicheno Serapi et [Isidi I]unoni doit-elle, selon moi, se traduire “À Iupiter Optimus Maximus Dolichenus, à Sérapis et à Isis Iuno” et non pas “À Iupiter Optimus Maximus Dolichenus Sérapis et à Isis Iuno”.
- G. Tallet, “Zeus Hélios Megas Sarapis, un dieu Égyptien ‘pour les Romains’ ?”, in : N. Belayche, J.-D. Dubois (éd.), L’oiseau et le poisson. Cohabitations religieuses dans les mondes grec et romain, Paris, 2011, p. 227-261.
- SB V, 8385 = A. Bernand, Pan du désert, Leyde, 1977, n°71, p. 188-189.
- SB V, 8323 = Bernand 1977 (note 28), n°38, p. 89-92 ; SB V, 8324 = OGIS II, 678 = Bernand 1977 (note 28), n°42, p. 98-105 = Id., Les Portes du désert, Paris, 1984, n°88-89, p. 245-250.
- Je l’ai découverte pendant les fouilles de la mission du Ministère des Affaires Étrangères et de l’IFAO, dirigée par H. Cuvigny, en remploi dans l’une des pièces tardives du poste. Elle a, depuis lors, été publiée par H. Cuvigny, “The Shrine in the praesidium of Dios (Eastern Desert of Egypt): Graffiti and Oracles in Context”, Chiron, 40, 2010, p. 245-299, inscription n°2.
- O. Stoll, Zwischen Integration und Abgrenzung : Die Religion des Römischen Heeres im Nahen Osten. Studien zum Verhältnis von Armee und Zivilbevölkerung im römischen Syrien und den Nachbargebieten, Mainzer Althistorische Studien III, St. Katharinen, 2001.
- M-P. Speidel, “The Roman Army in Arabia”, ANRW, II, 8, Berlin, New-York 1977, p. 694 = MAVORS I, p. 229-272.
- P. Dura 89, col. I, l. 13 = R. O. Fink, Roman military Records on Papyrus, Phil. Mon. Am. Phil. Ass. 26, 1971, n°50, p. 192 sqq.
- Pour l’étude des cultes syriens dans les Germanies, arrivés un peu plus tardivement que celui de Sarapis, mais toujours par le biais des militaires beaucoup plus que des civils, voir N. Belayche, “Les cultes syriens dans les Germanies et les Gaules voisines”, in : W. Spickermann, H. Cancik, J. Rüpke (éd.), Religion in den germanischen Provinzen Roms, Tübingen, 2001, p. 285-316, qui décrit un processus comparable.
- Voir notamment J. Scheid, “Le statut du culte d’Isis à Rome sous le Haut-Empire”, in : C. Bonnet, V. Pirenne-Delforge, D. Praet, Les religions orientales dans le monde grec et romain : cent ans après Cumont (1906-2006), Bilan historique et historiographique, Colloque Rome 16-18 nov. 2006, Bruxelles, Rome, 2006, p. 173-186.
- K. Lembke, Das Iseum Campense in Rom. Studie über den Isiskult unter Domitian, Heidelberg, 1994, p. 179-181.
- Dans le cas de Didymoi, au moins, la cause la plus probable est liée à l’effondrement du puits central qui a aspiré les constructions voisines, sans doute dans la seconde moitié du IIe siècle. Sur la position théorique de ces aedes, voir M. Reddé, “Trois aedes militaires dans le désert oriental d’Égypte”, JRA, 17, 2004, p. 442-462 (= n°8).
- Pour la fouille de l’aedes de Didymoi, voir désormais H. Cuvigny (éd.), J.-P. Brun, A. Bülow-Jacobsen, D. Cardon, H. Eristov, H. Granger-Taylor, M. Leguilloux, W. Nowick, M. Reddé, M. Tengberg, Didymoi. Une garnison romaine dans le désert oriental d’Égypte – 1. Les fouilles et le matériel, FIFAO 64, Le Caire, 2011. Pour celle de Dios, on verra Cuvigny 2010 (note 30), avec le plan de la fouille effectuée par J.-P. Brun et E. Botte. Sur l’interprétation des aménagements de Dios, M. Reddé, “Tetrastylum fecit et aquilam argenteam posuit”, in : C. Deroux (éd.), Corolla Epigraphica, Hommages au professeur Y. Burnand, Coll. Latomus 331, 2011, p. 621-629 (= n°11). Sur l’évolution architecturale de ces praesidia, M. Reddé, “Fortins routiers du désert oriental d’Égypte, in : P. Henrich, C. Miks, J. Obmann, M. Wieland (éd.), Non solum… sed etiam. Festschrift für Thomas Fischer zum 65. Geburtstag, Rahden, 2015, p. 335-344 (= n°7).
- A. von Domaszewski, Die Religion des römischen Heeres, Trèves, 1895, p. 66.
- R.O. Fink, A.S. Hoey, W. F. Snyder, “The ‘Feriale Duranum’”, Yale Classical Studies, 7, 1940, p. 1-222.
- M.-P. Speidel, The Religion of Jupiter Dolichenus in the Roman Army, EPRO 63, Leyde, 1978 ; Stoll 2001 (note 31) ; Belayche 2001 (note 34). Bien que son approche intellectuelle soit différente, N. Pollard, “The Roman army as ‘total institution’ in the Near East?”, in : D.L. Kennedy (éd.), The Roman Army in the East, JRA Suppl. Ser. 18, 1996, p. 222-223 conclut dans un sens proche.
- La littérature sur ces questions s’est considérablement développée ces dernières années, remettant en question bien des idées reçues. Voir par exemple C. van Driel-Murray, “A question of gender in a military context”, Helinium, 34/2, 1994, p. 342-362 ; Ead., “Women in forts?”, Jahresber. Gesellschaft pro Vindonissa, 1997, p. 55-61 ; M. Hassall, “Homes for heroes: married quarters for soldiers and veterans”, in : A. Goldsworthy, I. Haynes, The Roman Army as a Community, JRA Suppl. Ser. 34, 1999, p. 35-40 ; L. Allason-Jones, “Women and the Roman army in Britain”, Ibid. p. 41-51 ; U. Brandl (éd.), Frauen und römisches Militär. Beiträge eines Runden Tisches in Xanten vom 7. bis 9. Juli 2005, BAR Int. Ser. 1759, 2008 (passim).
- R. Haensch, “Die Römische Armee im Osten zwischen Stattskult und lokalen religiösen Kulturen”, in : H. Cancik, J. Rüpke (éd.), Römische Reichsreligion und Provinzialreligion. Globalisierungs- und Regionalisierungsprozesse in der antiken Religionsgeschichte. Ein Forschungsprogramm stellt sich vor, Erfurt, 2003, p. 192-200.
- Je remercie bien vivement M. Dondin-Payre, directrice de recherche CNRS, et J. Scheid, professeur au collège de France, de leurs conseils avisés et du temps qu’ils ont bien voulu consacrer à la relecture de cet article.