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42• L’impact de la frontière de Germanie sur le développement économique  des campagnes de la Gaule romaine

Publié en anglais sous le titre : “The impact of the German frontier on the economic
development of the countryside of Roman Gaul”, JRA, 31, 2018, p. 131-160 ;
une version proche a été publiée sous le titre : “Les conditions du développement économique. I- La démographie, la production, la fiscalité,
la monnaie”, in : M. Reddé (dir.), Gallia Rustica 2.
Les campagnes du nord-est de la Gaule, de la fin de l’âge
du fer à l’Antiquité tardive
, Ausonius Mémoires 50, Bordeaux, 2018,
p. 501-518, [en ligne] https://ressources.una-editions.fr/s/EtkRnDRHt4sTep4 [consulté le 02/09/22]

Dans une série d’études consacrées à la densité du peuplement dans l’espace rhénan, de l’époque protohistorique aux temps modernes, K.-P. Wendt et A. Zimmermann ont tenté le difficile exercice qui consiste à évaluer la paléodémographie d’un territoire, une tâche d’autant plus complexe qu’il s’agit ici de périodes et de régions pour lesquelles les sources écrites font défaut et que le raisonnement repose très largement sur l’interprétation de la documentation archéologique1. Ce faisant, les deux auteurs ont aussi essayé de caractériser la densité de l’occupation rurale et sa répartition spatiale2. Je ne m’attarderai pas sur la méthodologie employée, assez complexe du point de vue statistique et géomatique, et de toute façon au-delà de ma compétence scientifique3 ; je prendrai donc les chiffres tels qu’ils ont été produits par cette recherche, quitte à m’interroger sur certains d’entre eux. J’essayerai ainsi de réfléchir à l’impact économique de la croissance démographique de l’époque impériale sur les campagnes de la Gaule, un sujet souvent traité mais que j’entends reconsidérer dans le cadre d’un programme européen consacré à cette question4. La relation entre la démographie, le rendement agricole, le produit intérieur brut et la fiscalité constitue assurément une clef de notre compréhension de l’économie romaine depuis le modèle qu’en avait proposé K. Hopkins5, mais ce n’est pas de manière théorique que je souhaite ici procéder. J’entends en revanche porter un regard critique sur les sources archéologiques qui, faute de textes, constituent, pour les provinces du nord-ouest de l’Empire, notre principale base de réflexion pour évaluer, à une échelle régionale, le nord-est de la Gaule, les éléments clés du développement économique sous l’Empire.

Les données démographiques

Commençons par le produit statistique de la population, calculé pour la seconde moitié du IIe siècle de notre ère, tel qu’il figure dans l’une des études publiées par K.-P. Wendt6. Il se traduit par le tableau suivant : 

Nb. d’habitants dans les villae romaines157 840–315 6807
Nb. d’habitants dans les villes et les “villages”8395 918,1­–919 237,3
Soldats84 000
Fourchette637 758–1 318 917
Moyenne978 338

Pour être complétement significatif, ce tableau doit être accompagné d’une courbe publiée dans le cadre de la seconde étude9 et qui illustre l’évolution démographique de long terme en Rhénanie, entre 5000 av. J.-C. environ (Rubané) et l’époque préindustrielle, vers 1800 (fig. 1). Elle montre un accroissement naturel très lent jusqu’à l’âge du Fer (de 0,6 à 1,2/2,3 habitants km2, suivi d’un pic vertigineux pendant l’époque romaine (10,8/17,9 habitants/km2), préalable à une diminution radicale à l’époque mérovingienne (0,8/1 habitant/ km2). Ce n’est pas avant la fin du Moyen Âge que la population aurait retrouvé le niveau de la fin du IIe siècle de notre ère. Les auteurs de cette étude sérieuse et novatrice sont bien conscients des marges d’erreur potentielles de leur démarche et ils en discutent fort savamment et consciencieusement les différents aspects. Quelques remarques s’imposent toutefois. 

  Évolution de la population en Europe centrale. En gris les estimations conventionnelles 
d’après la littérature érudite jusqu’en 1995. En noir les estimations pour la Rhénanie 
d’après les cartes de répartition archéologiques ; d’après Wendt et al., 2010 (note 2), fig. 26.
Fig. 1. Évolution de la population en Europe centrale. En gris les estimations conventionnelles d’après la littérature érudite jusqu’en 1995. En noir les estimations pour la Rhénanie d’après les cartes de répartition archéologiques ; d’après Wendt et al., 2010 (note 2), fig. 26.

Pour l’époque romaine, la zone d’étude concerne tous les territoires des provinces romaines des deux Germanies jusqu’aux frontières modernes, mais aussi celui de la Rétie. Cette méthode de calcul, centrée sur la partie romaine de l’Allemagne actuelle, pose bien entendu quelques problèmes à l’historien, car elle ne recouvre pas le découpage administratif antique. La seconde enquête est géographiquement plus restreinte puisqu’elle s’appuie essentiellement sur des données archéologiques issues du Geschichtlicher Atlas der Rheinlande, qui concerne les territoires situés au Nord de Trèves, soit l’Hunsrück-Eiffel et la Rhénanie du Nord jusqu’à la frontière des Pays-Bas. Il s’agit là d’informations quelque peu vieillies et lacunaires aujourd’hui10. Elles ont été complétées, pour l’époque moderne, par d’autres données issues du recensement de l’administration prussienne. 

L’élément le plus étonnant du tableau est sans doute la disproportion entre la population rurale et la population urbaine, considérée au sens large, à laquelle s’ajoute le poids démographique de l’armée, alors qu’on admet d’ordinaire que le ratio est inverse jusqu’à la révolution industrielle. Autrement dit, pour s’en tenir à la zone d’étude stricto sensu, chaque “rural”, quel que soit son âge et son sexe, aurait eu la charge de nourrir entre 3 et 4 “urbains” ou militaires, selon qu’on se place dans le haut ou le bas de la fourchette statistique. C’est assurément considérable pour l’époque antique et une explication doit être trouvée à ce phénomène que les auteurs ne commentent guère.

Le second élément étonnant est l’explosion démographique supposée en 150/200 ans, de la conquête augustéenne à la seconde moitié du IIe siècle. Si, bien entendu, le contingent militaire est allogène, du moins à l’origine, il faut admettre aussi que c’est le cas d’une très large part de la population urbaine dans ces régions où l’habitat aggloméré était peu dense avant l’époque romaine. Il convient en outre d’exclure tout boom brutal des naissances, la croissance démographique endogène d’une population, estimée en moyenne à 0,15 % l’an pour cette époque, ne permettant un doublement que tous les 4,5 siècles, selon B.W. Frier11.

S’agissant de la population des villes et “vici” de la Germanie romaine, les prémisses mêmes du calcul statistique, qui consistent à estimer le nombre de demeures à l’hectare (environ 14) à partir de quelques exemples et d’opérer une multiplication par un nombre théorique d’habitants par demeure (8 à 10), sont peut-être en cause. On observera en effet que les agglomérations aujourd’hui les mieux connues, à la fois par la prospection géophysique et la fouille, peuvent être très étendues sans que toute leur surface soit simultanément occupée de manière homogène et sans que tous leurs habitats soient contemporains12. J’aurais donc plutôt tendance à réviser quelque peu à la baisse ce chiffre de la population urbaine, mais il est vrai que je n’en ai pas de plus crédible à proposer, tant l’exercice est délicat. 

On doit bien entendu, en maniant ces estimations, se souvenir de celles qu’avait, en son temps, proposées J. Beloch dans une étude fondamentale qui, malgré les critiques qu’elle a pu susciter, constitue toujours le socle de notre réflexion13. Dans cet ouvrage, J. Beloch estimait la population de la Belgique césaro-augustéenne à environ 1 million d’habitants et celle de toute la Gaule à un peu moins de 5 millions. Son raisonnement reposait en l’espèce sur une source essentielle, la liste des peuples gaulois formant l’armée de secours de Vercingétorix à Alésia (César, BG, 7.75), qui sont les seuls chiffres dont nous disposons et dont on sait combien ils peuvent être sujets à caution. Toutefois, puisque ce sont les seuls, il faut bien s’en contenter, quelque réserve qu’ils nous inspirent. Par la suite, J. Beloch a quelque peu affiné ses calculs dans différents articles spécialisés14. Malgré les critiques maintes fois formulées par E. Lo Cascio, tout particulièrement dans une étude fondamentale publiée dans le Journal of Roman Sudies15, la majorité des chercheurs en est restée à l’estimation démographique de J. Beloch, quitte à la réviser quelque peu à la hausse : ainsi W. Scheidel propose-t-il pour l’ensemble de la Gaule et des deux Germanies une population globale de 9 à 12 millions d’habitants vers 165, à la veille de la peste antonine, ce qui correspond peu ou prou à la période étudiée par K.-P. Wendt et A. Zimmermann16. Un tel chiffre n’est pas incompatible avec les calculs proposés par ces auteurs pour les trois provinces de Rétie et des Germanies, surtout si l’on considère le bas de leur fourchette. Bien que toutes ces estimations soient donc assez aléatoires et doivent être considérées comme des ordres de grandeur, non comme des données fiables sur lesquelles on puisse construire un véritable modèle économique, elles n’en offrent pas moins quelques éléments fondamentaux de réflexion sur lesquels je voudrais désormais insister. 

Quels que soient les chiffres bruts que l’on retienne, l’accroissement évident et rapide, même provoqué par une forte immigration, de la population de la zone frontière et de son hinterland immédiat pose une question clef : comment a-t-on pu nourrir toutes ces bouches nouvelles, ou, pour s’exprimer autrement, quel a été l’impact économique de cet accroissement démographique sur la Gaule intérieure, notamment sur son économie rurale au début de l’Empire ? Il paraît en effet difficile de croire que l’espace rhénan, en pleine réorganisation ethnique après les pertes de la guerre des Gaules et l’installation de transrhénans sur la rive gauche, ait pu produire, à lui seul, assez de nourriture pour compenser la soudaine augmentation démographique survenue sur ce territoire au début de la conquête de la Germanie. 

La réponse historiographique traditionnelle réside principalement en un mot, celui de villa, capable, pense-t-on, de générer rapidement assez de surplus agricole pour satisfaire aux besoins de ce nouveau marché. Derrière cette idée du grand domaine productif s’en cache une autre, celle d’un développement considérable et quasi immédiat de la céréaliculture, élément de base de l’alimentation antique. Mais les campagnes de ce temps étaient-elles capables d’un tel “Grand bond en avant” économique, d’un tel gain de productivité, dans le laps de temps aussi court qui sépare la période de la conquête du début de l’Empire, voire d’une réactivité immédiate aux nouveaux besoins induits par la concentration d’environ 80 000 soldats sur le Rhin au début du règne de Tibère, sans compter les nouveaux habitants “urbains” ? Sans entrer ici dans les débats économiques théoriques qui opposent “Malthusiens”17 et “Boserupiens”18, je me contenterai d’avancer quelques observations empruntées à l’archéologie préventive la plus récente en essayant de distinguer plusieurs étapes dans l’évolution chronologique des campagnes de la Gaule.

L’héritage protohistorique et la lente transformation des campagnes gauloises

À l’occasion d’une vaste enquête nationale sur l’occupation des campagnes du nord de la France qui s’est traduite par deux publications importantes, les protohistoriens ont pu montrer comment la densité d’établissements a évolué, région par région, depuis le début du second âge du Fer jusqu’au tournant de notre ère19. Le corpus étudié, comprenant plus de 700 sites, montre deux pics : le premier, vers 500 av. notre ère, est suivi d’une déprise rapide ; le second commence vers 300/250 et culmine vers 120/100, avant de connaître à son tour un déclin précipité pendant LTD2 jusqu’à l’époque augustéenne, ce qui se traduit par la disparition d’un tiers des sites (fig. 2). Ces courbes sont en outre bien corrélées avec ce qu’enregistrent les données palynologiques et climatiques. Pour la période de transition LTD2a/LTD2b marquée par la guerre des Gaules, on invoque évidemment les conséquences du conflit et une déprise globale de la mise en valeur des campagnes, due aux malheurs des temps. Toutefois la courbe montre que cette tendance commence dès la fin de LTD1 et ne s’accélère pas sensiblement après la conquête. La corrélation entre les observations archéologiques et les grands événements historiques paraît donc peu évidente, en l’état actuel de nos connaissances. S’il est probable, comme le soutiennent F. Malrain, G. Blancquaert et T. Lorho20, que, dans plusieurs régions, l’émergence du phénomène urbain, sensible dès LTD1 et accentué au début de l’époque romaine, ait pu absorber une partie de la population rurale antérieure tout en polarisant la production agricole au sein de ces nouveaux centres de pouvoir21, il n’en reste pas moins que la fin de la séquence paraît problématique. Est-elle le signe d’une déprise profonde, suivie d’un rebond à partir de la période augustéenne, ou un simple biais des sources dont nous disposons ? La réponse à cette question est malaisée, ne serait-ce qu’en raison de l’absence d’une enquête quantitative comparable pour le début de l’époque romaine. Mais d’autres phénomènes doivent être signalés.

  Évolution du nombre d’établissements ruraux du second âge du Fer 
en Gaule septentrionale ; d’après Malrain et al. 2013 (note 19), fig. I.
Fig. 2. Évolution du nombre d’établissements ruraux du second âge du Fer en Gaule septentrionale ; d’après Malrain et al. 2013 (note 19), fig. I.

Le premier réside dans la persistance des formes de l’habitat rural protohistorique jusqu’à la fin du Ier siècle de notre ère au moins, parfois plus tardivement encore. Citons, à titre d’exemple, le cas du site de Poulainville, récemment fouillé par F. Malrain et E. Pinard au nord d’Amiens : créé au début du IIe siècle avant notre ère, ce vaste établissement rural entouré d’un enclos de forme subcirculaire qui englobait à l’origine une superficie de près de 2 ha se déplace à proximité immédiate (moins de 100 m) vers 150/120 av. J.-C. Une nouvelle série de fossés délimite une superficie de 7 500 m2 avec des bâtiments sur poteaux formant une sorte de U autour d’une cour centrale. L’épisode de la conquête ne semble pas affecter l’établissement dont la vie continue jusqu’au milieu du IIe siècle ap. J.-C. sans modification structurelle notable, et sans qu’on observe une reconstruction en d’autres matériaux. N’était le mobilier qui évolue lentement, on pourrait croire au caractère quasiment immobile sur au moins 300 ans de cet établissement rural marqué par les traditions protohistoriques dans une région pourtant peuplé de villae gallo-romaines (fig. 3)22.

   L’évolution du site de Poulainville, d’après Malrain, Pinard 2016 (note 22), fig. 10. En haut la ferme du début du IIe siècle av. J.-C. ; au centre, l’établissement du milieu du IIe siècle av. J.-C. ; en bas l’établissement gallo-romain.
Fig. 3. L’évolution du site de Poulainville, d’après Malrain, Pinard 2016 (note 22), fig. 10. En haut la ferme du début du IIe siècle av. J.-C. ; au centre, l’établissement du milieu du IIe siècle av. J.-C. ; en bas l’établissement gallo-romain.

Ce cas est loin d’être isolé. À l’occasion d’une publication récente consacrée aux grands travaux d’archéologie préventive en Picardie, D. Bayard et P. Lemaire ont mis en évidence la résilience, sous l’Empire, de nombre d’habitats d’origine protohistorique23. Le diagramme chronologique publié à cette occasion montre assez bien la diversité des situations rencontrées (fig. 4) : certaines occupations de l’âge du Fer disparaissent très tôt, d’autres perdurent sans changement structurel fondamental, certaines se transforment au contraire en villae. Enfin, bien entendu, de nouvelles implantations rurales se développent de manière autonome, sans antécédent protohistorique, au fil du temps. 

  Évolution chronologique des établissements ruraux de Picardie ; 
d’après Bayard, Lemaire 2014 (note 23), fig. 76.
Fig. 4. Évolution chronologique des établissements ruraux de Picardie ; d’après Bayard, Lemaire 2014 (note 23), fig. 76.

Toutefois, l’un des phénomènes les plus notables mis en évidence par la recherche archéologique de ces vingt dernières années réside dans la quasi absence de villae dans le nord de la Gaule avant le milieu du Ier siècle de notre ère au plus tôt, souvent même plus tardivement24. Certes cette observation n’a pas été faite partout de la même manière. En Picardie notamment, les données archéologiques prouvent désormais que le développement des grandes demeures rurales “à la romaine” est bien souvent le produit d’un développement endogène tardif, parfois datable du second siècle de notre ère, voire du début du troisième25. Les plans phasés de plusieurs villae à occupation longue révèlent assez la complexité et la progressivité du phénomène d’apparition des domaines ruraux auxquels on accorde ce nom, symbole même de la romanisation des campagnes (fig. 5)26. En Wallonie, où ce type de grande demeure rurale est très développé, la recherche, souvent ancienne, s’est plus intéressée à la partie d’habitat, la plus noble, qu’aux structures de production et aux bâtiments à fonction économique, sans toujours aller chercher les niveaux les plus anciens, de sorte qu’il est malaisé de se prononcer sur l’existence ou l’absence d’antécédents protohistoriques aux villae gallo-romaines27. Il existe heureusement des exceptions, comme vient de le montrer la publication récente de la fouille d’Ath-Ghislenghien, où l’occupation est attestée dès le début du Ier siècle de notre ère (après une phase protohistorique nettement plus ancienne) mais où la villa proprement dite située dans le secteur occidental de la zone d’aménagement ne semble pas s’installer avant le dernier quart du Ier siècle/premier quart du IIe siècle de notre ère28. Un exemple contraire est fourni par la villa de Hamois à Champion, qui n’apparaît guère avant le milieu du Ier siècle de notre ère, sans antécédent protohistorique sur place même29. Il y a donc fort à parier que la situation n’est guère différente de celle du nord de la France, même si l’on voit moins bien les phénomènes de continuité ou de rupture avec l’époque protohistorique. En Allemagne aussi, nombre de villae de la zone considérée par K.-P. Wendt et A. Zimmermann sont grevées par l’absence de recherches sur les niveaux anciens, comme c’est le cas, par exemple, dans la région de Trèves, que vient de réétudier St. Seiler qui souligne à juste titre cette lacune de son corpus30. En revanche, dans le secteur des mines de lignite de l’arrière-pays de Cologne, presque exhaustivement fouillé jusqu’au sol vierge, la recherche n’a pas mis en évidence une implantation agricole dense, antérieurement à la moitié du Ier siècle de notre ère ; dans ce secteur, le maillage des nouveaux établissements ruraux d’époque romaine n’atteint d’ailleurs pas son plein développement avant l’époque flavienne31.

  Évolution de la villa de Behen, d’après Bayard, Lemaire 2014 (note 23), fig. 68.
Fig. 5. Évolution de la villa de Behen, d’après Bayard, Lemaire 2014 (note 23), fig. 68.

La conclusion de ces différentes observations peut s’énoncer de la manière suivante : l’héritage protohistorique a continué de marquer les paysages de la Gaule pendant au moins un siècle après la mainmise de Rome sur le territoire. D’une manière générale, la recherche archéologique récente montre une transformation lente qui s’inscrit dans la longue durée et non pas un bouleversement rapide du monde rural, ni après la conquête, ni même juste après la période augustéenne32. Le processus qui a vu l’émergence de la villa comme domaine rural typique de la romanisation des campagnes a donc été très progressif. Pour le dire autrement, il est actuellement difficile d’accepter l’hypothèse d’une mutation brusque du système agraire du nord-est de la Gaule durant le siècle qui a suivi la conquête césarienne.

Rendements et production : une question controversée

La question des rendements est évidemment un point fort débattu dans toute réflexion sur la production agricole ancienne, que ce soit pour l’âge du Fer, l’époque romaine ou le Haut Moyen Âge33. Faute de sources précises concernant les provinces de l’Empire, on se fonde le plus souvent sur un passage célèbre de Columelle (3.3) dans lequel l’agronome latin évoque, pour l’Italie, un rendement de 4 grains récoltés pour 1 semé quand il s’agit de blé34. Si ce chiffre peut être accepté comme une donnée globale minimale à une échelle très large comme celle du modèle de K. Hopkins, la question devient à peu près insoluble dès lors que nous tentons de focaliser l’analyse sur un territoire précis. Dans une région comme le nord des Gaules, géographiquement très diverse, avec des sols à la capacité productive inégale, le choix des “proxys” relève d’un pari audacieux, d’autant que nous ignorons presque toujours la taille effective des exploitations et que le calcul des rendements, donc des surplus, se révèle vite un saut dans l’inconnu. On peut toutefois s’y risquer à titre expérimental, mais sans se masquer l’imprécision du résultat. Ainsi, dans sa thèse restée malheureusement inédite sur les établissements protohistoriques de la vallée de l’Oise, F. Malrain a-t-il avancé des estimations en s’appuyant sur quelques exemples bien connus archéologiquement, mais en prenant grand soin de ne pas extrapoler à tout un territoire35.

L’auteur s’appuie tout d’abord sur les calculs effectués par G. Comet sur le poids que peut représenter une récolte de 1 grain semé pour 66 récoltés, soit environ 100 quintaux à l’hectare, une donnée valable pour l’époque contemporaine (vers 1980)36. S’appuyant à son tour sur la productivité moyenne énoncée par Columelle37, soit environ 6 quintaux à l’hectare selon cette base de calcul, F. Malrain propose une récolte de 5 quintaux par hectare en culture extensive à la volée, mais 15 quintaux en culture intensive avec semis en ligne. Il faudrait donc, pour ensemencer un hectare à la volée, 140 kg de céréales, mais près de 10 fois moins, soit 15 kg, pour semer en ligne. Prenant ensuite des cas de fermes archéologiquement bien fouillées pour différentes périodes de la Tène finale, avec des capacités de stockage connues, il produit des chiffres qui peuvent se résumer dans le tableau suivant :

PériodeSite Surface nécessaire pour la culture extensive du bléSurface nécessaire pour la culture extensive de l’orgeSurface nécessaire pour la culture intensive du bléSurface nécessaire pour la culture intensive de l’orge
LT finaleJaux22,56 ha20 ha7,5 ha6,4 ha
Verberie16 ha14 ha5 ha 4 ha
LT Finale/ AugustéenPont-Ste-Maxence 35 ha 30 ha 12 ha 10 ha
Longueil-Ste-Marie70 ha 60 ha23 ha20 ha

Ces valeurs suscitent différents commentaires. Comme l’a remarqué lui-même l’auteur, qui situe son analyse dans une évolution longue, les chiffres de la fin de la période semblent traduire une augmentation des surfaces cultivées. Comme il faut tenir compte de la jachère (avec rotation biennale qui double les superficies emblavées), des prairies et des bois, des cultures autres que les céréales, l’auteur avoue lui-même ne pas pouvoir choisir entre pratiques extensives sur de relativement vastes domaines de 60/70 ha, avec semis à la volée ou, au contraire, pratiques intensives sur de petites surfaces bien entretenues. Ces estimations sont de toute façon assez fragiles38 ; elles ne tranchent pas la question des surplus effectivement dégagés une fois mis de côté les besoins alimentaires des paysans et les semences de l’année suivante, car nous ignorons tout du nombre de personnes que ces exploitations devaient nourrir39.

Aller plus loin dans l’analyse et construire un modèle global de l’occupation du sol s’avérerait donc une entreprise extrêmement difficile et risquée. Il est en effet à peu près impossible d’évaluer une densité moyenne de l’habitat rural, tant les différences sont nombreuses d’une région à l’autre. Notre connaissance est d’ailleurs fortement dépendante de la nature des aménagements économiques qui génèrent l’archéologie préventive, de leur maillage, de leur nature, de leur implantation (fond de vallée / plateaux / zones urbanisées etc.). Pour prendre le seul exemple de la Picardie, 111 sites ont été pris en compte dans le corpus de l’âge du Fer, soit 14 % du total de l’enquête nationale. C’est un échantillon représentatif, mais qu’il faut rapporter à la durée d’occupation, environ quatre siècles, même si la répartition statistique est inégale dans le temps. Peut-on, dans ces conditions, l’extrapoler à l’ensemble du territoire concerné ? La réponse est évidemment négative, car il est bien assuré que tous ces sites sont loin d’être contemporains. En outre, même si les grands tracés linéaires révèlent un maillage assez régulier du sol, les différences d’une vallée à l’autre, d’un plateau à l’autre sont fortes, et présentent de grandes difficultés méthodologiques si l’on veut généraliser à un territoire plus vaste à partir des données existantes40. Je ne suis donc pas sûr que la méthode mise en place par K.-P. Wendt et A. Zimmermann pour l’Allemagne romaine s’appliquerait ici avec la fiabilité nécessaire. Observons au passage que la démarche de ces deux chercheurs repose sur l’idée que nos données archéologiques, en leur état actuel, constituent un échantillon non biaisé sur lequel on peut s’appuyer pour extrapoler un modèle, région par région. Personnellement, je n’en suis pas convaincu.

Observe-t-on, pour la période romaine, une augmentation des rendements au début de l’Empire ? On évoque presque toujours une productivité accrue, mais c’est en partant du postulat que les grandes villae se seraient développées rapidement en Gaule du nord, apportant un accroissement notable des récoltes, éventuellement grâce à l’augmentation rapide de la population paysanne, avec le renfort d’une importante main-d’œuvre servile. L’archéologie prouve justement qu’il n’en est rien, on l’a vu. Rien ne laisse en outre supposer un apport démographique significatif d’origine italienne qui aurait induit un transfert notable de technologie ou un changement radical des systèmes agraires, à la différence de ce qu’on peut sans doute postuler pour la Narbonnaise. 

Nous ne connaissons pas davantage la densité réelle d’occupation du sol, sauf cas exceptionnel comme celui des Braunkohlenrevier – les zones de lignite de l’arrière-pays de Cologne – dont les vastes fenêtres, fouillées de manière quasi exhaustive, permettent d’étendre le raisonnement à un territoire entier quoique géographiquement et écologiquement limité. Il n’est pas sûr, pourtant, que les grosses fermes assez rustiques, mises en évidence dans ce secteur précis, et souvent dépourvues d’installations de confort41, soient comparables aux grandes villae de l’Eifel, installées sur des sols beaucoup plus pauvres mais au sein d’un territoire bien pourvu en ressources minérales42. Cela ne signifie évidemment pas qu’elles ne pouvaient pratiquer l’agriculture, au moins pour leurs besoins propres et ceux de leurs dépendants, mais que leur principale activité n’était pas nécessairement orientée vers ce que nous appellerions aujourd’hui le “secteur primaire”43. Ces différentes formes d’exploitations rurales avaient sans doute leurs caractéristiques propres en fonction de leurs terroirs, de leurs ressources et de leur spécificité socio-économique. Cela limite nécessairement la formulation d’un modèle global et invite au contraire à prendre en compte la multiplicité des aspects régionaux des campagnes antiques. C’est pourquoi je reste sceptique sur le volume global de la production agricole de la colonie des Ubiens tel qu’il est proposé par W. Eck44.

Partant d’une superficie d’environ 4 000 km2 pour l’ensemble du territoire, celui-ci estime en effet à environ 2 000 km2 la surface cultivable chaque année, en tenant compte d’une jachère biennale. Considérant que le rendement devait se situer entre 4 pour 1 au minimum, comme l’indique Columelle, et 15 pour 1, une valeur proche de celles de l’ère préindustrielle45, W. Eck calcule la production entre 0,4 et 3,6 tonnes à l’hectare, soit, pour le territoire entier, un total de 80 000 à 700 000 tonnes de céréales. Ces prémisses autoriseraient l’alimentation d’environ 150 000 personnes – la population des Ubiens et de l’armée, d’après l’auteur – sur la base d’un kilo de froment/personne/jour, 54 000 tonnes en tout, chiffres valables pour le IIe siècle. W. Eck en conclut que, même en partant du rendement le plus faible, le territoire des Ubiens pouvait non seulement se nourrir lui-même mais aussi exporter sa production, notamment dans les zones moins fertiles du nord de la province de Germanie inférieure, voire en commercialiser une partie à l’extérieur.

Ce calcul me paraît faussé à la base par le chiffre de la superficie cultivable (= la moitié du territoire total !), probablement beaucoup plus faible que ne le suppose W. Eck si l’on considère que le massif de l’Eifel, montueux et boisé, aux sols cristallins, n’est en rien comparable à la zone effectivement très fertile des loess de son piémont nord. Ces chiffres ont d’ailleurs été critiqués avec beaucoup de pertinence par F. Lang à l’occasion d’une réflexion globale sur les rendements agricoles de l’Antiquité au nord des Alpes46

Avec le rendement le plus faible (4 pour 1), on doit en effet calculer qu’un quart de la production, soit 20 000 tonnes, doit être mis en réserve comme semence pour l’année suivante, ce qui réduit considérablement le surplus supposé. En comptant les pertes ordinaires et normales d’une récolte, mais aussi la nourriture pour le bétail, notamment les chevaux de l’armée, non comptabilisée dans le calcul de W. Eck, le surplus disparaît presque totalement. Or tout ce raisonnement prend pour acquise la surface cultivable de 2 000 km2, dont je doute très fortement, et une quasi monoculture céréalière qui ne tient guère compte des zones boisées, des prairies, des autres cultures, des secteurs peu favorables à l’agriculture etc. Pire, les poids proposés doivent s’entendre essentiellement pour des céréales vêtues, épeautre et amidonnier – dominantes localement – moissonnées avec leur balle. Elles pèsent donc environ deux fois plus que leur équivalent froment, sur lequel repose le calcul des rations alimentaires47. En outre, leur rendement est sensiblement plus faible ainsi que leur poids spécifique. En partant – hypothèse haute de W. Eck – d’un rendement de 10 pour 1, sans doute beaucoup trop fort pour le climat de cette région dans l’Antiquité puisqu’il correspond à celui des meilleures années en Sicile, on arrive à une production moyenne de 1 tonne de blé nu à l’hectare, une fois retirée la semence mise en réserve pour l’année suivante, mais sans compter l’alimentation animale48 et toujours sur la même base d’un territoire de 2 000 km2 intégralement cultivé en céréales nues, ce qui est fort improbable. On est donc, pour finir, assez loin des estimations initialement proposées et on voit combien les calculs de ce genre sont spéculatifs, même pour le second siècle de notre ère, une époque pour laquelle nos sources sont moins maigres que pour l’époque protohistorique. Il est donc assez malaisé de vouloir mesurer, sur une base fiable, les gains apportés à la production agricole du nord des Gaules entre la période de la conquête et celle de l’époque antonine. On peut raisonnablement les supposer, mais il est assez difficile d’aller beaucoup plus loin en les quantifiant. 

L’évolution des productions : les données nouvelles de l’archéobotanique

Les données récentes des études archéobotaniques laissent toutefois entrevoir des évolutions sensibles dans la production agricole de la Gaule du nord au cours du temps. Suivies sur le long terme, depuis la Tène B jusqu’au IIe siècle de notre ère, elles permettent d’observer plusieurs phénomènes très nets, récemment mis en évidence par V. Matterne, J. Wiethold, B. Pradat et F. Toulemonde49.

Jusqu’à la Tène moyenne, la présence des blés nus de type froment reste très sporadique en Gaule du Nord. Ce sont les orges et les blés vêtus (engrain, mais surtout amidonnier, épeautre) qui prédominent. Ce n’est qu’à partir de LTD1 que s’amorce l’essor des blés nus. Ceux-ci semblent alors concentrés dans le centre du bassin parisien (l’Île-de-France, le sud de la Picardie), et leur développement subit une forte accélération après la conquête, notamment à l’époque augustéenne, où on les trouve en rotation avec des cultures de légumineuses. Ces céréales sont toutefois peu adaptées aux terres froides et moins favorables du Nord et de l’Est de la Gaule, où l’orge reste la céréale dominante. On observe en revanche dans ces régions un accroissement de plus en plus grand de l’épeautre, qui s’accentue durant tout le Ier siècle, les blés nus gagnant vers le nord, en Picardie, avant de régresser sensiblement au IIe siècle. 

Selon les auteurs de l’étude, ce “trend” de long terme traduit les besoins de la conquête, avec une demande forte en termes de céréales panifiables (blés nus / épeautre), mais aussi, peut-être, un épuisement rapide des sols. On observerait celui-ci au second siècle et surtout au troisième dans la réduction, au sein des prélèvements, des carporestes de céréales, compensée par l’augmentation des légumineuses, moins exigeantes et plus régénératrices. Dans un second article, plus récent, V. Zech-Matterne et C. Brun considèrent que l’examen des changements intervenus sur le long terme dans les pratiques agricoles protohistoriques plaide pour l’émergence de cultures extensives en Île-de-France et en Picardie dès la fin de l’âge du Fer, une constatation qui n’est pas transposable au nord et à l’est de ces régions. Ces évolutions étaient déjà perceptibles à la fin de la période laténienne. Elles montrent la lente transformation du système agraire vers un mode de production extensive et c’est sur cette base proprement gauloise que se serait développé le commerce céréalier de l’époque romaine50.

Dans la vallée du Rhin inférieur, les apports récents de l’archéobotanique ne sont pas moins significatifs. On commencera par les céréales retrouvées sur les sites militaires du Rhin inférieur, à l’aide d’un tableau publié par L. Kooistra51 (fig. 6). Celui-ci fait apparaître, de manière globale, la présence de blés nus sur plusieurs sites datés de la première moitié du Ier siècle de notre ère : une grande quantité à Neuss, dans un contexte archéologique mal identifié, daté du milieu du Ier siècle ou peu après52 ; à Velsen, à la même époque, ou, plus tard, dans le courant de la seconde moitié du Ier siècle, à De Meern, Alphen ou Valkenburg. Pour l’époque flavienne et le premier tiers du IIe siècle, on en rencontre à Xanten, dans la colonie, à Nimègue dans les canabae, à Woerden, Roomburg, Valkenburg. Un autre tableau, dû cette fois à S. Schamuhn et T. Zerl, montre que, si les blés nus sont connus dans ces régions dès l’époque protohistorique, c’est toujours en petite quantité (fig. 7). Les céréales produites localement sont en effet, de manière dominante, l’orge, l’amidonnier et, à partir de l’époque romaine, l’épeautre53. De ces premières données on retiendra donc que le froment n’est pas la céréale la plus abondante dans les camps de la conquête, pourtant occupés par des Italiens. Ainsi n’en a-t-on pas retrouvé dans la grande base d’Oberaden (11-8 av. J.-C.) alors qu’on y rencontre beaucoup de plantes “exotiques” venues de Méditerranée, notamment des fruits, des agrumes ou des épices, voire des produits issus de contrées lointaines comme le poivre, signe certain d’une logistique militaire à longue distance54. Ne parlons pas, évidemment, du vin ou de l’huile. Est-ce ce même flux qui a fourni les cargaisons de céréales, notamment de froment, à destination des troupes de la vallée du Rhin, puis des premières agglomérations, une tâche que le monde rural de ces régions ne pouvait probablement pas assumer à cette époque ? C’est en ce sens que concluent globalement M. Polak et L. Kooistra qui ont récemment tenté d’analyser, phase chronologique par phase chronologique, l’évolution du dispositif militaire romain et de sa logistique sur le Rhin inférieur55.

   Les données paléobotaniques des sites militaires de Germanie inférieure, 
d’après Kooistra 1996 (note 70), tab. 1.
Fig. 6. Les données paléobotaniques des sites militaires de Germanie inférieure, d’après Kooistra 1996 (note 70), tab. 1.
  Les différentes plantes cultivées en Rhénanie-Westphalie, d’après Schamuhn, Zerl 2009 (note 53), tab. 2.
Fig. 7. Les différentes plantes cultivées en Rhénanie-Westphalie, d’après Schamuhn, Zerl 2009 (note 53), tab. 2.

Résultat plus étonnant, qui contrevient à l’opinio communis selon laquelle les soldats romains, sous l’Empire, ne mangeaient pas d’orge, sauf en cas de punition : la découverte de grains d’orge carbonisés dans une tour (WP 5/4) du limes près de Neuberg-Ravolzhausen (Main-Kinzig-Kreis) semble en effet prouver le contraire. Si une telle conclusion devait être confirmée par d’autres découvertes de même nature, elle remettrait en cause une partie des notions qui fondent notre raisonnement sur la nature des céréales nécessaires à l’alimentation des soldats, notamment des auxiliaires, ainsi que les calculs de consommation qui leur sont liés56.

Que conclure globalement de cet ensemble de données nouvelles, souvent dispersées dans des publications techniques, et surtout accessibles aux spécialistes ? On doit tout d’abord acter le fait que l’évolution des productions, pendant l’époque romaine, s’inscrit dans un mouvement de long terme déjà perceptible à la fin de l’âge du Fer et que les nouveaux besoins générés par la conquête ont accéléré. Le développement de la culture de l’épeautre, une céréale rustique, peu fragile, bien adaptée à des terres froides et à une agriculture extensive sur de grands domaines, en est sans doute le meilleur témoignage. La multiplication récente des données archéobotaniques montre ainsi la prédominance de cette céréale panifiable dans tout le quart nord-est de la Gaule romaine57. C’est à l’épeautre sans doute qu’on doit l’invention du fameux vallus, un “érussoir” qui arrache les épis en laissant la paille sur place58. La contrepartie de cette culture réside dans le fait que le grain se stocke avec le rachis et la balle, qu’il faut décortiquer dans un second temps, et que le rendement est sans doute fort loin de celui du froment, sans parler du fait que le poids spécifique est très inférieur : ces différents éléments faussent à mon sens toutes les statistiques sur lesquelles sont fondées les reconstitutions de la productivité de ces régions du nord-est de la Gaule, soit à partir des volumes de stockage dans les greniers, soit à partir des calculs théoriques de rendement à l’hectare. 

La seconde conclusion importante est que les stocks de froment découverts dans les régions du limes de Germanie, même s’ils sont quantitativement beaucoup plus restreints que ceux d’épeautre, ne sont probablement pas produits sur place, sauf en très petite quantité. Hormis l’épeautre, la céréale locale traditionnelle est en effet l’amidonnier, qu’on retrouve fréquemment, mais dont la qualité panifiable est faible. Cette observation implique, en creux, un courant de ravitaillement à longue distance venu de régions plus méridionales, éventuellement de l’Île-de-France, voire de beaucoup plus loin. 

Et la fiscalité ?

On ignore, faute de sources précises, sur quelles bases était perçu l’impôt foncier ordinaire en Gaule59. Dans un texte bien connu, Hygin le Gromaticien, au IIe siècle de notre ère, évoque les différentes formes que pouvait prendre cette taxe (vectigal) mais sans se référer explicitement à la Comata : 

Agri autem vectigales multas habent constitutiones. In quibusdam provinciis fructus partem praestant certam, alii quintas, alii septimas, alii pecuniam et hoc per soli aestimationem. Certa enim pretia agris constituta sunt, ut in Pannonia arvi primi, arvi secundi, prati, silvae glandiferae, silvae vulgaris, pascuae. His omnibus agris vectigal est ad modum ubertatis per singula iugera constitutum60

R. Duncan-Jones considère que le début du texte indique des livraisons en nature, une opinion contestée par K. Hopkins pour qui Hygin se réfère à une situation ancienne, dépassée au IIe siècle61. Mais, que le vectigal des provinces gauloises fût versé sous forme de livraisons directes ou de contribution monétaire n’est pas ici l’essentiel de mon propos62. Plus important me paraît le fait qu’il était régulièrement alourdi par des contributions de guerre exceptionnelles.

On sous-estime en effet bien souvent l’importance du prélèvement de richesse qu’a pu entraîner la politique de conquête de la Germanie sur l’arrière-pays. Les conséquences financières de l’échec des campagnes de 14-15 apr. J.-C. furent considérables et touchèrent tout l’Occident et même l’Italie, preuve, s’il en était besoin, que cette conquête était coûteuse et avait un impact économique qui s’étendait très au-delà des zones proches de la frontière, comme le souligne Tacite à propos de cette désastreuse campagne : “Ceterum ad supplenda exercitus damna certavere Galliae, Hispaniae, Italia, quod cuique promptum arma, equos, aurum offerentes”(Ann., 1.71)63.

L’énumération est significative : il s’agit encore, à cette époque, de contributions “exceptionnelles” en nature aussi bien qu’en argent. Sans doute pesaient-elles en premier lieu sur les cités et les notables, mais il est impensable que les campagnes, principale source de revenus de ceux-ci, n’en aient pas subi les retombées négatives. La répétition probable de ces pratiques face aux difficultés de la conquête a certainement dû avoir un effet économique redoutable, depuis le désastre de Varus jusqu’au rappel de Germanicus64. Dans un texte célèbre, relatif il est vrai à la Bretagne flavienne, mais que l’on peut facilement transposer pour la Comata, Tacite (Agricola, 19.4-5 ; 31.2) dénonce les excès de ces réquisitions encore en vigueur une quarantaine d’années après la conquête65.

Un bon témoignage du coût de la guerre pour les Gaules est fourni à mes yeux par Tacite à l’occasion du déclenchement par Germanicus de la grande campagne de 16 apr. J.-C. (Ann., 2.5-6). La décision de contourner les Germains par le nord, avec l’aide de la flotte, est motivée par les problèmes logistiques propres à toute grande expédition, mais aussi par la lassitude des Gaules à fournir des chevaux (“fessas Gallias ministrandis equis”). Mais quelle solution trouve-t-on alors ? “Igitur huc intendit, missis ad census Galliarum P. Vitellio et C. Antio” : Germanicus prépare la campagne par une opération de recensement, alors qu’il venait juste d’en faire une en 14 (Ann., 1.33), comme l’avait fait avant lui son père Drusus avant de lancer ses légions de l’autre côté du Rhin, en 12 av. J.-C.66. Les conséquences politiques de cette première opération avaient été majeures, provoquant des troubles graves : “tumultus, qui ob censum erat” indique en effet la Periocha 139 de Tite-Live. Pourquoi ces recensements répétés si ce n’est pour lever les contributions nécessaires aux expéditions ? Je ne crois guère, en effet, à l’hypothèse d’une opération de cens unique et en plusieurs étapes qui aurait duré de 27 avant notre ère à 16 ap. J.-C. comme le suggérait autrefois C. Nicolet67. Un tel excès de prédations récurrentes devait peser lourd sur une économie rurale encore fortement marquée par ses antécédents protohistoriques ; j’ai suggéré ailleurs, à la suite de P. Herz, qu’elles étaient sans doute la cause principale de la révolte de 2168. Elles sont toujours dans la bouche de Civilis, le chef Batave révolté, en 69 (Tacite, Hist., 4.17.8). 

Que la Belgique tout entière, voire une grande partie de la Comata et pas seulement l’hinterland du limes de Germanie ait, pendant l’époque julio-claudienne, servi de base logistique à l’armée du Rhin paraît évident : le pays pourvoyait au ravitaillement de sa zone frontière, par le biais de la fiscalité ordinaire, sans doute aussi d’achats à prix fixe, comme cela se pratiquait depuis longtemps, mais aussi par de multiples réquisitions forcées en nature. Ce système de ravitaillement venu de l’intérieur du pays durait encore au moment de la révolte des Bataves, comme le prouve un passage des Histoires (5.23) qui évoque explicitement ces convois de blé en provenance de Gaule à destination des troupes romaines. Plusieurs autres passages de Tacite font d’ailleurs allusion à ces bateaux chargés de céréales envoyés à un moment où, précisément, en Germanie inférieure, le blé faisait défaut (Hist., 4.26). 

Il faut toutefois insister sur le fait que le quart nord-est de la Gaule était assez inégalement développé du point de vue agricole au début de l’Empire : cette région comprenait assurément des secteurs riches, en pleine mutation depuis plus d’un siècle, notamment dans le centre du bassin parisien ou en Picardie, avec parfois des fermes de très grande taille comme ces proto-villas qu’on observe à Bâtilly-en-Gâtinais ou à Conchil-le-Temple69 ; mais ces cas d’exception ne doivent pas être généralisés et il existe à côté de ces grandes exploitations un semis de petites fermes dont l’équilibre économique pouvait être rapidement mis à mal par des prélèvement massifs et répétés. Or il y avait eu ceux de la guerre des Gaules, probablement ceux qui avaient suivi la conquête, ceux des grandes expéditions germaniques. On voit, par l’exemple postérieur de la Bretagne, où pouvait conduire des prédations excessives. Il y avait en outre, notamment dans la zone rhénane, des secteurs nettement moins performants du point agricole : c’est le cas, en particulier, des zones basses du delta du Rhin, où la présence militaire était pourtant importante et où l’on a longtemps tenu pour acquis que le territoire ne pouvait suffire à approvisionner sa garnison, du moins au début de l’Empire70. Un système d’importations depuis l’intérieur de la Gaule a donc été longtemps nécessaire, non seulement en matière de produits venus du monde méditerranéen, mais aussi, probablement, de céréales, pour compenser la faiblesse d’une agriculture encore émergente et peu productive dans les zones proches de la frontière. Mais cela semble s’être fait au prix de prélèvements fiscaux importants, en théorie peu propices au développement des exploitations rurales.

Vers une mutation des campagnes

En tout état de cause, l’archéologie ne constate pas de boom économique massif et rapide dans les campagnes du nord-est de la Gaule jusqu’à la première moitié du Ier siècle de notre ère, voire l’époque flavienne. Il peut y avoir eu des enrichissements ponctuels, mais pas ce stimulus qu’auraient constitué des investissements conséquents avec des équipements nouveaux : la circulation monétaire reste d’ailleurs faible dans les établissements ruraux de cette période71.

Il est incontestable, en revanche, que, vers la fin du second siècle, le paysage rural de la Gaule du Nord avait radicalement changé : mesurée à l’aune de la culture matérielle, cette mutation se traduit par une évolution de plus en plus claire vers des formes romanisées de l’habitat rural, même si l’apparition de grandes villae ne constitue pas un phénomène ubiquiste72. L’hinterland de la frontière révèle à ce moment-là un semis d’exploitations qui font de cette zone un territoire vivrier probablement capable de fournir tout ou partie de sa nourriture de base à l’armée. On voit bien, par exemple, le phénomène se développer dans la vallée du Neckar, un territoire fertile où s’implantent de nombreux établissements agricoles à une date qu’il est parfois difficile de préciser sur la base de critères archéologiques précis, mais que la concomitance du phénomène avec l’installation des troupes dans la vallée invite à situer au plus tôt à la fin du Ier siècle73. Il s’agit là d’un véritable front pionnier, proche de la frontière qui, dans son tracé de la première moitié du second siècle, suit à cet endroit le cours de la rivière. Cette colonisation, qui utilise à plein les bonnes terres loessiques de ce secteur, s’effectue au sein d’un territoire resté peu densément peuplé à la fin de l’âge du Fer et jusqu’à l’occupation flavienne des Champs Décumates74. On sait par ailleurs, grâce à une inscription (CIL XIII, 6365) qu’existait plus en amont un saltus impérial, notamment dans la région de Rottenburg/Sumelocenna, et il est bien possible que d’autres, non attestés par l’épigraphie, aient précédé la phase de municipalisation de cette région, qui n’intervient peut-être pas avant le règne de Marc-Aurèle75. Vers le sud-est, en Rétie, le développement d’un important complexe d’établissements agricoles au début du IIe siècle suit clairement l’avancée du limes sous Trajan, sans aucun antécédent préromain : il s’agit bien là de terres nouvellement défrichées et mises en valeur pour l’alimentation de l’armée (fig. 8)76. Dans d’autres secteurs de la frontière, par exemple autour de Regensburg, le développement du système de villae a été plus tardif encore. La densification du paysage rural semble en effet directement liée à l’installation du camp légionnaire, en 17977. Cette chronologie s’explique naturellement par les conditions de développement du limes et d’une clientèle militaire qui suscite en quelque sorte le marché et invite le système productif à s’en rapprocher. 

  Carte des “villae” en Allemagne du sud, d’après Sommer 2013 (note 76), fig. 1.
Fig. 8. Carte des “villae” en Allemagne du sud, d’après Sommer 2013 (note 76), fig. 1.

De manière indépendante les uns des autres, plusieurs chercheurs ont tenté, ces dernières années, de mesurer le probable accroissement de la production agricole à travers l’analyse des grands horrea ruraux. On observe en effet, dans différents cas favorables de sites à chronologie longue, l’augmentation des capacités de stockage à travers le temps. Ainsi à Alle, les Aiges, dans le Jura suisse, le grenier qui a été fouillé comprend trois grandes phases. Dans la première (datée entre 50 av. J.-C. et 50/75 ap. J.-C.), la superficie au sol est d’environ 48 m2 ; dans la seconde (50/75 ap. J.-C. à 180/200 ap. J.-C.) elle passe à 392 m2, avant de monter ensuite à 710 m2 (phase 3, avant 250/275)78. Peut-on reconnaître dans ce phénomène une augmentation significative de la production du domaine et, à partir de là, calculer à la fois la capacité de stockage, les superficies emblavées, les surplus dégagés, la population qui peut être nourrie par les céréales conservées dans ces horrea ?

La réponse à cette série de questions n’est pas aisée et A. Ferdière a récemment attiré l’attention sur les biais multiples qui peuvent grever les calculs79. Les chercheurs d’Alle ont de leur côté fait remarquer que, selon la manière dont on entrepose les grains, l’estimation des quantités conservées peut très sensiblement varier. Ainsi, en reconstituant un dépôt à même le sol dans des compartiments de bois de 2 m x 2 m sur une hauteur de 1 m, et en ménageant des espaces de circulation pour remuer le grain afin de l’aérer, ils calculent une superficie de stockage ne dépassant pas 240 m2, alors que la surface au sol du bâtiment est triple. Elle est encore moindre avec des tas circulaires80. Encore faut-il considérer que la hauteur de 1 m prise en compte pour estimer le volume engrangé constitue certainement un maximum81

C’est à partir d’une réflexion de même nature que L. Blöck a récemment réévalué à la baisse certaines estimations de greniers romains, en partant de l’étude de celui de Heitersheim (Bade)82. Le bâtiment C de la villa, construit au plus tard avant 100, occupait une surface au sol de 18 x 10 m, soit 180 m2. Celle-ci fut doublée vers 120 par un nouvel horreum de 24 x 15 m, soit 360 m2, sans compter un éventuel autre bâtiment de même nature (F2). Tâchant d’estimer la capacité de stockage des greniers de cette période, l’auteur souligne à juste titre les écueils méthodologiques qui résultent de la représentation qu’on se fait du mode de stockage, de sa hauteur, du nombre d’étages etc., préférant s’appuyer sur des exemples de l’époque préindustrielle. Il souligne ainsi que, selon l’encyclopédiste J.G. Krünitz83, un grenier idéal de 37,67 x 12,56 m (473,14 m2), d’une hauteur de 2,51 à 2,83 m permettait d’entreposer 262,39 m3 de céréales au XVIIIe siècle, soit 555,21 l/m2. À la fin du XVIIe siècle, le cloître de Weingarten montre pour sa part des greniers disposant d’une capacité supérieure d’un tiers. Ce rappel permet à L. Blöck de critiquer les évaluations trop hautes proposées pour des horrea célèbres comme celui de Voerendaal, aux Pays-Bas84, les greniers militaires de Grande-Bretagne85, ou le cas de Biberist, en Suisse86 sur lesquels sont fondés des modèles de restitution du domaine environnant et de la capacité productive87. Il en va de même de deux très grands édifices récemment mis au jour à Bad Rappenau “Maueräcker” et Bad Rappenau “Babstadt”, près de Heilbronn (Baden-Württemberg)88. Dans le premier cas, les auteurs, partant de l’hypothèse d’un domaine de 100 ha autour de la villa89, considéraient que ce grand horreum de 608 m2, sans doute à deux étages, si on prend en compte la présence de ses contreforts, était trop vaste pour la production d’un seul domaine et ils concluaient à une fonction de stockage central pour plusieurs établissements ruraux. Naturellement, l’abaissement des calculs de capacité réduit fortement la probabilité de cette hypothèse, selon L. Blöck. Il ne s’agirait donc pas nécessairement d’entrepôts centraux servant à l’annone ou au regroupement de la production céréalière d’une série d’établissements ruraux, voire d’un saltus impérial, mais bien plutôt d’un seul domaine. Cette conclusion a son importance : sans remettre en cause l’accroissement réel de la taille des horrea qui accompagnent les grandes villaedans le courant du second siècle, ce qui traduit très certainement une augmentation de leur production, celle-ci doit être évaluée de manière plus réaliste qu’on ne l’a souvent fait90. Dans un article à paraître prochainement, M. Poux et ses collaborateurs ont ainsi proposé, à partir de l’analyse du granarium de Panossas (Isère), de reconstituer un système d’approvisionnement annonaire à destination du limes de Germanie en montrant l’existence d’un réseau d’horrea à grande capacité situés près des grandes voies du réseau d’Agrippa, depuis le nord de la Narbonnaise jusqu’à la mer du nord. L’hypothèse est en elle-même séduisante mais demanderait à être plus solidement étayée, notamment en tenant compte de la chronologie, du type de ces greniers, de leur capacité de stockage et de leur environnement rural91.

La méconnaissance de l’évolution très progressive du système agraire après la conquête de la Gaule et l’idée que celui-ci pouvait, du jour au lendemain, nourrir sans coup férir une population supplémentaire importante, au sein d’un environnement rural directement issu de l’âge du Fer, ont conduit à une vision sans doute exagérément optimiste du développement économique de la province. Ainsi L. Wierschowski considère-t-il comme impossible que l’installation d’une armée de frontière n’ait pas entraîné automatiquement une modification radicale de la logistique militaire. Il en conclut que ce sont les taxes régulières, estimées à 10/12 % de la production agricole, qui ont assuré l’efficience du nouveau système, grâce à l’achat sur le marché des céréales nécessaires, et sans réquisitions en nature comme c’était le cas à l’époque républicaine. À l’appui de sa démonstration, il cite le fameux passage du Panégyrique de Trajan dans lequel Pline le jeune assure que le fisc achète désormais réellement ce qu’il acquiert pour les besoins de l’annone. On ne doit pas en conclure, écrit-il, à une modification de la pratique du ravitaillement à cette époque, mais à un changement tarifaire92. Cette vision optimiste d’une fiscalité apaisée et acceptée par les anciens vaincus doit toutefois être confrontée aux excès des prélèvements que j’ai rappelés. Le fameux passage du Panégyrique de Trajan mérite d’ailleurs d’être cité dans son intégralité, car, lu de près, il contient des expressions fortes qui sont autant de rappels de la manière dont étaient encore exploitées les provinces d’Occident à l’époque julio-claudienne (Panégyrique, 29.3-5) :

Quippe non ut ex hostico raptae perituraeque in horreis messes nequiquam quiritantibus sociis auferuntur. Devehunt ipsi quod terra genuit, quod sidus aluit, quod annus tulit, nec novis indictionibus pressi ad verera tributa defiiunt. Emit fiscus quidquid videtur emere. Inde copiae, inde annona, de qua inter licentem vendentemque conveniat, inde hic satietas nec fames usque93.

Au-delà de la rhétorique propre à ce type d’exercice, on ne peut pas ne pas trouver là un écho des reproches faits par Tacite aux mauvais gouverneurs qui précédaient Agricola (Agricola, 19.4-5 ; 31.2). Ces reproches constituaient évidemment eux aussi un thème récurrent de propagande. Peut-être Trajan n’est-il d’ailleurs pas le premier et le seul responsable d’un changement d’attitude envers le monde rural provincial sur lequel reposait une bonne part de la richesse de ce temps. C’est en effet dans le dernier quart du Ier siècle de notre ère que l’on constate archéologiquement les prémices d’un décollage économique significatif des campagnes de la Gaule du nord-est, sans que l’on puisse, évidemment, fixer un “moment” précis à ce phénomène progressif qui s’étale sans doute sur plusieurs décennies et se poursuit durant tout le second siècle. 

Mais quelles en sont les raisons ? Un adoucissement de la politique fiscale, dont le Panégyrique de Trajan se ferait l’écho, est possible ; pourquoi aussi ne pas évoquer le coût d’arrêt à la politique de conquête dans ces régions, le basculement d’une partie de la garnison de Germanie vers d’autres secteurs d’opérations, allégeant du même coup le poids de l’armée ? Quant au rôle du marché urbain – celui des villes, mais aussi celui du tissu d’agglomérations qui maillent le territoire –, il est avéré mais le rythme de son développement reste parfois difficile à mesurer de manière précise, faute de synthèses. Une récente enquête sur la naissance des capitales de cités en Gaule a bien montré que les chronologies traditionnelles devaient être assez souvent rajeunies, parfois de plusieurs décennies, et que ces centres politiques ont longtemps gardé un facies indigène marqué, sauf exception dont témoignent, par exemple, les domus urbaines de Reims94. Ceci n’est évidemment plus vrai du tout à partir de l’époque flavienne. Un bon exemple des changements de production et du stimulus économique qu’ont offert aux campagnes les nouveaux marchés urbains du nord de la Gaule nous est fourni par l’étude pionnière d’E. Marlière et F. Laubenheimer sur les amphores de cette région, notamment celles qui ont été fabriquées localement pour le transport du vin régional95. Si ce dernier ne remplace pas les importations des productions méditerranéennes, sa présence montre l’émergence d’une viticulture centrée autour des nouveaux marchés urbains.

Au sein du chapitre qu’il a consacré à l’Occident dans la Cambridge Economic History, P. Leveau a glissé une carte figurant les “couloirs de développement” liés aux grands axes d’échange96. Nécessairement sommaire compte tenu de son échelle, cette image décalque assez bien celle des principaux axes du réseau d’Agrippa (fig. 9). Elle mériterait assurément d’être précisée par des études micro-régionales montrant les différences de développement qui existent d’un secteur à l’autre. La carte conforte, d’une certaine manière, l’analyse effectuée par K.S. Verboven sur l’émergence d’une “business class” liée à l’armée, notamment en Gaule97. L’auteur observe notamment la surreprésentation des negotiatores dans la pratique épigraphique des Tres Galliae et des Germanies par rapport au nombre global d’inscriptions conservées, nettement plus forte que dans d’autres régions de l’Empire, voire de Rome même. Classées par régions, ces mentions se répartissent de la manière suivante :

Gallia Belgica1110,58%
Gallia Lugdunensis2322,12%
Gallia Narbonnensis54,81%
Germania Inferior3331,73%
Germania Superior2625%
Britannia21,92%
  Les couloirs de développement de l’Occident romain, 
d’après Leveau 2007 (note 96), fig. 24.1.
Fig. 9. Les couloirs de développement de l’Occident romain, d’après Leveau 2007 (note 96), fig. 24.1.

Certes le poids des témoignages retrouvés dans le sanctuaire de Nehalennia, aux bouches de l’Escaut, déséquilibre quelque peu ce dossier en faveur de la Germanie inférieure98. Toutefois le tableau est éloquent et, comme le souligne l’auteur, toutes ces inscriptions sont majoritairement attribuables aux IIe/IIIe siècle, même si, bien sûr, il y avait depuis longtemps des negotiatores en Gaule. Cette analyse est corroborée par l’étude que T. Schmidts a consacrée au commerce sur les eaux intérieures de la Gaule et sur les acteurs de ces réseaux d’échanges. La carte publiée par ce dernier (fig. 10) illustre parfaitement le phénomène, depuis longtemps bien connu, mais rarement étudié dans toutes ses implications, et la liste des inscriptions est elle aussi principalement centrée sur les IIe/IIIesiècles99. L’une d’elles, découverte à Nimègue, est particulièrement intéressante pour notre propos : elle mentionne en effet un certain M. Liberius Victor, citoyen Nervien, qui faisait le commerce des grains100. On ne peut évidemment être sûr qu’il importait ceux-ci du territoire nervien, mais l’hypothèse est hautement vraisemblable, d’autant qu’une grande partie de la civitas bénéficiait de bonnes terres101. Va d’ailleurs dans le même sens la découverte de l’épave de Woerden, datée de la fin du IIe siècle de notre ère, dont l’analyse a prouvé que son chargement de blé provenait d’assez loin, peut-être du Limburg néerlandais, voire de contrées plus distantes, en raison des parasites et des adventices de la cargaison, étrangers au delta du Rhin102. La persistance de ce commerce céréalier et des importations de Gaule intérieure, au second siècle de notre ère, montre bien quel impact économique la frontière et sa garnison exerçaient encore à ce moment-là, même si les campagnes dans l’hinterland du limes étaient désormais capables de fournir une bonne part de leur nourriture aux militaires et aux urbains de cette région.   

  Carte des inscriptions des negotiatores en Gaule et dans les Germanies ; 
d’après Schmidts 2011 (note 99), fig. 47.
Fig. 10. Carte des inscriptions des negotiatores en Gaule et dans les Germanies ; d’après Schmidts 2011 (note 99), fig. 47.

Pour conclure

Même en supposant que les pertes démographiques de la conquête césarienne (les morts, la réduction en esclavage de dizaines de milliers d’habitants) aient été réparées une cinquantaine d’années plus tard, au début de l’Empire (ce qui n’est pas certain), les campagnes du nord de la Gaule, peu orientées vers un système d’échanges à longue distance, n’étaient sans doute pas à même de sortir rapidement de ce que W. Scheidel appelle le “low equilibrium trap”, coincées qu’elles étaient entre une démographie à évolution lente et un système agraire dans lequel la production de surplus supplémentaires ne pouvait être instantanée103. Cette autorégulation du système (“homeostatic regulation”) n’aurait pu être rompue que sous l’effet d’une mutation technologique importante, un apport significatif de capitaux et/ou une forte immigration qu’aucune source ne permet actuellement de postuler104. L’archéologie constate, en effet, que le développement des villae dans le nord de la Gaule s’est produit beaucoup plus tardivement et lentement qu’on ne l’a longtemps supposé et qu’il n’a pris son véritable essor qu’à partir de la seconde moitié du Ier siècle de notre ère, au plus tôt, parfois même beaucoup plus tardivement. En outre, la région dans laquelle l’accroissement démographique a été le plus rapide et le plus important, la vallée du Rhin, était située aux marges de la province et probablement incapable, dans un premier temps, de subvenir seule aux besoins alimentaires supplémentaires générés par l’accroissement notable de sa population. C’est donc sans aucun doute sur la Gaule intérieure que ce fardeau supplémentaire a pesé, à un moment où la pression “fiscale”, sous forme de prélèvements directs sur le système productif, était alourdie par les besoins des grandes expéditions. Au titre de celles-ci, n’oublions pas la conquête de la Bretagne, dont la base logistique était assurée principalement par la Belgica.

Supposer que cette importante pression exercée sur les campagnes, au début de notre ère, a suffi par elle-même à fournir le stimulus nécessaire au développement qu’on leur connaît vers la fin du IIe siècle et au début du troisième, me laisse dubitatif, compte tenu des conditions de l’agriculture antique et de sa difficulté à opérer des mutations rapides. Je préfère formuler l’hypothèse d’une réduction des prélèvements fiscaux, sous toutes leurs formes, dont le Panégyrique de Trajan pourrait être l’écho, et d’une baisse de la pression économique exercée sur le pays par la zone frontière, à la fois parce que le poids relatif de l’armée avait diminué, que les grandes expéditions avaient cessé, et que la zone du limes, désormais stabilisée, était capable de se développer et de se nourrir seule, au moins pour partie105. Mais ce processus ne commença sans doute pas avant l’époque flavienne, avec une accélération probable sous Trajan. De ce point de vue, la conquête des Champs Décumates a fourni l’occasion d’accroître de manière substantielle la superficie cultivée en mettant en valeur des terres supplémentaires, vastes et fertiles. L’exemple du développement de l’ager colonial des Ubiens montre en outre la capacité productive d’un système de petits établissements concentrés sur des sols riches, loin des clichés ordinaires qui font des très grands domaines ruraux les principaux agents de l’essor agricole106. Mais tenter de chiffrer la rentabilité des différents terroirs reste un exercice hautement spéculatif puisqu’on ignore complétement à la fois les superficies réellement emblavées, les rendements, les coûts d’exploitation, la densité du peuplement réel. 

N’oublions pas non plus, parmi les facteurs de changement graduel, que, à la différence de l’économie de l’âge du Fer, celle de l’époque romaine se caractérise par un changement d’échelle dans le système d’échanges, ce qui a sans aucun doute fourni un important stimulus pour des régions productrices éloignées de ce nouveau marché qu’étaient les frontières germaniques. Mais il a sans doute fallu du temps avant que cette mécanique ne se mette en place et génère le commerce à longue distance dont témoignent, aux IIe/IIIe siècles, les inscriptions des marchands qui parcourent l’axe Rhin/Saône/Rhône et les régions voisines.

La prospérité croissante des campagnes, durant tout le second siècle, ne doit pourtant pas masquer la persistance d’un semis de très petits établissements ruraux, sans doute axés sur une économie de subsistance, mais que nous percevons très mal, faute de fouilles suffisantes, car les instances archéologiques actuelles s’y intéressent peu. Elle ne doit pas non plus masquer l’existence d’importantes disparités régionales, avec des zones moins développées. Il faudrait en outre se demander, mais nous sommes loin de pouvoir répondre à la question, si ce progrès économique a été linéaire et ne s’est pas traduit, quelquefois, par des échecs retentissants107, voire, dans certains secteurs, par une dégradation rapide des sols, ce que pourraient suggérer l’essor des légumineuses, au second siècle, en remplacement des cultures céréalières, notamment dans l’Est de la France. 

Au total, et pour clore cette rapide enquête, il convient d’insister sur la nécessité d’une réflexion critique approfondie sur des sources archéologiques chaque jour plus nombreuses, mais toujours difficiles à interpréter et dont il faut se souvenir qu’elles sont incomplètes et ne livrent qu’une vision partielle et déformée d’une réalité complexe. Elles sont pourtant les seules dont nous disposons pour aborder, faute de textes, l’histoire économique de ces régions situées aux marges de l’Empire. 

Voir désormais M. Brüggler, K. Jeneson, R. Gerlach, J. Meurers-Balke, T. Zerl et al., “The Roman Rhineland Farming and Consumption in different Landscapes”, in : M. Reddé (dir.), Gallia Rustica 1. Les campagnes du nord-est de la Gaule, de la fin de l’âge du Fer à l’Antiquité tardive, Ausonius Mémoires 49, Bordeaux, 2017, p. 19-95, [en ligne] https://ressources.una-editions.fr/s/jkrj2SffcNDZzaL [consulté le 02/09/22].

Cette question a été reprise et élargie dans M. Reddé, “Grands domaines et petites exploitations rurales. Ce que nous apprennent les textes latins”, in :M. Reddé (dir.), Gallia Rustica 2. Les campagnes du nord-est de la Gaule, de la fin de l’âge du fer à l’Antiquité tardive, Ausonius Mémoires 50, Bordeaux, 2018, p. 309-326, [en ligne] https://ressources.una-editions.fr/s/EtkRnDRHt4sTep4 [consulté le 02/09/22].

On verra en particulier les conclusions de Reddé 2018 (note ).

On lira maintenant la réflexion fondamentale de S. Lepetz, V. Zech-Matterne, “Systèmes agro-pastoraux à l’âge du Fer et à la période romaine, en Gaule du Nord”, in : Reddé 2018 (note ), p. 327-400 (version anglaise : S. Lepetz, V. Zech-Matterne, “Agro-pastoral systems during the late Iron Age and roman period in Northern Gaul. Les campagnes du nord-est de la Gaule, de la fin de l’âge du Fer à l’Antiquité tardive”, 2018, p. 327-400, [en ligne] https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02489525 [consulté le 03/09/22]

La question a été reprise dans le cadre du programme Rurland par S. Martin (éd.), Rural Granaries in Northern Gaul (6th century BCE-4th century AD). From Archaeology to Economic history, Leyde-Boston, 2019.

Notes

  1. Pour les régions rhénanes, il s’agit essentiellement des données compilées dans les différents tomes du Geschichtlicher Atlas der Rheinlande, tome II/2.1-II/2.2 (Néolithique, publié en 1997) ; II/3.1-II/3.4 (âges des métaux, publié en 1997) ; III/1-2 (Époque romaine, publié en 1985) ; IV/10 (Époque mérovingienne, publié en 2006).
  2. Les deux principaux articles qui nous intéressent ici sont K.-P. Wendt (unter Mitarbeit von A. Zimmermann), “Bevölkerungsdichte und Landnutzung in den germanischen Provinzen des Römischen Reiches im 2. Jahrhundert n. Christus”, Germania 86-1, 2008, p. 191-226 ; K.-P. Wendt et al., “Landschaftsarchäologie III. Untersuchungen zur Bevölkerungsdichte der vorrömischen Eisenzeit, der Merowingerzeit und der späten vorindustriellen Neuzeit an Mittel und Niederrhein”, Ber. RGK, 91, 2010, p. 217-338. Ces travaux ont été effectués dans le cadre du programme “RheinLUCIFS” financé par la DFG.
  3. Elle est décrite par A. Zimmermann et al., “Landschaftsarchäologie II. Überlegungen zu Prinzipien einer Landschaftsarchäologie”, Ber. RGK, 85, 2004, p. 37-95.
  4. Programme “Rurland” (Rural Landscape in north-eastern Roman Gaul), financé par l’European Research Council dans le cadre d’un “advanced Grant”. 
  5. K. Hopkins, “Taxes and Trade in the Roman Empire, 200 BC-AD 400”, JRS, 70, 1980, p. 101-125, repris et modifié in : K. Hopkins, “Rome, Taxes, Rents and Trade”, Kodai. Journal of Ancient History, VI/VII, 1995-1996, p. 41-75. Cette version a été republié par W. Scheidel, S. von Reden, The Ancient Economy, New York, 2002.
  6. Extrait de Wendt 2008 (note 2), p. 219.
  7. Les deux chiffres de cette colonne indiquent la valeur d’écart statistique calculée entre un minimum et un maximum.
  8. “Dorf” en Allemand dans le texte
  9. Wendt et al. 2010 (note 2), p. 320, fig. 26.
  10. H. Cüppers, C. B. Rüger, Römische Siedlungen und Kulturlandschaften. Geschichtlicher Atlas der Rheinlande, III/1-2, Cologne, 1985.
  11. B.W. Frier, “Demography”, in : A.K. Bowman, P. Garnsey, D. Rathbone (éd.), The Cambridge Ancient History, 2e éd., XI, Cambridge, 2000, p. 787-816, sc. p. 813.
  12. Voir l’exemple d’Oedenburg, in : M. Reddé (dir.), Oedenburg II. Fouilles françaises, allemandes et suisses à Biesheim et Kunheim, Haut-Rhin, France. L’agglomération civile. Monographien RGZM 79-2, Mayence, 2012.
  13. J. Beloch, Die Bevölkerung der griechisch-römischen Welt, Leipzig, 1886, p. 460.
  14. J. Beloch, “Die Bevölkerung Galliens zur Zeit Caesars”, Rheinisches Museum für Philologie, 54, 1899, p. 414-445. 
  15. E. Lo Cascio, “The size of the Roman population: Beloch and the meaning of the Augustan Census figures”, JRS, 84, 1994, p. 23-40.
  16. W. Scheidel, Demography, in : W. Scheidel, I. Morris, R. Saller (éd.), The Cambridge Economic History of the Graeco-Roman World, Cambridge, 2007, p. 38-86, 45-49. Pour une discussion détaillée voir W. Scheidel (éd.), Debating Roman Demography, Leyde, 2001, notamment p. 64. 
  17. Voir l’introduction de Scheidel et al. 2007 (note 16) et le chapitre III consacré à la démographie, dans lequel Scheidel analyse les relations complexes entre l’accroissement démographique et celui de la production (voir aussi, dans le même sens et le même ouvrage, mais avec moins de nuances, D. P. Kehoe, “Production”, notamment les trois courtes pages consacrées à l’agriculture, p. 550-553). Un long compte rendu critique de l’ouvrage a été publié par un collectif d’auteurs sous la direction de R. Étienne dans Topoi, 17/1, 2011, p. 7-178.
  18. E. Boserup, The conditions of agricultural growth : the Economies of agrarian change under population pressure, Londres, 1965. Pour un résumé de ces débats appliqué à la Gaule, P. Ouzoulias, “Nos natura non sustinet. À propos de l’intensification agricole de terroirs du nord des Gaules”, Gallia, 71-2, 2014, p. 307-328. 
  19. I. Bertrand et al. (dir.), Habitats et paysages ruraux en Gaule et regards sur d’autres régions du monde celtique, Actes du XXXIe colloque international de l’Association Française pour l’Étude de l’âge du Fer, 17-20 mai 2007, Chauvigny (Vienne, F), II, Association des Publications Chauvinoises, Mémoires 55, 2009 ; F. Malrain, G. Blancquaert, T. Lorho (dir.), L’habitat rural du second âge du Fer. Rythmes de créations et d’abandon au nord de la Loire, Recherches archéologiques 7, Paris, 2013.
  20. Malrain et al. 2013 (note 19), p. 232-233.
  21. Rome même offre sans doute le plus bel exemple de la conjonction, au sein d’un même espace, d’activités urbaines et rurales.
  22. F. Malrain, E. Pinard, “La pérennisation d’une tradition gauloise : l’ordonnancement des fermes : l’exemple du site de Poulainville (Picardie, Somme)”, in : G. Blancquaert, F. Malrain (éd.), Évolution des sociétés gauloises du second âge du Fer, entre mutations internes et influences externes, Actes du 38e colloque international de l’AFEAF (Amiens 29 mai-1er juin 2014), RAP Numéro spécial 30, 2016, p. 377-392. 
  23. D. Bayard, P. Lemaire, “Éléments de synthèse”, in : D. Bayard, N. Buchez, P. Depaepe (dir.), Quinze ans d’archéologie préventive sur les grands tracés linéaires en Picardie. Seconde partieRAP, 3-4, 2014, p 103-164.
  24. On compte évidemment quelques exceptions, mais elles restent marginales numériquement. Cf. par exemple le cas bien connu de la villa de Richebourg. Cf. Y. Barat, “La villa gallo-romaine de Richebourg (Yvelines)”, RACF, 38, 1999, p. 117-167.
  25. Bayard, Lemaire, 2014 (note 23). 
  26. Voir en dernier lieu, M. Reddé, “Genèse et développement des formes de la villa romaine dans le nord-est de la Gaule”, Jahrb. RGZM, 2014 [2018], p. 103-136 (= n°41).
  27. Voir le catalogue qu’en a dressé R. Brulet, Les Romains en Wallonie, Bruxelles, 2008. 
  28. I. Deramaix, S. Dasselier, Les recherches archéologiques menées dans la zone d’activité économique d’Ath-Ghislenhien, Namur, 2014. Pour la zone septentrionale, où la recherche a mis en évidence un autre complexe, qui ne s’est pas transformé en villa, l’occupation agricole romaine sur la partie fouillée ne semble pas antérieure à la fin du Ier siècle.
  29. P. Van Ossel, A. Defgnée, Champion, Hamois : une villa romaine chez les Condruses : archéologie, environnement et économie d’une exploitation agricole antique de la Moyenne Belgique, Namur, 2001. Il n’est en revanche pas impossible qu’un établissement antérieur ait pu exister à proximité ; nous n’en avons simplement pas d’indices.
  30. S. Seiler, Die Entwicklung der römischen Villenwirtschaft im Trierer Land. Agrarökonomische und infrastrukturelle Untersuchungen eines römischen Wirtschaftsgebiets, Philippika 81, Wiesbaden, 2015. 
  31. Pour une synthèse rapide, voir J. Kunow (éd.), Braunkohlenarchäologie im Rheinland. Entwicklung von Kultur, Umwelt und Landschaft. Kolloquium der Stiftung zur Förderung der Archäologie im rheinischen Braunkohlenrevier in Brauweiler vom 5.-6. Oktober 2006, LVR – Amt für Bodendenkmalpflege im Rheinland, 2010.
  32. Voir pour une étude plus détaillée M. Reddé, “Grands et petits établissements ruraux dans le nord-est de la Gaule romaine : réflexions critiques”, REA 117-2, 2015, p. 575-612 ; version anglaise en ligne dans M. Reddé (éd.), Méthodes d’analyse des différents paysages ruraux dans le nord-est de la Gaule romaine (2016) [en ligne] https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01253470 [consulté le 28/08/22]. On verra aussi dans ce même ouvrage l’article copieux de N. Bernigaud et al., “Exploitations agricoles et pratiques agro-pastorales dans les campagnes du nord-est de la Gaule (IIe s. av. J.-C.-Ve s. ap. J.-C.) : l’apport des données de l’archéologie préventive d’Île-de-France et de Lorraine”, p. 63-138.
  33. G. Comet, Le paysan et son outil, Rome, 1992, p. 301-303 a fort bien montré la difficulté d’appréhender la question des rendements avant l’époque moderne. Id., Productivité et rendements céréaliers : de l’histoire à l’archéologie”, in : L’homme et la nature au Moyen Age. Paléoenvironnement des sociétés occidentales, Actes du Ve Congrès international d’Archéologie Médiévale (Grenoble, 6-9 octobre 1993), Caen, 1996, p. 87-91. Voir aussi J.-P. Devroey, “La céréaliculture dans le monde Franc”, Settimane di Studio del Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, Spoleto, 1990, p. 221-256 ; Id., Économie rurale et société dans l’Europe franque (VIe – IXesiècles). t. 1. Fondements matériels, échanges et lien social, Paris, 2003. Id., “La céréaliculture au haut Moyen Âge (IIIe-XIe siècles AD) : apports archéologiques et problèmes historiques récents”, in : Actes du colloque Alimenterre. Archéologie et alimentation, Ath, 23 février 2013Vie Archéologique, 72, 2013, p. 59-66. Je remercie P. Ouzoulias et S. Martin de m’avoir signalé ces études. 
  34. Cette donnée (assez basse) apparaît dans un cadre polémique qui oppose la productivité viticole de l’époque de Columelle à l’antique agriculture céréalière. Pour la Sicile, terre extrêmement fertile à l’époque, Cicéron (Verr., 2.3.112) évoque des rendements ordinaires de 8 pour 1 et Varron (Res Rusticae, 1.44.1-2) de 10 pour 1 en Italie. Il s’agit très probablement dans ce dernier cas d’un optimum valable pour de très bonnes terres.
  35. F. Malrain, Fonctionnement et hiérarchies des fermes dans la société gauloise du IIIe siècle à la période romaine : l’apport des sites de la moyenne vallée de l’Oise, thèse, Université de Paris 1, 2000, p. 302-310. 
  36. Comet 1992 (note 33), p. 295, n. 181. Ce mode de calcul, appliqué à des périodes anciennes, est toutefois rendu très aléatoire, si l’on en croit toujours Comet, p. 221, par l’augmentation possible de la masse volumique des grains au cours du temps. Sur la différence de poids entre espèces de blé à l’époque romaine, voir le passage fondamental de Pline, HN, 18.62-63. 
  37. Pline, HN, 18.94 évoque des rendements exceptionnels de Byzacène ou d’Égypte, voire de véritables prodiges : un pied, issu d’un seul grain, portant 400 tiges ! Pour le territoire de Leontium, en Sicile, il évoque un rendement de 100/1 (équivalent ou supérieur aux meilleurs rendements modernes !), alors que Cicéron, Verr., II, considère comme normal un rendement de 8/1 en année moyenne, de 10/1 en année exceptionnelle, un chiffre assurément plus crédible.
  38. Une autre difficulté méthodologique – et non des moindres – réside dans l’estimation des volumes de stockage, dont on ne sait pas dire s’ils concernent des céréales nues ou des céréales vêtues, avec leur enveloppe et leur épillet. Compte tenu de la quasi absence de froment dans les régions que nous étudions, l’Île-de-France mise à part, la seconde hypothèse est plus probable. Mais cela modifie sensiblement les calculs, de sorte que, à notre sens, les évaluations proposées ici doivent être considérées comme des maxima. Malrain expose d’ailleurs fort bien ces différents biais et est fort conscient des approximations qu’il propose.
  39. Ces valeurs tranchent notablement avec celles proposées par P.J. Reynolds dans le cadre de la reconstitution expérimentale de Little Butser, dans le sud de l’Angleterre, où les rendements étaient nettement supérieurs. Ils représentaient en effet une moyenne de 2 080 à 2 480 kg/ha, soit un rendement de 33 à 39 pour 1 (parfois sans engrais !) ce qui avait conduit Reynolds à mettre en cause les données littéraires fournies par les agronomes antiques (P.J. Reynolds, “Ernteträge der prähistorischen Getreidearten Emmer und Dinkel – ‘Die ungünstige Wahl’”, Archäologische Informationen, 13/1, 1990, p. 61-72, [en ligne] http://butser.org.uk [consulté le 28/08/22]. F. Lang, “Ernteträge nördlich der Alpen in römischer Zeit. Überlegungen zur Leistungsfähigkeit der Landwirtschaft und zu den Auswirkungen des Butser Ancient Farm Project”, Archäologisches Korrespondenzblatt, 39, 2009, p. 393-407 a récemment souligné les biais évidents de l’expérience décrite par Reynolds, à savoir l’utilisation de terres non cultivées au préalable, le semis en sillons et non à la volée, les soins extrêmes apportés aux cultures, la faible surface des espaces cultivés qui en faisaient des jardins et non des champs ouverts aux prédateurs.
  40. S. Gaudefroy, F. Gransar, F. Malrain, “La Picardie”, in : Malrain et al. 2013 (note 19), p. 94-108.
  41. L’absence de balnéaires, surtout dans la première phase de l’occupation est notable. Au total, seul un tiers de ces demeures rurales en est doté. Cf. M. Dodt, “Bäder römischer Villen im Braunkohlenrevier”, in : J. Kunow (éd.), Braunkohlenarchäologie im Rheinland. Entwicklung von Kultur, Umwelt und LandschaftKolloquium der Stiftung zur Förderung der Archäologie im rheinischen Braunkohlenrevier in Brauweiler vom 5.-6. Oktober 2006, LVR – Amt für Bodendenkmalpflege im Rheinland, 2010, p. 99-103.
  42. P. Rothenhöfer, Die Wirtschaftsstrukturen im südlichen Niedergermanien. Untersuchungen zur Entwicklung eines Wirtschaftsraumes an der Peripherie des Imperium Romanum, Kölner Studien zur Archäologie der römischen Provinzen 7, Rahden, 2005.
  43. Ainsi voit-on certaines villae autour de Mayen impliquées très directement dans l’extraction du basalte beaucoup plus que dans la production agricole. Cf. M. Grünewald, “Reiche Steinbruchbesitzer? Die villa in Axialhofanlage von ‘Lungenkärchen’ bei Mendig (Ldk. Mayen-Koblenz) im Kontext der römischen Landnutzung”, in : M. Grünewald, S. Wenzel (éd.), Römische Landnutzung in der Eifel. Neue Ausgrabungen und Forschungen, Tagung in Mayen vom 3. bis zum 6. November 2011, RGZM Tagungen 16, Mayence, 2012, p. 159-180. Mayen n’est certes pas situé dans le territoire des Ubiens mais peut sans doute servir de modèle à notre compréhension de l’exploitation des ressources minérales de l’Eifel, plus au nord.
  44. W. Eck, “Das römische Köln: Wie deckt eine Provinzstadt ihren Bedarf?”, in : E. Papi (éd.), Supplying Rome and the Empire, The proceedings of an international seminar held at Siena-Certosa di Pontignano on may 2-4, 2004, on Rome, the provinces, production and distribution, JRA Suppl. Ser. Number 69, 2007, p. 209-218.
  45. W. Eck s’appuie ici sur P. Rothenhöfer 2005 (note 42), p. 55 (données de l’époque prussienne en 1817-1818).
  46. Lang 2009 (note 39), p. 393-407.
  47. Rothenhöfer 2005 (note 42) 56, tableau B. On ajoutera que le mode de calcul en poids fausse de toute manière la réalité car nous ignorons tout de la masse volumique des différentes céréales (hormis le passage déjà cité de Pline) et de son évolution depuis l’Antiquité. Aujourd’hui encore, et pour un même terroir, les différences mesurées au moment de la pesée des récoltes peuvent être très sensibles. Mieux vaudrait donc effectuer des calculs en volume.
  48. On estime à environ 700 kg d’orge/an la consommation nécessaire à un cheval sur la base des tablettes de Carlisle : R.S.O. Tomlin, “Roman Manuscripts from Carlisle. The Ink-Written Tablets”, Britannia, 29, 1998, p. 31-84. 
  49. V. Zech-Matterne, J. Wiethold, B. Pradat, avec la coll. de F. Toulemonde, “L’essor des blés nus en France septentrionale : systèmes de culture et commerce céréalier autour de la conquête césarienne et dans les siècles qui suivent”, in : X. Deru, R. Gonzalez-Villaescusa (éd.), Consommer dans les campagnes de la Gaule romaine (Actes du Xe congrès de l’Association AGER)Revue du Nord Hors-série, 2014, p. 23-50.
  50. V. Zech-Matterne, C. Brun, “Vers une agriculture extensive ? Étude diachronique des productions végétales et des flores adventices associées, au cours de la période laténienne, en France septentrionale”, in : Blancquaert, Malrain 2016 (note 22), p. 623-638.
  51. L.I. Kooistra, “Die pflanzlichen Grundnahrungsmittel der Rheinarmee vor und nach der Gründung der Germania Inferior”, in : A. Stobbe, U. Tegtmeier (éd.), Verzweigungen. Eine Würdigung für A.J. Kalis und J. Meurers-Balke, Bonn, 2012, p. 171-187 et tableau p. 176 ; voir aussi L.I. Kooistra, “The provenance of Cereals for the Roman Army in the Rhine Delta. Based on Archaeobotanical Evidence”, in : S. Zimmer (éd.), Kelten am Rhein, Akten des dreizehnten Internationalen Keltologiekongresses. Proceedings of the Thirteenth International Congress of Celtic Studies (23 bis 27 Juli 2007 in Bonn), Mayence, 2009, p. 219-237. 
  52. K.-H. Knörzer, Novaesium IV. Römerzeitliche Pflanzenfunde aus Neuss, Berlin, 1970, p. 128.
  53. S. Schamuhn, T. Zerl, “Die Landwirtschaft der Kelten, Römer und Germanen im Gebiet von Nordrhein-Westfalen. Kontinuität oder Wandel?”, in : Zimmer 2009 (note 51), p. 239-250. 
  54. Sur cette logistique de la conquête voir B. Tremmel, “Archäologische Indizien für römische Militärlogistik am Beispiel der Funde aus Anreppen”, in : J.S. Kühlborn (éd.), Rom auf dem Weg nach Germanien : Geostrategie, Vormarschtrassen, und Logistik, Internationales Kolloquium in Delbrück-Anreppen vom 4. bis 6. November 2004, Bodenaltertümer Westfalens 45, Mayence, 2008, p. 147-168 ; P. Kehne, “Zur Strategie und Logistik römischer Vorstösse in die Germania: Die Tiberiusfeldzüge der Jahre 4 und 5 n. Chr.”, ibid., p. 253-301.
  55. M. Polak, L.I. Kooistra, “A sustainable Frontier? The establishment of the Roman Frontier in the Rhine delta. Part 1 : from the end of the Iron Age to the death of Tiberius (C. 50 BC-AD 37)”, Jahrb. RGZM, 60, 2013, p. 355-459. L’article, qui doit avoir une suite, s’arrête malheureusement, pour l’instant, à la fin du règne de Tibère.
  56. A. Kreuz, “Puls und panis militaris!? Zur Ernährung der Wachsoldaten des WP.5/4 Neuberg am Limes”, Hessen Archäologie, 2004, p. 108-111.
  57. Voir par exemple les données réunies par H.-P. Stika, Römerzeitliche Planzenreste aus Baden-Württemberg. Beiträge zu Landwirtschaft, Ernährung und Umwelt in den römischen Provinzen Obergermanien und Rätien. Materialhefte zur Archäologie in Baden-Württemberg 36, Stuttgart, 1996 ; J. Wiethold, “Archäobotanische Aspekte der ‘Romanisierung’ in Süddwestdeutschland. Bemerkungen zur Unkrautflora römerzeitlicher Dinkeläcker”, in : Studien zur Archäologie der Kelten, Römer und Germanen in Mittel-und Westeuropa. Alfred Haffner zum 60. Geburtstag gewidmet, Rahden/Westf., 1998, p. 531-551.
  58. G. Raepsaet, F. Lambeau (éd.), La moissonneuse gallo-romaine : journée d’études, Bruxelles, Rochefort (2000) ; J. Wiethold, V. Zech-Matterne, “Ergebnisse zu Landwirtschaft und pflanzlicher Ernährung aus römischen Axialvillen im östlichen Gallien”, in : R. Echt, B. Birkenhagen, F. Sărăteanu-Müller (éd.), Monumente der Macht? Die gallo-römischen Grossvillen vom längsaxialen TypInternationale Tagung vom 26-28.3.2009 im Archäologiepark Römische Villa Borg, Saarbrücker Beiträge zur Altertumskunde 89, Sarrebruck, 2016. 
  59. Sur la mise en place de l’organisation fiscale en Espagne et en Aquitaine, mais probablement aussi dans le reste des Tres Galliae, voir J. France, “La mise en place de l’organisation provinciale en Aquitaine et en Gaule : un bilan”, in : L’Aquitaine et l’Hispanie septentrionale à l’époque julio-claudienne. Organisation et exploitation des espaces provinciaux, IVe colloque Aquitania, Saintes, 11-13 septembre 2003, Aquitania Suppl. 13, 2005, p. 65-94. On ajoutera désormais B. Le Teuff, Census. Les recensements dans l’empire romain d’Auguste à Dioclétien, thèse lettres, Bordeaux III, 2012, [en ligne] https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01077859[consulté le 22/08/22].
  60. Lachmann 205, 10-15 = Thulin 168 = Les Belles Lettres 20, 4 : “Les terres vectigaliennes ont un grand nombre de régimes. Dans certaines provinces, on verse une part définie de la récolte, tantôt le cinquième, tantôt le septième, ou bien de l’argent, et cela en fonction de l’estimation du sol. En effet, des valeurs définies ont été définies pour les terres, comme en Pannonie : terre labourée de première catégorie, de deuxième catégorie, pré, forêt à glands, forêt ordinaire, pâture. Pour toutes ces terres le vectigal a été fixé par jugère en fonction de la fertilité”. 
  61. R. Duncan-Jones, Structure and scale in the Roman Economy, Cambridge-New-York-Portchester, Melbourne-Sydney, 1990, p. 187-191. Contra, Hopkins 1995-1996 (note 5) p. 41-75.
  62. Un passage de Tacite semble indiquer que des sociétés de publicains étaient encore, à cette époque, chargées du recouvrement : “at frumenta et pecuniae vectigalis, cetera publicorum fructum societatem equitum Romanorum agitabantur” (Ann., 4.6.3).
  63. “D’autre part, pour réparer les pertes de l’armée, on vit rivaliser les Gaules, les Espagnes, l’Italie, chacune offrant ce qu’elle avait, des armes, des chevaux, de l’or” (trad. CUF, Les belles Lettres).
  64. Voir à ce sujet l’excellent article de P. Herz, “Der Aufstand des Iulius Sacrovir (21 n. Chr.), Gedanken zur römischen Politik in Gallien und ihre Lasten”, Laverna, 3, 1992, p. 42-93.
  65. Voir aussi S. Kerneis, “Le blé du Nord. Les affaires et les impôts dans la Bretagne du Ier siècle”, in : A. Girollet (éd.), Le droit, les affaires et l’argent : célébration du bicentenaire du code de commerce, Actes des journées internationales de la société d’histoire du droit, Dijon, 2007, p. 99-120. L’enrichissement personnel des dispensatores, esclaves ou affranchis impériaux qui s’occupaient de ces trafics, est bien connu : outre le tristement célèbre Licinus, qui opérait en Gaule sous Auguste (Dion Cassius 54.21.2-8), celui de l’anonyme de Cologne, qui se fit construire un gigantesque tombeau circulaire à la mode des grandes familles romaines, participe probablement du même phénomène (= IKöln2 267 ; cf. W. Eck, H. von Hesberg, “Der Rundbau eines Dispensator Augusti und andere Grabmäler der frühen Kaiserzeit in Köln – Monumente und Inschriften”, Kölner Jahrb., 36 (2003) 151-205. Un autre exemple célèbre et extravagant est signalé par Pline l’Ancien, HN, 7.129 : il concerne un dispensator qui s’était occupé de la guerre d’Arménie et que Néron vendit 13 millions de sesterces ! Sed hoc pretium belli, non hominis (c’est là le prix de la guerre, pas celui de l’homme) ajoute le savant encyclopédiste…
  66. P. Fabia, La Table claudienne de Lyon, Lyon, 1929, l. 75-81.
  67. C. Nicolet, Rendre à César. Économie et société dans la Rome antique, Paris, 1988, p. 294.
  68. M. Reddé, “Ut eo terrore commeatus Gallia aduentantes interciperentur (Tacite, Hist., 5.23). La Gaule intérieure et le ravitaillement de l’armée du Rhin”, REA113-2, 2011, p. 489-509. Herz 1992 (note 64) ; P. Herz, “Finances and Costs of the Roman Army”, in : P. Erdkamp (éd.), A Companion to the Roman Army, Oxford-Victoria, 2007, p. 306-322.
  69. S. Fichtl, “À propos des résidences aristocratiques de la fin de l’âge du Fer : l’exemple de quelques sites du Loiret”, in : S. Krausz et al. (éd.), L’âge du Fer en Europe. Mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz, Bordeaux, 2013, p. 329-343, [en ligne] https://una-editions.fr/l-age-du-fer-en-europe [consulté le 22/08/22] ; F. Lemaire, P. Rossignol, P. Lemaire, À l’origine de la villa romaine : l’exemple du site exceptionnel du “Fond de la Commanderie” à Conchil-le-Temple (Pas-de-Calais). Établissements ruraux antiques-Espaces funéraires et atelier saunier-Habitat du haut Moyen Âge, Nord-Ouest Archéologie 15, Berck-sur-Mer, 2012. 
  70. Voir W.J.H. Willems, Romans and Batavians. A regional Study in the Dutch Eastern Area, Amsterdam, 1986, p. 424 ou C.R. Whittaker, Rome and its frontiers, Londres-New York, 2004, p. 104 ; L. Kooistra, Borderland Farming. Possibilities and limitations of farming in the Roman Period and early Middle Ages between the Rhine and Meuse, Amersfoort, 1996. Pour une approche différente, voir les recherches en cours de Ph. Verhagen et coll. dans le cadre du projet “Finding the Limits of the Limes”, [en ligne] https://resear.vu.nl [consulté le 28/08/22].
  71. S. Martin (éd.), Monnaies et monétarisation dans les campagnes de la Gaule du Nord et de l’Est, de l’âge du Fer à l’Antiquité tardive, Ausonius Scripta Antiqua 91, Bordeaux, 2015, [en ligne] https://ressources.una-editions.fr/s/jrH5zowRmiqYJCJ [consulté le 29/08/22].
  72. Reddé 2015 (note 32).
  73. C.M. Hüssen, Die römische Besiedlung im Umland von Heilbronn, Forschungen und Berichte zur Vor-u. Frühgeschichte in Baden-Württemberg 78, Stuttgart, 2000.
  74. Hüssen, 2000 (note 73), p. 139 ; pour l’ensemble du Baden-Württemberg, voir G. Wieland, Die Spätlatènezeit in Württemberg. Forschungen zur jüngeren Latènekultur zwischen Schwarzwald und Nördlinger Ries. Forsch. u. Ber. Vor-u. Frühgesch. Baden-Württemberg, 63, Stuttgart, 1996 ; M. Meyer, Die ländliche Besiedlung von Oberschwaben in der Römerzeit, Materialh. Arch. Baden-Württemberg 85, Stuttgart, 2010.
  75. Bon résumé de cette question complexe par M.-T. Raepsaet-Charlier, in : M. Dondin-Payre, M‑T. Raepsaet-Charlier (éd.), Cités, Municipes, colonies. Le processus de municipalisation en Gaule et en Germanie sous le Haut Empire romain, Paris, 1999, p. 308-309.
  76. C.S. Sommer, “Futter für das Heer. Villae rusticae, ländliche Besiedlungstellen und die Versorgung der römischen Soldaten in Raetien”, in : R. Stupperich, R. Petrovszky (éd.), Palatinus Illustrandus. Festschrift für Helmut Bernhard zum 65 Geburtstag, Mentor. Studien zu Metallarbeiten und Toreutik in der Antike, 5, Mayence, 2013, p. 134-144.
  77. T. Fischer, Das Umland des römischen Regensburg, Munich, 1990 ; G. Moosbauer, Die ländliche Besiedlung im östlichen Rätien während der römischen Kaiserzeit, Passauer Universitätsschriften Arch. 4., Espelkamp, 1997.
  78. J.-D. Demarez, B. Othenin-Girard (éd.), Établissements ruraux de La Tène et de l’époque romaine à Alle et à Porrentruy (Jura, Suisse)Cahiers d’archéologie jurassienne, 28, Porrentruy, 2010, p. 100-123.
  79. A. Ferdière, “Essai de typologie des greniers ruraux en Gaule du Nord”, RACF, 54, 2015. Varia 1-51, https://journals.openedition.org/racf/2294
  80. Demarez, Othenin-Girard 2010 (note 79), p. 393-394.
  81. Les traces de germination spontanée dans les dépôts archéologiques retrouvés en fouille sont légion et sont signalés par V. Matterne, Agriculture et alimentation végétale durant l’âge du Fer et l’époque gallo-romaine en France septentrionale, Montagnac, 2001, p. 163-166 qui signale ainsi les défauts du mode de stockage romain à l’air et à même le sol dans des greniers par rapport au mode de stockage protohistorique en silos. Ce gaspillage assumé montre sans doute, de manière paradoxale, l’augmentation de la production céréalière à l’époque romaine ! 
  82. L. Blöck, “Die Erweiterung der Getreidespeicherkapazitäten der Axilahofvilla Heitersheim in ihrer 4. Bauperiode-Binnenkolonisation oder Konzentrationsprozesse im ländlichen Raum im ausgehenden 2. Jahrhundert n. Chr.? Ein Modell zur Berechnung von Getreideanbauflächen anhand der Speicherkapazität römischer horrea”Alemanisches Jahrbuch, 59-60, 2011/2012, p. 81-111.
  83. J.G. Krünitz, Oekonomische Encyklopädie, oder allgemeines System der Staats-Stadt-Haus u. Landwirtschaft in alphabetischer Ordnung, t. 44, Berlin, 1788.
  84. W.J.H. Willems, “Die grosse villa rustica von Voerendaal”, in : M.E.T. de Grooth (éd.), Villa Rustica : Römische Gutshöfe im Rhein Maas-Gebiet, Freiburg, 1988, p. 8-13. 
  85. A. P. Gentry, Roman Military Stone-built Granaries in Britain, BAR Int. Ser. 32, 1976, p. 18.
  86. C. Schucany (éd.), Die römische Villa von Biberist-Spitalhof/So (Grabungen 1982, 1983, 1986-1989). Untersuchungen im Wirtschaftsteil und Überlegungen zum Umland, Remshalden, 2006, p. 196-197.
  87. Par exemple Kooistra 1996 (note 70), p. 109, sur lequel s’appuie à son tour D. Habermehl, Settling in a Changing World. Villa Development in the Northern Provinces of the Roman Empire, Amsterdam Archaeological Studies 19, Amsterdam, 2013, p. 143 ; Schucany 2006 (note 87), p. 282-283. 
  88. J.-C. Wulfmeier, H.H. Hartmann, “Reichlich Speicherplatz. Ein horreum von Bad Rappenau, Kreis Heilbronn”, in : J. Biel, J. Heiligmann, D. Krausse (éd.), Landesarchäologie. Festschrift für Dieter Planck zum 65. Geburtstag. Forschungen und Berichte zur Vor-u. Frühgeschichte in Baden-Württemberg 100, Stuttgart, 2009, p. 341-378 ; H.H. Hartmann, F.J. Meyer, “Ein horreum in der Villa Rustica in Bad Rappenau-Babstadt, Kreis Heilbronn”, Archäologische Ausgrabungen in Baden-Württemberg 2001, 2002, p. 127-130.
  89. Elle n’est fondée que sur l’absence d’autres vestiges connus autour de la villa.
  90. Dans le cas de Voerendaal, l’application des calculs aboutirait à une réduction de plus de 50 % des volumes théoriques proposés par W.J.H. Willems ; pour Biberist, la capacité de stockage ne représenterait plus que 16,38 à 21,14 % des propositions de C. Schucany. Naturellement ces estimations peuvent varier du simple au double selon que l’on restitue ou non un second étage de stockage. Il s’agit là d’un biais important pour toute restitution, de même que la nature de la plante stockée puisque les blés ou orges vêtues sont déposés en épillets, ce qui diminue fortement la capacité “utile” de l’entrepôt. On n’oubliera pas en outre que ces horrea pouvaient accueillir d’autres produits agricoles, ce qui augmente encore l’incertitude des calculs volumétriques produits sur la place réelle réservée aux céréales proprement dites. 
  91. M. Poux et al., “Le granarium des Buissières à Panossas : contribution à l’étude des réseaux d’entrepôts de grande capacité dans les Gaules et les Germanies (Ier-IIIe s. ap. J.-C.)”, in : F. Trément (éd.), Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines. Problèmes d’interprétation fonctionnelle et économique des bâtiments d’exploitation et des structures de production agro-pastorale, Actes du XIeColloque de l’Association d’étude du monde rural gallo-romain – AGER, (Clermont-Ferrand, 11-13 juin 2014), Aquitania Suppl. 38, Bordeaux, 2017, p. 407-434.
  92. L. Wierschowski, Heer und WirtschaftDas römische Heer als Wirtschaftsfaktor, Bonn, 1984, p. 151-153.
  93. “Car les récoltes ne sont pas, comme un butin de guerre, qui ira pourrir dans nos greniers, arraché aux alliés qui crient justice. Les alliés apportent d’eux-mêmes ce que la terre a produit, le soleil nourri, l’année procuré, et n’étant pas écrasés sous de nouvelles taxes, ils sacrifient aux anciens impôts. Les achats du fisc ne sont jamais achats simulés. De là ce ravitaillement pour l’armée (copiae), de là cette annone, dont le prix est fixé d’accord entre enchérisseur et vendeur, de là que règne ici l’abondance et nulle part la famine” (trad. Les Belles Lettres, modifiée). 
  94. Voir M. Reddé, W. Van Andringa (dir.), La naissance des capitales de cités en Gaule Chevelue, Dossier Gallia 72-1, 2015 ; sur les premières domus Rèmes, voir Les maisons de l’élite à DurocortorumBulletin de la société archéologique champenoise, 96-4, 2003.
  95. F. Laubenheimer, E. Marlière, Échanges et vie économique dans le Nord-ouest des Gaules : Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie : le témoignage des amphores, du IIe siècle av. J.-C. au IVe s. ap. J.-C., Besançon, 2010 ; voir notamment la carte 14, tome I, p. 45 consacrée aux vins locaux. Cette étude est reprise dans F. Laubenheimer, E. Marlière, “L’approvisionnement des chefs-lieux de cité dans le nord-ouest de la Gaule à partir du témoignage des amphores”, in : C. Besson, O. Blin, B. Triboulot (éd.), Franges urbaines. Confins territoriaux. La Gaule dans l’Empire, Actes du colloque international (Versailles, 29 février-3 mars 2012), Ausonius Mémoires 41, Bordeaux, 2016, p. 415-432.
  96. P. Leveau, “The western provinces”, in : Scheidel et al. 2007 (note 16), p. 651-670, carte 665.
  97. K.S. Verboven, “Good for business. The Roman army and the emergence of a ‘business class’ in the northwestern provinces of the Roman Empire (1st century BCE-3rd century CE)”, in : L. De blois, E. Lo Cascio (éd.), The Impact of the Roman Army (200 BC-AD 476). Economic, social, political, religious, and cultural aspects, Leyde, 2007, p. 295-313.
  98. P. Stuart, J.E. Bogaers, Römische Steindenkmäler aus der Oosterschelde bei Colijnsplaat, Leyde, 2001. Cf. H. Cleere, “Britain and the Rhine provinces : epigraphic evidence for Roman trade”, in : J. du Plat Taylor (éd.), Roman Shipping and Trade : Britain and the Rhine provinces, CBA Research Report 24, 1978, p. 41-48.
  99. T. Schmidts, Akteure und Organisation der Handelsschiffahrt in den nordwestlichen Provinzen des Römischen Reiches, Monographien RGZM 97, Mayence, 2011. Cet ouvrage très documenté me dispense de rappeler la bibliographie antérieure. 
  100. CIL XIII, 8725 : Matribus / Mopatibus / suis / M(arcus) Liberius / Victor / cives / Nervius / neg(otiator) fru(mentarius)/ v(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito). Si l’on suit l’avis de M. Th. Raepsaet-Charlier, Diis deabusque sacrum. Formulaire votif et datation dans les Trois Gaules et les deux Germanies, Paris, 1993, p. 37, la dédicace aux Matres apparaîtrait à partir de Domitien, même si ce critère chronologique semble un peu incertain.
  101. Voir ci-dessus, la mention de la villa d’Ath, récemment fouillée.
  102. J.K. Haalebos, “Ein römisches Getreideschiff in Woerden”, Jahrb. RGZM, 43, 1996, p. 475-509 ; J.P. Tals, T. Hakbijl, “Weed and insect infestation of a grain cargo in a ship at the Roman fort of Laurium in Woerden (Province of Zuid-Holland)”, Review of Palaeobotany and Palynology, 73, 1992, p. 287-300.
  103. Scheidel 2007 (note 16), p. 55.
  104. On ne constate aucune forme de colonisation d’origine méditerranéenne dans les campagnes de la Gaule du nord à cette époque. Un apport significatif de population servile paraît par conséquent exclu.
  105. Dans deux articles collectifs récents (L.I. Kooistra et al., “Could the local population of the Lower Rhine delta supply the Roman army? I. The archaeological and historical framework”, JALC, 4-2, 2013, p. 5-23 ; M. van Dinter et al., “Could the local population of the Lower Rhine delta supply the Roman army? II. Modelling the carrying capacity using archaeological, palaeo-ecological and geomorphological data”, JALC, 5-1, 2014, p. 5-50, les auteurs ont cherché à démontrer l’autonomie de plus en plus grande de l’hinterland de la frontière dans la zone du delta et la capacité croissante de celui-ci à assurer la logistique militaire vers la fin du IIe siècle. Le modèle repose sur une extrapolation effectuée à partir de données archéologiques enregistrées dans la base nationale des Pays-Bas. Considérant la vallée en aval de Vechten, soit environ 63 km jusqu’à la mer, sur une largeur d’une douzaine de kilomètres de part et d’autre du Vieux-Rhin, les auteurs reconstruisent la présence de 120 fermes au début de l’Empire, croissant jusqu’à environ 200 vers la fin du IIe siècle de notre ère (dont 38 au nord du fleuve, sur la rive “germanique”), avec une population d’environ 10 personnes par établissement, soit respectivement 1200 et 2000 habitants au total. En comparaison, la population militaire et “urbaine” des agglomérations proches des camps aurait, dans les deux cas, dépassé largement celle des paysans, dans un facteur d’environ 3,5 fois. La réflexion est fondée sur l’hypothèse implicite selon laquelle le nombre d’exploitations rurales observé est fiable et non biaisé par la différence notable des artefacts archéologiques qui permettent de reconnaître et de dater les sites, ce dont je doute fortement : partout, en effet, le matériel d’époque romaine se distingue par sa “visibilité” beaucoup plus forte que celui des époques protohistoriques ou tardo-antiques, ce qui fausse presque toujours les statistiques. Pourtant, c’est à partir de ces prémisses incertains qu’est établi le second “proxy” indispensable à la démonstration : le quasi doublement du nombre d’établissements ruraux se traduirait par une augmentation équivalente de la population paysanne en deux siècles. Un tel taux d’accroissement démographique est extrêmement fort pour l’Antiquité, voire impossible, sauf apport de population externe, on l’a dit. Mais cette dernière hypothèse est peu vraisemblable sur le territoire batave. En outre le nombre d’habitants considérés ne peut pas, à mon sens, correspondre à celui des producteurs, même si l’on doit évidemment compter la population féminine dans cette catégorie. On exclura au moins partiellement les enfants de la capacité globale de travail qui sert de base au calcul de la surface cultivée. Faire rendre à la terre, dans les conditions de l’Antiquité et sur les sols de cette région, avec un système de petites fermes traditionnelles, puisqu’on ne connaît pas de villae, assez de céréales et d’autres produits pour faire nourrir 3,5 “non producteurs” par 1 producteur, femmes et enfants compris, me paraît constituer un véritable défi. C’est pourquoi je suis sceptique sur la validité du modèle et la conclusion qui en est tirée : la capacité de cette microrégion à nourrir sa garnison, vers la fin du IIe siècle de notre ère. Mais comme il s’agit là d’une terre de marge, cette critique ne doit pas masquer la mutation générale des campagnes à partir de l’époque flavienne.
  106. Les “villae” sont espacées en moyenne d’environ 800 m les unes des autres, ce qui produit mathématiquement des domaines d’environ 50 ha (cf. W. Gaitszch, “Grundformen römischer Landsiedlungen im Westen der CCAA”, Bonner Jahrbücher, 186, 1986, p. 397-427, sc. 408).
  107. L’archéologie perçoit ainsi des exploitations, importantes à l’origine, qui cessent brutalement de se développer et disparaissent, signe manifeste d’échecs. Voir le bon exemple de la villa de Conchil-le-Temple, très grande “protovilla” du début de l’Empire, qui s’étiole complétement au tout début du second siècle ; cf. Lemaire et al.2012 (note 69). Ce cas n’est nullement isolé.
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EAN html : 9782356134899
ISBN html : 978-2-35613-489-9
ISBN pdf : 978-2-35613-490-5
ISSN : 2827-1912
Posté le 23/12/2022
31 p.
Code CLIL : 4117; 3385
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Reddé, Michel, “42. L’impact de la frontière de Germanie sur le développement économique des campagnes de la Gaule romaine”, in : Reddé, Michel, Legiones, provincias, classes… Morceaux choisis, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 3, 2022, 637-668, [en ligne] https://una-editions.fr/42-limpact-de-la-frontiere-de-germanie [consulté le 29/12/2022].
10.46608/basic3.9782356134899.48
Illustration de couverture • Première• La porte nord du camp C d'Alésia, sur la montagne de Bussy en 1994 (fouille Ph. Barral / J. Bénard) (cliché R. Goguey) ;
Quatrième• Le site de Douch, dans l'oasis de Khargeh (Égypte) (cliché M. Reddé, 2012)
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