Selon l’auteur, les Romains de l’époque impériale ne se sont pas intéressés au pays d’Égypte, si ce n’est qu’en tant que grenier à blé. En dehors de l’éloignement géographique, cette ignorance est due au statut particulier qu’Auguste imposa à cette province, dont la détention était une des clefs du pouvoir. Ainsi, il interdit aux sénateurs et aux chevaliers du premier ordre de se rendre dans ce pays, sans son autorisation expresse ; il faut attendre Dioclétien pour que l’Égypte devienne une province comme les autres. Même Germanicus, le fils adoptif de Tibère, est blâmé par ce dernier pour avoir visité le pays motu proprio1. De la sorte, les classes aristocratiques montrèrent peu d’intérêt pour la vallée du Nil. Les légionnaires vétérans de retour dans leurs foyers ne pouvaient guère renseigner les Italiens sur l’Égypte, puisque les militaires affectés aux légions égyptiennes étaient recrutés dans l’Orient grec.
Par ailleurs, la bataille d’Actium faussa complètement les vues sur l’Égypte. En effet, la propagande transforma la guerre civile entre Octave et Marc-Antoine en une guerre extérieure menée par Cléopâtre, secondée par les monstrueux dieux égyptiens (cf. Virgile en tête, mais aussi Horace, Properce, Juvénal, Lucain). Quant à Marc-Antoine, il est dépeint comme un homme tombé dans les rets d’une femme. Dion Cassius (L, 27, 2) va jusqu’à en faire un joueur de cymbale de Canope.
Pour juger de l’accueil réservé aux Égyptiens connus dans l’entourage impérial, M. C. fait appel au cas de Crispinus, dignitaire prisé de Domitien, raillé par Juvénal (Sat. 1, 26-30 et 4, 23-24). Quant aux voyages en terre égyptiennes des empereurs Vespasien, Hadrien, Marc-Aurèle, Septime-Sévère et Caracalla, ils sont jugés comme ayant eu peu d’impact après le retour en terre italienne.
L’intérêt pour l’Égypte se manifesta davantage au IVe siècle, et plus dans la partie orientale de l’Empire qu’à Rome. En témoigne l’excursus réservé à ce pays par Ammien Marcellin, mais on y mesure combien le long désintérêt antérieur a conduit à de lourdes méconnaissances. Ainsi, cet auteur (XX II, 16, 9) voit en Cléopâtre la constructrice du Phare.
D’autres approches de l’Égypte ne furent pas plus positives. L’égyptosophie (terme de J. Assmann) ne se développa qu’à la fin de l’Antiquité. Quant à l’égyptophilie d’empereurs comme Caligula et Néron, elle est entachée par l’image négative de ces empereurs. Ce qui est incontestable, c’est l’attrait pour l’égyptomanie, considérée comme un simple goût superficiel. Enfin, M. C. doute que l’attirance exercée par Isis ait quelque chose à voir avec un intérêt pour sa patrie.
Si la connaissance de l’Égypte profonde échappa largement aux Romains, il nous semble que le tableau ici dressé est poussé fort au noir, et parfois trompeur parce que l’auteur a décidé de s’en tenir aux versions officielles ou satiriques des écrivains impériaux.