Paru dans Mélanges Pierre Lévêque, 8. Religion, anthropologie et société,
M.-M. Mactoux & É. Geny dir., Annales littéraires de l’Université de Besançon 499
(= Paris, Les Belles Lettres), 1994, p. 25-41.
On a souvent observé que la politique extérieure de Sparte au Ve siècle avant la guerre du Péloponnèse se caractérise par la prudence et par le refus des expéditions lointaines. En 479, selon Hérodote, les Spartiates auraient souhaité attendre les Perses près de l’Isthme de Corinthe plutôt que de les affronter en Béotie : les Athéniens auraient dû les menacer de s’allier à Mardonios pour qu’ils se décident à combattre à Platées. Dès 477, Sparte cesse de participer à la contre-offensive grecque en mer Égée et laisse les Athéniens fonder la Ligue de Délos. Au cours des cinquante années qui vont des guerres médiques à la guerre du Péloponnèse, les Spartiates se soucient surtout de maintenir leur hégémonie dans le Péloponnèse ; ils interviennent parfois en Grèce centrale, mais ne s’aventurent jamais plus loin. Sparte encourage bien sûr les révoltes dans l’empire athénien, mais n’apporte jamais aux cités révoltées l’aide qu’elle leur avait promise1. Cette timidité de la politique lacédémonienne permet à Thucydide de prêter aux orateurs corinthiens du débat de Sparte, en 432, un discours qui oppose vigoureusement la lenteur et l’esprit casanier des Spartiates à l’audace et à l’esprit de conquête des Athéniens (I 69-71).
Lorsque l’on examine la politique extérieure de Sparte à partir de 424 et jusqu’au milieu du IIIe siècle, on est au contraire frappé par l’activité militaire des Spartiates et par le nombre des expéditions lointaines. Le grand tournant ne se situe pas au début de la guerre du Péloponnèse, mais un peu plus tard : pendant les premières années du conflit, le roi Archidamos II, qui est d’ailleurs favorable à la paix, se contente de ravager la campagne attique quelques semaines chaque printemps, puis de ramener ses troupes dans le Péloponnèse avant la moisson. Sparte ne renonce à son attentisme traditionnel que lors de l’expédition de Brasidas de 424, qui permet de frapper l’empire athénien par voie de terre, en Thrace et en Chalcidique.
La paix de Nicias de 421, qui suivit de peu la mort de Brasidas, aurait pu conduire Sparte à un nouveau repli durable sur le Péloponnèse. Tel ne fut pas le cas. Dès 415, l’expédition athénienne en Sicile et les conseils d’Alcibiade incitent les Spartiates à envoyer Gylippe à Syracuse et à établir une garnison permanente à Décélie en Attique ; après le désastre athénien de Sicile, ils développent leur flotte grâce à l’or perse et conduisent de très nombreuses opérations en Égée orientale jusqu’à la victoire d’Aigos-Potamoi en 405.
Après la chute d’Athènes, il semble que certains adversaires de Lysandre, comme le roi Pausanias, aient réussi à faire prévaloir quelque temps une politique de limitation volontaire des interventions lointaines de Sparte2. Dès 400 cependant, Sparte intervient de nouveau en Asie : Thibron, puis Dercylidas sont envoyés en Ionie contre le Grand Roi. L’expédition spartiate prend une grande ampleur quand Agésilas obtient la direction des opérations, en 397. Sparte n’a plus rien alors de la cité frileuse repliée sur elle-même que dénonçaient les Corinthiens en 432 : au contraire, Agésilas se présente comme un nouvel Agamemnon à la tête d’une nouvelle expédition de tous les Grecs contre l’ennemi barbare. Ces prétentions de Sparte à l’hégémonie panhellénique ne plaisent pas à tout le monde, et les Thébains empêchent le roi de Sparte de sacrifier à Aulis3. La guerre de Corinthe contraint Agésilas à quitter l’Asie en 394, et la flotte spartiate subit une grave défaite à Cnide peu après, mais ce n’est pas pour autant la fin de l’activité lacédémonienne en Égée orientale : Thibron est à nouveau envoyé en Ionie en 3914, le navarque Ekdikos est chargé de soutenir les oligarques rhodiens la même année5, et les opérations se poursuivent dans l’Hellespont jusqu’en 3876. La reconnaissance de la suzeraineté perse sur les cités grecques d’Asie lors de la paix d’Antalcidas en 386 met un terme aux interventions asiatiques de Sparte, mais non à son activité militaire au loin : en 382 et en 381, trois corps expéditionnaires successifs partent soutenir contre Olynthe le roi de Macédoine et les cités de Chalcidique7.
Ces expéditions ne s’expliquent pas par une exaltation impérialiste passagère8, car elles continuent après la défaite de Leuctres en 371. Il convient d’insister sur ce point, tant l’attitude de Sparte est a priori tout à fait surprenante. À partir de 370, les Thébains interviennent en maîtres dans le Péloponnèse ; la Laconie est envahie à deux reprises ; plusieurs communautés périèques du nord du territoire lacédémonien se détachent de Sparte et participent à la fondation de la nouvelle cité arcadienne de Mégalopolis ; surtout, les Messéniens révoltés acquièrent leur indépendance et se voient reconnus comme une nouvelle cité par presque tous les Grecs. Sparte, qui a perdu son hégémonie péloponnésienne et une grande partie de son territoire, est désormais entourée d’ennemis. On pourrait penser qu’elle consacrerait maintenant toutes ses forces à sa défense et à la reconquête de ses positions péloponnésiennes. Ce n’est pas le cas. En 366, trois ans seulement après la deuxième invasion de la Laconie par les Thébains, Agésilas conduit une expédition en Troade pour appuyer contre le Grand Roi le satrape révolté Ariobarzanès. Quelques années plus tard, le même Agésilas est envoyé en Égypte pour soutenir le pharaon Tachos ; sur place, il se rallie à un adversaire de Tachos, Nectanébo, plus riche et plus généreux9.
La mort de celui qu’on a souvent qualifié de “vieux condottière” ne met pas fin aux expéditions lointaines. Malgré la présence de voisins hostiles et malgré la menace de Philippe, Archidamos III, à partir de 343, conduit une armée en Lucanie pour soutenir les Tarentins contre les Lucaniens. Les Spartiates, semble-t-il, n’ont jamais été tentés de “philippiser”, et Archidamos III a tenté de s’opposer à Philippe en Phocide en 346. Il n’empêche qu’au moment décisif, celui de Chéronée, les Spartiates sont réduits à l’impuissance par l’absence d’Archidamos et de ses troupes10 ; ensuite, Sparte doit subir sans réagir la promenade militaire de Philippe dans le Péloponnèse, alors même que le roi de Macédoine ampute le territoire lacédémonien de quelques communautés périèques à la frontière arcadienne.
Cette expédition d’Archidamos au secours des Tarentins n’est que la première d’une série d’opérations militaires de Sparte en Italie et en Sicile. En 315, Acrotatos, le fils du roi agiade Cléomène II, appuie – sans succès – les Agrigentins contre les Syracusains11 ; en 303, l’oncle du roi Areus Ier, Cléonyme, intervient de nouveau à Tarente, où il se rend très impopulaire12. Trente ans plus tard, quand Pyrrhos envahit la Laconie, le roi Areus Ier et une partie de l’armée sont en train de guerroyer en Crète13. Ces expéditions lointaines, un moment suspendues à l’époque de la guerre chrémonidéenne, paraissent avoir repris ensuite : le futur roi Léonidas II servit les Séleucides en Syrie, tandis que le condottière spartiate Xanthippos participait à la 1ère guerre punique aux côtés des Carthaginois14. Cette pratique cesse en revanche à l’époque des rois réformateurs : Agis IV et Cléomène III mènent beaucoup de campagnes militaires, mais toujours dans le Péloponnèse.
J’ai relevé de 424 au milieu du IIIe siècle vingt-trois expéditions spartiates au-delà du Péloponnèse, de l’Attique et de la Grèce centrale, d’une durée totale d’au moins cinquante-cinq années. Il s’agit d’un minimum : il est probable que certaines interventions lointaines de Sparte ne sont pas mentionnées par nos sources.
Le contraste entre cette activité tous azimuts et la timidité de la politique spartiate avant la guerre du Péloponnèse a été souvent noté, mais on n’en a en général proposé que des explications circonstancielles limitées : Sparte aurait été entraînée par la guerre, puis par la dynamique même de tout impérialisme, puis par la personnalité d’Agésilas, puis par la sympathie pour sa colonie de Tarente, et ainsi de suite. Ces explications conjoncturelles ne rendent pas compte de la durée du phénomène, près de deux siècles. Il convient de se demander si ces expéditions lointaines, dont l’utilité stratégique est souvent discutable, ne s’expliqueraient pas par des traits fondamentaux du système politique et social de Sparte – des traits nouveaux qui apparaîtraient ou qui s’amplifieraient à l’époque de la guerre du Péloponnèse.
De nombreux auteurs anciens ont déploré que les Spartiates du IVe siècle aient abandonné l’idéal spartiate traditionnel15. Même si l’on peut jouir à Sparte de beaucoup de plaisirs à condition de se cacher un peu, beaucoup de Spartiates, parmi les plus riches et les plus influents, considèrent l’austérité de façade qui se maintient à Sparte comme trop pesante encore : le plus grand désir de nombre d’entre eux, d’après Xénophon, est d’être harmoste dans une cité étrangère16. Il est possible que certaines expéditions lointaines de Sparte s’expliquent en partie par l’attrait que la vie à l’étranger exerçait sur la nomenklatura spartiate.
Une autre raison, liée au système politique, peut également être invoquée. Les luttes pour le pouvoir, qui opposent le plus souvent les deux rois, parfois plusieurs chefs influents, sont à la fois courantes et très âpres17. Au Ve siècle, de nombreux rois sont déposés, de nombreux éphores et chefs militaires sont condamnés à la mort ou à l’exil. Dans la période 425-250, au contraire, le seul roi déposé est Pausanias en 394. Les conflits sont peut-être dans certains cas prévenus ou atténués par le départ, plus ou moins volontaire, d’un des adversaires à la tête d’une expédition lointaine.
À ces deux facteurs, psychologique (le goût de la vie facile à l’étranger) et politique (le départ en expédition comme solution des conflits), on ajoute parfois une troisième explication, déjà formulée par Xénophon et par Plutarque à propos d’Agésilas : certaines expéditions visent à remplir les caisses de la cité18. Cette explication, dont la pertinence est évidemment indiscutable, conduit elle-même à poser une autre question : pourquoi Sparte, réputée auparavant pour son autarcie, a-t-elle désormais un tel besoin d’argent ?
Je voudrais suggérer que l’évolution de la politique extérieure de Sparte s’explique en partie par une modification importante de la structure sociale lacédémonienne, le développement des catégories intermédiaires entre les Égaux et les hilotes19.
Les historiens modernes désignent souvent ces catégories intermédiaires prises dans leur ensemble par l’appellation globale d’Inférieurs (que j’ai reprise, faute de mieux, dans le titre de cet article). Par rapport à l’usage ancien, cet emploi est à la fois trop restrictif, parce que tous les non-Spartiates sont des “inférieurs” (quand Cinadon déclare qu’il a préparé une révolution afin de n’être l’inférieur de personne, μηδενὸς ἥττων20, il exprime une revendication commune à tous ceux qu’il espérait rallier, périèques et hilotes aussi bien que néodamodes et citoyens déchus) et trop large, parce que, dans l’énumération de ses alliés potentiels, le même Cinadon distingue les ὑπομείονες des hilotes promus que sont les néodamodes : ὑπομείονες, littéralement “inférieurs”, est probablement le terme technique lacédémonien pour désigner les citoyens déchus – ou certains d’entre eux21.
Un Spartiate pouvait être frappé de déchéance civique s’il avait “tremblé” dans la bataille, c’est-à-dire s’il n’était pas resté fermement à son poste, jusqu’à la victoire ou jusqu’à la mort22. Si la règle traditionnelle avait été appliquée rigoureusement, tous les survivants spartiates d’une défaite auraient été déchus comme “trembleurs”. Après la paix de Nicias, les Spartiates ne prennent d’abord aucune décision à propos des anciens prisonniers de Sphactérie, et certains d’entre eux deviennent magistrats ; craignant que les menaces qui pèsent sur ces anciens vaincus ne les conduisent à des attitudes révolutionnaires, les éphores prennent les devants et les frappent d’atimie23, mais ces tresantes sont ensuite rétablis dans tous leurs droits. Après Leuctres, Agésilas fait suspendre pendant un jour la loi relative aux tresantes, afin de maintenir dans le corps civique les survivants de la défaite (Plutarque, Agésilas 30, 6). Au lendemain de la défaite de Mégalopolis, en 331, les Spartiates décident également d’éviter l’indignité civique aux survivants (Diodore XIX 70, 5). On a l’impression que la règle traditionnelle était suspendue chaque fois que Sparte subissait une défaite importante, si bien que le nombre des tresantes ne devait pas être très élevé. En outre, si les multiples brimades infligées aux “trembleurs” étaient particulièrement humiliantes24, rien ne prouve qu’ils aient été privés de leur klèros, ni que leur déchéance ait été héréditaire.
Les Spartiates déchus pour cause de pauvreté, parce qu’ils ne pouvaient plus payer leur écot aux syssities, constituaient une catégorie beaucoup plus importante. Le partage égal de la terre spartiate, la πολιτικὴ χώρα, entre tous les Homoioi, que Plutarque attribue à Lycurgue25, relève du mythe de Sparte et reflète dans une large mesure les utopies égalitaires du IVe siècle et le programme des rois réformateurs du IIIe siècle. Reste que le témoignage d’Hérodote26 montre qu’il y avait en 479 huit mille citoyens spartiates de plein droit, détenteurs d’un klèros qui leur permettait de tenir leur rang. Comme ce chiffre est voisin des neuf mille lots du partage primitif tel que le représentent de nombreuses traditions, et comme Thucydide (I, 6, 4 et I, 18, 1) aussi bien qu’Hérodote (I, 65-66) soulignent la stabilité de l’eunomia spartiate, on peut penser que des mécanismes régulateurs ont longtemps assuré à Sparte le maintien du nombre des klèroi, et de celui des citoyens. Comme à Athènes, il est vraisemblable que les règles et les usages relatifs aux adoptions et aux mariages visaient à assurer la pérennité de l’oikos et à limiter à la fois le morcellement et la concentration des domaines fonciers27. Il est remarquable que parmi les prérogatives traditionnelles des rois de Sparte figure la compétence judiciaire dans ces deux domaines fondamentaux : “les deux rois décident seuls, à propos d’une fille héritière des biens paternels, πατρούχου παρθένου πέρι, à qui il revient de l’épouser, ἐς τὸν ἱκνέεται ἔχειν, si son père n’a pas pris pour elle un engagement de mariage, ἢν μή περ ὁ πατὴρ αὐτὴν ἐγγυήσῃ… et si quelqu’un veut adopter un enfant, il doit le faire en présence des rois”28. En ce qui concerne les filles héritières, le rôle des rois se limite peut-être à désigner officiellement celui de leurs parents que les règles traditionnelles qualifient pour être leurs maris. Il semble en tout cas que ce contrôle royal se soit estompé progressivement, et qu’il ait totalement disparu à la fin du IVe siècle : Aristote affirme explicitement que le tuteur d’une πατροῦχος peut la donner en mariage à qui il veut29. Cet affaiblissement du contrôle royal – et du contrôle de la cité – dans ces questions de succession montre que les Spartiates, ou du moins les plus influents d’entre eux, étaient de moins en moins préoccupés par la stabilité des klèroi et qu’ils souhaitaient de plus en plus supprimer tous les freins à la concentration de terres par mariage et par héritage.
À la suite de Xénophon et de Plutarque, beaucoup d’historiens datent la décadence de Sparte du début du IVe siècle et y voient la conséquence de la corruption soudaine du système spartiate traditionnel à la suite de la victoire sur Athènes. En fait, il semble que les effets de transformations internes, commencées bien avant la guerre du Péloponnèse, aient joué un rôle déterminant. Il est clair, en particulier, que le déclin démographique du corps civique était bien amorcé au Ve siècle : en 418, lors de la bataille de Mantinée, l’ensemble des Spartiates en âge de combattre paraît d’un effectif inférieur à trois mille30. La baisse est considérable par rapport aux chiffres attestés en 479, et ne saurait s’expliquer uniquement par le tremblement de terre de 464 et par les guerres. Des raisons de caractère économique et social ont joué un rôle déterminant. Pour éviter le morcellement successoral et pour permettre à leurs fils de tenir leur rang de citoyens, les Spartiates ont compté de moins en moins sur des mécanismes régulateurs en train de tomber en désuétude : ils ont eu recours à la limitation des naissances et se sont efforcés de n’avoir qu’un fils afin qu’il puisse hériter de leur statut. Un tel comportement, qui n’est évidemment pas totalement nouveau, a dû devenir de plus en plus fréquent parmi les Homoioi dès avant le milieu du Ve siècle.
Les effets de cette attitude nouvelle ont pu d’abord paraître bénéfiques, en temps de paix : beaucoup de citoyens ont vu leurs propriétés s’agrandir du fait de mariages et d’héritages. Pendant la guerre du Péloponnèse, en revanche, les Spartiates prennent conscience du handicap militaire que représente leur petit nombre. Les autorités de la cité ont probablement alors entrepris de lutter contre une oliganthropie perçue comme un danger. C’est peut-être dans cette période (entre 430 et 420) qu’ont été prises (ou remises à l’honneur) les diverses mesures natalistes évoquées par Xénophon (brimades aux célibataires, pressions sur les vieux maris pour qu’ils prêtent leurs épouses à des jeunes gens vigoureux31) et par Aristote (dispense de service militaire pour les pères de trois enfants, exemption de tout impôt pour les pères de quatre enfants32). Il est probable que la natalité se redressa un peu à Sparte pendant la guerre du Péloponnèse, mais le phénomène n’enraya pas la diminution du nombre des citoyens. Beaucoup de fils de Spartiates, victimes du morcellement du klèros paternel, n’eurent plus des revenus suffisants pour payer leur écot aux syssities : le principal résultat du sursaut nataliste des Spartiates est d’avoir multiplié le nombre des Inférieurs d’origine spartiate, qui sont devenus une catégorie importante en 398, lors de la conspiration de Cinadon33.
Beaucoup de Spartiates appauvris ont vraisemblablement essayé de préserver leur position dans la cité en demandant l’aide de leurs concitoyens plus riches. Il est possible que cette aide leur ait parfois été fournie en échange d’un appui politique : l’inégalité engendre le clientélisme, et l’on peut se demander si le soutien dont a constamment bénéficié Agésilas en dépit des circonstances ne tient pas en partie au contrôle d’un puissant réseau de clientèles. Reste qu’il est malaisé d’emprunter si l’on ne peut offrir à son créancier de contrepartie économique, par exemple sous forme d’hypothèque. Tant que le klèros a été inaliénable, les possibilités d’emprunt ont dû être limitées. C’est dans cette perspective qu’il convient de réexaminer la rhètra d’Épitadeus34. D’après Plutarque (Agis 5, 3-5), l’éphore Épitadeus, souhaitant déshériter son fils, aurait rédigé et fait voter (ἔγραψεν) une loi permettant de donner ou de léguer sa terre ; Plutarque situe cette réforme au IVe siècle, après que la victoire sur Athènes et l’afflux de richesses eurent corrompu la cité de Lycurgue. Le contenu de la rhètra est confirmé par le témoignage d’Aristote (Politique II, 9, 1279a 20-22) : “le législateur a désapprouvé qu’on achète ou vende sa terre, et il a eu raison ; mais il a permis à qui le veut de la donner ou de la léguer ; or, d’une manière ou d’une autre, le résultat est nécessairement le même”35. Aristote ne dit pas que cette disposition soit une innovation, et sa formulation n’exclut nullement qu’il l’attribue à Lycurgue, le “législateur” par excellence. Deux considérations conduisent néanmoins à dater cette liberté des dons et legs de la fin du Ve siècle ou du début du IVe siècle. C’est alors, semble-t-il, que la circulation des métaux précieux, malgré une loi qui en interdit la détention, devient habituelle à Sparte36 : on peut penser que dans certains cas au moins, le “don” et le “legs” d’une terre sont la contrepartie d’un versement en argent. En outre et surtout, c’est à cette date que se développa une catégorie de citoyens appauvris, cherchant à préserver leur statut en s’endettant. Il est probable qu’Épitadeus – ou l’auteur, quel qu’il soit, de la rhètra qui porte son nom – obtint à la fois l’appui des riches désireux d’agrandir leurs domaines (notamment à la Gérousia) et celui de beaucoup de pauvres soucieux d’obtenir des prêts (à l’Assemblée).
La “loi d’Épitadeus” n’est pas l’origine de tous les maux de Sparte, puisqu’elle est elle-même l’effet des inégalités croissantes entre citoyens. Elle contribua cependant à aggraver le mal, en permettant aux plus riches d’accaparer les terres de leurs débiteurs. Les citoyens appauvris qui recoururent à l’emprunt n’obtinrent le plus souvent qu’un bref répit : en aliénant leur klèros au profit de leurs créanciers par des dons ou des legs qui étaient des ventes camouflées, ils privèrent définitivement leurs descendants des moyens de tenir leur rang de citoyens. À côté d’inférieurs incapables de payer leur écot aux syssities parce que leur domaine est trop petit, apparaissent des hypomeiones dépouillés des terres de leurs ancêtres, totalement ἄκληροι.
L’oliganthropie spartiate, déjà très nette au Ve siècle, s’aggrava encore au IVe et au début du IIIe siècle. Les indications de Xénophon à propos de la bataille de Leuctres (Helléniques VI, 4, 15 et 17) montrent qu’en 371, les citoyens en âge de porter les armes n’étaient plus que 1 100 environ. Au milieu du IIIe siècle, selon Plutarque (Agis 5, 6), il ne restait plus que sept cents Spartiates, et, parmi eux, une centaine seulement conservaient un patrimoine foncier, γῆν καὶ κλῆρον37. Pendant toute cette période, un flux constant de citoyens déchus vint grossir le groupe des hypomeiones. Toute évaluation du nombre des hypomeiones est purement conjecturale, mais on peut penser que leur groupe, déjà important lors de la conspiration de Cinadon en 398, connut encore une nette croissance au début du IVe siècle du fait de la concentration des terres au profit de quelques-uns ; ces inférieurs n’ayant peut-être pas un grand dynamisme démographique, il est possible que l’effectif du groupe ait ensuite décliné, tout en restant proportionnellement important par rapport à celui des citoyens (dont la diminution est, elle, incontestable).
Les hilotes affranchis constituent une seconde catégorie intermédiaire. Dans un extrait de ses Messeniaka cité par Athénée, Myron de Priène affirme que “les Lacédémoniens affranchissaient volontiers des esclaves, δούλους”, et il énumère les noms de plusieurs catégories d’affranchis : καὶ οὓς μὲν ἀφέτας ἐκάλεσαν, οὓς δὲ ἀδεσπότους, οὓς δὲ ἐρυκτῆρας, δεσποσιοναύτας δʹἄλλους, οὓς εἰς τοὺς στόλους κατέτασσον, ἄλλους δὲ νεοδαμώδεις, ἑτέρους ὄντας τῶν Εἱλώτων…38. Il est impossible, en l’absence d’autre texte, de préciser les traits distinctifs des adespotoi, des aphétai et des éryktères39, mais cette liste met en évidence la complexité de la société spartiate et la diversité des classes intermédiaires. L’affranchissement des desposionautai est clairement lié à leur service dans la flotte spartiate. L’étymologie exacte de leur nom est obscure, mais il semble qu’il s’agisse de “maîtres de manœuvre” et non de simples rameurs. Pour former les équipages de leurs trières, les Spartiates peuvent débaucher des rameurs non athéniens de la flotte athénienne, ou peut-être enrôler parfois des hilotes non affranchis, mais pour commander les rangs de rameurs, ils ont besoin de chefs subalternes, fidèles et entraînés à la fois : les desposionautai jouent peut-être un rôle analogue à celui des thètes dont l’importance militaire comme “pilotes. . . chefs de manœuvre, surveillants de la proue” est soulignée par l’auteur de La République des Athéniens40. La comparaison montre aussi les limites des concessions faites par les Spartiates aux cadres de leur flotte : loin de leur laisser le pouvoir, ils ne leur ont même pas accordé la citoyenneté, et se sont contentés de les affranchir. En outre, la flotte spartiate n’a connu un grand développement que de manière très intermittente (principalement de 413 à 386).
L’utilisation des hilotes dans l’armée spartiate, comme valets d’armes et comme auxiliaires légèrement armés (ψιλοί), est tout à fait traditionnelle41 : selon Hérodote (IX 28), il y avait à Platées sept hilotes autour de chaque guerrier spartiate ; après la campagne, ces hilotes mobilisés reprenaient leur travail agricole sur le lot de leurs maîtres. Rien ne prouve qu’avant 424 des hilotes aient jamais combattu comme hoplites ni qu’après cette date certains d’entre eux aient fait partie de la phalange lacédémonienne au même titre que les Spartiates et les périèques42. Néanmoins, même dans les fonctions subalternes qu’ils accomplissaient au cours des campagnes militaires, certains hilotes pouvaient faire preuve de courage. En outre, à partir de 431, des hilotes furent probablement amenés par les circonstances à jouer un rôle important dans la défense des côtes lacédémoniennes contre les incursions athéniennes ; l’audace et l’habileté de quelques-uns d’entre eux permirent de ravitailler les combattants bloqués à Sphactérie. La bravoure manifeste de certains hilotes, si contraire au partage des rôles établi par l’idéologie traditionnelle, conduit les plus ambitieux d’entre eux à désirer un statut mieux adapté à leur valeur, mais, en même temps, elle accroît, chez beaucoup de Spartiates, le sentiment d’un danger : ils craignent de voir se tourner contre eux l’énergie manifestée face à l’ennemi43. Cette double évolution explique le sinistre stratagème conçu par les Spartiates, que nous rapporte Thucydide (IV 80, 3-4) : “Ils proclamèrent que tous les hilotes qui estimaient s’être montrés, face aux ennemis, les plus courageux dans l’intérêt des Spartiates, devaient faire examiner leurs titres (κρίνεσθαι), en affirmant vouloir les affranchir (ὡς ἐλευθερώσοντες), mais il s’agissait d’une épreuve (πεῖρα), car ils pensaient que ceux qui avaient assez de fierté (φρόνημα) pour réclamer les premiers l’affranchissement étaient aussi les plus capables d’une révolte” ; parmi ceux qui se présentèrent, “ils choisirent environ deux mille hommes, qui se couronnèrent et firent le tour des sanctuaires comme de nouveaux affranchis”44 ; “peu après, ils les firent disparaître, et personne ne sut jamais comment chacun avait péri”45. Ce récit saisissant est une parenthèse dans l’analyse des raisons de l’expédition de Brasidas en Thrace : l’un des buts des Lacédémoniens était bien sûr d’ébranler l’empire athénien, mais, en même temps, selon Thucydide, ils étaient heureux d’avoir un prétexte pour envoyer au loin (ἐκπέμψαι) des hilotes, “afin d’éviter que ceux-ci ne profitent des circonstances et de la présence de l’ennemi à Pylos pour se révolter”.
Le sens du rapprochement des deux événements est clair : l’envoi en Thrace de sept cents hilotes (probablement désignés parmi les plus valeureux, présumés les plus dangereux) est une façon de se débarrasser d’eux. On a parfois objecté à cette interprétation de Thucydide qu’il est étrange de confier des opérations importantes à des troupes jugées peu sûres, mais il convient de souligner que le risque de mutinerie des hilotes enrôlés comme hoplites était très limité, du fait de la présence à leurs côtés de mercenaires péloponnésiens. Les hilotes placés sous l’autorité de Brasidas combattirent vaillamment, et leur activité militaire permit à la cité de compenser en partie la diminution des effectifs civiques. Ces hoplites gardèrent le statut d’hilotes pendant toute la campagne de Thrace, et c’est seulement à leur retour à Sparte, après la paix de Nicias, qu’ils furent affranchis (parce qu’eux-mêmes, bien sûr, estimaient mériter la liberté, mais aussi et surtout parce que les Spartiates ne tenaient pas à renvoyer ces combattants aguerris dans les villages, au milieu des hilotes). Les Lacédémoniens décident aussi, dans un premier temps, que ces “Brasidiens” pourraient “résider où ils voudraient”, οἰκεῖν ὅπου ἂν βούλωνται (Thucydide V 34, 1) : la formule traduit probablement leur embarras devant cette nouvelle catégorie d’hoplites démobilisés, libres mais sans klèros, et vise peut-être à encourager ces affranchis à s’expatrier, par exemple en s’engageant comme mercenaires. Peu après, les Spartiates trouvèrent une solution au problème de l’entretien des Brasidiens : ils les établirent sur le territoire de Lépréon, enlevé aux Éléens avec lesquels ils étaient en conflit. Les Brasidiens de Lépréon évoquent les clérouques athéniens établis dans diverses cités alliées, avec cette grande différence bien sûr qu’ils ne sont pas citoyens.
Parmi les bénéficiaires de cette installation à Lépréon, Thucydide mentionne “les néodamodes” à côté des Brasidiens. C’est la première fois qu’apparaît le terme, mais au moment où Thucydide rédige ce passage de son histoire, le mot est visiblement devenu assez courant pour que l’historien juge inutile de le définir. Les néodamodes, comme les Brasidiens, sont d’anciens hilotes enrôlés comme hoplites, qui cependant sont affranchis au cours de leurs campagnes militaires46 (et non après). Pendant la deuxième moitié de la guerre du Péloponnèse, Sparte recrute à plusieurs reprises des hilotes combattant comme hoplites, qui sont affranchis et deviennent néodamodes47. Dans l’immédiat, cette politique ne présente que des avantages : elle accroît la puissance militaire de la cité, et en même temps elle éloigne les hilotes les plus entreprenants, limitant ainsi le risque d’agitation révolutionnaire. Plus tard, la nouvelle catégorie des néodamodes pose à son tour un grave problème social : lors de la démobilisation qui suit la victoire sur Athènes, ces “nouveaux citoyens” qui ne sont pas citoyens48 et qui n’ont pas de terres49 (la solution trouvée à Lépréon n’ayant pu se répéter) forment une masse au statut ambigu et sans moyen d’existence. Au lendemain de la conspiration de Cinadon, pour prévenir le péril que représentait cette nouvelle classe dangereuse, bien entraînée, les Spartiates envoient deux mille néodamodes en Asie dans l’armée d’Agésilas (qui rejoignent les mille néodamodes qui accompagnaient déjà Thibron). Il est probable qu’une partie des néodamodes envoyés contre Olynthe lors des expéditions de 382-381 étaient d’anciens combattants de l’armée d’Agésilas en Asie, mais il est également vraisemblable que les Spartiates ont continué à recruter des hilotes comme hoplites et à les affranchir avec le statut de néodamodes, pour tirer parti d’effectifs disponibles au moment où le maintien de leur hégémonie exigeait de nombreux engagements militaires, mais aussi pour ne pas fermer aux plus ambitieux des hilotes une voie de promotion relative qui avait commencé à leur devenir familière.
Lors de l’invasion de la Laconie par les Thébains en 369, les Spartiates aux abois font appel aux hilotes et promettent la liberté à tous ceux qui auront effectivement fait la guerre à leurs côtés (Xénophon, Helléniques VI 5, 28). D’après Xénophon, six mille hilotes, “dit-on” (ἔφασαν), se seraient d’abord “fait inscrire”50, et la première réaction des Spartiates aurait été d’être effrayés par leur nombre, mais ils se seraient rassurés en constatant que les autres combattants restés fidèles (alliés et mercenaires notamment) étaient assez nombreux pour leur faire contrepoids. Xénophon lui-même semble considérer le chiffre de six mille comme exagéré ; en outre, il est probable que tous les hilotes volontaires n’ont pas participé aux combats ; Diodore, d’autre part, dans un récit assez différent de celui de Xénophon, nous dit que les Spartiates ont complété leur armée “avec les hilotes qu’ils venaient de libérer, au nombre de mille” (XV 65, 5)51. Même si l’on adopte le chiffre le plus bas, ces hilotes affranchis en 369, qu’on peut assimiler à des néodamodes bien que le terme ne soit pas utilisé à leur propos, sont encore plus nombreux à eux seuls que les Égaux en âge de combattre.
Nos sources ne mentionnent plus de recrutement de nouveaux néodamodes après 369, mais nous pouvons penser que les néodamodes recrutés antérieurement constituèrent longtemps un groupe important, et que son extinction fut très progressive52.
Il faut encore mentionner parmi les catégories intermédiaires les nothoi, bâtards de citoyens spartiates et de femmes hilotes, ainsi que les mothakes : ce terme obscur, dont les lexicographes donnent des définitions diverses, désigne notamment, semble-t-il, les fils d’hilotes et les fils d’inférieurs qui ont reçu la fameuse éducation spartiate, l’ἀγωγή53. Si l’on excepte quelques personnalités auxquelles leur rôle militaire a permis une promotion parmi les citoyens, les mothakes, quoique libres, n’ont eux non plus ni droits politiques ni klèros.
Il y avait trois points communs entre toutes ces catégories intermédiaires :
- contrairement aux périèques et aux hilotes, la plupart des “Inférieurs” au sens large ne travaillaient pas (même si quelques-uns, peut-être, exercèrent des activités artisanales) ;
- comme les Égaux, la plupart des membres de ces catégories intermédiaires se consacraient à l’activité militaire ; beaucoup d’entre eux semblent même avoir été des hoplites à plein temps54 ;
- contrairement aux Égaux, en revanche, ces “Inférieurs” ne possédaient en général aucun domaine foncier, et n’avaient par voie de conséquence aucun revenu propre (il y a cependant quelques exceptions comme les Brasidiens et les néodamodes établis à Lépréon au lendemain de la paix de Nicias, et peut-être comme certains des colons d’Héraclée Trachinienne55).
Toute promotion individuelle n’était pas interdite aux membres de ces catégories intermédiaires : d’après certaines traditions, Gylippe, Derkylidas et Lysandre auraient été des mothakes56. Il s’agit peut-être de calomnies contre ces personnages influents (de façon analogue, les orateurs athéniens s’accusaient mutuellement d’être de basse extraction, voire d’avoir usurpé la citoyenneté), mais ces calomnies même prouveraient qu’il n’était pas impensable qu’un mothax devînt citoyen et fît une belle carrière. Pour faire partie du corps civique, il fallait impérativement remplir deux conditions : obtenir un klèros et être admis dans une syssitie. Un chef militaire, d’origine “inférieure”, mais enrichi par la guerre, pouvait peut-être prêter de l’argent – illégalement – à un Spartiate pauvre et obtenir – tout à fait officiellement depuis la loi d’Épitadeus – le klèros de ce dernier en don ou en legs, et les syssities se disputaient probablement des capitaines prestigieux. Pour l’énorme majorité des Inférieurs, en revanche, la citoyenneté devait être un rêve inaccessible.
Les catégories intermédiaires se trouvaient dans une situation tout à fait anormale par rapport aux règles de division des tâches qui justifiaient idéologiquement le système spartiate : ils avaient la même spécialisation militaire que les Égaux, sans bénéficier des droits économiques et politiques des Égaux. Un tel décalage pouvait créer chez certains d’entre eux ce sentiment profond d’injustice, dans lequel Aristote, au livre V de la Politique, voyait la cause profonde de toute révolution.
Le mouvement révolutionnaire le plus important (ou en tout cas le mieux connu) qu’aient conduit des Inférieurs est la conspiration de Cinadon57 : d’après le récit de Xénophon (Helléniques III 3, 4-11), Cinadon, homme jeune et énergique qui ne faisait pas partie des Égaux, aurait cherché à coaliser contre la petite minorité des Spartiates la masse de tous les autres habitants de Lacédémone – périèques, hilotes, néodamodes et hypomeiones – qui détestaient si violemment les Spartiates qu’ils “auraient eu plaisir à les manger tout crus”. Les chefs qui préparaient le soulèvement étaient peu nombreux, mais comptaient sur l’appui massif de toutes les classes dominées. La raison du soulèvement invoquée par Cinadon lors de son interrogatoire par les éphores, c’est “qu’il ne voulait être l’inférieur de personne à Lacédémone” μηδενὸς ἥττων εἶναι ἐν Λακεδαίμονι. Il est possible que la gravité de ce complot, étouffé avant d’avoir éclaté, ait été exagérée par les informateurs spartiates de Xénophon, c’est-à-dire par Agésilas et ses amis. Même si c’est le cas, l’inquiétude des classes dirigeantes de Sparte est évidente : elles considèrent les catégories intermédiaires comme des classes dangereuses, d’autant plus dangereuses qu’elles sont armées et entraînées, et craignent par dessus tout une coopération de ces groupes avec les hilotes dans un soulèvement commun. La solution est d’éloigner le plus possible d’inférieurs de Sparte, pour atténuer le danger qu’ils constituent par eux-mêmes et pour limiter leurs contacts avec les hilotes. Dans les premières années du IVe siècle où une révolution sociale, à tort ou à raison, était particulièrement redoutée, les Spartiates autorisèrent à deux reprises Denys de Syracuse à recruter des mercenaires sur leur territoire, d’abord “autant qu’il désirait” en 398 (Diodore XIV 44, 2) puis, semble-t-il, mille autres deux ans plus tard (XIV 58) ; le tyran sicilien établit une grande partie d’entre eux à Léontinoi (XIV 78). La plupart du temps, cependant, la cité organisa directement l’éloignement de ces soldats indésirables à Sparte en les enrôlant dans des expéditions qu’elle entreprenait elle-même. L’objectif d’isoler les unes des autres les classes dominées fut, semble-t-il, atteint dans une large mesure : ni la défaite de Leuctres ni l’invasion de la Laconie ne provoquèrent de révolte générale analogue aux plans de Cinadon58. Les Inférieurs ne participèrent pas à la révolte des hilotes et périèques de Messénie, et leurs rébellions sporadiques furent rapidement repérées et réprimées par Agésilas (Plutarque, Agésilas, 32).
Outre la crainte d’actions révolutionnaires, une autre considération devait inciter les autorités de Sparte à envoyer les Inférieurs dans des expéditions lointaines : la plupart d’entre eux n’avaient ni klèros ni revenu personnel d’aucune sorte à Sparte. Les Spartiates n’imaginaient pas d’entretenir à Sparte, dans l’inactivité, un grand nombre d’Inférieurs, ni à titre privé ni aux frais de la cité59. À l’époque de l’impérialisme de Sparte, tant que les tributs versés par les “alliés” non péloponnésiens, surtout jusqu’en 386, assuraient d’importantes rentrées financières à la cité, les autorités de Sparte eurent les moyens de verser des soldes militaires aux Inférieurs enrôlés dans des expéditions lointaines : la situation de ces derniers s’apparentait à celle de mercenaires d’origine interne. Après l’écroulement de la puissance spartiate, l’unique moyen d’entretenir ces hommes sans modifier le système social était de les conduire au loin sous la direction d’un chef spartiate pour qu’ils reçoivent une solde des puissances qui voulaient bien les employer ou qu’ils vivent de pillage. Seule la guerre pouvait nourrir ces guerriers sans moyens.
Quand, en 375, Polydamas de Pharsale demande l’aide de Sparte contre Jason, il tient à préciser que, si les Spartiates croient qu’une troupe de néodamodes dirigés par un simple particulier (ἰδιώτης) suffira, il vaut mieux qu’ils ne fassent rien (Xénophon, Helléniques VI 1, 14). Il n’est pas sûr que Polydamas considère les néodamodes comme des soldats médiocres60 : ce qu’il veut dire, c’est que l’envoi de néodamodes ne lui semble pas une réponse adéquate à la menace que Jason représente pour toute la Grèce, et qu’un engagement total de la φροῦρα lacédémonienne, la phalange composée d’Homoioi et de périèques sous le commandement d’un roi, lui paraît indispensable. L’avertissement de Polydamas suggère en outre que les Spartiates sont souvent prêts à faire un geste qui ne leur coûte guère en envoyant des néodamodes à qui demande leur appui : le sort de ces troupes et l’issue des opérations ne sont plus ensuite pour eux une préoccupation majeure.
La politique d’engagement systématique des néodamodes et des autres inférieurs dans des expéditions lointaines atteignit dans une large mesure son but principal – prévenir tout mouvement révolutionnaire. Les hilotes les plus entreprenants reçurent la possibilité de satisfaire partiellement leur ambition de promotion sociale. Le danger d’une coalition générale de toutes les classes non privilégiées, redouté, à tort ou à raison, lors de la conspiration de Cinadon, fut conjuré par le départ de nombreux inférieurs. Dans les corps expéditionnaires envoyés au loin, le risque de mutinerie était limité par la présence, à côté des inférieurs, de mercenaires et d’alliés qui leur faisaient contrepoids61.
Du point de vue militaire, l’examen du rôle des classes intermédiaires permet à la fois de nuancer et de confirmer le jugement d’Aristote sur le système foncier spartiate : à cause d’une législation défectueuse, il y aurait moins de mille combattants sur un territoire capable de nourrir 1 500 cavaliers et 30 000 hoplites (Politique II 9, 1270a 34-39). Le nombre des Homoioi diminuant constamment au Ve et au IVe siècle, (en grande partie à cause de l’accaparement des terres par les plus riches), les Spartiates compensèrent dans une certaine mesure la baisse de leurs effectifs civiques par le recrutement d’inférieurs et d’hilotes affranchis (cet appoint fut particulièrement précieux en 369, face à l’invasion thébaine). Très souvent, cependant, les Spartiates choisirent d’éloigner ces troupes, dont la présence sur le territoire de la cité leur paraissait dangereuse et qui surtout n’avaient pas de ressources pour vivre à Sparte. Ces combattants sans klèros et sans droit de cité ne remplaçaient pas des citoyens. L’un des aspects les plus paradoxaux de la situation de Sparte au IVe siècle et au début du IIIe, c’est qu’elle était obligée de maintenir au loin une grande partie de ses forces et qu’elle ne pouvait donc en disposer pour sa propre défense.
Notes
- Thasos en 468-464, les cités eubéennes en 446 et Samos en 440 font tour à tour l’amère expérience de ces promesses illusoires.
- Pour une tentative de reconstruction des factions politiques à Sparte au lendemain de la guerre du Péloponnèse, voir en particulier C.D. Hamilton, Sparta’s Bitter Victories, Ithaca, 1979, p. 25-98 notamment.
- Xénophon, Helléniques III 4, 4.
- Hell. IV 8, 17-19.
- Hell. IV 8, 20-22.
- Xénophon évoque la défaite de l’harmoste d’Abydos Anaxibios, qui succéda dans son commandement à Dercylidas (Hell. IV 8, 32-39).
- Sous la direction d’Eudamidas (Hell. V 2, 24), de Téleutias (Hell. V 2, 37-42) et du roi Agésipolis (Hell. V 3, 8) respectivement.
- De 378 à 371, les Spartiates conduisent des campagnes répétées contre les Thébains en Béotie : le terrain d’opération s’est rapproché, mais l’inspiration politique reste la même, et l’on ne saurait parler d’un repli de Sparte à cette époque.
- Sur ces dernières expéditions d’Agésilas, la source principale est, malgré son parti-pris systématiquement laudatif, l’Agésilas de Xénophon, II, 26-28.
- La tradition selon laquelle Archidamos serait mort dans un combat contre les Lucaniens le jour même de Chéronée (Théopompe, Fr.Gr.Hist. IIΒ 115, F232) est évidemment suspecte, mais souligne bien l’absurdité – au moins apparente – de la politique spartiate en cette période cruciale.
- Diodore XIX 70.
- Diodore XX 104.
- Plutarque, Pyrrhos 26-27.
- Polybe I 32-36.
- Le texte le plus net à cet égard est celui de Plutarque dans sa Vie d’Agis (V), qui reflète probablement, par l’intermédiaire de Phylarque, la propagande des rois réformateurs du IIIe siècle, mais dès le IVe siècle, Platon évoque en termes transparents la corruption de l’esprit spartiate lorsqu’il analyse le passage de l’homme timocratique à l’homme oligarchique dans le livre VIII de la République (552a-553e).
- République des Lacédémoniens XIV 2. Sur ce chapitre, qui dénonce la décadence de la Sparte du IVe siècle, voir en dernier lieu le commentaire d’E. Luppino-Manes, Un progetto di riforma per Sparta. La ‘Politeia’ di Senofonte, Milan, 1988, p. 20-32.
- Pour une analyse plus détaillée des luttes politiques à Sparte, voir P. Carlier, La Royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, 1984, p. 274-292.
- Xénophon, Agésilas, II 26 ; Plutarque, Agésilas 36-37. On se reportera surtout au chapitre que P. Cartledge a consacré à “Agésilas mercenaire” dans Agesilaos and the Crisis of Sparta, Londres, 1987, chap. 15. L’étude des finances publiques de Sparte, très délicate à cause du caractère allusif de la documentation, n’a jamais été entreprise de manière systématique. On se reportera, faute de mieux, à la synthèse générale d’A.M. Andreades, A History of Greek Public Finances, trad. anglaise, Cambridge (Mass.), 1933.
- L’analyse la plus détaillée de l’ensemble des classes intermédiaires à Sparte reste P. Oliva, Sparta and her Social Problems, Prague, 1971, p. 163-179.
- Xénophon, Helléniques III 3, 11.
- Dans la mesure où ce terme est un hapax, qui n’apparaît que dans ce passage des Helléniques (III 3, 6), il convient cependant d’être prudent.
- Sur les tresantes, voir surtout V. Ehrenberg RE VI A, 1937, col. 2292-2297, s. u., que l’on complétera par les observations de N. Loraux, “La belle mort spartiate”, Ktèma 2, 1977, p. 108-113.
- Thucydide (V 34) voit dans cette décision une mesure préventive dictée par les circonstances, non l’application stricte d’un code héroïque inflexible.
- Les deux textes les plus détaillés sont Hérodote VII 229 (à propos d’Aristodamos qui avait profité d’une ophtalmie pour échapper au combat des Thermopyles) et Xénophon, République des Lacédémoniens, Ch. 9.
- Vie de Lycurgue 8 ; Vie d’Agis 5, 2.
- VII 234 et IX 28.
- Pour une comparaison approfondie du droit successoral à Sparte et à Athènes, voir D. Asheri, “Laws of Inheritance, Distribution of Land and Political Institutions in Ancient Greece”, Historia 12, 1963, p. 1-21, et R. Lane Fox, “Aspects of Inheritance in the Greek World”, in Crux. Essays in Greek History presented to G.EM. de Sainte Croix, P.A. Cartledge & D. Harvey éds, Londres, 1985, p. 208-232. S. Hodkinson, “Land Tenure and Inheritance in Classical Sparta”, CQ 36, 1986, p. 392-394, a rassemblé de manière tout à fait convaincante un certain nombre de textes suggérant que la règle normale de succession était à Sparte le partage entre frères, et non un hypothétique droit d’aînesse. En faveur de l’hypothèse contraire, voir notamment T.J. Figueira, “Mess Contributions and Subsistence at Sparta”, TAPhA 114, 1984, p. 100.
- Hérodote VI 57. Sur cette liste des γέρα des rois de Sparte, voir P. Carlier, La Royauté en Grèce…, p. 249-274. Hérodote reprend une liste traditionnelle ; il est possible que certaines prérogatives royales qu’il mentionne soient déjà tombées en désuétude à l’époque où il écrit, au milieu du Ve siècle.
- Politique II 9, 1270a 25-28.
- Les Spartiates ont été mobilisés en masse, à l’exception des classes les plus jeunes et les plus âgées, et pourtant, avec l’appoint de périèques, de Brasidiens et de néodamodes, l’armée “lacédémonienne” sur le champ de bataille semble être de 3 600 hommes environ, d’après les indications de Thucydide (V 68). Outre le fait que précisément à propos de Mantinée Thucydide se plaint du “secret” pratiqué par les Spartiates, l’évaluation du corps civique à partir du nombre des combattants se heurte à une grave difficulté : nous ignorons la proportion des Spartiates et des non-Spartiates à Mantinée. En supposant que cette proportion était la même que parmi les prisonniers de Sphactérie (120 sur 292), J. Christien arrive à un total de 2 100 pour l’ensemble des homoioi en âge de faire campagne (“La loi d’Epitadeus : un aspect de l’histoire économique et sociale à Sparte”, RHD 52, 1974, p. 204-205). Sur l’évolution démographique de Sparte, voir aussi T.J. Figueira, “Population Patterns in Late Archaic and Classical Sparta”, TAPhA 116, 1986, p. 165-213, dont les hypothèses sont partiellement différentes de celles que nous avons adoptées.
- République des Lacédémoniens I, 7-9. Ces mesures, attribuées à Lycurgue, sont aussi, selon Xénophon, inspirées par un souci d’eugénisme.
- Politique II 9, 1270b 1-6.
- On peut remarquer que Thucydide ne mentionne jamais cette catégorie, ni sous le nom d’ὑπομείονες, ni sous aucun autre nom (πένητες ou ἄτιμοι par exemple) ; c’est peut-être le signe que ce groupe n’était pas très nombreux, ou du moins ne jouait guère de rôle avant 411.
- La littérature sur la question est très abondante. Parmi les analyses récentes les plus importantes, outre l’article de J. Christien déjà cité note 30, on peut mentionner D. Asheri, “Sulla legge di Epitadeo”, Athenaeum 39, 1961, p. 45-68 ; P. Oliva, Sparta…, p. 188-192 ; G. Marasco, “La retra di Epitadeo e la situazione di Sparta nel IV secolo”, AC 49, 1980, p. 131-145, et P. Cartledge, Agesilaos…, p. 167-169.
- Traduction J. Aubonnet, Les Belles-Lettres, 1968.
- Il est vraisemblable que l’or et surtout l’argent circulaient principalement sous forme de monnaies étrangères. Sur le maintien officiel, à Sparte, de la vieille monnaie de fer, voir Xénophon, République des Lacédémoniens, Ch. VII ; sur la violation de la loi, cf. ibid., Ch. XIV.
- Les 600 autres “Spartiates”, privés de terres selon Plutarque, sont pour ainsi dire des citoyens en sursis, qui ne préservent un statut très précaire que grâce à l’aide de riches dont ils composent la clientèle.
- Fr. Gr. Hist. n° 106, F1. Sur l’interprétation de ce texte difficile, voir en dernier lieu J. Ducat, Les Hilotes, Paris, 1990, p. 155-156.
- Pour une présentation des principales explications proposées, voir P. Oliva, Sparta…, p. 170-172. J. Ducat, Les Hilotes…, se montre à juste titre très sceptique.
- I, 2. Le polémiste ne mentionne pas les simples rameurs, dont la tâche n’exige aucune compétence particulière et qui sont souvent des étrangers.
- Sur ce point, on se reportera à la documentation réunie par K.W. Welwei, Unfreie im antiken Kriegsdienst, Wiesbaden, 1974, p. 108-131.
- D’après J. Ducat (Les Hilotes…, p. 164-166), les Spartiates levaient des volontaires parmi les hilotes les plus riches, qui avaient les moyens de se procurer leur équipement – les hilotes de cens hoplitique, pourrait-on dire – et ces derniers constituaient une réserve d’hilotes hoplites. Il est vraisemblable qu’il y avait d’importantes différences économiques et sociales à l’intérieur de la classe juridique des hilotes : bien avant que 6 000 d’entre eux n’achètent leur liberté sous le règne de Cléomène III, il y avait certainement des “koulaks” parmi eux. Reste qu’aucun des textes invoqués par J. Ducat n’impose son hypothèse d’un vivier d’hilotes constamment mobilisables comme hoplites : quand Thucydide, à deux reprises (V 57, 1 et V 64, 2), évoque une mobilisation en masse (πανδημεί) des Spartiates et des hilotes, il veut peut-être dire, tout simplement, que les Spartiates furent mobilisés en masse dans la phalange, et que tous leurs hilotes – tous les hilotes mobilisables de leurs klèroi – durent les accompagner comme valets d’armes ou comme fantassins légers.
- Il est impossible de reprendre ici de manière approfondie la question controversée du danger hilote et de la crainte des hilotes. Parmi les études relativement récentes, on pourra confronter d’une part G.E.M. de Sainte Croix, The Origins of the Peloponnesian War, Londres, 1971, p. 87-94, et P. Cartledge, Sparta and Lakonia, Londres, 1979, p. 160-177, qui insistent sur l’importance du phénomène, d’autre part A. Roobaert, “Le danger hilote ?” Ktèma 2, 1977, p. 141-155, et J. Ducat, “Aspects de l’hilotisme”, AncSoc 9, 1978, p. 24-38, qui en soulignent les limites. Il est certain qu’on ne saurait réduire les relations des Spartiates et des hilotes à la haine et à la peur, et que la lutte de ces deux classes ne suffit pas à expliquer toute l’histoire de Sparte. Reste que, sur ce problème, les arguments ex silentio, dont use beaucoup A. Roobaert, sont particulièrement fragiles, parce que certaines révoltes localisées peuvent n’être pas mentionnées dans nos sources, parce qu’une absence de révolte ne signifie pas une absence de tension et parce que, même si le danger de révolte était partiel (du fait des seuls Messéniens) et intermittent, la peur des hilotes pouvait être chez les Spartiates un fantasme global et permanent. En outre, on ne rappellera jamais trop que Thucydide voit dans la crainte obsessionnelle des hilotes l’un des facteurs déterminants de la politique spartiate et qu’Aristote commence sa critique du modèle spartiate (Politique II, 9) par le problème des hilotes : il est difficile d’admettre que l’historien grec le plus rigoureux et le théoricien le plus nuancé aient été l’un et l’autre victimes d’un mirage.
- Il est peu probable que cette cérémonie ait été imaginée pour l’occasion. Il est vraisemblable que tous les hilotes, probablement assez peu nombreux, qui étaient affranchis pour services rendus à la cité, accomplissaient traditionnellement ces rites : dès lors, l’absence de méfiance des hilotes s’explique facilement.
- Sur ce texte, voir en dernier lieu les deux commentaires approfondis de J. Ducat, Les Hilotes…, p. 80-83 et 121-123, et B. Jordan, “The Ceremony of the Helots in Thucydides, IV, 80”, AC 59, 1990, p. 37-69. La concision de Thucydide ne permet pas de dire dans quelle mesure l’Assemblée et la Gérousia ont été associées à la décision (les modalités de l’exécution elle-même ayant probablement été préparées et contrôlées par les éphores). À ce flou institutionnel s’ajoute une grande incertitude chronologique. L’épisode suit de peu des opérations militaires au cours desquelles certains hilotes ont pu manifester leur valeur : on peut donc exclure la période de paix qui va de 446 à 432. Il est possible que ce massacre précède de peu l’expédition de Brasidas de 425, mais il n’est pas exclu non plus que Thucydide ait tenu à rappeler un événement beaucoup plus ancien, qui lui paraîtrait une manifestation éclatante des sentiments constants des Spartiates à l’égard de leurs hilotes. Aucun indice ne permet de trancher.
- Sur les néodamodes, l’étude fondamentale reste la notice de V. Ehrenberg, RE XVI 2, 1935, col. 2396-2401, s. u. neodamodeis, que l’on complétera par les analyses plus récentes de T. Alfieri Tonini, “Il problema dei neodamodeis nell’ambito della società spartana”, RIL 109, 1975, p. 305-316, de G.B. Bruni, “Mothakes, neodamodeis, Brasideioi”, in Schiavitù, manomissione e classi dipendenti nel mondo antico, Rome, 1979, p. 21-33, de D.M. MacDowell, Spartan Law, Édimbourg, 1986, p. 39-42, et de J. Ducat, Les Hilotes…, p. 159-167.
- Pour une liste exhaustive et détaillée des campagnes à propos desquelles nos sources mentionnent la participation de néodamodes, voir K.W. Welwei, Unfreie…, p. 150-158 (6 exemples pendant la guerre du Péloponnèse, 13 exemples au total, de 421 à 369). Il est évident qu’il y eut d’autres cas : nous ne connaissons pas toutes les opérations militaires de Sparte, et les textes ne précisent pas toujours la composition de l’armée lacédémonienne.
- Malgré U. Kahrstedt, Griechisches Staatsrecht, I, Göttingen, 1922, p. 46-48. Le récit de la conspiration de Cinadon suffit à montrer que les néodamodes demeurent exclus du corps civique.
- R.F. Willetts, “The Neodamodeis”, CPh 49, 1954, p. 27-32 a supposé que les néodamodes étaient des hilotes qui avaient reçu des klèroi tombés en déshérence. Cette transposition à Sparte d’une disposition du droit gortynien est arbitraire.
- J’ai choisi délibérément ce terme vague pour traduire ἀπογράψασθαι. On ne saurait dire avec certitude si ces hilotes se font inscrire simplement comme volontaires ou si cette inscription correspond déjà à un enrôlement dans l’armée.
- En faveur du chiffre de Diodore, U. Cozzoli, Proprietà fondiaria ed esercito nello stato spartano dell’età classica, Rome, 1979, p. 199-201, fait aussi valoir que l’armement de 6000 nouveaux hoplites en quelques jours aurait posé des difficultés pratiques difficilement surmontables. En 369, ces hilotes sont tous – ou presque – des hilotes de Laconie.
- Nous n’avons aucune information sur le statut des descendants de néodamodes, mais nous pouvons penser qu’ils faisaient partie des classes intermédiaires au sens large, libres mais sans terre.
- Voir sur ce point l’analyse approfondie et convaincante de D. Lotze, “ΜΟΘΑΚΕΣ”, Historia 11, 1962, p. 427-435.
- Les mentions de néodamodes participant à des campagnes militaires sont très fréquentes. Xénophon (Helléniques V 3, 9) signale la participation de nothoi à l’expédition d’Agésipolis à Olynthe – et aussi de trophimoi, fils d’étrangers qui ont reçu l’éducation spartiate. L’activité militaire des citoyens déchus n’est jamais attestée de façon directe, mais il ressort du récit de la conspiration de Cinadon que les hypomeiones font partie des συντεταγμένοι enrôlés dans l’armée (Helléniques III 3, 6-7).
- En 426, lors de la fondation de la cité, 4 000 “Lacédémoniens” furent établis à Heracleia Trachinia (Diodore XII 59, 5) ; en 399, lorsque Sparte reconquit brutalement la cité (Diodore XIV 38, 4), il est possible qu’elle y installa de nouveaux colons. Sur l’histoire d’Heracleia Trachinia, voir notamment F. Stählin, RE VIII, 1, 1912, col. 424-429, s. u. Herakleia 4, et P. Cartledge, Agesilaos…, p. 288.
- Voir principalement D. Lotze, “ΜΟΘΑΚΕΣ”…, et J.-Fr. Bommelaer, Lysandre de Sparte, Athènes-Paris, 1981, p. 36-38.
- Parmi les études récentes sur la conspiration de Cinadon, voir notamment E. David, “The Conspiracy of Cinadon”, Athenaeum 57, 1979, p. 239-259, R. Vattuone, “Problemi spartani: la congiura di Cinadone”, RSA 12, 1982, p. 19-52, et J. Ducat, Les Hilotes…, p. 178-179.
- Sur les mouvements révolutionnaires dispersés, consécutifs à la défaite, voir en particulier E. David, “Revolutionary Agitation in Sparta after Leuctra”, Athenaeum 58, 1980, p. 299-308.
- Les Spartiates étaient notoirement de mauvais contribuables (Aristote, Politique II 9, 1271b 10-15).
- Malgré V. Ehrenberg, RE XVI 2, 1935, col. 2399, s. u. neodamodeis.
- Le phénomène jouait dans les deux sens : la présence de contingents d’origine laconienne permettait de mieux contrôler les mercenaires.