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À propos de Pénélope

Pierre Carlier
Texte édité par Christian Bouchet et Bernard Eck

Paru dans Ktèma 27, 2002, p. 283-291.

Pénélope a suscité depuis vingt-cinq ans une très abondante littérature1, notamment de la part des départements de “Women studies” aux États-Unis. On peut distinguer dans les “Penelope studies” d’inspiration féministe2 deux courants principaux, l’un qui dénonce dans cette épouse exemplaire un modèle forgé par les hommes pour transformer en vertu la soumission féminine, l’autre qui rejette l’image traditionnelle d’une Pénélope fidèle pour prêter à la reine une attitude ambiguë à l’égard de ses jeunes prétendants, vers lesquels la porteraient des désirs à demi avoués. L’un des songes de Pénélope révélerait ses sentiments profonds : elle pleure lorsqu’elle rêve qu’un aigle massacre ses oies3.

Cette seconde tendance des études récentes sur Pénélope rejoint un certain nombre de traditions anciennes non homériques, qui se sont attachées à multiplier les aventures de l’épouse d’Ulysse. La Télégonie se termine par le mariage de Pénélope et de Télégonos, le fils d’Ulysse et de Circé4. Une version déjà bien connue d’Hérodote5 fait du dieu Pan le fils de Pénélope et d’Hermès, tandis que d’autres expliquent le nom du dieu Pan (“Tout” en grec) par le fait que Pénélope l’a conçu en s’unissant à tous les prétendants6.

Il est possible que le Maître de l’Odyssée ait délibérément choisi parmi des mythes antérieurs la version de l’histoire de Pénélope qui lui convenait. Il est certain que beaucoup d’auteurs postérieurs ont pris délibérément le contrepied de la version homérique, et que la situation d’une femme seule face à cent huit jeunes hommes a suscité bien des élucubrations grivoises. Mon objet ne sera pas ici d’étudier l’histoire des traditions sur Pénélope7, mais d’étudier uniquement le personnage dans l’Odyssée, sans essayer d’expliquer le texte homérique par des traditions que le poète ignore ou rejette : je me contenterai de suivre la règle énoncée par Aristarque, Ὁμήρον ἐξ Ὁμήρου σαφηνίζειν, “éclairer Homère par Homère”.

Analyser les intentions et les calculs des prétendants, de Télémaque et de Pénélope est particulièrement délicat, car, bien avant le retour d’Ulysse, chacun à Ithaque se plaît à mentir et s’attache à cacher son jeu. Presque chaque discours est une manœuvre, et il convient de rechercher les résultats visés au-delà des intentions affichées, en se posant la question : que cherche à obtenir tel personnage en tenant tel discours devant tel auditoire en telle circonstance8 ?

Pour éclairer les enjeux de la partie qui se joue à Ithaque, et le rôle de Pénélope, il est bon de partir d’un des rares dialogues dépourvus de toute hypocrisie, celui d’Ulysse et de sa mère Anticlée aux Enfers (XI 170-203). Après avoir interrogé sa mère sur les causes de sa mort, Ulysse s’enquiert de son père9 et de son fils : le privilège royal (γέρας) demeure-t-il entre leurs mains ou d’autres le détiennent-ils ? Il lui demande alors quelle est l’attitude de Pénélope : reste-t-elle auprès de leur enfant, à veiller constamment sur tous ses biens, ou a-t-elle déjà épousé quelque noble Achéen ? Anticlée répond aux questions dans l’ordre inverse : Pénélope demeure toujours dans le manoir d’Ulysse, et passe ses nuits à pleurer ; personne ne s’est emparé de la belle royauté d’Ulysse ; Télémaque exploite en paix les domaines royaux, et tout le monde l’invite aux banquets. La préoccupation fondamentale d’Ulysse est de transmettre à son fils ses biens et son pouvoir. La fidélité qu’il attend de son épouse, c’est d’abord d’assurer à son fils son héritage en veillant sur lui tant qu’il est enfant.

Pénélope déclare aux prétendants au chant XVIII (259-270) qu’Ulysse, au moment de partir pour Troie, lui avait conseillé de quitter sa maison et d’épouser qui elle voudrait quand elle verrait de la barbe au menton de Télémaque. On ne peut totalement exclure qu’il s’agisse d’un mensonge destiné à tromper les prétendants10, mais on est frappé par la similitude des préoccupations prêtées à Ulysse dans ce texte et de celles qu’il exprime dans son dialogue avec Anticlée. Les prétendants pouvaient d’autant mieux croire Pénélope sur ce point que ces conseils étaient précisément ceux que l’on attendait d’un homme aussi avisé qu’Ulysse. Abandonner Télémaque enfant serait de la part de Pénélope une trahison. Une fois Télémaque adulte en possession de tout l’héritage paternel, y compris la royauté, la mission de Pénélope est achevée ; elle peut se remarier, elle le doit même peut-être pour laisser à son fils une autorité sans partage sur sa maison.

Lorsque Ulysse rencontre Anticlée aux Enfers, treize ans après son départ pour Troie, sept ans avant son retour, la situation paraît favorable à Télémaque : si aucun fait nouveau n’était intervenu, Télémaque aurait hérité – naturellement pourrait-on dire – du geras royal de son père. C’est cette évolution normale qu’un groupe d’aristocrates du royaume décident d’empêcher avant que Télémaque n’atteigne l’âge adulte. Ils se posent en prétendants de la reine Pénélope et se mettent à occuper le palais d’Ulysse. Certains commentateurs ont prétendu récemment que l’action des prétendants n’avait aucun caractère politique : ils voudraient seulement s’unir à la très belle femme qu’est Pénélope11. Pénélope est attirante, et le poète indique à deux reprises que les prétendants la désirent12. Une lecture attentive de l’Odyssée ne laisse cependant aucun doute : le mariage avec Pénélope est aussi pour les prétendants le moyen d’atteindre d’autres fins, et d’accéder à la royauté. Lorsque Télémaque, pour la première fois, s’oppose ouvertement aux prétendants et que, sur les conseils d’Athéna, il annonce son intention de convoquer l’Assemblée pour demander publiquement à ses adversaires de “vider sa salle”, Antinoos porte aussitôt la discussion sur le plan politique : “Puissent les dieux, Télémaque, t’épargner d’être roi dans notre Ithaque entre-deux-mers, comme c’est une tradition ancestrale pour ta famille” (I 384-387). Au début de la scène du massacre des prétendants, quand Ulysse vient de tuer Antinoos et de se faire reconnaître, Eurymaque tente de fléchir la colère du roi et charge Antinoos : “Ce n’est pas tant l’hymen que rêvait son envie… Car il voulait régner (βασιλεύεμεν) sur ton pays d’Ithaque et sur ta belle ville, et assassiner traîtreusement ton fils” (XXII 44-50). Eurymaque, bien sûr, accuse Antinoos de desseins qu’il a lui-même nourris.

Les prétendants veulent le mariage ET la royauté, la royauté par le mariage. On a souvent, à juste titre, comparé la compétition pour la main de Pénélope aux nombreux mythes de souveraineté qui nous montrent un héros obtenant par un même exploit une princesse et un trône13. Le jeu de l’Arc, en même temps qu’une épreuve qui doit désigner le mari de Pénélope, est un rituel d’habilitation à la royauté, et le triomphe d’Ulysse est la reconquête du pouvoir par le roi légitime qui est aussi un individu exceptionnel14. Néanmoins, ce n’est qu’après avoir subi la cour des prétendants pendant trois ans que Pénélope, inspirée par Athéna et encouragée par son mari déguisé en mendiant, décide de trancher entre ses compétiteurs par un concours. Avant l’introduction de l’épreuve de l’Arc, le lien entre mariage et royauté est moins étroit. Aucun personnage n’invoque de règle de succession par mariage (alors que le principe de succession héréditaire est bien connu). Les prétendants pensaient – mais se gardaient de dire15 – que le successeur d’Ulysse dans le lit de Pénélope serait bien placé pour revendiquer aussi sa succession comme roi ; en d’autres termes, ils espéraient, selon la formule de M.I. Finley, que ce mariage donnerait “une ombre de légitimité”16. Avant d’illustrer, avec le retour d’Ulysse, la légende du conquérant, le poète de l’Odyssée nous montre des individus médiocres tentant d’usurper le pouvoir en utilisant insidieusement à leur profit le thème mythique de la royauté par mariage. Le peuple d’Ithaque n’aurait pas reconnu automatiquement comme roi le nouveau mari de Pénélope (l’on peut penser que les chances d’un personnage peu considéré comme Ctésippos auraient été assez minces), mais à des aristocrates déjà puissants comme Antinoos et Eurymaque le mariage avec la reine aurait fourni un atout important.

Attendre obstinément le retour d’un mari parti depuis vingt ans et disparu depuis dix ans, le pleurer, repousser sans cesse un nouveau mariage, c’est une attitude qui vaut à Pénélope une grande gloire (μέγα κλέος)17. Les prétendants ne font cependant rien de choquant aux yeux du peuple en postulant qu’Ulysse est mort et en demandant la jeune veuve en mariage. Il est même possible que l’opinion publique, tout en admirant Pénélope, n’approuve pas tout à fait son obstination : de même qu’on trouve bon qu’un frère accepte le prix du sang pour son frère tué (Iliade IX 631-632), de même il est souhaitable qu’une veuve oublie son chagrin et se remarie. À cet égard, les prétendants ont trouvé un bon stratagème pour commencer à ruiner la famille d’Ulysse.

Lorsqu’ils passent à l’action, trois ans avant le début de l’Odyssée, les prétendants se gardent de réclamer ouvertement la royauté d’Ulysse, pour ne pas heurter la fidélité possible du peuple à la famille d’Ulysse18, mais aussi parce que leurs ambitions les opposent les uns aux autres. En transférant leur rivalité du domaine politique au domaine matrimonial, ils se donnent un arbitre, Pénélope, qui va choisir le meilleur d’entre eux. Alors que la lutte pour le pouvoir conduit généralement à la formation de factions qui s’affrontent, les cent huit prétendants forment un groupe relativement solidaire, qu’unissent les forfaits commis en commun19, mais aussi l’acceptation unanime de la règle du jeu : c’est la reine qui tranchera. Le rôle central de Pénélope tient en partie à la stratégie choisie par les prétendants.

On s’est quelquefois étonné que Pénélope ne repousse pas franchement les demandes matrimoniales des prétendants. Quand Antinoos déclare à l’Assemblée que Pénélope a donné des espoirs à tous, qu’elle a fait des promesses à chacun, et qu’elle a même envoyé des messages20, il est possible qu’il exagère la duplicité de la reine, mais Athéna emploie les mêmes termes pour présenter à Ulysse l’attitude à laquelle se trouve contrainte Pénélope. En outre, la fameuse ruse du linceul de Laërte tissé le jour et défait la nuit, racontée à trois reprises dans le poème – dont une fois par Pénélope elle-même (XIX 135-157) –, prouve que la mère de Télémaque a évité de donner aux prétendants une réponse négative nette et définitive. Il n’est pas nécessaire d’imaginer une quelconque coquetterie de la part de Pénélope, ni une trouble fascination pour ses jeunes prétendants. Simplement, cette femme avisée, dont la ruse surpasse même celle de son époux (XXIII 181-183), a choisi de prendre les prétendants au piège de leur propre stratégie. Elle a compris qu’ils avaient engagé une offensive sournoise pour priver Télémaque du pouvoir d’Ulysse et de ses biens et que leur demande en mariage n’était que la première étape d’un plan visant à dépouiller totalement la famille d’Ulysse21. Si elle avait ôté tout espoir de mariage aux prétendants, ils auraient tenté de parvenir à leurs fins par des méthodes plus brutales, par exemple en éliminant Télémaque. Puisque les prétendants ont remis entre ses mains la décision, elle décide de les faire attendre, jusqu’au retour d’Ulysse ou jusqu’à ce que Télémaque parvienne à s’imposer.

Les prétendants, semble-t-il, ne se font aucune illusion sur les sentiments de Pénélope22, mais ce ne sont pas des chevaliers servants qui attendent dans l’angoisse un signe d’amour de leur dame. Sans vergogne, ils font pression sur Pénélope et sur Télémaque pour arracher une décision conforme à leurs intérêts. L’attente que leur impose Pénélope comporte des risques, mais ils s’arrangent pour qu’elle soit agréable pour eux (ils festoient chaque jour aux frais d’autrui, ils boivent le vin d’Ulysse, ils couchent avec ses servantes) et qu’elle affaiblisse Télémaque. Les exactions des prétendants appauvrissent le jeune homme, mais le déconsidèrent aussi : le peuple souhaite comme roi un homme fort qui puisse le protéger, non pas une victime qui implore sa protection. Il est normal que les prétendants d’une noble princesse festoient dans la demeure de cette dernière, mais ils y sont invités par le père ou le kurios de la jeune fille, et ce sont eux qui fournissent les victuailles et qui offrent des cadeaux23. Il est normal que des aristocrates se réunissent dans la grand-salle du palais, mais en présence du roi et à son initiative24. L’occupation de la maison d’Ulysse par les prétendants ne relève d’aucun de ces deux types de banquets, mais l’existence de ces coutumes permet aux prétendants de bénéficier d’un effet de flou : ils dissimulent leurs forfaits par l’imitation d’usages traditionnels qu’ils subvertissent25.

Quand Télémaque, à l’Assemblée, reproche aux prétendants de piller son bien, Antinoos ne répond pas directement (il lui serait difficile de nier le fait), mais rejette la responsabilité sur Pénélope, qui repousse le moment de prendre un nouvel époux26 (cette argumentation suggère que, selon Antinoos, le peuple jugeait normal que l’on fasse pression sur une veuve pour l’obliger à se remarier). Demander une femme en mariage est tout à fait légitime, à condition qu’elle n’ait pas d’époux vivant27, mais il vaut la peine d’examiner de plus près les intentions des prétendants et le type de mariage qu’ils souhaitent obtenir.

Une jeune fille est donnée en mariage par son père ou son tuteur (kurios), qui choisit le mari et reçoit en échange des hedna ; la future épouse n’a pas voix au chapitre28. Un fils adulte peut donner sa mère veuve en mariage : c’est ce qu’Athéna-Mentès conseille à Télémaque de faire s’il apprend que son père est mort29. Le prétexte de la présence des prétendants disparaîtrait, mais le pillage de la maison d’Uysse continuerait, jusqu’à ce que Télémaque trouve le moyen de se débarrasser d’eux par la force.

Les prétendants ne demandent jamais à Télémaque de donner sa mère en mariage (ce serait reconnaître son autorité sur son oikos) ; ils déclarent que, s’il veut épargner ses biens, il doit obliger sa mère à retourner chez son père Icarios30. Un fils qui chasserait sa mère de sa maison pour la renvoyer chez son grand-père maternel agirait d’une manière analogue à celle d’un mari qui répudie sa femme. Comme lui, il s’attirerait la rancune du père de la femme expulsée, qui lui ferait payer cher31 l’affront commis. Des raisons religieuses s’opposent en outre à ce qu’un fils chasse sa mère de chez lui : les Érinyes32 veillent sur les droits des mères. Il est logique de supposer que les mêmes règles religieuses s’opposent à ce qu’un fils donne sa mère en mariage contre son gré. Une veuve ne peut être remariée que si elle est d’accord, mais une forte pression sociale s’exerce sur elle pour qu’elle accepte.

Une veuve – notamment une veuve qui n’a pas de fils adulte – a une manière très simple de manifester qu’elle est prête à se remarier : c’est de retourner chez son père. Les prétendants offrent des hedna à son père, et son père la donne en mariage à celui qu’il a choisi. Il n’est pas absolument nécessaire que la veuve change deux fois de domicile, de la maison de son époux défunt à celle de son père, puis de la maison de son père à celle de son nouveau mari. Si elle est d’accord pour se remarier, elle peut se rendre directement de la demeure du premier époux33 à celle du second34. Bien entendu, le choix du nouveau mari appartient théoriquement au père, mais une veuve peut décider ou non de se remarier selon que le choix de son père lui agrée ou non, ce qui signifie que son opinion est déterminante. De la part des prétendants, demander à Pénélope de trancher entre eux n’a rien de choquant.

Ils lui demandent aussi de prendre une autre décision, difficile et douloureuse : celle de postuler la mort d’Ulysse, et de ne plus se conduire comme la femme d’un absent mais comme une veuve. Avant de décider de son remariage, Pénélope doit décider de son veuvage ; la décision ne relève que d’elle, même si les prétendants, appuyés dans une large mesure par l’opinion publique, font pression pour qu’elle renonce à une attente jugée déraisonnable.

En outre, même s’ils déclarent qu’ils veulent obtenir Pénélope de son père, les prétendants ne tiennent pas du tout à se rendre auprès d’Icarios, ni à emmener Pénélope dans leur demeure : une telle perspective leur fait même peur35. Ce qu’ils veulent, c’est que le nouveau mari choisi par Pénélope s’installe dans la maison d’Ulysse : maître de la demeure royale en même temps qu’époux de la reine, il pourrait ainsi espérer se faire plus facilement reconnaître comme roi. Les prétendants présentent en public des revendications presque normales, mais ils font en fait une cour tout à fait contraire aux règles pour obtenir un mariage tout à fait contraire aux règles. Ils voudraient obtenir de Pénélope qu’elle se conduise comme Clytemnestre.

Les prétendants évitent de discuter ouvertement de ce qui se passera quand Pénélope aura installé l’un d’entre eux dans la maison d’Ulysse, mais le projet qu’Antinoos propose au chant XVI (383-385) reprend probablement des plans envisagés de longue date : le nouveau maître du palais obtiendra le départ des autres prétendants en partageant les biens d’Ulysse36, et se débarrassera de Télémaque. Le fils d’Ulysse commençant à réagir aux exactions des prétendants, ces derniers décident de l’assassiner avant même d’attendre que Pénélope se soit remariée37. Ils continuent néanmoins d’envisager que l’un d’entre eux sera l’époux de la reine, et qu’il gardera pour lui la maison d’Ulysse ; dans cette hypothèse, Pénélope ne serait plus l’arbitre entre les prétendants, mais la prisonnière du plus fort d’entre eux. Meurtre, spoliation et usurpation seraient alors patents, et l’on comprend que les prétendants se laissent convaincre par des présages défavorables de renoncer à leur deuxième projet de meurtre38, puis qu’ils accueillent avec enthousiasme le concours de l’arc, qui redonne à leurs ambitions un aspect héroïque.

Lorsque Ulysse déguisé en mendiant rentre à Ithaque, Pénélope se trouve dans une situation extrêmement délicate. Sa ruse consistant à défaire la nuit ce qu’elle a tissé le jour a été révélée aux prétendants par l’une de ses servantes, si bien qu’elle a dû achever le linceul de Laërte (XIX 155), et qu’elle a perdu le prétexte qui lui permettait de faire attendre les prétendants sans les repousser tout à fait. En outre, Télémaque commençant à s’affirmer, les prétendants ont décidé à deux reprises de l’assassiner. Il serait plus dangereux que jamais de rejeter franchement la demande en mariage des prétendants. Pénélope conçoit alors une nouvelle ruse : proposer aux prétendants l’épreuve de l’arc39. Elle sait que l’arc est très difficile à tendre, et elle peut raisonnablement espérer que tous échoueront et seront déconsidérés (elle ne peut pas cependant être totalement sûre du résultat, ce qui explique son angoisse la nuit précédant l’épreuve40). De fait, l’habile Eurymaque laisse éclater son dépit en termes fort peu galants : “Ce n’est pas tant l’hymen qui cause mes regrets. Il est tant d’Achéennes… Mais voir notre vigueur dépassée de si loin par le divin Ulysse !” (XXI 323-325), tandis qu’Antinoos invoque un prétexte religieux pour s’esquiver. L’échec des prétendants ne peut pas à lui seul faire partir les prétendants de la maison d’Ulysse, et ne crée pas tout de suite un rapport de forces favorable à Télémaque, mais il ruine leur prétention à égaler Ulysse, et crée des conditions politiques propices à une contre-offensive de Télémaque. Le fils d’Ulysse, reconnu par ses pairs, enrichi par les dons d’hospitalité, serait bien placé pour recruter des troupes contre des adversaires dont l’infériorité aurait éclaté au grand jour ; les contes crétois que raconte Ulysse montrent que les guerriers en quête d’aventure ne manquent pas41.

Le prétendant Amphimédon, arrivé aux Enfers, déclare à Agamemnon qu’Ulysse “a fait présenter par sa femme l’arc et les fers brillants, instrument de la joute, mais aussi de la mort pour nous” (XXIV 167-169). Amphimédon reconstruit des événements dont il ne connaît que le résultat en faisant la supposition la plus simple : les deux époux auraient préparé de concert le massacre des prétendants. Cette intrigue claire et cohérente a peut-être eu les préférences d’aèdes antérieurs à l’auteur de l’Odyssée. Le poète indique deux moments où Pénélope aurait pu reconnaître Ulysse : lors du bain de pieds, quand Euryclée, ayant vu la cicatrice sur la cuisse du maître, tourne les yeux vers Pénélope (XIX 476), puis quand Ulysse, entendant sa femme pleurer, croit qu’elle l’a reconnu et qu’elle va apparaître à son chevet (XX 94-95). Le poète de l’Odyssée a choisi une tout autre version. Selon lui, un homme aussi avisé qu’Ulysse ne saurait faire confiance aveuglément à son épouse après vingt ans d’absence42 : il est logique qu’il l’observe, qu’il la mette à l’épreuve, qu’il lui cache son identité et qu’il se garde de lui confier ses projets. Tout ce qu’il voit, tout ce qu’il entend lui suggère que Pénélope est loyale, mais il connaît aussi l’habileté de sa femme, son art consommé du mensonge : si Pénélope avait déjà décidé de le trahir au profit de l’un des prétendants, elle le dissimulerait le plus longtemps possible. Dans la scène célèbre où Euryclée, qui vient de le reconnaître, veut révéler la vérité à Pénélope, Ulysse saisit la vieille nourrice à la gorge, et lui reproche de vouloir causer sa perte, tant il craint que son épouse ne se conduise en ennemie (XIX 477-490).

Si Ulysse se méfie de Pénélope, la reine se méfie du mendiant beau parleur qui lui annonce le retour d’Ulysse.

Quand tous les prétendants (sauf Antinoos, qui s’est dérobé) ont échoué dans leur tentative pour tendre l’arc, le faux mendiant demande d’essayer, pour voir s’il a gardé sa force d’antan (XXI 275-284). La reine intervient en faveur de l’hôte, mais en précisant que personne n’imagine qu’il puisse l’emmener dans sa demeure et l’avoir pour compagne de lit (XXI 314-317). Pénélope apprécierait que le succès du mendiant achève de discréditer les prétendants, mais, grande dame attachée à son rang, elle souligne qu’il est inconcevable qu’elle épouse un homme en haillons. Le poète souligne l’ironie de la situation : Pénélope refuse a priori d’avoir pour époux celui qui est déjà son époux. Elle repousse Ulysse par fidélité au souvenir d’Ulysse.

Après le massacre, quand Euryclée annonce à Pénélope le retour de son mari, la reine reste incrédule. Face à Ulysse, elle hésite : “ses yeux, tour à tour, retrouvaient les traits d’Ulysse ou refusaient de le reconnaître sous ses affreux haillons” (XXIII 93-95). Quand Ulysse s’est baigné, qu’il a revêtu une nouvelle robe et qu’Athéna lui a rendu toute sa beauté, sa méfiance ne désarme pas, et Ulysse s’indigne de sa froideur. Pénélope continue à craindre que l’hôte vainqueur des prétendants ne soit un imposteur bénéficiant de l’aide d’un dieu, et qu’en croyant retrouver Ulysse elle ne lui devienne infidèle43. Quand Ulysse perd patience et qu’il demande à Euryclée de lui dresser un lit où il dormira seul, Pénélope fait mine de reconnaître sa qualité d’époux et ordonne de dresser le lit nuptial (XXIII 174-180). Ulysse s’indigne : qui a coupé le tronc d’olivier sur lequel il avait construit le lit et toute la chambre nuptiale ? Pénélope continue à ruser quand elle fait semblant de renoncer à la ruse. Par souci de fidélité, elle fait un faux aveu d’infidélité (car c’est bien ce que suggère une atteinte au lit conjugal). Ulysse s’attendait à des questions de Pénélope : son épouse le met à l’épreuve par un mensonge. Sans le vouloir, et donc sincèrement, il donne le signe que cherchait Pénélope.

Pénélope est méfiante et rusée – comme Ulysse, plus qu’Ulysse, mieux qu’Ulysse. Les exégètes qui insistent sur la passivité de la femme d’Ulysse, sur son inaction et sur la stérilité de ses lamentations oublient que, malgré la faiblesse de sa position, Pénélope triomphe de tous par son intelligence. À cet égard, la Pénélope de l’Odyssée mérite le μέγα κλέος qui est le sien. Toute médaille a cependant son revers, et le poète se plaît à souligner ironiquement le manque d’intuition de la reine.

L’action de l’Odyssée, comme celle de l’Iliade, est dans ses grandes lignes d’une extrême simplicité : “Un homme erre loin de son pays durant de nombreuses années, surveillé de près par Poséidon, totalement isolé. Chez lui, les choses vont de telle sorte que sa fortune est dilapidée par les prétendants, son fils exposé à leurs complots. Maltraité par les tempêtes, il arrive, se fait reconnaître de quelques amis, puis il attaque ; il est sauvé et écrase ses ennemis. Voilà le schéma propre au poème, le reste, ce sont des épisodes”44. Le Maître de l’Odyssée, cependant, use aussi d’une forme d’amplification tout à fait originale, non pas tant en multipliant les épisodes qu’en multipliant les éclairages sur les principaux personnages : ils donnent de leurs attitudes des justifications plus ou moins mensongères, ils élaborent en fonction des circonstances des plans compliqués que le poète laisse entrevoir sans jamais les exposer complètement, leurs intentions souvent inavouables ne se révèlent que progressivement.

L’histoire de l’Odyssée, on l’a souvent souligné, reprend à la fois un mythe de souveraineté et un thème folklorique, celui du retour d’un héros après une longue absence (que l’on retrouve par exemple dans Le comte de Monte-Cristo). Il convient aussi de noter que la situation à Ithaque à la veille du retour d’Ulysse est présentée de manière extrêmement réaliste. Le poète souligne le caractère sordide des calculs des prétendants. Profitant de l’absence du héros, de jeunes aristocrates, se comportant en brigands dans leur propre communauté, ont entrepris de dévorer ses biens, d’épouser sa femme, d’usurper sa royauté, de dépouiller et d’assassiner son fils ; les prétextes qu’ils invoquent sont évidemment hypocrites, mais ils se croient assurés de l’impunité tant que le peuple restera neutre. Le public du poète repérait facilement les mensonges des personnages et reconstituait sans peine les stratégies inavouées, parce qu’il connaissait beaucoup de veuves comme Pénélope, beaucoup d’orphelins comme Télémaque, beaucoup de nobles arrogants et sans scrupule comme les prétendants. La fiction même de l’Odyssée s’avère ainsi un document historique précieux.

Notes

  1. S. Murnaghan, “Penelope’s ἄγνοια. Knowledge, Power, and Gender in the Odyssey”, in Rescuing Creusa. New Methodological Approaches to Women in Antiquity, M. Skinner éd., Helios 13, 2, 1986, p. 103-115 ; N. Felson-Rubin, “Penelope’s Perspectives, Character from Plot”, in Homer: beyond Oral Poetry. Recent Trends in Homeric Interpretation, J.M. Bremer, I.J.F. de Jong & J. Kalff éds, Amsterdam, 1987, p. 61-83 ; J.J. Winckler, Constraints of Desire: The Anthropology of Sex and Gender in Ancient Greece, New York, 1990 ; M.A. Katz, Penelope’s Renown: Meaning and Indeterminacy in the Odyssey, Princeton, 1991 ; F.I. Zeitlin, “Figuring Fidelity in Homer’s Odyssey”, in The Distaff Side: Representing the Female in Homer’s Odyssey, B. Cohen éd., Oxford, 1995, p. 117-152. On se reportera surtout aux analyses très fines de H.P. Foley, “‘Reverse Similes’ and Sex Roles in the Odyssey”, Arethusa 11, 1978 p. 7-26, et “Penelope as Moral Agent”, in The Distaff Side …, p. 93-115. Voir aussi I. Papadopoulou-Belmehdi, Le Chant de Pénélope : poétique du tissage féminin dans l’Odyssée, Paris, 1994.
  2. Il va de soi que toutes les études féminines sur Pénélope ne sont pas féministes au sens militant du terme.
  3. “Et je pleurais les oies que l’aigle avait tuées” (XIX 543). Ces pleurs ont été interprétés comme la preuve de l’attachement de Pénélope pour les prétendants (voir par exemple G. Devereux, “Penelope’s Character”, Psychoanalytic Quarterly 26, 1957, p. 378-386). La suite du rêve incite à rejeter cette interprétation : l’aigle vient expliquer à Pénélope qu’il est Ulysse, et qu’il va massacrer les prétendants ; Pénélope espère sans trop y croire qu’il s’agit d’un rêve prémonitoire ; elle n’a pleuré la mort de ses oies que tant qu’elle a cru au sens immédiat de son rêve : sa tristesse était celle d’une bonne maîtresse de maison attachée à sa basse-cour, non celle d’une femme mûre torturée par des désirs adultères mal refoulés.
  4. La Télégonie est la dernière épopée du cycle troyen, attribuée à Eugammon de Cyrène au VIe siècle avant J.-C. ; l’ensemble du cycle troyen nous est surtout connu par le résumé du philosophe néoplatonicien Proclos au Ve siècle après J.-C. Pour une édition critique et une traduction de ce texte de Proclos, voir A. Severyns, Recherches sur la Chrestomathie de Proclos, IV, Paris, 1963, p. 77-97.
  5. II 145-146.
  6. Douris de Samos, Fr. Gr. Hist. 76 F21 ; scholie à Théocrite (VII, 109-110).
  7. Pour une tentative en ce sens, à la méthode et aux conclusions contestables, voir M.-M. Mactoux, Pénélope, légende et mythe, Besançon-Paris, 1975.
  8. La réponse implique une confrontation critique des propos des uns et des autres. Le public d’Homère éprouvait sans doute à cet exercice un plaisir comparable à celui de nos contemporains devant des films policiers : le plaisir de découvrir la vérité par décryptage des mensonges.
  9. La mention de Laërte est remarquable : le vieillard a renoncé à l’autorité royale au profit d’Ulysse, mais n’est pas privé pour autant de toute dignité royale. Tant que les gens d’Ithaque sont fidèles à la dynastie, peut-être reçoit-il des morceaux de choix, comme ceux dont Étéocle et Polynice ont injustement privé leur père Œdipe après son abdication.
  10. Dans ce passage, Pénélope laisse entendre qu’elle va se décider à prendre un mari, puis reproche aux prétendants de ne pas faire leur cour comme il se doit, cela afin d’obtenir d’eux des cadeaux. Si, au sens littéral, Télémaque a bien de la barbe au menton, il ne s’est pas encore totalement imposé comme adulte. Les prétendants peuvent espérer qu’en suivant à la lettre les conseils d’Ulysse sans en comprendre le sens Pénélope va leur permettre de dépouiller Télémaque et de lui infliger le sort que son père voulait lui éviter. Les prétendants sont d’une grande duplicité, mais la naïveté de Pénélope est feinte, et c’est elle qui les manœuvre magistralement.
  11. Notamment A.G. Geddes, “Who’s Who in Homeric Society”, CQ 34, 1984, p. 17-36, et J. Halverson, “Social Order in the Odyssey”, Hermes 113, 1985, p. 129-145. Cette hypothèse est liée à l’idée qu’il n’y a dans les poèmes homériques ni communauté politique ni vie politique. Pour une critique de ces théories, voir P. Carlier, “Les basileis sont-ils des rois ?”, Ktèma 21, 1996, p. 5-22.
  12. I 365-366 ; XVIII 160.
  13. L’analyse classique de ces mythes de souveraineté est celle de Marie Delcourt, Œdipe ou la légende du conquérant, Liège, 1944.
  14. Sur l’exaltation du charisme d’Ulysse, et sur l’idéologie royale de l’Odyssée, très différente de celle de l’Iliade, voir P. Carlier, La Royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, 1984, p. 204-209.
  15. Ce que les prétendants répétaient volontiers, c’est que la question de la royauté était ouverte. Télémaque lui-même doit faire semblant d’être d’accord, tout en insistant sur son droit à retrouver pleine autorité sur sa maison (I 394-398).
  16. Le Monde d’Ulysse, trad. fr. 1969, p. 111.
  17. II 125. La renommée dans le peuple (δήμοιο φήμις) de la fidèle épouse d’Ulysse est évoquée à deux reprises (XVI 75 ; XIX 525).
  18. L’attitude du peuple est la grande inconnue. L’Assemblée d’Ithaque reste certes silencieuse quand Télémaque lui demande de chasser les prétendants de sa maison, mais ces mêmes prétendants craignent que le peuple apprenant leur tentative de meurtre contre Télémaque ne décide de les frapper d’exil.
  19. Sur ce point, les prétendants annoncent les conjurés des hétairies oligarchiques de l’Athènes du Ve siècle.
  20. ἀγγελίας (II 92) ; le terme suggère des messages oraux, transmis par exemple par des servantes.
  21. La reine le dit clairement en XXI 71-74.
  22. II 120-125 (Antinoos) ; II 250 (Léocrite).
  23. La règle est rappelée par Pénélope elle-même (XVIII 276-280).
  24. Sur les banquets royaux, voir P. Carlier, La Royauté…, p. 154-157.
  25. Sur cette subversion, voir notamment S. Saïd, “Les crimes des prétendants, la maison d’Ulysse et les festins de l’Odyssée”, in Études de littérature ancienne, Presses de l’ENS, Paris, 1979, p. 9-49.
  26. II 85-128.
  27. Courtiser l’épouse d’un vivant équivaut à préparer un mariage par rapt, et c’est évidemment un très grave outrage au mari… Le retour inattendu d’Ulysse donne à la cour des prétendants un caractère criminel flagrant.
  28. Telle semble du moins la règle. Rien n’interdit à un père de tenir compte des souhaits de sa fille, d’essayer de deviner ses réticences et ses préférences : Alcinoos tient compte du mépris de Nausicaa pour ses prétendants phéaciens, il est comme elle fasciné par le naufragé Ulysse, auquel il propose de devenir son gendre. – Sur le mariage homérique, on se référera en dernier lieu à É. Scheid-Tissinier, Les Usages du don chez Homère. Vocabulaire et pratiques, Nancy, 1994, p. 83-114.
  29. I 292. Télémaque annonce que c’est ce qu’il fera aussitôt après les funérailles de son père (II 223).
  30. II 112-115. L’Odyssée ne dit rien du lieu où réside le père de Pénélope. La plupart des traditions font d’elle la fille du Lacédémonien Icarios, frère de Tyndare. Il est cependant étonnant qu’Athéna, à Sparte, incite Télémaque à rentrer à Ithaque parce qu’Eurymaque est en train de gagner les faveurs du père de Pénélope. Comme l’a noté Aristote (Poétique 1461b), la difficulté disparaît si l’on admet qu’Homère suivait la tradition de Céphallénie qui donnait comme père à Pénélope le Céphallénien Icadios (selon cette hypothèse, la confusion entre l’Icadios de Céphallénie, île du royaume d’Ulysse, et l’Icarios lacédémonien serait postérieure à l’Odyssée).
  31. πόλλʹ ἀποτίνειν, II 132. Malgré Victor Bérard et de nombreux commentateurs, l’expression doit être entendue au sens figuré et n’a rien à voir avec le remboursement d’une dot (il n’y a pas de dot dans le monde homérique).
  32. II 135.
  33. Ulysse, après le massacre, demande à Télémaque et à ses serviteurs de faire résonner son manoir de musique et de bruits de danse, pour que le peuple croie au remariage de Pénélope. Nul ne s’étonnerait que la fête de mariage ait lieu dans la demeure d’Ulysse (XXIII 142-162).
  34. Des arrangements analogues sont attestés dans l’Athènes du IVe siècle. Le plaideur du Contre Euboulidès de Démosthène (§ 41) nous dit que le premier mari de sa mère, ayant l’occasion d’épouser une riche épiclère et voulant divorcer, donna sa femme à un second époux, avec l’accord de son beau-frère qui accomplit l’acte officiel d’ἐγγυή.
  35. II 52 : les prétendants “craignent en frissonnant” (ἀπερρίγασι) de se rendre dans la demeure d’Icarios pour y faire leur cour. Je m’éloigne ici de la traduction de Victor Bérard, peu vraisemblable grammaticalement et peu satisfaisante pour le sens : “Quelle peur ils lui font de rentrer chez son père Icare…”. Ce sont les sentiments que Télémaque prête aux prétendants, avec la lucidité d’un adversaire perspicace ; les prétendants, bien entendu, se gardent de l’avouer. En XVI 388-392, Antinoos déclare que les prétendants doivent choisir entre deux attitudes : ou tuer Télémaque, ce qu’il suggère de faire, ou rentrer chez eux et de là faire leur cour avec des cadeaux. La deuxième perspective est présentée comme peu attrayante.
  36. Un tel projet de partage est aussi évoqué par Athéna en XV 13.
  37. Premier projet d’assassinat : IV 665-675. Deuxième projet : XVI 364-391 et XIX 242.
  38. XXI 270.
  39. La décision de soumettre les prétendants à l’épreuve de l’arc est évoquée à deux reprises. C’est une intention qu’exprime Pénélope après avoir raconté le songe annonçant le triomphe d’Ulysse : elle la soumet au faux mendiant, qui approuve vigoureusement (XIX 570-587). C’est aussi une idée qu’inspire Athéna à la reine le lendemain matin (XXI 1-3). On retrouve ici le thème fréquent de la double motivation, humaine et divine, du comportement des héros homériques. On s’est parfois étonné que Pénélope ait pris le risque de devoir épouser l’un des prétendants, alors que de nombreux signes lui annonçaient le retour de son époux. L’argument doit sans doute être retourné : Pénélope a voulu voir si le songe annonçant le triomphe d’Ulysse était ou non véridique, s’il venait de la porte de corne ou de la porte d’ivoire (XIX 562-569). Si Ulysse doit apparaître, personne d’autre ne tendra son arc. L’épreuve de l’arc est une manière de faire surgir l’absent que l’on dit proche.
  40. XX 57-91.
  41. Quand Ulysse au chant XVI annonce à son fils son intention de tuer les prétendants, Télémaque lui demande de quels alliés il dispose (XVI 256), ce qui montre qu’il songeait à réunir des troupes pour son compte.
  42. Agamemnon, aux Enfers, avait déjà conseillé au héros de se méfier des femmes, même de la sage Pénélope (XI 441-456). Athéna a ordonné à Ulysse de ne révéler son identité à personne, homme ou femme (XIII 310). Au moment où elle voulait pousser Télémaque à quitter Sparte pour rentrer à Ithaque, la déesse avait également incité le jeune homme à se méfier de sa mère, en appuyant son conseil de propos misogynes : “tu sais le cœur des femmes ; c’est toujours la maison de leur nouveau mari qu’elles veulent servir ; leur fils du premier lit, l’époux de leur jeunesse ne comptent plus pour elles ; il est mort, c’est l’oubli” (XV 21-24).
  43. Pénélope déclare à Euryclée qu’il est “difficile de déjouer les plans des dieux immortels” (XXIII 81-82) ; plus tard, elle s’excuse auprès d’Ulysse en invoquant le précédent d’Hélène, que les dieux ont fait tomber dans l’adultère (XXIII 218-224). En outre, le public d’Homère connaissait l’histoire de la séduction d’Alcmène par un Zeus ayant pris l’apparence d’Amphitryon.
  44. Aristote, Poétique XVII 1455b 17-25, traduction R. Dupont-Roc et J. Lallot.
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Pessac
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EAN html : 9782356134202
ISBN html : 978-2-35613-420-2
ISBN pdf : 978-2-35613-487-5
ISSN : en cours
Posté le 01/07/2022
Publié initialement le 17/05/2022
10 p.
Code CLIL : 3385; 4031
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Carlier, Pierre (2022) : “À propos de Pénélope”, in : Bouchet, Christian, Eck, Bernard, éd., Pierre Carlier, un esprit de finesse. Recueil d’articles, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 2, 2022, 279-288 [en ligne] https://una-editions.fr/a-propos-de-penelope/ [consulté le 01/07/2022].
doi.org/10.46608/basic2.9782356134202.22
Illustration de couverture • Vision de la fontaine Aréthuse (Syracuse), aquarelle originale (crédits des éditeurs, 2022).
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