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10• L’aedes du praesidium de Xéron Pelagos (Égypte)

“L’aedes du praesidium de Xéron Pelagos (Égypte)”, in :
Proceedings of the 22nd International Congress of Roman
Frontier Studies, Ruse, Bulgaria, September 2012
, p. 655-660.

Les fouilles menées en janvier 2012 à Wadi Gerf (“Xéron pelagos”) dans l’un des praesidia du désert oriental d’Égypte, sur la piste de Bérénice, ont révélé une nouvelle aedes sans doute attribuable au début du IIIe siècle, avec des aménagements bien conservés (fig. 1). 

  Carte du désert oriental d’Égypte et des sites fouillés par la mission française.
Fig. 1. Carte du désert oriental d’Égypte et des sites fouillés par la mission française.

Le fortin se présente sous la forme d’un rectangle d’environ 45 m x 34 m, avec une porte unique au nord. La porte, comme les angles, est défendue par des tours semi circulaires saillantes, selon une pratique architecturale constante dans le désert oriental d’Égypte (fig. 2). Le centre de l’espace est occupé, comme d’habitude, par un grand puits qui s’est effondré sur lui-même et ménage aujourd’hui une vaste dépression. Les bâtiments sont appuyés contre la courtine, édifiée en pierres sèches (fig. 3). Devant la porte, un énorme dépotoir a accueilli à la fois les poubelles et les déblais de curage du puits. Hormis le fait que nous sommes en présence d’un plan barlong, la disposition d’ensemble est absolument identique à celle des autres fortins de cette piste1.

  Plan du praesidium de Xéron.
Fig. 2. Plan du praesidium de Xéron.
  Vue général du fortin.
Fig. 3. Vue général du fortin.

Dans le détail, les choses sont plus complexes. Le site, pour cette fois, n’a pas livré d’inscription nous permettant de préciser la date de construction du poste. Nous savons en revanche qu’une grande partie des fortins de cette piste a été aménagée sous Vespasien, avec des compléments sous Trajan. Le matériel le plus ancien de Xéron pelagos étant semblable à celui des praesidia que nous avons fouillés plus au nord, il n’y a pas de raison de penser que le fort n’a pas été construit à la fin du Ier siècle ou au tout début du IIe. De cette période restent pourtant très peu de constructions en élévation : les remparts (malgré quelques réparations, au sud-ouest), les citernes, peut-être les thermes, un petit nombre de murs bien appareillés, généralement arasés. L’ensemble des pièces internes a été reconstruit un grand nombre de fois, notamment en utilisant la technique de la brique crue, et on assiste ainsi à une prolifération rapide de constructions, avec de nombreux aménagements et réaménagements successifs. Dans la dernière période d’occupation, que nous situons vers le milieu du IIIe siècle, peut-être sous Gallien, la présence de noms Blemmyes dans les derniers ostraca du fort indique la présence proche de ces nomades à qui l’armée distribue du blé. À ce moment le plan du praesidium ressemble à celui d’un habitat civil contemporain, avec des tas d’ordures au milieu de pièces abandonnées et des animaux à l’intérieur du périmètre défensif. Un tel phénomène a déjà été observé dans les fouilles de Didymoi et de Iovis, plus au nord, alors qu’il n’apparaît pas sur la route Coptos/Myos Hormos dont les forts ont été abandonnés plus tôt, vers la fin du IIe siècle apparemment. Ces réaménagements successifs rendent difficile l’identification des espaces appartenant à la phase de construction du fort. Dans deux cas, à Didymoi et Iovis, nous avons pu constater, par exemple, que l’aedes principiorum avait été déplacée et occupait d’anciens casernements, sans que nous puissions identifier de façon claire les aménagements du premier sanctuaire. Celle de Xéron pelagos obéit à la même logique. 

J’identifie en effet comme telle une pièce située le long de la courtine sud-ouest du fort (fig. 4). L’ensemble mesure environ 5,20 m x 2,60 m et occupe un espace antérieur réaménagé et exhaussé. La pièce est accotée au rempart, légèrement entaillé en forme de niche. L’entrée est au nord-ouest. On accède par un petit escalier qui donne accès à un couloir pavé de dalles de schiste (e), en forme d’équerre, qui longe le mur oriental et conduit au fond près du rempart, à un loculus carré creux (a) ; le côté occidental du couloir est bordé par un bassin (c) et un petit espace ouvert sur le couloir (d). À l’ouest du loculus a, contre le rempart, le bassin c est surmonté par une niche surélevée b (fig. 5). 

  Plan de l’aedes de Xèron.
Fig. 4. Plan de l’aedes de Xèron.
  Vue des installations de l’aedes.
Fig. 5. Vue des installations de l’aedes.

Le loculus a est constitué de quatre murets de briques crues de 20/24 cm de large, qui forment un quasi carré (1,10 m x 1,20 m), partiellement encastré dans le rempart. Ces murets lisses sont soigneusement enduits de blanc à l’intérieur comme à l’extérieur. Les murs ouest, sud et est sont cassés en élévation, tandis que le muret nord est intact, comme en témoigne l’enduit qui recouvre son rebord supérieur et le logement d’un seuil de bois dont le scellement est toujours visible. Dans la mesure où ce seuil est nettement plus bas que les murs périmétraux, on doit restituer à cet endroit une porte de bois qui fermait l’espace. Le fond est lui aussi enduit à la chaux, mais on observe, au centre, la trace circulaire d’un scellement. Le comblement comprenait

  • une terre cuite acéphale de Minerve (h. conservée 12,5 cm, l. conservée 9,5 cm). La statuette est creuse, avec des rehauts noirs et rouges sur un fond blanc. L’avant-bras gauche, qui tenait le bouclier, est cassé. La main droite, disproportionnée, tient une lance. La déesse porte le gorgoneion sur la poitrine. Un ostracon trouvé tout à côté évoque l’existence d’un Athenadion et nous savons par d’autres ostraca que le genius loci de Xèron était Athéna.
  • un fragment d’anse d’amphore retaillée en brûle-parfum. Des restes d’encens sont encore conservés dessus.

 L’accès à cet espace a fait l’objet de plusieurs remaniements successifs.

  • dans un premier temps, le couloir e se termine par un espace carré enduit de chaux.
  • dans un second temps, cet espace est divisé en deux et reçoit une marche qui permet d’accéder plus commodément au loculus a.
  • dans un troisième temps, tout l’espace est exhaussé et reçoit une plate-forme dont la partie nord est décorée d’une “mosaïque” de tesselles blanches (quartz) et noires (schiste), avec des plaques, elles aussi de schiste. Entre la mosaïque et le loculus a subsiste une plate-forme d’environ 40 cm de profondeur.

Le dernier niveau de ce corridor montre un exhaussement sableux induré et piétiné. 

À l’est de l’escalier d’accès ont été emboîtées l’une dans l’autre deux amphores vinaires qui forment un conduit d’évacuation grossier. Celui-ci passe à travers le mur nord de la pièce 38, et débouche sur un petit canal creusé à même le sol qui évacue l’eau vers le nord, où on le perd. À 60 cm devant le début de cet escalier apparaît un massif de briques cuites, récupérées dans les thermes ou les citernes adjacentes, et formant un dé carré de 50 cm de côté, haut de 0,14 m. 

L’interprétation d’un tel ensemble, dont je ne connais pas de parallèle, ni en Occident, ni en Orient, doit tenir compte de plusieurs éléments :

  • bien que le praesidium de Xéron pelagos ait été largement fouillé, on n’y connaît aucune aedes alors que tous les autres postes sont pourvus d’un espace religieux. Celui-ci, dans un ostracon de Didymoi, porte le nom de πρινκίπια τῶν κυρίων2
  • la pièce qui vient d’être décrite ne saurait être ni un casernement ni un espace de stockage ou un atelier, en raison de ses aménagements internes. Aucune fonction autre que religieuse ne semble lui convenir.
  • il s’agit d’une construction réalisée lors d’une étape avancée de la vie du fort, non d’une construction initiale du poste, comme nous en avons d’autres exemples sur cette piste.

Je propose donc de l’identifier comme l’aedes du praesidium. Le dé carré, devant l’escalier, serait un autel (ou le support d’un autel). L’existence d’autels extérieurs à l’aedes a été observée à Didymoi3. On pénétrait ensuite par un petit escalier, avant d’entrer dans le couloir dallé qui menait au fond au loculus a, dont l’accès était marqué par des degrés (puis par une mosaïque). Ce loculus était fermé, du côté du couloir, par un volet (ou une porte de bois) s’ouvrant à mi-hauteur. L’intérieur comprend une trace de scellement dont nous ne savons si elle accueillait un pilier ou autre chose. Compte tenu des pratiques religieuses romaines, il paraît peu probable qu’on puisse supposer ici une statue. En revanche le dispositif pourrait correspondre à celui d’une arca, supportant en élévation un podium pour les signa. Il s’agit là d’hypothèses préliminaires qu’il conviendra d’étayer ultérieurement. Le bassin c peut trouver des parallèles dans ceux de l’aedes de Dios, où des bassins avaient aussi été mis en évidence. La nécessité d’évacuer du liquide est en tout cas prouvée par le dispositif observé le long de l’escalier. La présence d’une statuette d’Athéna, genius loci de Xéron pelagos, renforce cette présomption. 

Ce nouvel ensemble doit être confronté avec celui des deux autres aedes découvertes sur cette même piste. À Dios, le podium de fond portait encore le bas de plusieurs statues dont certaines appartiennent au cortège de Sarapis et les ostraca découverts prouvent l’existence de pratiques oraculaires à cet endroit4. Une inscription, découverte dans un autre secteur du fort, montre par ailleurs l’assimilation entre Jupiter et Sarapis sous le nom de Zeus Helios Megas Sarapis, bien connu dans le désert oriental d’Égypte. Le podium était précédé par un autel, probablement surmonté par un baldaquin. Un dispositif de cette nature pourrait être attesté par une inscription des principia d’Apulum, que j’ai commentée ailleurs5.

À Didymoi, le temple a livré une série d’aménagements cultuels complexes mais aussi d’objets et de statues qui attestent que la divinité était assimilée à Sarapis. La présence des Dioscures (“les Jumeaux”, Didymoi en grec) qui sont le genius loci du poste est rendue visible par une plaque de schiste gravée qui montre l’un des dieux guidant son cheval. Dans l’aedes même, des restes de peinture montrent une file de soldats cuirassés se dirigeant vers l’édicule du fond, comme sur la célèbre frise relevée par J.J. Wilkinson dans l’aedes de Luxor6.

J’ai montré ailleurs que cette association entre le dieu romain des armées, Iupiter Optimus Maximus, et Sarapis était beaucoup plus ancienne qu’on ne le pense, même en Occident et notamment dans la vallée du Rhin7. Il n’est donc pas surprenant qu’on la retrouve en Égypte même, sous les formes qu’on vient de décrire, vers le milieu du IIIe siècle, et ceci explique la mixité des pratiques religieuses, comme la consultation oraculaire mise en évidence dans les ostraca de Dios. 

À Xéron pelagos même, la présence de Sarapis n’est pas explicitement attestée et ce que je considère comme le sanctuaire a livré peu de matériel cultuel, de sorte qu’on ne peut aller très loin dans l’interprétation. Le dispositif architectural y est encore différent, ce qui montre que, à cette époque au moins, les aménagements de ces aedes ne répondaient pas à des standards répétitifs et qu’une grande liberté était laissée en ces matières à la garnison locale. On ne doit évidemment pas en conclure que la célébration des cultes avait cessé au milieu du IIIe siècle dans ces postes qui étaient encore occupés par une troupe “romaine”, même si les rites s’étaient évidemment égyptianisés avec le temps.

Voir désormais “Papyrological Evidence on ‘Barbarians’ in the Egyptian Eastern Desert”, in : J. H. F. Dijkstra, G. Fisher (éd.), Inside and Out. Interactions between Rome and the Peoples on the Arabian and Egyptian Frontiers in Late Antiquity = Late Antique History and Religion 8 (Leuven 2014) 165-198, 2 fig.

Voir dans ce recueil, la fig. 9 du n°7.

Notes

  1. Ces différentes fouilles sont menées par une équipe française financée par le Ministère des Affaires étrangères et l’Institut français d’archéologie orientale (Le Caire), sous la direction de H. Cuvigny (CNRS) ; elles sont partiellement publiées. M. Reddé­, Les fortins du désert oriental d’Égypte et l’architecture militaire romaine, in : H. Cuvigny (éd.), La route de Myos Hormos. L’armée romaine dans le désert oriental d’Égypte, FIFAO 48, 1, 2e éd.­ , 2003, p. 235-252 présente une synthèse de l’architecture de ces praesidia du désert oriental, telle qu’elle pouvait être dressée après les fouilles menées sur la route qui traverse le désert entre Coptos (mod. Qeft) et Myos Hormos (mod. Quseir al-Qadim). 
  2. H. Cuvigny (éd.), Didymoi. Une garnison romaine dans le désert oriental d’Égypte, I- Les fouilles et le matériel ; II- Les textes, FIFAO 64, 2011, p. 98.
  3.  Ibid. I, fig. 106 et 183.
  4. H. Cuvigny, “The Shrine in the praesidium of Dios (Eastern Desert of Egypt): Graffiti and Oracles in Context”, Chiron, 40, 2010, p. 245-299. Voir dans ce recueil le n°9.
  5.  M. Reddé, “Tetrastylum fecit et aquilam argenteam posuit”, in : C. Deroux (éd.), Corolla EpigraphicaHommages au professeur Yves Burnand, II, Coll. Latomus 331, 2011, p. 621-629 = n°11.
  6. Cuvigny 2011 (note 2), p. 47-52.
  7. M. Reddé, “Du Rhin au Nil. Quelques remarques sur le culte de Sarapis dans l’armée romaine”, in : Le myrte et la rose. Mélanges offerts à Françoise Dunand par ses élèves, collègues et amis, réunis par G. Tallet et C. Zivie-Coche, Montpellier, CENiM 9, 2014, p. 69-77.
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EAN html : 9782356134899
ISBN html : 978-2-35613-489-9
ISBN pdf : 978-2-35613-490-5
ISSN : 2827-1912
Posté le 23/12/2022
7 p.
Code CLIL : 4117; 3385
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Comment citer

Reddé, Michel, “10. L’aedes du praesidium de Xéron pelagos (Égypte)”, in : Reddé, Michel, Legiones, provincias, classes… Morceaux choisis, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 3, 2022, 151-158, [en ligne] https://una-editions.fr/10-aedes-du-praesidium-de-xeron-pelagos [consulté le 01/12/2022].
doi.org/10.46608/basic3.9782356134899.13
Illustration de couverture • Première• La porte nord du camp C d'Alésia, sur la montagne de Bussy en 1994 (fouille Ph. Barral / J. Bénard) (cliché R. Goguey) ;
Quatrième• Le site de Douch, dans l'oasis de Khargeh (Égypte) (cliché M. Reddé, 2012)
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