Que l’on regarde, que l’on lise, que l’on écoute, que l’on compare ou que l’on expérimente, embrasser en un même élan les arguments scientifiques, les inscriptions anciennes, les œuvres contemporaines, les professions de foi artistiques montre que l’inscription par essence d’abord, par existence enfin, est survivante comme elle est manifestation de survivances. Survivante par nature, l’inscription tire son existence par-delà toutes formes d’accomplissement, celui d’un geste, d’une lecture. Pour peu que lui soit reconnue une forme d’immanence, une force monadique, l’inscription portant en elle la loi de sa marche, elle accomplirait une ambiguité, qui n’est ni la disparition ni la vie même, mais la vitalité persistante d’un fantôme ou celle d’un rêve. Les lettres imagées des manuscrits médiévaux invitent à la reconnaissance d’une vitalité première de l’écriture, insufflée tant par la main du scribe que la peau du parchemin. Avec le geste primitif, la matière avec laquelle la “lettre fait corps”, contribue à l’animation des signes et, puisqu’il existe une vie de la matière, celle-ci devient dès lors agent de la survivance. L’expérience très prosaïque de la sérialité sigillaire témoigne là encore des enjeux de la matière comme modalité de la survivance, en ce qu’elle diffère et à double titre. Différer dans la dissemblance entre une écriture originelle et originale – cette écriture en plomb, à l’envers et en creux – et ses empreintes – en cire, à l’endroit et en ressaut ; différer parce qu’elle ouvre l’horizon du signe au “plus tard” ou à son “après”. La reproductibilité ramène tant à la marque matricielle qu’au geste, via un matériaux plastique qui en poursuit la génération. C’est cette possibilité d’une survivance inhérente à la matière qui a guidé, inconsciemment peut-être, la création des Pruebas de l’artiste Marie Bonnin, ces épreuves-preuves d’une inscription à l’authenticité perdue dans le médium photographique mais qui nous revient bien que transformée. Survivante, l’écriture épigraphique l’est aussi par promesse, quand elle appelle par sa présence en un lieu, à écrire et écrire encore, soit après et par devers-elle au titre d’une “stigmergie” comme le propose Pierre-Olivier Dittmar s’appuyant alors sur les inscriptions laissées par Pepito Meijon, ces traces qui s’entremêlent aux pétroglyphes gravés des milliers d’années plus tôt. La survivance se tient d’ailleurs exactement là, dans ces contiguïtés émancipées de la linéarité du temps ; la pratique épigraphique se révèle un terrain riche pour approcher de telles connexions atemporelles, pour peu que l’on ose ce pas de côté. C’est un peu comme si l’inscription avec son idée portait en elle suffisamment d’inactuel pour rester contemporaine : et si l’on regardait ainsi l’usage de gemmes antiques de certains sceaux médiévaux, le maintien de la tabula ansata comme cadre de l’écriture dans l’épigraphie tardo-antique, le recours à la capitale classique d’Auguste à Paul Vergonjeanne et Naomi Melville en passant par les temps carolingiens, de la pierre à la peau, et non plus seulement comme la trace d’une référence à la dignité d’un passé révolu ? Il s’agirait seulement de remettre en mouvement l’inscription et son expérience, de tisser les temps et d’éveiller l’attention sur les variations qui s’opèrent sur l’objet, son imagination, sa matière, ses formes, sa pratique au titre de “réinventions”, une autre manière de dire la survivance. Sendas epigráficas dans la collection d’images et d’œuvres qu’elle offrait se présentait comme un lieu d’entrelacement ou d’une polyphonie des temps rejouant l’a-synchronicité des paysages épigraphiques tardo-antiques composés pour partie de remplois ou celle encore produite par la translation d’inscriptions de la Rome constantinienne dans une ? sylloge médiévale. Ce (re)montage des temps apparaît presque constamment à l’œuvre à plus petite échelle, dans le processus même de création et de composition des objets épigraphiques, par les emprunts formels, textuels dont ils témoignent. Les manières sont variées mais toutes accusent l’écart, l’altérité, le déplacement, de temps, d’espace, de matière comme dispositifs du Fortleben de l’inscription. Ainsi donc, la survivance intervient comme un principe structurant du phénomène épigraphique une fois celui-ci pris sur la longue durée, à l’aune d’une temporalité intrinsèque à l’inscription. L’expérience d’une survivance épigraphique permet ainsi de “penser poétiquement” l’inscription, à la fois trace-empreinte qui cristallise l’existence totale de l’objet, de la matière à ses voix, et source de réminiscence, quand le passé nous survient au détour d’un détail et réveille ce qui est présent. Là alors, elle fait événement, s’attache à l’histoire et à une anthropologie tout en ouvrant la voie à un au-delà d’elle-même.