* Extrait de : Ktèma, 2, 1977, 157-209.
I.
Le fondateur lègue par testament, ou donne de son vivant, soit une somme d’argent, soit des terres ou des immeubles, etc. ; et il prévoit l’attribution des revenus annuels de ces biens (qui constituent le capital de la fondation) à un but déterminé (continu ou périodique). Selon les possibilités juridiques qui lui sont offertes, il prend en outre les dispositions qui lui paraissent de nature à garantir l’attribution des dits revenus au but fixé. À ce sujet, les fondations de l’époque antique soulèvent toute une série de problèmes juridiques, qui ont été plus d’une fois étudiés, et que je n’affronterai pas ici.
Il importe de replacer les fondations privées dans le contexte socio-économique de la société concernée, et par exemple de les mettre en rapport soit avec l’importance sociale ou économique du fondateur (celui qui institue la fondation), soit avec celle du ou des bénéficiaires (ceux qui reçoivent la prestation, continue ou périodique, prévue par la fondation). C’est ce qu’a fait S. Mrozek, – qui s’est surtout consacré aux distributions publiques en espèces et en nature, et étudie donc, en même temps que certaines fondations, certains dons isolés1. C’est aussi ce qu’a fait A. Lussana, mais de manière très superficielle2. Quant à moi, je m’oriente davantage vers l’étude des fondateurs que vers celle des bénéficiaires. J’estime en effet que la fondation, bien qu’elle soit extérieure à la sphère de la production des biens matériels, n’en demeure pas moins l’effet d’une offre beaucoup plus que celui d’une demande.
Il ne s’agit pas de reconstituer (ni, à plus forte raison, de chiffrer) la fortune des fondateurs à partir de leurs fondations, ou de s’interroger sur les rapports quantitatifs existant entre les fondations et le patrimoine des fondateurs. Souvent en effet, les mêmes “évergètes” qui instituaient une fondation dans le but d’offrir chaque année à leurs concitoyens un repas public ou une distribution en espèces, n’arrêtaient pas là leurs dons. Si la cité avait décidé de leur ériger une statue, ils y trouvaient l’occasion d’un repas ou d’une distribution exceptionnelle ; et parfois même ils payaient les frais de la statue. Auparavant, il avait déjà pu arriver qu’ils offrent un monument public, ou du blé (dans des circonstances où il faisait défaut), ou des jeux de gladiateurs. Il est donc rarement possible de connaître l’ensemble des dons faits aux cités et aux collèges par un personnage donné – et il est encore plus difficile de les chiffrer ; car le coût des monuments publics et des jeux de gladiateurs est, dans l’ensemble, très mal connu. À plus forte raison serait-il injustifié, à partir d’une fondation, de tirer des conclusions précises sur le patrimoine du fondateur. Aussi, même si je suis amené à dresser un certain nombre de tableaux chiffrés, mon but n’est-il pas “quantitatif”3. J’essaie plutôt d’examiner si l’ensemble des fondations connues pour l’Italie romaine entre le Ier et le IIIe siècle p.C. enrichit la connaissance que nous avons des rapports sociaux en vigueur à cette époque, et surtout de la manière dont, consciemment ou non, les individus porteurs de ces rapports les vivaient.
Même si le fondateur, voulant perpétuer sa mémoire, se gagner les faveurs de la postérité ou assurer à son tombeau un culte et un entretien suffisants, obéit ainsi à des impulsions que d’aucuns considèrent comme éternelles, il n’en utilise pas moins, pour assouvir ces impulsions, des formes juridiques, économiques et sociales précises. Ces formes lui sont fournies par la société dans laquelle il vit. C’est l’insertion sociale de certaines de ces formes que j’aimerais étudier ici, au niveau des cités et des communautés non-familiales plus restreintes (collèges professionnels, religieux ou funéraires ; organisations des Augustales et des seviri Augustales ; etc.). Aussi me bornerai-je aux fondations constituées auprès de collectivités possédant ce que Gaius appelle le corpus – c’est-à-dire “un privilège (les) autorisant à administrer et à gérer le patrimoine commun à la façon d’une unité indivisible”4. Je laisserai de côté les fidéicommis dont sont chargés les héritiers ou les légataires du défunt – par exemple ses affranchis5. Je me suis pour l’instant limité à l’Italie. Il ne faut pas exclure en effet que puissent se rencontrer dans les provinces d’autres situations ou des mécanismes différents. Il est donc préférable de les étudier à part, afin de confronter les résultats à ceux obtenus pour l’Italie.
Le terminus post quem de la recherche est la date des premières fondations attestées épigraphiquement, c’est-à-dire (dans la mesure où il est possible de dater les inscriptions funéraires) la première moitié du Ier siècle p.C. Je n’ai pas pris en considération les quelques fondations datant du IVe siècle p.C.6. Plus de trois quarts de siècle s’écoulent en effet entre les dernières fondations connues constituées au IIIe siècle p.C. et celles du IVe siècle p.C. En outre, la relation entre fondations privées et rapports sociaux dépend, fût-ce de manière très médiatisée, du système économique et des structures politiques, juridiques et idéologiques, ainsi que des rapports sociaux existant dans le cadre de ces structures. Au IVe siècle p.C., ils se sont trop transformés pour qu’on puisse, sans le démontrer, postuler qu’une institution ou un usage d’ordre juridique, même s’il subsiste, conserve la même place dans l’ensemble du système.
Les procédés que je mets en œuvre, comme on le verra, m’entraînent rarement à citer ou à réfuter les études déjà existantes7. J’aimerais cependant montrer sur deux ou trois exemples précis combien le propos de cet article est éloigné d’une certaine tradition historique et juridique.
Considérons ainsi la démarche de. E. Bruck, dans “Les facteurs moteurs de l’origine et du développement des fondations grecques et romaines”. Pour lui, il faut mettre l’accent sur les impulsions psychologiques qui ont conduit à la constitution de fondations – croyance en l’immortalité, désir de s’assurer un culte post mortem, goût de la gloire, etc. – et expliquer les modalités juridiques ou pratiques de la fondation par les exigences de ces motifs. Pour moi au contraire, quelque respectables que soient ces motifs, et même s’ils sont l’éternel et nécessaire apanage de l’espèce humaine (ce que je ne crois pas), ils ne sont pas de nature à expliquer l’existence historique, hic et nunc, des fondations. S’ils demeurent toujours les mêmes, comment pourraient-ils rendre compte de la façon dont les formes juridiques se transforment historiquement ? D’ailleurs, l’individu qui aspire à accomplir une certaine sorte d’actes religieux est d’emblée limité à choisir entre un nombre restreint de gestes ou d’usages institués – qui préexistent à son choix et lui sont proposés par la société dans laquelle il vit. Son choix individuel n’a d’intérêt que par rapport à ce faisceau de possibilités, plus ou moins large, que, d’une manière plus ou moins impérative, et à l’exclusion de toute autre, les mécanismes sociaux mettent à sa disposition.
La présente recherche réfute, d’autre part, un certain nombre de conclusions de E. F. Bruck, qui me paraissent erronées. Voici les plus importantes d’entre elles :
a) Pour E. F. Bruck, les fondations, à Rome et dans l’Italie romaine, ont d’abord été un moyen de s’assurer un “culte réel” des morts ; ensuite seulement, dans un “état ultérieur”, on est passé au “culte commémoratif”. C’est-à-dire qu’à un premier moment les fondations prévoient des prestations relatives au culte funéraire et à l’entretien des tombeaux8. Par la suite, les fondations finissent par avoir pour but des distributions publiques (en espèces ou en nature), la construction de monuments, et d’autres buts “sociaux” (selon un terme anachronique très fréquemment employé, et qu’utilise abondamment E. F. Bruck). Il est encore question de commémorer le mort, mais il ne s’agit plus d’un “culte réel” rendu sur son tombeau)9.
Nous verrons cependant qu’un certain nombre de fondations bien datées remontent au Ier siècle p.C. ; il est faux de prétendre, comme le fait E. F. Bruck, que les fondations ne se répandent pas en Italie romaine avant le début du IIe siècle p.C. De plus, toutes les fondations datables du Ier siècle p.C. sont des fondations non-réflexes, c’est-à-dire ce qu’il nomme des fondations à but commémoratif. Il serait certes abusif d’en conclure à une antériorité du culte commémoratif sur le culte réel des morts, car la plupart des inscriptions relatives aux fondations de culte réel (qui sont des fondations réflexes) sont impossibles à dater10. Néanmoins, la documentation disponible, qui est assez abondante, exclut absolument la conclusion de E. F. Bruck, selon laquelle les fondations de culte réel seraient apparues antérieurement aux autres.
b) Aux yeux de E. F. Bruck, ce qu’il appelle le “culte réel” des morts et ce qu’il appelle le “culte commémoratif” relèvent du même besoin religieux11. Cette idée est-elle soutenable ? Même si les deux cultes sont en rapport avec le sentiment de l’immortalité, je montrerai qu’ils ne sont pas rendus au souvenir des mêmes personnes ; ils ne se confondent donc pas. Alors que tous les Romains sont intéressés, d’une manière ou d’une autre, aux rites que l’on accomplira sur leur tombe et à la façon dont elle sera entretenue, seule une minorité d’entre eux est l’objet d’un culte commémoratif, dans le cadre de la cité ou de collèges. Les inscriptions de fondations le démontrent de manière indubitable. Et elles montrent aussi que les membres de cette minorité, lorsqu’ils constituaient une fondation, ne mélangeaient presque jamais le “culte réel” des morts (prestations réflexes d’ordre funéraire) et la commémoration (prestations non-réflexes) : ils avaient conscience qu’il s’agissait de deux choses socialement distinctes.
c) E. F. Bruck confond donc dans le même halo vaguement spiritualiste les motifs psychologiques de la fondation et son but matériel. Une fondation, écrit G. Le Bras, est “l’affectation perpétuelle d’un fonds à un but déterminé”12. Aussi les éléments essentiels d’une fondation sont-ils, de manière générale, un fonds spécial, un but déterminé et une organisation de nature à garantir l’emploi de ce patrimoine au but indiqué13. S’il en est ainsi, le sentiment qui, dans son for intérieur, a guidé le fondateur, compte moins que le but auquel il destine son capital. Offrir de l’argent pour que sa propre tombe soit fleurie, ce n’est pas la même chose qu’en offrir pour acheter du blé aux enfants ou pour permettre à ses concitoyens de se baigner gratuitement dans les thermes. Les enfants et les concitoyens, certes, sont vivement engagés, en mangeant leur pain ou en se trempant les pieds, à penser au généreux et regretté fondateur ; mais pour provoquer une pieuse pensée, au demeurant toujours hypothétique, il n’est pas besoin de constituer une fondation. Il suffit d’une inscription sur la tombe : “passant, rappelle-toi…”. Même si certains juristes romains retenaient que l’intention dernière du fondateur consistait à vouloir assurer sa mémoire, et que la prestation prévue n’était qu’un moyen à cette fin14, le propre de la fondation, c’est le don d’argent (ou de terres, ou d’immeubles), et c’est le but déterminé, assigné aux revenus de ce capital.
L’article de E. F. Bruck est un effort particulièrement appuyé pour expliquer l’ensemble du phénomène des fondations d’une manière en quelque sorte fonctionnelle, par les exigences d’un besoin religieux que tous les Romains, riches ou pauvres, éprouvent également – et d’éviter de les envisager par rapport à la hiérarchie sociale et à l’idéologie des divers groupes sociaux. Mais il n’est pas le seul. Les articles de G. Le Bras et de F. De Visscher vont dans le même sens, et eux non plus n’hésitent pas, pour imposer cette idée, à passer outre aux informations fournies par les documents disponibles. Pour G. Le Bras, la fonction principale des fondations (de quelque espèce qu’elles soient) est d’ordre religieux. Jusqu’à la fin de la République, le culte des morts était exercé par la famille ; mais à cette époque sévit une crise de la famille et du culte funéraire. Désormais les citoyens désireux d’assurer l’entretien de leur tombeau et le culte de leurs Mânes doivent tabler sur des groupes permanents extérieurs à la famille. Les pauvres s’adressent aux collèges funéraires ; les Romains de la haute et de la moyenne société, au contraire, constituent des fondations15. Je montrerai qu’au contraire les membres des ordres privilégiés (ordre sénatorial, ordre équestre, et ordres des décurions des diverses cités) prévoient rarement, dans les fondations qu’ils constituent, des prestations réflexes d’ordre funéraire. Ceux qui constituent des fondations pour le culte de leurs Mânes et l’entretien de leur tombeau, s’ils ne sont pas les pl us déshérités des plébéiens, sont pourtant en général des plébéiens. À preuve que les membres des ordres privilégiés parvenaient à faire exécuter les rites du culte funéraire par leurs descendants ou par leurs affranchis, et que tous les plébéiens, à l’inverse, ne se satisfaisaient pas des collèges funéraires.
F. De Visscher écrit :
“Si l’on peut attribuer à nos fondations des buts qui sont tantôt d’ordre social et tantôt d‘ordre cultuel, je me hâte d’ajouter que cette distinction ne saurait en aucune façon servir de base à une classification des fondations. Le plus souvent, des dispositions d’ordre social, en faveur des vivants, se joignent aux prescriptions d’ordre cultuel (…). Les unes et les autres poursuivent, en définitive, le même but, qui est de perpétuer la mémoire du fondateur…”16.
On retrouve ici la confusion commise par E. F. Bruck (et aussi par G. Le Bras, quoique de façon moins marquée) entre les motifs psychologiques de la fondation et son but matériel, au profit d’une explication immédiatement religieuse. Mais ce que F. De Visscher “se hâte d’ajouter” est faux. Dans les inscriptions, les prestations non-réflexes (ce qu’il appelle des dispositions d’ordre social) ne se joignent presque jamais aux prestations réflexes d’ordre funéraire17.
À mes yeux, même si les motifs psychologiques sont une condition sine qua nonde l’apparition des fondations, ils n’expliquent presque rien des formes juridiques et sociales précises prises par la fondation dans telle société particulière. Ma démarche est donc proche de celle de C. Préaux [1956] et de S. Mrozek, qui, après avoir fait état de ces motifs, n’y reviennent plus guère et consacrent leur étude à l’insertion sociale des fondations.
II.
J’ai réuni, sauf erreur, 148 inscriptions de fondations italiennes – la Sicile, la Sardaigne et la Corse étant exclues, ainsi que les Alpes-Maritimes, où une fondation est attestée à Cemenelum18. Comme ces inscriptions sont en général assez longues et bien conservées, il s’agit d’un matériel abondant ; l’oubli éventuel de quelques inscriptions n’influerait donc pas beaucoup sur les résultats obtenus.
À ces 148 inscriptions ne correspondent ni exactement 148 fondations, ni exactement 148 fondateurs. Car une même inscription fait parfois état de plusieurs fondations (constituées par le même fondateur, ou par deux ou trois fondateurs différents). Et il arrive inversement (dans un ou deux cas) que plusieurs inscriptions concernent une seule et même fondation, ou plusieurs fondations constituées par le même fondateur.
Je n’ai pas tenu compte des fidéicommis dont sont chargés les héritiers ou les affranchis19, et me suis donc limité aux fondations confiées aux collectivités (cités, collèges professionnels ou religieux, etc.). J’ai éliminé en outre cinq inscriptions qui se rapportent peut-être à des dons isolés, et non à des fondations20.
Je n’ai pas étudié les rares fondations dont parlent les textes littéraires et juridiques, – sauf dans le cas (celui de Pline le Jeune) où elles étaient, par ailleurs, connues par une inscription. J’ai jugé plus cohérent et plus efficace de m’enfermer à l’intérieur des limites du matériel épigraphique, qui a sa logique propre et ses formulations spécifiques. Mon propos n’est d’ailleurs pas de mener une étude exhaustive des fondations et de toutes leurs modalités, mais de faire jouer les rapports que leur pratique entretient avec les hiérarchies sociales.
J’ai été beaucoup aidé, dans le dépouillement des documents, par les listes établies par B. Laum [1914], puis plus récemment par R. Duncan-Jones [1974]. Leurs travaux sont précieux, entre autres choses, par l’abondance des inscriptions qu’ils y citent (dans le cas de R. Duncan-Jones) ou y publient (dans le cas de B. Laum). Aussi ai-je estimé utile, dans la liste des inscriptions que je vais maintenant présenter, d’indiquer les références au deuxième volume du livre de B. Laum (précédées de la lettre L.) et à celui de R. Duncan-Jones (précédées des lettres DJ.).
1. CIL, V, 47 = D. 5755 (DJ. 173, n°649).
2. CIL, V, 1019.
3. CIL, V, 1978 ; voir D. 6690 (L. 183. n°81 ; DJ. 178, n°680).
4. CIL, V, 2072 (L. 183, n°80 ; DJ. 182, n°731 = 184, n°749-750).
5. CIL, V, 2090 + p. 1068 = D. 8371 (L. 181, n°69 ; DJ. 183, n°743).
6. CIL,V, 2176 = D. 8369 (L. 180, n°65).
7. CIL, V, 2315 (L. 181, n°70 ; DJ. 184, n°747).
8 et 9. CIL, V, 2861 et 2862 (DJ. 174, n°660 = 162, n°491).
10. CIL, V, 2864 = D. 5406 (DJ. 182, n°729).
11. CIL, V, 4015 = D. 6711 (L. 181, n°66 ; DJ. 181, n°716).
12. CIL, V, 4016 = D. 8373 (L. 181, n°67 ; DJ. 178, n°686 = 183, n°744).
13. CIL, V, 4017 = D. 8372 (L. 181, n°68 ; DJ. 180, n°707).
14. CIL, V, 4203 = D. 6718 (L. 182, n°73 ; DJ. 182, n°733).
15. CIL, V, 4294 (DJ. 184, n°748).
16. CIL, V, 4410 = D. 6719 (L. 182, n°74 ; DJ. 183, n°734).
17. CIL, V, 4416 + p. 1079 (DJ. 183, n°746).
18. CIL, V, 4418 (DJ. 183, n°735).
19. CIL, V, 4440 (L. 182, n°75 ; DJ. 181, n°717).
20. CIL, V, 4448 (L. 182, n°76).
21. CIL, V, 4449 (L. 182, n°77 ; DJ. 183, n°736).
22. CIL, V, 4488 (L. 183, n°78 ; DJ. 181, n°719).
23. CIL, V, 4489 = D. 8370 (L. 183, n°79 ; DJ. 178, n°690).
24. CIL, V, 4871 = D. 6710 (L. 182, n°72 ; DJ. 183, n°745).
25. CIL, V, 4990 (L. 184, n°82 ; DJ. 176, n°670).
26. CIL, V, 5005 = D. 3761 (L. 184, n°83 ; DJ. 184, n°753).
27. CIL, V, 5128 = D. 6726 (L. 184, n°84a).
28. CIL, V, 5134 (L. 184, n°84 ; DJ. 184, n°754).
29. CIL, V, 5262 = D. 2927 ; cf. aussi AE, 1947, 65 (L. 184, n°85 ; DJ. 171, n°638 = 172, n°644 = 174, n°655 = 174, n°661).
30. CIL, V, 5272 (L. 184-185, n°86 ; DJ. 175, n°668 = 177, n°677).
31. CIL, 5279 = D. 6728 (L. 185, n°87 ; DJ. 177, n°676).
32. CIL, V, 5282 (L. 185, n°88 ; DJ. 183, n°737).
33. CIL, V, 5287 (DJ. 181, n°720).
34. CIL, V, 5447 = D. 7253 (DJ. 183, n°739).
35. CIL, V, 5658 + p. 1085 (DJ. 182, n°722).
36. CIL, V, 5840 (L. 185, n°90 ; DJ. 181, n°709).
37. CIL, V, 5878 = D. 6735 (DJ. 184, n°751).
38. CIL, V, 5907 (L. 186, n°91 ; DJ. 182, n°732)
39. CIL, V, 6363 (L. 185, n°89 ; DJ. 183, n°740).
40. CIL, V, 6522 (L. 186, n°92).
41. CIL, V, 6525.
42. CIL, V, 6587 (L. 186, n°93).
43. CIL, V, 7357 (L. 180, n°61).
44. CIL, V, 7450 (L. 180, n°63 ; DJ. 184, n°752).
45. CIL, V, 7454 = D. 8342 (L. 180, n°64).
46. CIL, V, 7637 = D. 5065.
47. CIL, V, 8654 (DJ. 181, n°718).
48. CIL, V, 8655 (DJ. 181, n°718).
49. AE, 1951, 94 (DJ. 183, n°738).
50. NSA, 1928, p. 283 (DJ. 173, n°646 = 174, n°653 et 654 ; 160, n°468).
51. Pais 181 (L. 180-181, n°65a ; DJ. 181, n°714).
52. CIL, VI, 1872 = D. 7266 (L. 163, n °2).
53. CIL, VI, 1925 = D. 1919 (L. 163, n°3).
54. CIL, VI, 9254 = D. 7244 (L. 163, n°4).
55. CIL, VI, 9626 = D. 7267 (L. 164, n°5).
56. CIL, VI, 10234 = D. 7213 (L. 164-165, n°6).
57. CIL, VI, 10297 (L. 166, n°9).
58. CIL, VI, 29700.
59. CIL, VI, 29702.
60. CIL, VI, 29736.
61. CIL, VI, 29906.
62. CIL, IX, 23 = D. 6472 (L. 172, n°30 ; DJ. 175, n°667).
63. CIL, IX, 449.
64. CIL, IX, 1618 = D. 6507 (L. 172, n°29 ; DJ. 178, n°689).
65. CIL, IX, 1670 (DJ. 178, n°688).
66. CIL, IX, 2226 = D. 5595 (L. 175, n°37a).
67. CIL, IX, 3160 = D. 6530 (L. 174, n°36 ; DJ. 176, n°673 = 187, n°763).
68. CIL, IX, 4691 (L. 175, n°37 ; DJ. 178, n°683).
69. CIL, IX, 4971 = D. 6560.
70 et 71. CIL, IX, 5074 et 5075 = D. 5671 (L. 175, n°38b).
72. CIL, IX, 5376 (L. 175, n°38a ; DJ. 174, n°662 = 187, n°765 = 189, n°843).
73. CIL, IX, 5568 = D. 7256 (L. 175, n°39 ; DJ. 179, n°695).
74. CIL, IX, 5845 + p.689 = D. 3775 (DJ 176, n°671).
75. CIL, IX, 5854 = D. 5064.
76. AE, 1972, 118.
77. D. 7215 (DJ. 180, n°706).
78. CIL, X, 107 = D. 6466 (L. 173, n°31 ; DJ. 179, n°691).
79. CIL, X, 114 = D. 6469 (L. 173-174, n°33 ; DJ. 179, n°694).
80. CIL, X, 444 = D. 3546 (L. 174, n°34).
81. CIL, X, 451 (L. 173, n°32 ; DJ. 179, n°696).
82. CIL, X, 1880 = D. 6328a (L. 171, n°25).
83. CIL, X, 3678 = D. 5689.
84. CIL, X, 3851 = D. 5890 (L. 170, n°20 ; DJ. 172, n°640).
85. CIL, X, 4643 (L. 170, n°19).
86. CIL, X, 4736.
87. CIL, X, 5056 = D. 977 (L. 170, n°18a ; DJ. 173, n°650).
88. CIL, X, 5067.
89. CIL, X, 5654 (L. 170, n°21 ; 1 DJ. 178, n°679 = 180, n°708 = 188, n°828).
90. CIL, X, 5657 = D. 6287 (L. 170, n°22 ; DJ. 182, n°721).
91. CIL, X, 5809 (L. 170, n°18 ; DJ. 178, n°687).
92. CIL, X, 5849 = D. 6269.
93. CIL, X, 5853 + p. 1013 = D. 6271 (L. 171, n°23 ; DJ. 176, n°669).
94. CIL, X, 5857 (L. 171, n°24).
95. CIL, X, 6090 = D. 6295.
96. CIL, X, 6328 = D. 6278 (L. 171, n°27 ; DJ. 172, n°642 = 157, n°446a).
97. CIL, X, 6465 (L. 171, n°26 ; DJ. 181, n°713).
98. D. 6468 (DJ. 174, n°664 = 179, n°694 = 217, n°1332 et 1333).
99. CIL, XI, 126 (L. 179, n°58 ; DJ. 177, n°678).
100. CIL, XI, 379 = D. 6664 (L. 178, n°54 ; DJ. 178, n°681).
101. CIL, XI, 419 = D. 6663 (L. 178, n°55 ; DJ. 172, n°645).
102. CIL, XI, 720 = D. 5674 (L. 178, n°56 ; DJ. 173, n°647).
103. CIL, XI, 1436 = D. 7258 (L. 178, n°51 ; DJ. 181, n°711).
104. CIL, XI, 1602 (L. 177, n°50).
105. CIL, XI, 2596 = D. 8368 (L. 177, n°50b ; DJ. 184, n°755).
106. CIL, XI, 2650 (L. 178, n°52 ; DJ. 179 ; n°697).
107. CIL, XI, 3009 + p. 1313 = D. 6595 (L. 178, n°53 ; DJ. 180, n°704).
108. CIL, XI, 3303 = D. l54 (L. 177, n°50a).
109. CIL, XI, 3890.
110. CIL, XI, 4391, (L. 175, n°40 ; DJ. 180, n°700).
111. CIL, XI, 4404 (L. 176, n°41).
112. CIL, XI, 4412.
113. CIL, XI, 4593 (DJ. 182, n°730).
114. CIL, XI, 4749.
115. CIL, XI, 4789 (L. 177, n°48 ; DJ. 172, n°639).
116. CIL, XI, 4815 = D. 6638 (L. 176, n°47 ; DJ. 173, n°652 = 174, n°659).
117. CIL, XI, 5047 + p. 1380 (L. 176, n°43 ; DJ. 183, n°741).
118. CIL, XI, 5722.
119. CIL, XI, 5745 = D. 6644 (DJ. 174, n°658).
120. CIL, XI, 5963 (L. 176, n°45 ; DJ. 181, n°712).
121. CIL, XI, 6071 (et peut-être 6070).
122. CIL, XI, 6167 = D. 5673.
123. CIL, XI, 6173 (L. 177, n°49 ; DJ. 174, n°657 = 178, n°684).
124. CIL, XI, 6371 (DJ. 178, n°682 = 220, n°1358a).
125. CIL, XI, 6377 (L. 176, n°44 ; DJ. 172, n°643 = 173, n°648).
126. CIL, XI, 6520 = D. 6647 (L. 176, n°46 ; DJ. 179, n°699).
127. CIL, XI, 7299.
128. CIL, XI, 7872.
129. CIL, XI, 7873.
130. AE, 1954, 168 (DJ. 180, n°701).
131. AE, 1960, 249.
132. BCAR, 73, 1949-1950, Appendice 16, p. 52-53 (DJ. 173, n°645a = 177, n°676a = 209, n°1179a).
133. NSA, 1932, p. 425 (= CIL, XI, 132 + 1228) = D. 7235 (DJ. 183, n°742).
134. CIL, XIV, 246 + p. 482 (DJ. 181, n°710).
135. CIL, XIV, 325.
136. CIL, XIV, 326 + p. 615 (DJ. 179, n°698 = 181, n°715 = 182, n°723 à 728a).
137. CIL, XIV, 353 = D. 6148 (L. 168, n°14 ; DJ. 176, n°672).
138. CIL, XIV, 367 = D. 6164 (L. 168, n°15 ; DJ. 177, n°675).
139. CIL, XIV, 431 + p. 482 (L. 168-169, n°16 ; DJ. 176, n°674).
140. CIL, XIV, 2112 = D. 7212 (DJ. 178, n°685).
141. CIL, XIV, 2793 = D. 5449 (L. 167, n°11 ; DJ. 179, n°692).
142. CIL, XIV, 2795 + p. 493 = D. 272 (L. 167, n°12 ; DJ. 179, n°693 = 180, n°702).
143. CIL, XIV, 2827 = D. 6294 (L. 166, n°10 ; DJ. 175, n°665 et 666).
144 et 145. CIL, XIV, 2978 et 2979 = D. 5672 (L. 169, n°l7b).
146. CIL, XIV, 4450 (DJ. 172, n°641 = 200, n°1078a).
147. AE, 1940, 62.
148. AE, 1940, 94 (DJ. 180, n°703).
III.
On insiste en général sur la diversité sociale des fondateurs, et sur la diversité des sommes affectées aux fondations. Il vaut cependant la peine d’étudier le montant des capitaux de fondations en rapport avec la condition sociale et juridique des fondateurs, pour savoir si à la hiérarchie sociale correspond une hiérarchie financière.
J’ai distingué six catégories :
A) les sénateurs ;
B) les chevaliers ;
C) les membres des oligarchies municipales (magistrats des cités, décurions), auxquels j’ai adjoint deux bénéficiaires des ornamenta decurionalia (CIL, X, 4643 ; XI, 126) ;
D) les Augustales, seviri Augustales et assimilés (recrutés, dans la plupart des cas, parmi les affranchis des familles les plus notables et parmi les affranchis les plus notables)21 ;
E) tous ceux dont l’inscription ne mentionne pas l’appartenance à l’une ou l’autre des catégories précédemment nommées. Ce sont toujours des hommes ou des femmes libres (affranchis ou ingénus), – sauf dans le cas de Druinus, esclave et actor de M. Nonius Mucianus, le consul de 201 p.C.22 ;
F) ceux dont on ignore l’insertion juridique et sociale, parce que l’inscription est lacunaire.
J’ai rangé les filles et femmes de sénateurs dans la catégorie A (sénateurs), les filles et femmes de chevaliers dans la catégorie B (chevaliers), les filles et femmes d’oligarques municipaux dans la catégorie C (oligarques municipaux). Il serait absurde de constituer une catégorie à part regroupant toutes les femmes, alors que les femmes sont partie intégrante du groupe socio-juridique de leur père ou de leur frère, puis de celui de leur mari. Toutes les femmes qui ne relèvent pas des catégories A, B, C, D (parce que l’inscription ne mentionne rien, ni à leur propos, ni à propos de leur père, de leur frère, de leur fils ou de leur mari qui permette de les y rattacher) entrent dans la catégorie E.
La catégorie E risque d’être hétérogène. Elle peut comprendre en effet :
1) Des hommes faisant partie de l’une des catégories A, B, C, D, mais qui ne l’ont pas indiqué sur l’inscription. Étant donné les habitudes de l’épigraphie latine, c’est certainement un cas rare.
2) Des hommes qui font partie de l’une ou l’autre de ces quatre catégories, et l’indiquaient dans une seconde inscription, plus complète, – qui ne nous est pas parvenue. Le cas n’est pas fréquent, mais il peut par exemple se présenter quand la fondation a pour but l’entretien d’un monument offert par le fondateur : sur certains monuments, en effet, l’acte d’évergétisme était rappelé par plusieurs inscriptions.
3) Ceux qui ne font partie d’aucune des quatre catégories A, B, C, D, – c’est-à-dire les hommes libres (ingénus ou affranchis) qu’on peut nommer plébéiens23.
4) Enfin les femmes, qui, si elles nomment habituellement leur père ou leur mari, n’en indiquent pas très souvent l’insertion socio-juridique. Aussi un certain nombre des femmes de la catégorie E étaient-elles vraisemblablement liées, par la naissance ou le mariage, à des membres des ordres oligarchiques (sénateurs, chevaliers ou oligarques municipaux).
Même si quelques hommes de la catégorie E étaient membres d’une oligarchie municipale quoique l’inscription ne le mentionnât pas24, la très grande majorité d’entre eux sont des plébéiens (c’est-à-dire qu’ils n’appartiennent à aucune des catégories A, B, C, D). Les femmes de la catégorie E qui se rattachent, quoique l’inscription n’en parle pas, à l’une des quatre catégories A, B, C, D, sont certainement beaucoup plus nombreuses. Aussi envisagerai-je séparément les femmes de la catégorie E (catégorie Ef) et les hommes de celte même catégorie (catégorie Eh), – et considérerai-je la catégorie Eh comme composée de plébéiens.
Quand d’autre part un père, oligarque municipal ou “plébéien”, associe son fils, qui est chevalier, à la fondation qu’il constitue, ou quand un père, “plébéien”, y associe son fils, qui est magistrat municipal, je ne tiens compte que du rang du fondateur proprement dit, c’est-à-dire du rang du père. Il s’agit d’ailleurs de cas peu nombreux.
Trois inscriptions ont rapport à des fondations constituées par des patrons de cités, dont l’insertion juridique et sociale n’est pas autrement précisée. Ce sont certainement des membres de l’une des trois catégories A, B et C, mais rien n’indique de manière sûre à laquelle ils appartiennent25. Ils ne figurent donc pas dans le tableau n°1.
Pour étudier le montant des capitaux de fondation, on ne peut tenir compte que des inscriptions mentionnant une somme d’argent. La valeur des terres et des maisons est en effet difficile à apprécier – sauf si l’inscription indique quel doit être leur revenu annuel.
Dans la plupart des cas, la fondation ne constitue pas la totalité des dons faits par le fondateur ; et cela contribue à expliquer la diversité des sommes affectées à des fondations par des membres d’une même catégorie. Cependant quelques conclusions se dégagent des résultats, qui sont présentés dans le tableau n°1.
a) Il arrive rarement que le montant de la somme affectée à la fondation soit de lecture douteuse26. Les éventuelles erreurs de calcul, elles non plus, ne peuvent pas influer beaucoup sur les résultats. Et le nombre des fondateurs de chaque catégorie est suffisant pour que les moyennes et les médianes obtenues soient dignes de foi.
b) Les moyennes sont toujours beaucoup plus fortes que les médianes. Cela tient à la présence, dans presque toutes les catégories, de quelques fondations à très fort montant. Dans la catégorie C (oligarchies municipales), deux fondateurs offrent l’un 1 000 000 sesterces, l’autre 370 000 sesterces ; les fondations qui, pour l’importance de la somme suivent immédiatement celles-là, ne s’élèvent qu’à 110 000, 70 000, 50 000, 40 000 HS. Dans la catégorie D (Augustales), le capital de la fondation la plus importante est de 400 000 sesterces ; les suivantes ne s’élèvent qu’à 50 000, 40 000, 20 000, 10 000 sesterces. Dans la catégorie Eh (“plébéiens”), le capital de la fondation la plus importante est de 400 000 sesterces, et les suivantes ne s’élèvent qu’à 80 000, 50 000, et 20 000 sesterces. Certes le cas isolé et exceptionnel n’est pas, en lui-même, moins intéressant que le cas plus banal. Néanmoins, comme je cherche d’abord l’usage social (par rapport auquel les dons exceptionnellement importants sont susceptibles de prendre toute leur valeur), la médiane, du point de vue de la présente étude, est plus intéressante que la moyenne. C’est elle en effet qui indique, pour une catégorie donnée, les sommes le plus usuellement pratiquées.
c) Je laisse pour l’instant de côté la catégorie Ef (femmes qui en apparence n’appartiennent à aucune des quatre catégories A, B, C, D). La chute des moyennes et des médianes, de la catégorie A à la catégorie Eh, est très forte ; et il est impossible de ne pas constater :
- que les dons importants, sauf exception, émanent des membres des ordres oligarchiques (Sénat, ordre équestre, ordres des décurions), et que les plus coûteux d’entre eux sont le fait de sénateurs.
- que les Augustales, représentants présumés des milieux d’affranchis riches ou aisés, font des dons très modestes : médiane 75 fois moins haute que celle des fondations de chevaliers et 12 fois moins forte que celle des fondations d’oligarques municipaux ; moyenne également bien inférieure à celle des catégories A, B et C. En gros, leurs dons ne sont pas supérieurs à ceux des “plébéiens”.
Vue du côté des fondations, la richesse en Italie, du Ier au IIIe siècle p.C., est étroitement liée (quelle que soit la cause et quel que soit l’effet) à l’appartenance aux ordres oligarchiques. Il n’existe pas, de manière durable, de milieu riche important qui demeure extérieur à ces ordres. Ou bien faut-il douter de la crédibilité des documents considérés ici ? Serait-ce par hasard que ces riches “hommes d’affaires” extérieurs aux catégories A, B, C, et ces riches affranchis Augustales, s’abstenaient de constituer des fondations ? Le fait surprendrait, si l’on songe que, plus que tous les autres, ils devaient désirer s’intégrer dans l’“establishment” social, s’efforcer de faire admettre leur richesse, qui ne se justifiait même pas par leur participation aux affaires publiques. Il faut donc conclure que ces hommes étaient très peu nombreux.
d) Par rapport au cens requis pour l’accès aux ordres oligarchiques, les médianes et les moyennes sont très fortes. Médiane de 1 000 000 HS pour les sénateurs, alors que le cens sénatorial est de 1 000 000 HS (pourcentage de la médiane par rapport au cens : 100 %). Médiane de 150 000 HS pour les chevaliers alors que le cens équestre est de 400 000 HS (pourcentage : 37,5 %). Médiane de 15 000 HS pour les oligarques municipaux, alors que le cens décurional est souvent, pense-t-on, de 100 000 HS (pourcentage : 15 %). Cela ne signifie évidemment pas que les sénateurs en question avaient affecté à la fondation l’intégralité de leur patrimoine, mais seulement que leur patrimoine avait une valeur plusieurs fois supérieure au minimum requis par le cens. Il est d’autant plus difficile de dire à combien s’élevaient, par rapport aux patrimoines des fondateurs, les sommes affectées aux fondations.
e) Les résultats montrent qu’il était justifié de considérer séparément les catégories Eh (“plébéiens”) et Ef (femmes n’appartenant pas, en apparence, aux catégories A, B, C, D). La moyenne (158 140 HS) et la médiane (30 000 HS) de la catégorie Ef sont supérieures à celles de la catégorie C (oligarques municipaux), – et à plus forte raison largement supérieures à celles de la catégorie Eh (moyenne : 19 719 HS ; médiane : 3 500 HS). C’est que la catégorie Ef n’est pas homogène. Certaines des femmes qui indiquent le nom de leur père ou de leur mari, mais n’indiquent pas en général sa titulature, sont très probablement filles ou épouses d’oligarques municipaux, voire même de chevaliers.
Parmi les femmes qui constituent une fondation, trois seulement précisent l’insertion économique et sociale de leur père ou de leur mari. Les sommes qu’elles affectent à leurs fondations sont à peu près comparables à celles qu’y consacrent d’autres membres de la catégorie de leur père ou de leur mari. L’une, fille de sénateur, constitue un capital de 1 000 000 HS27. La seconde, femme d’un oligarque municipal, offre 5 000 HS28. La troisième, femme d’un Augustalis, offre 6 000 sesterces29.
IV.
Certaines fondations sont confiées à l’administration d’une cité ou à l’ordo decurionum, d’autres à des collèges ou à des vici ou pagi. Je vais chercher à préciser qui choisit pour “fondé” une cité, et qui un collège, en tenant compte également de l’importance financière des fondations.
J’ai divisé les collèges en deux catégories : d’une part les collèges professionnels (parmi lesquels j’ai rangé aussi les collèges de dendrophores) ; d’autre part les collèges religieux (au nombre desquels je compte aussi les temples, quand il leur arrive, exceptionnellement, de recevoir des fondations), les collèges funéraires et les organisations de juvenes (qui ne sont attestées, elles aussi, que très rarement). Enfin, je considère à part les fondations confiées aux pagi et aux vici, ainsi que les fondations confiées aux organisations des Augustales et seviri Augustales (désignées par des expressions telles que arca Augustalium, Augustales, Augustales corporat(i) ou seviri Augustales). Les deux fondations constituées près les sept vici d’Ariminum30 posent un problème spécifique. Il s’agit de vici ; mais l’ensemble des sept vici constitue la cité d’Ariminum, en sorte qu’un don fait aux vicani des sept vici est, en pratique, un don fait à la totalité des citoyens d’Ariminum. Aussi ai-je évité d’en tenir compte dans ce paragraphe. Je ne tiens pas compte non plus des inscriptions dans lesquelles l’identité de la collectivité qui reçoit la fondation est incertaine (soit qu’on ignore si c’est la cité ou un collège, soit qu’on ne sache pas de quel collège il s’agit).
Dans les tableaux n°2 à 7 sont présentés les résultats concernant les fondations des catégories A, B, C, D, Ef et Eh. Le tableau n° 8 rappelle combien de fondations les membres de chacune de ces catégories confient aux cités (ou aux ordines decurionum) et combien ils en confient aux autres collectivités : vici et pagi ; collèges professionnels ; collèges religieux et funéraires, et collèges de juvenes ; organisations des Augustales.
De ces tableaux no2 à 8 je tirerais les conclusions suivantes :
a) Les fondations confiées aux cités (ou aux ordines decurionum) sont toujours beaucoup plus importantes ; et ceux qui instituent en même temps plusieurs fondations réservent toujours la plus importante à la cité.
À Petelia, M’ Meconius Leo offre 100 000 HS à la cité ; il institue en outre une fondation de 10 000 sesterces pour les Augustales (mais confiée à la cité ; aussi l’ai-je rangée parmi les fondations des cités)31. À Fabrateria Vetus, un magistrat municipal offre 25 000 sesterces à la cité et 4 000 seulement aux cultores antistes deae Cereri32. À Spolète, un magistrat municipal offre 250 000 sesterces à la cité, et 120 000 aux seviri Augustales et aux magistri des vici33. À Spolète encore, un sénateur (?), outre un don de 690 000 sesterces à la cité, institue une fondation de 450 000 sesterces pour les Augustales et les magistri des vici, et une autre de 30 000 sesterces pour des décuries d’acteurs34. Et pour toutes les catégories de fondateurs, les tableaux n° 2 à 7 mettent en évidence la supériorité des moyennes et médianes des fondations confiées aux cités (ou aux ordines decurionum). C’est une chose facilement explicable. D’une part les fondations constituées auprès des cités ont le plus souvent pour bénéficiaires l’ensemble des citoyens, ou au moins, dans le cas de certaines distributions ou de certains repas, l’ensemble des décurions et des Augustales. Il s’agit donc de groupes de bénéficiaires plus nombreux que ne le sont en général les membres d’un collège. D’autre part, le souci du fondateur est toujours d’assurer à la fondation une gestion honnête et durable, et l’on peut penser (quoique rien ne le prouve) que, de ce point de vue, les cités offraient plus de garanties que les autres collectivités, notamment les collèges. Pline le Jeune, examinant, dans l’une de ses lettres, les moyens de garantir une fondation contre l’impéritie et la malhonnêteté, ne mentionne même pas la possibilité de la constituer auprès d’un collège.
b) II est d’autant plus intéressant de noter que la plupart des fondations émanant de membres des catégories D et Eh sont constituées auprès des collèges, et non des cités (ou ordines decurionum). Dix-huit fondations émanent de sénateurs ou de chevaliers : pour trois d’entre elles, la nature de la collectivité “fondée” demeure incertaine ; treize des quinze autres sont constituées auprès de cités. Encore le sénateur (?) qui constitue une fondation auprès des seviri Augustales de Spolète, et une autre auprès de décuries professionnelles de la même cité, en a-t-il peut-être confié une troisième, dont le capital était très important, au trésor de la cité34 ? La proportion s’inverse pour les Augustales (catégorie D) : 16 de leurs 17 fondations sont confiées à des collectivités autres que la cité. De même pour les “plébéiens” (catégorie Eh) : 31 de leurs 39 fondations sont confiées à des collectivités autres que la cité.
Il ne s’agit plus ici de degrés et de continuité (comme pour les sommes d’argent, qui décroissent, très vite certes, mais continûment, des fondations de sénateurs à celles de “plébéiens”) mais d’une coupure binaire. D’un côté, les sénateurs et chevaliers, qui, pour exercer leur évergétisme, s’adressent presque toujours aux cités. De l’autre, les Augustales et les “plébéiens”, qui, pour des raisons à déterminer, n’accèdent presque jamais au trésor de la cité. Faut-il y voir l’indication de différences sociales qui révéleraient (non sans rapports avec les ordres et les statuts, mais à la fois comme à travers eux et à côté d’eux) l’existence de classes sociales35 ?
c) Le tableau n°5 (catégorie D : fondations instituées par les Augustales et seviri Augustales) confirme les conclusions de l’étude des sommes d’argent. Ni financièrement, ni dans leurs rapports avec les collectivités existantes (cités d’une part, collèges divers de l’autre), les Augustales et seviri Augustales ne se distinguent des “plébéiens”. Comme les “plébéiens”, ils constituent volontiers leurs fondations auprès de collèges professionnels (8 fondations sur 17 pour la catégorie D, 18 sur 39 pour la catégorie Eh). Il s’agit de fondations également modestes : la moyenne et la médiane des fondations d’Augustales près les collèges professionnels sont même inférieures à celles des fondations constituées auprès de ces mêmes collèges par les “plébéiens”. La seule différence réside dans les fondations que les membres de la catégorie D constituent auprès des organisations d’Augustales : ils sont les seuls à en constituer un nombre notable auprès de l’arca Augustalium (6 sur 17). Et les fondations qu’ils confient à ces arcae sont financièrement beaucoup plus importantes que celles qu’ils confient aux collèges professionnels : la moyenne de ces dernières est de 1 337 HS, et leur médiane de 1 000 HS ; la moyenne des autres est de 20 666 HS et leur médiane de 15 000 HS.
d) Entre les sénateurs et chevaliers d’une part, et les Augustales et les “plébéiens” d’autre part, les oligarques municipaux (catégorie C) peuvent sembler, quant aux collectivités auxquelles ils confient leurs fondations, occuper une place intermédiaire (voir tableau n°4) : 14 de leurs fondations sont en effet constituées auprès de la cité, et 12 auprès d’un collège. Cette impression de “juste milieu”, issue d’une utilisation immédiate des données quantitatives, est cependant sujette à discussion.
D’abord, plus que par leurs rapports avec les cités (qui s’expliquent sans difficulté), les catégories A et B se caractérisent par la distance qui, du point de vue des fondations, les sépare des collèges. Inversement, les catégories D et Eh se caractérisent avant tout par le fait qu’en général ils ne constituent pas de fondations auprès des cités. C’est par les points de rupture que la différence sociale se perçoit le mieux. Les oligarques municipaux, eux, ne sont pas ceux qui réunissent à la fois les caractéristiques des uns et des autres, mais bien plutôt ceux qui ne connaissent les points de rupture ni des uns ni des autres. C’est en cela qu’ils diffèrent à la fois des uns et des autres.
D’autre part, les liens de fondations qu’ils entretiennent avec les diverses autres collectivités ne sont pas de même nature que ceux qu’ils entretiennent avec la cité. Ils administrent la cité ; au moins pendant quelques années (jusqu’à ce qu’ils meurent), ils seront bien placés, siégeant parmi les décurions ou participant à la gestion des magistratures, pour veiller au sort de leur fondation. Le fait qu’assez souvent ils constituent des fondations auprès de collèges ne doit donc s’interpréter ni comme une méfiance consciente à l’égard des pouvoirs municipaux, ni comme l’expression d’une distance sociale par rapport à l’oligarchie municipale dont ils font partie. Aussi bien, la majorité des fondations d’oligarques municipaux épigraphiquement attestées sont-elles constituées auprès de la cité. Inversement, les fondations qu’ils constituent auprès des autres collectivités n’impliquent pas qu’existent des liens aussi étroits entre les collèges et eux. Dans une cité, les magistrats municipaux ont, en tant que tels, des rapports à établir avec les collèges, et le patronage qu’ils exercent sur certains de ces collèges fait partie de leur pratique politique la plus courante. Ce patronage n’empêche pas qu’ils puissent demeurer socialement fort distants des membres de ces collèges.
Cette dissymétrie de la position, apparemment moyenne, des oligarques municipaux s’exprime quantitativement. Lorsqu’un membre de la catégorie C institue deux fondations, l’une auprès de la cité et l’autre auprès d’un collège36, – ou lorsqu’il institue deux fondations auprès de la cité, mais l’une en faveur de tous les citoyens, et l’autre en faveur des Augustales37, la première est beaucoup plus importante que la seconde. À Fabrateria Vetus, un magistrat municipal, certes, donne 2 000 HS aux Iuvenes Herculani38. Mais cela ne révèle, de manière probante, ni les limites de ses possibilités financières, ni sa conception des fondations et de la distance sociale. En effet, un autre magistrat de la même cité, qualifié de omnibus muneribus rei publicae perfunctus39, et qui, lui aussi, a probablement vécu au IIIe siècle p.C., a institué deux fondations, l’une auprès de l’ordo decurionum et populus (de 25 000 HS), l’autre auprès des cultores antistes deae Cereris (de 4 000 HS seulement).
Le tableau n°9 indique séparément les moyennes et les médianes des fondations constituées par des oligarques municipaux auprès des cités (“Fondations C1”), et celles des fondations constituées par eux auprès d’autres collectivités (“Fondations C2”). Il montre bien l’énorme distance financière qui sépare les unes des autres (de 1 à 8 pour la moyenne ; de 1 à 5 pour la médiane).
Les “fondations C2” sont, pour l’importance des sommes, comparables à l’ensemble des fondations constituées par les membres des catégories D et Eh. En revanche, les “fondations C1” sont proportionnellement plus proches des fondations émanant de chevaliers que des fondations C2. Qui peut le plus peut le moins – mais l’inverse n’est pas vrai. Quelle qu’elle ait été la richesse des oligarques municipaux, il est pour l’instant impossible de retenir que leur position sociale ait été à égale distance des catégories A et B et des catégories D et Eh.
Il reste que les ordines decurionum n’étaient pas toujours socialement homogènes. Quand on considère les inscriptions de fondations, le phénomène est atténué, car les fondateurs, en général, ne devaient pas être les plus pauvres et les moins distingués de leur ordo decurionum. Et, du moment où ils décidaient de constituer une fondation, ils se pliaient de toute façon à un certain nombre d’usages et à une certaine échelle des sommes pratiquées.
Certaines inscriptions témoignent cependant, de la part d’oligarques municipaux, d’attitudes fortement plébéiennes. C’est le cas de ce quattuorvir de Vardagate, qui offre 400 HS aux vicani Iadatini pour que chaque année ils portent des roses sur sa tombe et sur celle de ses parents40. La somme est très faible ; la fondation n’est pas confiée à la cité ; et la prestation est réflexe (j’y reviendrai à propos de l’étude des prestations). Mais la très grande majorité des fondations constituées par des oligarques municipaux ont une tout autre coloration.
e) Ici encore, la catégorie Ef, celle des femmes qui n’appartiennent, en apparence, à aucune des quatre catégories (A, B, C, D) témoigne de très peu d’homogénéité (tableau n°6). Elles constituent presque autant de fondations auprès des cités qu’auprès des autres collectivités (5 contre 6). Elles sont en cela plus proches de la catégorie C que des catégories D et Eh ; et cela tient à ce que certaines d’entre elles sont sans aucun doute des femmes ou des filles d’oligarques municipaux ou peut-être même de chevaliers.
V.
“Et M. Sullius Verus a légué 400 HS aux Vicani Iadatini, pour que chaque année, avec le revenu de cet argent, ils fleurissent de roses sa tombe et celle de ses parents41.”
“Dans les domaines du corps des Augustales, que L. Laecanius Primitivus, qui est leur curateur perpétuel, leur a donnés pour qu’avec les revenus de ces domaines, chaque année, le jour de son anniversaire, le 11 avant les Kalendes de janvier (= 22 décembre), il y ait une distribution d’argent et qu’ils dînent ensemble42.”
“Statue offerte par le collège des centonarii à L. Coelius Valerius, sévir à Milan, à Calpurnia Optatilla, fille de Lucius, son épouse, et à ses enfants M. Aemilius Coelius Coelianus, décurion à Milan et à Novare, Lucilia Sabiniana, fille de Lucius, et M. Aemilius Coelius Catianus. Ayant accepté cette marque d’honneur, ils payèrent les frais, et donnèrent 2 000 HS pour l’entretien de la statue43.”
Ces formules montrent qu’une fondation suppose l’existence de trois personnes (ou groupes de personnes, ou collectivités) : le fondateur, qui offre le capital ; le fondé, qui reçoit la charge de gérer la fondation ; le bénéficiaire, auquel la prestation doit être fournie par le fondé. Il arrive que le bénéficiaire ne se confonde ni avec le fondateur ni avec le fondé. C’est le cas dans les fondations alimentaires privées, où les fondés sont les pouvoirs publics d’une cité, tandis que les bénéficiaires sont certains enfants de cette cité44. Mais il arrive aussi qu’un seul et même groupe soit à la fois le fondé et le bénéficiaire. Ainsi dans l’inscription CIL, X, 1880, ce sont les Augustales qui gèrent la fondation, et ce sont eux aussi qui chaque année reçoivent l’argent et absorbent le repas. Enfin, le fondateur et le bénéficiaire se confondent assez fréquemment. Ainsi, dans l’inscription CIL,V, 7450, c’est le fondateur qui, une fois mort, recevra, avec son père et sa mère, des roses sur sa tombe.
Les prestations que le fondé doit fournir au bénéficiaire sont très diverses. Dans trois cas, l’inscription ne les mentionnait pas45. Douze inscriptions qui les mentionnaient certainement sont trop corrompues pour qu’elles puissent être complètement identifiées46. Mais plus de 200 mentions de prestations restent identifiables (il est fréquent qu’une même fondation prévoie plusieurs prestations).
Il peut s’agir : d’organiser chaque année un ou plusieurs repas publics, soit le jour anniversaire du fondateur ou d’un de ses proches, soit à l’occasion de fêtes religieuses ou de l’anniversaire de l’Empereur ; ou d’assurer des distributions publiques en espèces ou en nature, le jour de l’anniversaire du fondateur ; ou d’entretenir un monument que le fondateur a offert au collège ou, plus fréquemment, à la cité ; ou d’entretenir la statue que le collège ou la cité a érigée en son honneur ; ou de fournir les thermes publics en huile ou en bois de chauffage ; ou d’assurer à tous l’entrée gratuite dans ces mêmes thermes ; ou de pourvoir au ravitaillement en blé de la cité ; ou de procéder chaque année, à dates fixes, à un ou plusieurs sacrifices religieux ; ou d’organiser des jeux de gladiateurs, chaque année ou tous les quatre ans ; ou de fournir une allocation à un certain nombre d’enfants de la cité (fondations alimentaires) ; ou d’acheter des couronnes pour la statue du fondateur ; ou d’entretenir le tombeau du fondateur, de l’orner de fleurs (roses, violettes) lors des fêtes des morts, d’y célébrer des sacrifices et des repas funéraires, d’y déposer des vivres et d’y procéder à des libations ; etc.
Chacune de ces prestations a son intérêt pour l’histoire des mœurs. Néanmoins, si l’on n’admet pas que les arbres cachent la forêt, il faut parvenir à les regrouper, en fonction de critères dont seuls les résultats de la recherche peuvent démontrer le bien-fondé.
Si par exemple on envisage les rapports du fondateur et du bénéficiaire, les prestations sont de deux sortes :
- celles qui sont fournies au fondateur lui-même et à ses proches, en sorte que le bénéficiaire et le fondateur ne font qu’une seule et même personne. Si la collectivité fondée a à garnir de roses la tombe du fondateur, la prestation matérielle coûteuse qui, sans la fondation, n’aurait pu être fournie, est fournie au fondateur lui-même (fût-ce à titre posthume). En ce cas, je dirai qu’il s’agit d’une prestation réflexe.
- celles qui sont fournies au fondé ou à ses proches, ou à des tierces personnes, en sorte que le bénéficiaire ne se confond pas avec le fondateur. Si le fondé a, chaque année, à organiser un repas public le jour anniversaire du fondateur, la prestation matérielle que fournit le fondé avec les intérêts des biens ou de l’argent offerts par le fondateur, ne bénéficie pas au fondateur, – mais par exemple à l’ensemble des citoyens de la cité. Le fait que le repas soit organisé le jour anniversaire du fondateur et en souvenir de lui ne change rien à l’affaire. En ce cas, je dirai que la prestation est non-réflexe.
À la catégorie des fondations réflexes appartiennent deux groupes d’inscriptions :
a) les 37 ou 38 inscriptions dans lesquelles les prestations prévues concernent le culte funéraire et l’entretien du tombeau du fondateur (ou de ses proches)47 ;
b) les 9 inscriptions qui prévoient l’entretien ou l’ornement de la statue du donateur48.
Dans 94 ou 95 inscriptions, il s’agit de fondations à prestations non-réflexes.
Notez que si l’entretien d’un monument public offert par le fondateur (thermes, route, etc.) est une prestation non-réflexe, l’entretien du tombeau et des bâtiments qui en font éventuellement partie est au contraire une prestation réflexe ; si un sacrifice public, organisé dans les lieux de culte de la cité, est une prestation non-réflexe, un sacrifice fait au tombeau lors des fêtes des morts ou au jour anniversaire du défunt est une prestation réflexe49 ; enfin, si un repas public fait en ville ou au siège d’un collège est une prestation non-réflexe, un repas funéraire, organisé près du tombeau et le plus souvent accompagné d’autres prestations cultuelles, est une prestation réflexe. Certes, ce ne sont pas le fondateur et ses proches qui mangent le repas, mais par exemple les membres du collège auquel il a demandé de s’occuper de son tombeau. Mais ce repas fait partie du culte funéraire matériellement rendu au fondateur50. En outre, il apparaît comme une façon de s’assurer que les membres de la collectivité fondée ne négligeront pas les autres prestations prévues par la fondation.
Les inscriptions qui prêtent à discussion sont très peu nombreuses. C’est le cas de CIL, V, 5272. Il y est question de deux fondations, constituées, à ce qu’il semble, par un certain Appius Eutychianus auprès de collèges de Côme. Les prestations consistent d’une part en actes religieux dont les bénéficiaires sont les proches du fondateur (ou des fondateurs), d’autre part en distributions d’argent et de vivres, dont bénéficient les membres des collèges auxquels sont confiées les deux fondations, enfin en un lectisterne devant une statue (qui est peut-être celle d’Appius Eutychianus). Cette inscription prévoit à la fois des prestations non-réflexes, des prestations réflexes de culte funéraire et des prestations réflexes relatives à une statue ; je l’ai donc comptée dans les trois catégories.
Dans le tableau n°10, les nombres de la 2e colonne (représentant le total des fondations connues pour chacune des sept catégories juridiques et sociales) sont souvent inférieurs à la somme de ceux des 3e, 4e, 5e et 6e colonnes. Cela est dû à ce que quelques fondations prévoient plusieurs prestations, qui ne sont pas nécessairement toutes réflexes ou toutes non-réflexes. Quatre inscriptions indiquent à la fois une ou des prestations non-réflexes et une ou des prestations de culte funéraire ; et les quatre fondateurs appartiennent aux catégories C, D, Eh, F51. Cinq inscriptions indiquent à la fois des prestations non-réflexes et des prestations réflexes relatives à l’entretien de statues ; trois des cinq fondateurs appartiennent à la catégorie D, un à la catégorie C et un à la catégorie F52.
Il faut évidemment tenir compte d’une marge d’erreur, mais qui ne peut être supérieure, pour chaque nombre, à 1 ou 2 unités, et ne compromet donc pas la validité des résultats obtenus.
Quel que soit l’usage le plus répandu, on comprend que certaines attitudes individuelles semblent aller contre cet usage, ou lui rester étrangères. La pratique de la fondation, si elle se moule dans des cadres sociaux, est aussi l’expression de l’affirmation personnelle du fondateur. Cette affirmation s’opère parfois contre les règles sociales, ou du moins par différence (consciente ou non) par rapport au degré zéro que représentent ces règles. L’usage comporte un faisceau plus ou moins large de variantes, entre lesquelles chacun peut choisir ; pour des raisons souvent difficiles à déterminer, il arrive que tel ou tel se situe aux extrêmes limites de ce faisceau. Le cas ressenti comme exceptionnel ne met donc nullement en cause l’existence de l’usage ou du faisceau d’usages. Il marque une distance singulière (mais non impossible) par rapport aux usages moyens – alors que les autres cas, singuliers mais moins exceptionnels, marquent des distances moins fortes et mieux acceptées (plus conformistes, ou plus conformes au rang de l’individu agissant) par rapport à ces mêmes usages moyens. En ce qui concerne la nature des prestations, nous verrons d’ailleurs que les cas manifestement exceptionnels sont très peu nombreux.
a) Mis à part les esclaves53 et les pérégrins54, des fondations non-réflexes sont constituées par des membres de toutes les catégories juridiques et sociales, et cela permet à certains de chanter l’esprit d’égalité qui aurait présidé, selon eux, à l’organisation de la société romaine. Néanmoins, que l’on considère l’ensemble des fondations connues ou les seules fondations à prestations non-réflexes, toutes les catégories sont loin d’être également représentées dans les inscriptions dont nous disposons. Les 4 ou 5 fondations constituées par des sénateurs sont proportionnellement plus nombreuses que les 11 fondations de chevaliers, car à une époque donnée, le nombre des chevaliers atteignait plusieurs milliers alors que le nombre de sénateurs ne dépassait pas 600. Les 11 fondations de chevaliers sont proportionnellement beaucoup plus nombreuses que les 25 fondations d’oligarques municipaux, car à une époque donnée, le nombre total des membres de sénats municipaux en Italie devait s’élever à 30 000 ou 35 000 hommes. Les 11 fondations de chevaliers et les 25 fondations d’oligarques municipaux sont proportionnellement beaucoup plus nombreuses que les 48 fondations de “plébéiens”, car les plébéiens adultes de sexe masculin, ingénus ou affranchis, doivent pouvoir se compter en millions, et non plus en dizaines de milliers.
À l’inverse, les fondations à prestations réflexes (où le fondateur, et éventuellement ses proches, sont aussi les bénéficiaires des prestations prévues) n’émanent pratiquement jamais de membres des ordres oligarchiques. Aucune des fondations connues de sénateurs et de chevaliers ne prévoit de prestations réflexes. Quatre seulement des 25 fondations connues d’oligarques municipaux en prévoient ; encore deux d’entre elles prévoient-elles aussi des prestations non-réflexes55. Seules les catégories D (Augustales et seviri Augustales)et Eh (“plébéiens”) pratiquent couramment les fondations réflexes. Huit fondations réflexes contre 13 fondations non-réflexes pour la catégorie D ; 23 ou 24 fondations réflexes contre 24 fondations non-réflexes pour la catégorie Eh. Il y a donc là une coupure extrêmement nette entre les ordres privilégiés et les plèbes.
b) Cette différence entre fondations réflexes et fondations non-réflexes apparaît comme d’autant plus significative qu’il est rare qu’une même fondation prévoie à la fois des prestations réflexes et des prestations non-réflexes. Des 95 inscriptions de fondations non-réflexes, 87 ne prévoient que des prestations non-réflexes ; 8 seulement prévoient aussi des prestations réflexes. Parmi les 37 ou 38 inscriptions à fondations réflexes de culte funéraire, 4 seulement prévoient aussi des prestations non-réflexes. Seules les prestations relatives à des statues s’accompagnent souvent de prestations non-réflexes (je montrerai que ce n’est pas surprenant) : dans 5 inscriptions sur 9.
Or il arrive souvent qu’une même fondation prévoie plusieurs prestations non-réflexes (dans l’ensemble des 95 inscriptions à fondations non-réflexes, on rencontre, sauf erreur, un total de 135 prestations), ou plusieurs prestations réflexes de culte funéraire (dans l’ensemble des 37 ou 38 inscriptions à fondations réflexes de ce type, on rencontre, sauf erreur, un total de 73 prestations). La différence entre prestations réflexes de culte funéraire et prestations non-réflexes n’était donc pas ressentie comme secondaire56.
c) On voit qu’il faut distinguer les prestations réflexes de culte funéraire des prestations réflexes relatives à l’entretien d’une statue. Dans les deux cas, la prestation coûteuse rendue possible par l’existence du capital de fondation est fournie au fondateur ou à ses proches. Mais la prestation n’est pas de même nature. Certes, pas même dans le cas du culte funéraire (entretien du tombeau, repas funéraires, achat de fleurs, dépôt de nourriture et de boissons sur la tombe, célébration des fêtes des morts) il n’y a parité entre le fondateur-bénéficiaire et les fondés. Le culte des morts était, on le sait, assuré dans les collèges funéraires et dans les collèges professionnels, moyennant la cotisation que les membres du collège devaient verser. Par rapport au culte rendu par ces collèges, la constitution d’une fondation ne peut se comprendre que comme un écart par rapport au sort commun, qui assure au fondateur un supplément de culte proportionnel au montant du capital de fondation57. Néanmoins la fondation de culte funéraire, en même temps que l’existence d’une inégalité entre le fondateur et les fondés, implique une certaine pratique de la réciprocité ; “je te donne de l’argent et tu entretiendras mon tombeau”. En outre, elle vise à assurer au fondateur un service auquel tous les êtres humains ont également droit. La seule différence est quantitative : ce service lui sera assuré plus complètement et mieux qu’aux autres.
Les prestations relatives à l’entretien d’une statue reposent, elles aussi, sur l’inégalité, et impliquent, elles aussi, la réciprocité. Mais le service qui est fourni ne correspond plus à un besoin reconnu valable pour tous. Il est une marque d’honneur, rendue à quelqu’un qui a mérité (peu importe de quelle façon) de recevoir une statue, et qui se distingue ainsi, très clairement, de ceux qui l’entourent.
Avec les prestations non-réflexes, la coupure est encore plus forte : désormais, il n’y a plus réciprocité. Le fondateur donne, et les autres reçoivent. Saisit-on, avec cette coupure-là, une différence majeure d’attitudes, caractéristique de la distance qui sépare deux (ou plusieurs) classes sociales ?
Revenons aux fondations réflexes relatives à l’entretien d’une statue : les catégories juridiques et sociales des fondateurs qui les constituent confirment ce que je viens de dire. Sur 9 fondateurs, 5 sont Augustales58, et un est oligarque municipal59. Un autre est un “plébéien”, mais son fils est augure à Pesaro et patron du collège professionnel auprès duquel il constitue, semble-t-il, la fondation60. Ces fondations pour l’entretien d’une statue, sauf exception, sont donc l’expression d’une hiérarchie, mais extérieure aux ordres privilégiés : elles témoignent de la supériorité de certains plébéiens sur le reste des plébéiens, ou des Augustales sur les plèbes proprement dites61.
d) En conséquence, certaines fondations apparaissent, par rapport à l’usage le plus répandu, socialement peu brillantes, peu “reluisantes” (quelque importants que soient par ailleurs les capitaux que leur ont consacrés les fondateurs). Ainsi, A. Quinctilius Priscus, quattuorvir quinquennal et pontife à Ferentinum, est le seul magistrat municipal à demander l’ornement de sa statue et de ses imagines (il organise en outre, comme plusieurs autres magistrats municipaux, des distributions en nature en faveur de ses concitoyens)59.
La fondation réflexe de culte funéraire constituée auprès des décurions de Crotone par le duumvir C. Futius Onirus surprend encore davantage. Le texte dit : “À Futia Lolliana, fille de Caius, sa fille pleine de piété, C. Futius Onirus, duumvir pour la seconde fois. Il a donné aux décurions 10 000 HS pour qu’avec les intérêts de cet argent, chaque année, le jour anniversaire de ma fille, le 7 avant les ides d’avril (= 7 avril), vous vous réunissiez et mangiez ensemble pour une somme de 400 HS, – et que vous répandiez dans sa tombe, pour une somme de 200 HS, des vivres et des boissons. N’utilisez pas cet argent à autre chose. L’emplacement du tombeau a été donné par décret des décurions63.
e) La catégorie D (Augustales et seviri Augustales) occupe une place ambiguë. Les fondateurs de cette catégorie ne consacrent pas à leurs fondations des sommes plus importantes que ceux de la catégorie Eh (“plébéiens”). Cela ne signifie pas cependant qu’ils n’aient pas eu plus de possibilités financières que la moyenne des plébéiens, car la catégorie D ne se confond pas avec la moyenne des plébéiens. Ils pratiquent les fondations réflexes comme la catégorie Eh, mais plus souvent pour l’entretien d’une statue. Ils pratiquent les fondations non-réflexes un peu plus fréquemment que la catégorie Eh : 13 fondations non-réflexes sur 21, contre 24 sur 48 pour la catégorie Eh. Mais, en général, ils les constituent auprès de collèges professionnels ou autres (comme les membres de la catégorie Eh), et non auprès des cités (comme le font le plus fréquemment, et surtout pour leurs fondations les plus importantes, les oligarques municipaux). Ou bien ils les constituent près les organisations d’Augustales et de seviri Augustales ; est-ce une manière d’échapper à la place ambiguë qu’ils occupent, en se repliant sur leur propre catégorie ?
Si les spécifications de la catégorie Ef apparaissent, elles aussi, comme contradictoires, ce n’est pas, je l’ai dit, qu’elle ait une place sociale ambiguë ; c’est qu’elle est hétérogène. Le tableau n°11 met en évidence combien, malgré le petit nombre des inscriptions disponibles, les différences sont nettes. Les fondations confiées aux cités sont financièrement les plus importantes, et elles sont non-réflexes64. Les fondations confiées aux autres collectivités (collèges etc.) sont financièrement les moins importantes, et elles sont réflexes65. L’inscription CIL, VI, 10234 concerne une fondation non-réflexe confiée à un collège funéraire ; mais à Rome aucune fondation ne peut être confiée auprès de la cité. Quant à la fondation de Iunia Libertas, qui est constituée près la cité d’Ostie, elle ne jouera que si les affranchis de Iunia, qui doivent en premier lieu fournir la prestation, font défaut66. Je gagerais que la fondation confiée par Minatia à la cité de Venosa prévoyait une ou plusieurs prestations non-réflexes67.
Il est impossible, dans chaque cas individuel, de savoir de manière sûre à quelle catégorie juridique et sociale appartenaient les maris, les pères, les frères ou les fils de ces fondatrices. Néanmoins, les quatre premières fondations du tableau n°11 et la dernière68 ont beaucoup plus de chances que les autres d’émaner de femmes de la catégorie C (oligarques municipaux) ou même de la catégorie B (chevaliers). Mais l’inscription de Rome est à considérer à part, puisqu’il n’y a pas à Rome d’oligarchie municipale, et que pour cette raison, on doit y rencontrer des “plébéiens” plus riches et plus prestigieux qu’ailleurs en Italie.
g) La catégorie Eh (c’est-à-dire tous les fondateurs de sexe masculin qui ne sont qualifiés, d’une manière ou d’une autre, ni de sénateurs, ni de chevaliers, ni d’oligarques municipaux, ni d’Augustales ou de seviri Augustales)constitue autant de fondations à prestations non-réflexes que de fondations à prestations réflexes. Superficiellement les fondations constituées par les “plébéiens” porteraient donc à penser qu’il n’y a pas de clivage social entre les unes et les autres. C’est l’absence presque totale de fondations réflexes constituées par les membres des catégories A, B et C qui a montré qu’il n’en est pas ainsi.
Un examen plus minutieux des fondations de la catégorie Eh montre cependant qu’à l’intérieur même de cette catégorie les différences entre prestations réflexes et prestations non-réflexes et entre prestations réflexes de culte funéraire et prestations réflexes relatives à des statues conservent toute leur signification. En effet :
1) les capitaux de fondation sont beaucoup plus importants lorsque les prestations prévues sont non-réflexes. La moyenne et la médiane des fondations réflexes de culte funéraire de catégorie Eh sont respectivement de 2 169 et 1 600 HS. La moyenne et la médiane des fondations non-réflexes de cette même catégorie sont de 40 046 et 8 000 HS. La différence, extrêmement nette, peut tenir tant à la nature des prestations prévues et au nombre des bénéficiaires qu’à la richesse des fondateurs. La nature des prestations et le nombre des bénéficiaires sont d’ailleurs eux-mêmes en rapport avec la richesse des fondateurs ;
2) toutes les fondations de catégorie Eh confiées à des cités sont non-réflexes69. À l’inverse, les fondations de catégorie Eh confiées à d’autres collectivités, qui sont de beaucoup les plus nombreuses70, sont tantôt réflexes et tantôt non-réflexes ;
3) les affranchis impériaux et les affranchis des membres de la famille impériale qui constituent des fondations prévoient tous des prestations non-réflexes71 ;
4) la qualification sociale des “plébéiens” constituant des fondations non-réflexes est beaucoup plus souvent précisée que celle des autres fondateurs “plébéiens”. Huit seulement des 23 ou 24 fondations réflexes de catégorie Eh indiquent le métier du fondateur72, son appartenance à l’armée73, ou son appartenance à un collège professionnel74. À l’inverse, 16 des 24 inscriptions de fondations non-réflexes qualifient socialement le fondateur, soit par son métier, soit par son appartenance à l’armée ou à un collège dans lequel il remplit une charge, soit par sa qualité d’affranchi impérial ou de père de chevalier75. Le seul esclave fondateur connu en Italie, Druinus, dont la fondation ne s’élève, semble-t-il, qu’à 200 HS, précise qu’il est esclave de M. Nonius Arrius Mucianus, clarissimus vir (consul en 201 p.C.) et qu’il est actor praediorum Tublinatium22.
L’idée oligarchique véhiculée par les ordres privilégiés est donc sensible à plusieurs niveaux :
a) Le principe même des fondations est oligarchique. L’existence d’un fondateur (qui donne ou lègue) et d’un fondé (qui reçoit, à charge de fournir des prestations) implique une relation à sens unique, incompatible avec une situation de parité. En outre, la fondation, telle que je l’ai délimitée et définie, met face à face un fondateur individuel et un fondé collectif (cité, collège professionnel ou religieux, etc.). Elle reproduit donc la confrontation, fondamentale dans la société romaine, entre les membres des grandes familles et la collectivité, – qu’il s’agisse, à l’époque républicaine, de la cité romaine, ou par la suite, des diverses cités de l’Empire. Même les fondations réflexes de culte funéraire (qui ne sont d’ailleurs pas le moyen le plus fréquent d’assurer le culte des morts) témoignent de la supériorité financière et sociale des fondateurs, qui appartiennent le plus souvent aux catégories D ou Eh, sur le reste des plèbes.
b) La constitution de fondations réflexes relatives à des statues marque plus nettement encore l’instauration d’un rapport oligarchique de clientèle et d’évergétisme entre certains éléments issus des plèbes (par exemple les Augustales et seviri Augustales) et le reste des plèbes.
c) Enfin, à côté des fondations réflexes de culte funéraire, qui, à défaut de parité, supposent la réciprocité et concernent des besoins ressentis par tous, les “plébéiens” de la catégorie Eh constituent, à l’imitation des ordres privilégiés (auxquels certains d’entre eux, les affranchis par exemple, sont d’ailleurs liés par des liens juridiques et sociaux de dépendance), des fondations à prestations non-réflexes. Ces fondations non-réflexes témoignent de l’existence, notamment à l’intérieur des collèges où se regroupent les plèbes, de hiérarchies et de liens de dépendance et de patronat, – analogues à ceux qui unissent les membres des ordres privilégiés aux cités et aux autres collectivités.
VI.
Que les prestations prévues soient réflexes ou non-réflexes, le fondateur est le plus souvent de sexe masculin. Une quinzaine d’inscriptions sont trop lacunaires pour que le sexe du fondateur soit connu de manière certaine. Dans les autres on trouve, sauf erreur : 104 fondations constituées par un homme ; 18 fondations constituées par une femme ; 6 fondations constituées à la fois par un homme et une femme (en général le mari et la femme). Néanmoins le rapport du fondateur (ou de la fondatrice) à l’égard de son épouse (ou de son époux) et de sa famille n’est pas le même dans le cas de fondations réflexes de culte funéraire et dans le cas de fondations non-réflexes :
a) Quand la fondation est réflexe et concerne le culte funéraire, le fondateur s’associe assez souvent, soit dans la constitution de la fondation, soit au moins dans le culte funéraire auquel il aspire, des membres très proches de sa famille, par exemple sa femme et ses enfants. Inversement, il arrive aussi que la femme constituant une fondation réflexe n’associe personne ni à la constitution de la fondation ni aux prestations qu’elle demande pour elle. C’est le cas dans 2 des 6 fondations réflexes de culte funéraire constituées par une femme76 et dans l’unique fondation réflexe relative à une statue constituée par une femme77.
b) Quand la fondation est non-réflexe, les sentiments conjugaux et familiaux apparaissent moins, et c’est la fierté gentilice qui l’emporte : le fondateur est un citoyen (souvent un oligarque) face à la cité ou au collège. Dans 56 cas sur 69, l’homme qui constitue une fondation non-réflexe ne fait allusion à aucun autre membre de sa famille (dans les inscriptions de fondations réflexes, cela n’arrive, sauf erreur, que 16 fois sur 33). Et s’il s’associe quelqu’un dans le souvenir qu’il souhaite perpétuer de lui-même, c’est plus souvent son fils seul que sa femme seule, sa fille seule ou le couple de ses parents78. Trois des six fondateurs qui s’associent leur fils seul appartiennent à la catégorie C79. Deux autres sont des plébéiens, à ce qu’il semble, mais leurs fils sont des chevaliers80. Le 6e pourrait bien, lui aussi, être un oligarque municipal81. La valorisation du fils ressortit à l’idée gentilice et oligarchique.
Dans certains cas, où l’on connaît par ailleurs l’attachement du fondateur pour sa femme (ou pour ses enfants, ou pour ses parents), le fait que l’inscription ne fasse aucune référence à ces proches est particulièrement caractéristique de ce qu’était l’usage social. C’est le cas de Pline le Jeune82. C’est aussi celui de M’ Meconius Leo, magistrat municipal à Petelia, qui a fait don de 200 000 sesterces pour les tombeaux de sa femme et de sa mère, mais ne les associe en aucune manière aux deux fondations non-réflexes qu’il constitue83.
Au contraire, dans les 17 fondations à prestations réflexes où le fondateur s’associe un ou plusieurs de ses proches, il s’agit : 5 fois de l’épouse seule ou de l’épouse accompagnée des beaux-parents84 ; 4 fois de l’épouse accompagnée du fils85 ; 2 fois du père du fondateur seul86 ; 2 fois des parents du fondateur87 ; et une seule fois du fils seul, dans une fondation réflexe pour l’entretien d’une statue60.
c) Dix femmes constituent des fondations non-réflexes. L’inscription CIL, IX, 4971 est lacunaire. Dans 8 des 9 autres inscriptions, il est fait mention soit du mari de la fondatrice88, soit plus rarement de son fils89 ou de ses parents27. Il arrive souvent que la fondatrice associe son mari ou son fils à la commémoration, ou même à la constitution de la fondation. Une seule inscription de fondation non-réflexe ne mentionne aucun proche de la fondatrice (bien qu’on sache par ailleurs que le mari, l’Augustalis Ti. Baebius Gemellinus, a fait dresser la pierre tombale). Il s’agit d’une femme d’Augustalis, elle-même sacerdos divae Marcianae, et la fondation, confiée à des collèges professionnels, est une des seules qui prévoient à la fois une prestation non-réflexe et une prestation réflexe29.
VII.
On sait quelles difficultés présente la datation des inscriptions funéraires. Les inscriptions de fondations, souvent longues et circonstanciées, ne sont pourtant pas, de ce point de vue, mal loties. Un bon cinquième d’entre elles, c’est-à-dire une trentaine d’inscriptions, peuvent se dater de manière sûre au demi-siècle près, ou parfois même plus précisément. Dix inscriptions portent en effet la date consulaire90 ; d’autres mentionnent le nom d’un personnage connu par ailleurs, ou celui de l’Empereur régnant. Le tableau n°12 réunit les inscriptions de fondations que l’on peut dater de manière sûre et en analyse les caractères.
Par ailleurs, en s’appuyant sur la manière dont étaient écrits les chiffres, dont était abrégé le mot sesterce, etc., R. Duncan-Jones est parvenu à dater une bonne vingtaine d’inscriptions, mais moins précisément91. Il s’agit là de résultats assez probables, mais non certains, que présente le tableau n°13.
En tout, un tiers des inscriptions disponibles est donc datable.
Je rappelle, pour faciliter la consultation des tableaux n°12 et n°13 :
- que certaines inscriptions lacunaires ne permettent pas de savoir si les prestations prévues étaient ou non réflexes, ni quelle était l’insertion juridique et sociale du fondateur ;
- que je n’ai rangé les patrons de cités dans aucune des cinq catégories A, B, C, D, Eh, lorsque rien n’indiquait par ailleurs leur insertion juridique et sociale ;
- que certaines inscriptions concernent plusieurs fondations, constituées par des fondateurs différents ;
- que certaines fondations prévoient à la fois des prestations réflexes et des prestations non-réflexes.
Que conclure de ces tableaux n°12 et 13 ?
a) L’idée selon laquelle les fondations ne se seraient répandues en Italie romaine qu’à partir du Ier siècle p.C. n’est pas soutenable.
b) Dans les deux tableaux, cinq inscriptions sur six concernent des fondations à prestations non-réflexes. Même compte tenu de la prédominance numérique des fondations non-réflexes, c’est là une proportion très forte. Elle tient partiellement à ce que les fondations non-réflexes sont souvent présentées dans des inscriptions plus longues, plus soignées, et donc souvent plus faciles à dater. En outre, les fondations non-réflexes émanent beaucoup plus souvent de membres des ordres privilégiés ; il est donc moins rare que l’Empereur régnant (ou l’un de ses prédécesseurs immédiats) y soit nommé, par exemple à propos de la carrière du fondateur, ou que le fondateur ou l’un de ses proches soit connu par ailleurs.
Les deux tableaux porteraient à penser que les fondations réflexes sont apparues après les fondations non-réflexes. Il serait cependant abusif de l’affirmer, vu le très petit nombre des fondations réflexes datables.
c) Le tableau n°13 ne présente, pour le IIe siècle p.C., qu’une seule fondation. Mais ce phénomène me semble en rapport avec les critères adoptés par R. Duncan-Jones : quelques-unes des fondations qu’il attribue au IIe siècle ou au IIIe siècle p.C. doivent en fait être antérieures à 200 p.C.
Le tableau n°12 suggérerait que le nombre des fondations non-réflexes nouvellement constituées diminue fortement au IIIe siècle p.C. Ce n’est pas impossible, quoique le tableau n°13 porte à une conclusion inverse. On voit qu’il est difficile de discerner une évolution nette entre le Ier siècle p.C. et le IIIe siècle p.C. – soit qu’il n’y en ait pas eu, soit que les inscriptions datables soient insuffisamment représentatives.
C’est un peu le cas aussi pour l’insertion juridique et sociale des fondateurs. Cependant, le tableau n° 14 pourrait indiquer, pour le IIe siècle p.C., un plus grand nombre de fondateurs des catégories D et Eh (c’est-à-dire de fondateurs n’appartenant pas aux ordres privilégiés). Je n’ai pas tenu compte de la catégorie Ef (femmes n’appartenant, en apparence, à aucune des quatre catégories A, B, C et D), dont j’ai précédemment montré l’hétérogénéité.
d) Enfin, les médianes et moyennes des fondations non-réflexes datables (j’ai volontairement laissé de côté les fondations réflexes datables, trop peu nombreuses), telles que les indique, pour chaque siècle, le tableau n°15, laissent percevoir un sensible fléchissement financier du Ier siècle p.C. au IIIe siècle p.C. Les nombres écrits entre parenthèses sont la moyenne ou la médiane des montants de deux fondations seulement – ou même ils sont égaux au montant d’une seule fondation. Ils sont donc peu dignes de foi. C’est sur les autres qu’il faut tabler. Au IIe siècle p.C., alors que les moyennes se maintiennent bien, les médianes fléchissent fortement. C’est dû au nombre croissant de petites fondations non-réflexes – qui n’exclut pas la constitution de nouvelles grosses fondations, telles que celles dont parlent les inscriptions CIL, V, 5262, X, 6328 et XIV, 4450. Au IIIe siècle p.C., la constitution de grosses fondations se fait rare en Italie, et il s’ensuit une très forte chute des moyennes. Le montant des fondations datées par R. Duncan-Jones du IIe siècle ou du IIIe siècle p.C. (voir la dernière colonne des tableaux n° 14 et 15) conduirait à les attribuer au IIe siècle p.C. plutôt qu’au IIIe siècle p.C.
De toute façon, quelle que soit l’importance financière des fondations du Ier siècle p.C. et de celles du IIIe siècle p.C., la signification sociale des fondations (en fonction de l’insertion juridique et sociale du fondateur, de la nature de la collectivité qui reçoit la fondation, de celle des prestations prévues) demeure, dans ses grandes lignes, la même du Ier au IIIe siècle p.C. L’examen des inscriptions datables (un tiers environ du total disponible) corrobore à ce sujet ce que le reste de l’article laissait présager93.
VIII.
Il me semble souhaitable qu’une approche géographique des inscriptions de fondations d’Italie s’appuie sur le découpage fourni par les onze régions augustéennes. Il ne se justifierait pas en effet d’étudier cité par cité un phénomène qui n’est attesté que par 150 inscriptions (alors qu’il y avait 430 cités en Italie) ; et tout autre découpage de l’Italie serait encore plus arbitraire que celui des régions augustéennes.
Le tableau n°16 montre que le nombre des fondations épigraphiquement attestées varie énormément d’une région à l’autre. On en trouve beaucoup dans les régions I, VI, X et XI, – respectivement 31, 20, 29 et 17 inscriptions, soit à elles quatre 97 inscriptions, près des deux tiers de l’ensemble des inscriptions de fondations connues. On en trouve très peu dans les régions II, III, IV, V, VIII et IX, – respectivement 5, 5, 4, 6, 6 et 4, soit à elles six 30 inscriptions, à peine plus d’un cinquième de l’ensemble.
Notez que ces régions pauvres en inscriptions de fondations ne sont pas toutes concentrées dans une même partie de la péninsule italienne. Si les régions II, III, et IV sont dans le sud de la péninsule, ce n’est pas le cas des régions VIII et IX.
Ces nombres, toutefois, ne présentent qu’un intérêt limité si on ne les met pas en rapport avec d’autres données. La superficie des régions est approximativement connue, mais elle présente peu d’intérêt si on ignore la population de chaque région et ses spécificités économiques et sociales. La population des régions n’est pas connue. On sait en revanche de combien de cités chaque région était composée, et donc quelle était la superficie moyenne de de ces cités. La confrontation des divers volumes du CIL permet d’autre part de comparer le nombre des inscriptions trouvées dans les diverses régions94. Mais ces données sont très délicates à utiliser. Le nombre des inscriptions trouvées dans une région, s’il n’est pas déterminé par la manière dont, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la recherche épigraphique y a été menée, peut être en rapport avec la densité de la population et avec la prospérité ambiante (et surtout avec celle des plèbes – car la majeure partie des inscriptions est constituée par des inscriptions funéraires de plébéiens) ; mais il peut aussi être fonction du degré d’autonomie sociale de ces plèbes – de la manière dont elles sont ou non intégrées au mode de vie “urbain” dont l’épigraphie funéraire est une des manifestations, soit dans le cadre de la cité, soit au sein de groupements tels que les collèges. Il peut encore témoigner de l’intensité de la vie politique municipale et des rivalités entre familles pour la conquête du pouvoir municipal95. En l’absence d’une réflexion approfondie sur ces aspects de l’utilisation des sources épigraphiques, une extrême prudence s’impose donc.
Plutôt que de faire intervenir des variables de portée aussi discutable, je préfère centrer l’approche régionale sur les clivages que j’ai jusqu’ici tenus pour importants : le clivage entre fondations non-réflexes et fondations réflexes (surtout celles de culte funéraire) ; et le clivage entre fondations confiées aux cités et fondations confiées aux autres collectivités (collèges, etc.). Le montant du capital de fondation et l’insertion juridico-sociale du fondateur sont aussi à considérer, en relation avec ces deux clivages.
Les 37 ou 38 fondations réflexes de culte funéraire sont presque toutes confiées à des collèges (professionnels, religieux, de Juvenes, etc.), à des pagi ou à des vici, ou encore à des organisations d’Augustales. Trois d’entre elles seulement sont confiées à des cités96. Quant aux fondations non-réflexes, 51 d’entre elles (attestées par 53 inscriptions) sont confiées à des cités (ou à des ordines decurionum)97. Et 34 au moins de ces fondations non-réflexes sont confiées à des collectivités autres (vici et pagi ; collèges ; etc.)98. On voit sur le tableau n°17 la répartition géographique :
- des fondations non-réflexes confiées aux cités (1e colonne) ;
- des fondations non-réflexes confiées aux collectivités autres que les cités (vici et pagi ; collèges ; etc.) (2e colonne) ;
- des fondations réflexes de culte funéraire confiées aux collectivités autres que les cités (3e colonne)99.
Il indique en outre le pourcentage de chacun des nombres obtenus par rapport à l’ensemble des fondations de la catégorie considérée. Je souligne le nombre et le pourcentage chaque fois que ce dernier dépasse 10 % des fondations de la catégorie considérée.
Malgré le nombre réduit des données disponibles, je remarquerais :
a) que les régions II, III, IV, V, VIII, IX, présentent des nombres très bas pour les 3 catégories. Ce phénomène serait à étudier en fonction d’autres caractéristiques de ces six régions. Notons que dans trois de ces six régions (les régions III, VIII et IX, c’est-à-dire la Lucanie-Bruttium, l’Émilie et la Ligurie) le nombre des cités est faible par rapport à la superficie de la région, et que le nombre de base des inscriptions trouvées y est également faible par rapport à la superficie et au nombre des cités. Mais le nombre des cités est beaucoup plus élevé dans les régions II, IV et V (Apulie, Samnium et Picenum), et le nombre des inscriptions trouvées est assez fort dans les régions IV et V100.
Le petit nombre des fondations réflexes et non-réflexes dans ces régions est-il à expliquer par leur “pauvreté” ? Mais l’existence des fondations (dont certaines, à prestations non-réflexes, prévoient par exemple la distribution de blé ou d’argent à l’ensemble de la population) est-elle un signe de la prospérité de cette population, comme certains l’ont prétendu, ou au contraire, comme d’autres l’écrivent, une preuve de son indigence ? Ou bien révèle-t-elle la richesse d’une minorité, et la pauvreté du reste de la population ? Ou n’a-t-elle rien à voir avec l’évaluation quantitative de la prospérité économique, et est-elle davantage en rapport avec certains traits de l’organisation sociale, ou avec les exigences de la vie politique municipale ?
b) Les fondations non-réflexes, qu’elles soient constituées auprès des cités ou auprès des autres types de collectivités, sont les plus nombreuses dans les régions I et VI (Latium-Campanie et Ombrie), régions qui, à l’inverse, ne présentent pas beaucoup de fondations réflexes de culte funéraire. À Ostie, les fondations non-réflexes sont surtout constituées auprès de collectivités autres que la cité ; à Rome, exclusivement. À ces régions, il faut ajouter le sud de la région VII, l’Étrurie méridionale, proche de Rome et des régions I et VI, où les fondations non-réflexes sont également assez nombreuses.
Comme le montrent les cartes 1 et 2, l’abondance des fondations dans ces régions I et VI est partiellement due au nombre élevé des fondations non-réflexes qui y ont été constituées par des membres des catégories A et B (sénateurs et chevaliers). Onze des seize fondations connues émanant de membres de ces catégories ont été constituées dans l’une de ces deux régions101.
Les membres des catégories D et Eh constituent un nombre notable de fondations à Rome, à Ostie et dans le reste de la région I, mais pas dans la région VI.
Des fondations non-réflexes émanant de membres de la catégorie C sont attestées dans toutes les régions de l’Italie. Il y en a 4 dans la région I et 4 dans la région VI – chiffres notables, mais qui ne suffisent pas à expliquer l’abondance des fondations non-réflexes dans ces régions.
Les fondations non-réflexes confiées aux cités sont globalement beaucoup plus nombreuses que les fondations non-réflexes confiées aux collectivités autres (51 contre 34). Dans toutes les régions, elles sont plus nombreuses – à trois exceptions près : Rome (où aucune fondation n’est constituée “auprès de la cité”) ; Ostie (où les collèges professionnels, religieux, etc. sont nombreux et jouent probablement un rôle plus important qu’ailleurs) ; et la région X (Vénétie). Des fondations constituées auprès de collèges ou de temples y sont attestées à Opitergium, à Padoue, à Brescia et à Concordia102 ; 4 sont attestées à Brescia. La Vénétie est aussi une des régions où la densité des cités (par rapport à la superficie) est la plus basse.
On pourrait donc expliquer l’abondance des fondations non-réflexes constituées auprès de collèges par une importance moindre des centres citadins et de la vie politique municipale. Mais dans les régions III et XI, où la superficie moyenne des cités est également très forte, le nombre de ces fondations non-réflexes qui ne sont pas confiées aux cités est plutôt bas : une seule dans la région XI, et deux dans la région III.
c) Les fondations réflexes de culte funéraire, presque toujours confiées à des collectivités autres que les cités, ne sont attestées dans la partie Sud de l’Italie (régions I, II, III, IV) que par une fondation de Crotone, constituée auprès de la cité103. On en trouve un petit nombre dans les régions V, VI, VII, VIII, IX, et à Rome et Ostie. Mais les deux régions où ces fondations de culte funéraire sont les plus nombreuses sont, et de très loin, la Vénétie et la Transpadane (régions X et XI) : 60 % de toutes les fondations réflexes de culte funéraire, et 65 % de celles qui ont été confiées à des collectivités autres que les cités proviennent de ces régions104. Ce sont aussi les seules régions où les fondations réflexes de culte funéraire sont plus nombreuses que les fondations non-réflexes : y sont attestées 22 fondations réflexes de culte funéraire (et 4 fondations réflexes relatives à des statues) contre 19 fondations non-réflexes.
Du point de vue de la nature des fondations constituées et des collectivités auxquelles elles sont confiées, les régions X et XI sont donc (comme les régions I et VI, mais de façon différente) très spécifiques. Comment expliquer cette abondance de fondations réflexes, surtout en rapport avec le culte des morts ? Suffit-il d’invoquer des traditions culturelles, de supposer que le culte funéraire avait plus d’importance pour les populations de ces régions que pour celles des autres régions de l’Italie ? Je ne le crois pas. Est-il démontré que ces régions, très étendues (elles correspondent en gros au Piémont, à la Lombardie, aux Vénéties et à l’Istrie actuelles), formaient, à l’époque impériale, une unité culturelle ? Des fondations réflexes de culte funéraire sont d’ailleurs attestées (bien qu’en nombre bien moindre) dans quelques-unes des autres régions de l’Italie. Enfin la fondation n’est qu’une façon parmi d’autres d’assurer le culte des morts ; les collèges dits funéraires et beaucoup de collèges professionnels, on le sait, s’occupaient eux aussi d’assurer à leurs membres un culte funéraire. Et j’ai dit plus haut que le culte assuré par fondation n’avait pas la même signification sociale que le culte résultant de cotisations à l’intérieur des collèges.
Quant à l’insertion juridique et sociale des fondateurs, la région XI, et surtout la région X, si on les compare aux régions II, III, IV, VI et I (sauf Ostie), se distinguent par le relatif effacement des membres de la catégorie C, et par une abondance notable des fondateurs de catégories D et Eh. Le phénomène s’observe non seulement dans le cas des fondations réflexes, mais encore dans celui des fondations non-réflexes (voir tableau n°18). Cette relative abondance des Augustales et “plébéiens” parmi les fondateurs est-elle due à l’abondance, dans ces régions X et XI, des fondations réflexes de culte funéraire ? Ou bien, à l’inverse, l’abondance des fondations réflexes dans ces régions ne pourrait-elle pas avoir pour cause un certain recrutement (plébéien) des éventuels fondateurs ? J’ai montré en effet que les fondations réflexes de culte funéraire n’étaient qu’exceptionnellement constituées par des membres des ordres oligarchiques (c’est-à-dire des catégories A, B et C)105.
d) Dans les documents qui nous sont parvenus, les sénateurs et chevaliers ne constituent de fondations que dans les régions I et VI, – et accessoirement dans certaines régions du Nord de l’Italie. Cela signifie-t-il que tous leurs biens soient concentrés dans ces régions ? Il faut certainement répondre par la négative. Est-ce en rapport avec l’organisation de la production qui, en se différenciant de zone en zone, détermine une répartition différente de la population, un rapport différent entre les cités et les autres types de collectivités (vici ou pagi, collèges professionnels ou religieux, etc.), une place différente des oligarchies municipales et des élites “plébéiennes” (celles qui constituent les catégories Eh et D et une partie de la catégorie Ef – car les fondateurs de ces catégories représentent certainement, je l’ai dit, des groupes plus riches et plus prestigieux que le reste des plèbes) ? Dans quelles régions les esclaves (qui sont, à une exception près, les grands absents des fondations, aussi bien comme fondateurs que comme bénéficiaires) sont-ils les plus nombreux par rapport à l’ensemble de la population, celles où les fondations attestées sont nombreuses, ou au contraire celles où elles sont rares ?
e) À en juger par les fondations non-réflexes datables, la répartition géographique des fondations ne varie guère entre le Ier et le IIIe siècle p.C.106. Parmi les inscriptions de fondations non-réflexes mentionnées au tableau n°12, (et dont la datation est donc certaine), six de celles du Ier siècle appartiennent aux régions I et VI, et quatre autres à d’autres régions (III, VII, VIII, XI) ; douze de celles du IIe siècle p.C. appartiennent aux régions I et VI, contre six à d’autres régions (II, III, VII, IX, XI). La seule inscription datée du IIIe siècle appartient à la région I. Quant aux deux inscriptions de la fin du Ier siècle ou du début du IIe siècle p.C., et à celle de la fin du IIe siècle ou du début du IIIe siècle p.C., elles appartiennent respectivement aux régions V, VII et X. Les régions I et VI, en ce qui concerne les fondations non-réflexes de ce tableau n°12, dominent donc nettement, tant pour le Ier s. que pour le IIe siècle p.C. La seule évolution discernable serait le nombre beaucoup plus important des fondations de Rome et d’Ostie datées du IIe siècle p.C. (aucune fondation de Rome ou d’Ostie n’est de manière certaine datée du Ier siècle p.C. ; sept le sont du IIe siècle, deux de Rome et cinq d’Ostie).
Les résultats du tableau n°13, quoiqu’ils soient davantage sujets à caution, confirment, du point de vue de la répartition géographique des fondations, ceux du tableau n°12. Deux des 5 fondations datées du Ier siècle p.C. sont de la région I (les trois autres sont des régions VIII et X). La seule inscription datée du IIe siècle sur ce tableau n°13 est de la région VI. Trois des 5 inscriptions datées du IIIe siècle p.C. sont de la région I (les deux autres sont des régions IV et VIII). Enfin 4 des 8 inscriptions datées du IIe siècle ou du IIIe siècle p.C. sont des régions I et VI – une de la région I, trois de la région VI – (les quatre autres sont des régions III, V, et X). Quoiqu’on soit contraint de raisonner sur un nombre très réduit d’inscriptions, les régions I et VI fournissent à toutes les époques le contingent de fondations non-réflexes le plus important.
Dans les régions II, III, IV, VII, VIII, IX, les fondations, le plus souvent non-réflexes, apparaissent donc comme relativement peu nombreuses. Dans les régions II, III, IV (Sud de l’Italie), elles sont avant tout le fait des oligarchies municipales ; c’est moins souvent le cas dans les régions VII, VIII, et IX. Quant au reste de l’Italie, il présente deux zones très nettement individualisées :
- Dans les régions I et VI (en mettant à part les situations particulières de Rome et d’Ostie), sont attestées un grand nombre de fondations, et notamment de fondations émanant de membres des ordres oligarchiques (catégories A, B et C). La plupart de ces fondations sont non-réflexes.
- Dans les régions X et XI (Vénétie et Transpadane), les inscriptions de fondations sont également très nombreuses, mais il s’agit le plus souvent de fondations réflexes de culte funéraire. Parmi les fondateurs, les membres de la catégorie C sont moins nombreux, même dans le cas des fondations non-réflexes ; au contraire, les fondateurs y appartiennent plus fréquemment aux catégories D et Eh (comme c’est, par ailleurs, le cas à Rome et Ostie).
L’existence de ces zones, le clivage entre les fondations réflexes et les fondations non-réflexes, et le clivage entre les fondations confiées aux cités et les fondations confiées aux autres collectivités permettent-ils d’accéder, non point à des traditions culturelles, ou à des différences économiques purement quantitatives (entre des zones plus riches ou plus “développées” et d’autres qui le sont moins), mais à une certaine imbrication des forces et des groupes sociaux – elle-même liée à une certaine division en classes sociales107 ? Le fait qu’en dépit des évolutions conjoncturelles le phénomène se perpétue sans grandes transformations pendant près de trois siècles, induirait à le penser. Mais on ne pourrait le rendre manifeste qu’en étudiant, parallèlement à des pratiques telles que la constitution des fondations privées, l’ensemble des processus de production et de circulation des biens.
Notes
- Mrozek 1968 ; 1972 ; 1973 ; et 1975.
- Lussana 1950 ; 1952 ; et 1956.
- C’est en cela que la démarche suivie par le présent article se sépare de celle de Duncan-Jones 1974.
- De Visscher 1955, 203.
- De Visscher 1955, 205.
- CIL, V, 2046 ; IX, 4215 ; XIV, 2934 ; etc. Voir Mrozek 1975, 113. – Les inscriptions CIL, IX, 5074-5075 seraient, selon A. Degrassi, antérieures à l’année 31 a.C. (voir ILLRP, 617) ; si cette datation est exacte, la fondation à laquelle elles font référence est la plus ancienne des fondations romaines épigraphiquement attestées.
- L’ensemble des références a été intégré à la bibliographie générale du présent recueil.
- Je nommerai ces fondations, fondations à prestations réflexes, parce que le bénéficiaire des prestations ne fait qu’un avec le fondateur. Au contraire, dans ce qu’il appelle les fondations à but commémoratif le ou les bénéficiaire(s) de la fondation ne se confondent jamais avec le fondateur et ses parents immédiats ; je qualifierai cette deuxième catégorie de fondations à prestations non-réflexes (voir tableau n°11).
- Bruck 1955, 162 sq.
- Voir tableau n°12, et tableau n°13.
- Bruck 1955, 163.
- Le Bras 1936, 24 n. 3.
- Feenstra 1956, 249.
- Dig., 33.2.16 et 40.4.44 ; cités dans Le Bras 1936, 51-53.
- Le Bras 1936, 28-38.
- De Visscher 1955, 201.
- Comme E. F. Bruck, F. De Visscher est convaincu, à tort, que les fondations ne se répandent pas en Italie avant les premières années du IIe siècle p.C. (voir De Visscher 1948, 542 ; et De Visscher 1955, 201 et 204).
- CIL, V, 7906 = D. 8374.
- Voir par exemple CIL, VI, 9664 ; 10239 ; 10245 ; 10248 ; 10411 ; 13061 ; CIL, X, 2015.
- CIL, V, 8664 ; X, 6483 ; XI, 6481 ; XIV, 4693 ; AE, 1961, 134.
- Je range dans la catégorie D (Augustales et seviri Augustales) les seviri socii de Brixia (CIL, V, 4203, et V, 4410 ; voir à ce propos CIL, V, p. 440, col. 1, ; et De Ruggiero 1895, 868, col. 1), et aussi les seviri S(acris) f(aciundis) de Mevania (CIL, XI, 5047 ; voir CIL, XI, p. 733), qui sont les uns et les autres des affranchis.
- CIL, V, 5005.
- Druinus, esclave du consul M. Nonius Arrius Mucianus, n’est évidemment pas un plébéien, puisqu’il est esclave. Comme il s’agit d’un cas isolé, je l’ai malgré cela rangé dans la catégorie E.
- Ce pourrait être le cas de M. Tuccius Augazo (CIL, IX, 23), de C. Aviasius T. f. Seneca (CIL, XI, 720) et de C. Aurunceius C. f. Cotta (CIL, XIV, 2978 et 2979).
- Il s’agit de CIL, IX, 5074 et 5075 ; XI, 6071 ; XIV, 2112.
- Ce serait le cas dans Pais 181 ; CIL, XI, 419 ; XIV, 2112 ; XIV, 4450 ; AE, 1940, 94.
- CIL, XIV, 4450.
- CIL, XI, 4391.
- CIL, XI, 6520.
- CIL, XI, 379 et 419.
- CIL, X, 114 ; D.6468.
- CIL, X, 5654.
- CIL, X, 4815.
- BCAR, 1949-1950, 52-53.
- Je n’aborde pas les difficiles problèmes posés par le concept de classe sociale. J’emploie ici ce terme dans le sens où l’entend N. Poulantzas, c’est-à-dire pour indiquer les effets de l’ensemble des structures d’une formation sociale (structures aussi bien juridiques, politiques et idéologiques qu’économiques) sur les agents qui en constituent les supports, “les effets de la structure globale dans le domaine des rapports sociaux” (Poulantzas 1970, 69). Pour les implications d’une telle “définition”, se reporter à l’ensemble du 2e chapitre du livre de N. Poulantzas c’est-à-dire aux pages 57-103 de son livre. Au point où nous en sommes de l’analyse des sociétés antiques, elle me paraît la plus féconde et la plus commode ; mais elle serait probablement à reconsidérer à la lumière des résultats d’une analyse globale de leurs structures économiques.
- CIL, X, 4815 ; X, 5654.
- CIL, X, 114 ; et D. 6468.
- CIL, X, 5657.
- CIL, X, 5654. Le premier est qualifié, lui, de omnibus honoribus et muneribus perfunctus (CIL, X, 5657).
- CIL, V, 7450.
- CIL, V, 7450 : … qui et Vicanis Iadatinis HS CCCC legavit, ut de reditu eorum quodquod annis rosam ponant parentibus et sibi (Vardagate).
- CIL, X, 1880 : In praediis Augustalium corporat(orum), quae eis L. Laecanius Primitivos curator ipsor(um) perpetuus dedit ita ut ex reditu eorum quodannis die natalis sui (ante diem) XI ealendas) Ianuarias divisio fias et epulentur (Pouzzoles).
- CIL, V, 5658 : L. Coelio Valerio VI viro Mediol(ani) et Calpurniae L(uci) f(iliae) Optatillae uxori eius, et M. Aemilio Coelio Coeliano decur(ioni) Mediol(ani) et Novar(iae) et Luciliae L(uci) fil(iae) Sabinianae et M. Aemilio Coelio Catiano filis, collegium centonarior(um). Honore accepto, impend(ium) remisen(unt), et in tutelam deder(unt) HS II (territoire de Milan).
- CIL, V, 5262 ; X, 5056 ; X, 6328 ; XI, 1602 ; XIV, 4450 ; AE, 1972, 118.
- CIL, V, 6587 ; X, 5067 ; XIV, 2112.
- CIL, V, 5282 ; V, 5287 ; V, 5840 ; V, 6525 ; VI, 29906 ; IX, 449 ; IX, 1670 ; IX, 5845 ; XI, 4412 ; XI, 7299 ; XI, 7873 ; XIV, 325.
- CIL, V, 2072 ; V, 2090 ; V, 2176 ; V, 2315 ; V, 4015 ; V, 4016 ; V, 4017 ; V, 4410 ; V, 4440 ; V, 4448 ; V, 4488 ; V, 4489 ; V, 4871 ; V, 4990 ; V, 5134 ; V, 5272 ; V, 5282 ; V, 5447 ; V, 5878 ; V, 5907 ; V, 6363 ; V, 7357 ; V, 7450 ; V, 7454 ; VI, 1925 ; VI, 9626 ; VI, 29906 ; X, 107 ; XI, 126 ; XI, 1436 ; XI, 4593 ; XI, 4749 ; XI, 5047 ; XI, 6520 ; AE, 1940, 94 ; D. 7215 (?) ; NSA, 1932, p. 425 ; Pais 181.
- CIL, V, 4416 ; V, 5272 ; V, 5658 ; X, 5853 ; XI, 6371 ; XIV, 367 ; XIV, 431 ; AE, 1951, 94 ; AE, 1954, 168. – On pourrait être tenté d’ajouter à ces inscriptions D. 6468, qui prévoit l’érection d’une statue du fondateur, magistrat municipal de Petelia. Mais en ce cas l’érection de la statue se fait aux frais de la cité ; elle ne constitue pas une prestation prévue par la fondation, mais une condition à la validité de la fondation. La prestation consiste en une distribution d’argent et un repas le jour anniversaire du fondateur ; il s’agit donc d’une prestation non-réflexe.
- CIL, VI, 9626.
- À plus forte raison le repas déposé sur la tombe du mort et le repas offert aux dieux dans le cadre du culte funéraire sont-ils des prestations réflexes ; voir CIL, V, 4015 et V, 5272. Sur les repas funéraires, se reporter par exemple à Toynbee 1971, 50-51 ; et à Mrozek 1975, 56-60.
- CIL, V,5272 ; V, 5282 ; XI, 126 ; XI, 6520.
- CIL, V, 5272 ; X, 5853 ; XIV, 367 ; XIV, 431 ; AE, 1954, 168. Une seule inscription (CIL, V, 5272) prévoit à la fois des prestations réflexes de culte funéraire et des prestations réflexes pour l’entretien ou l’ornement d’une statue.
- Les esclaves ne figurent jamais dans les fondations connues, ni comme bénéficiaires ni comme fondateurs. La seule exception est constituée par l’inscription CIL, V, 5005, dans laquelle le fondateur est Druinus, esclave et actor du consul M. Nonius Arrius Mucianus.
- Aucun pérégrin ne figure dans les inscriptions de fondations d’Italie ; mais les pérégrins résidant en Italie sous le Haut-Empire étaient certainement très peu nombreux.
- CIL, X, 5853 et XI, 126.
- F. De Visscher avait donc tort lorsqu’il se “hâtait d’ajouter” que “le plus souvent, des dispositions d’ordre social, en faveur des vivants, se joignent aux prescriptions d’ordre cultuel” (De Visscher 1955, 201 ; et ci-dessus, notes 16 et 17).
- L’inscription CIL, XIV, 326 donne une idée assez précise de ce qu’implique socialement la fondation par rapport à la cotisation. Elle porte des noms de membres d’un collège d’Ostie, et indique les sommes qu’ils ont données afin que, chaque année, à partir des revenus de ces sommes, soit célébré leur anniversaire (sans doute par un repas en commun). La plupart ont donné 2 000 HS ; deux ont donné 6 000 HS, et un 3 000 HS. Mais il est extrêmement probable que tous les membres du collège n’ont pas versé. La prestation est donc nettement non-réflexe (il n’est pas impossible, cependant, qu’une partie des revenus de la somme serve à faire un cadeau à celui dont on fête l’anniversaire ; l’inscription ne le dit pas). Par ailleurs, il n’y a pas égalité entre ceux qui versent. Sur cette inscription, voir Meiggs 1960, 326-327 et 362.
- CIL, V, 4416 ; V, 5658 ; XIV, 367 ; XIV, 431 ; AE, 1954, 168.
- CIL, X, 5853.
- CIL, XI, 6371.
- Dans les inscriptions municipales des IIe et IIIe siècle p.C., l’ordo des décurions et celui des Augustales sont souvent distingués du reste de la population libre de sexe masculin, qui est qualifié de plebs ou de populus (voir Mrozek 1968, 158 sq et 168 sq ; et Mrozek 1973, 72 sq).
- CIL, X, 107 : Futiae C. f Lollianae, filiae piissimae, C. Futius Onirus iterum Il vir. Item dedit decurionibus HS X n., ut ex usuris eorum quodquodannis (ante diem) VII idus Apriles, natale filiae meae, epulantes confrequentetis HS CCCC n. et in profusionibus HS CC n., neque in alios usus convertatis. L(oco) d(ato) d(ecreto) d(ecurionum). Sur la profusio, voir Toynbee 1971, 51.[/efn_note.” Le repas public cher aux fondations des oligarques se confond ici avec le repas funéraire (on ignore malheureusement si les repas ont lieu près de la tombe ou dans le centre de la ville) ; et la fondation, en même temps qu’un repas, prévoit des profusiones. C’est faire fonctionner l’ordo decurionum et les pouvoirs publics de la cité à la manière d’un collège funéraire ou professionnel62Les fondations prévoyant l’organisation de repas publics, soit limités aux seuls décurions, soit destinés à l’ensemble des citoyens, émanent toutes, sauf une (CIL, XIV, 2793), de membres des ordres privilégiés (catégories A, Bet C) : voir CIL, IX, 1618 ; X, 4736 ; X, 6090 ; XI, 3303 ; XI, 4789 ; XI, 4815 ; XI, 5745 ; XI, 6377 ; XIV, 4450 ; D. 6468. Au contraire, aucune des 8 fondations prévoyant des profusiones n’est constituée auprès d’une cité. Dans 5 de ces 8 inscriptions, le fondateur est un “plébéien” (catégorie Eh) (CIL, V, 4448 ; V, 4488 ; V, 5134 ; V, 5907 ; Pais 181) ; dans deux d’entre elles, il s’agit d’une femme qui ne porte pas de titre, mais qui est sûrement une plébéienne (CIL, V, 4489 ; V, 4990) ; dans la huitième, enfin, les fondateurs sont des seviri Augustales (CIL, V, 4449).
- CIL, X, 6328 ; XIV, 2827 ; et aussi V, 6522 (où le montant du capital de fondation n’est cependant pas connu).
- CIL, V, 4489 ; V, 4990 ; V, 5878 ; D. 7215 (?) ; AE, 1951, 94.
- AE, 1940, 94.
- CIL, IX, 449.
- CIL, V, 6522 ; VI, 10234 ; X, 6328 ; XIV, 2827 ; IX, 449.
- CIL, IX, 23 ; XI, 720 ; XI, 1602 ; XI, 3890 ; XIV, 353 ; XIV, 2793 ; XIV, 2795 ; XIV, 2978-2979.
- Voir tableau n°7.
- CIL, VI, 10234 ; VI, 29736 ; X, 444 ; XIV, 2795.
- CIL, V, 7454 (seplasiarius) ; VI, 1925 (margaritarius).
- CIL, V, 2090 (veteranus ex militia reversus) ; XI, 1436 (miles cohortis X praetoriae) ; XI, 4749 ; Pais 181 (le fondateur est veterani filius).
- CIL, V, 4015 ; VI, 9626.
- CIL, V, 5005 ; V, 7454 ; VI, 1872 ; VI, 9254 ; VI, 10234 ; VI, 29700 ; VI, 29736 ; X, 444 ; X, 1880 ; XI, 1602 ; XI, 2596 ; XI, 3890 ; XIV, 353 ; XIV, 2793 ; XIV, 2795 ; IX, 23.
- CIL, XI, 6520 ; AE, 1940, 94.
- AE, 1951, 94.
- Le fondateur s’associe 6 fois son fils seul (CIL, IX, 23 ; IX, 1618 ; XI, 720 ; XI, 4815 ; XI, 6377 ; XIV, 353), une fois sa femme seule (CIL, V, 4418), une fois sa fille seule (CIL, XIV, 2793), une fois le couple de ses parents (NSA, 1928, p. 283).
- CIL, IX, 1618 ; XI, 4815 ; XI, 6377.
- CIL, IX, 23 ; XIV, 353.
- CIL, XI, 720.
- CIL, V, 5262.
- CIL, X, 114 ; D. 6468, 6470 et 6471.
- CIL, V, 4015 ; V, 4410 ; V, 6363 ; V, 7357 ; Pais 181.
- CIL, V, 4016 ; V, 4448 ; V, 5272 ; XI, 126.
- CIL, V, 2315 ; NSA, 1932, p. 425.
- CIL, V, 4017 ; V, 7450.
- CIL, V, 1019 ; V, 6522 ; VI, 10234 ; XI, 4391 ; XIV, 2827.
- CIL, V, 6522 ; X, 6328 ; D. 7215.
- CIL, VI, 1872 ; VI, 10234 ; VI, 10297 ; XI, 3303 ; XIV, 325 ; XIV, 367 ; XIV, 2112 ; XIV, 2793 ; XIV, 2795 ; AE, 1954, 168.
- Sur les critères qu’il a choisis, voir Duncan-Jones 1974, 362 sq.
- Note du tableau. Sur la datation de CIL, X, 6328, voir Mrozek 1975, 91 sq. et n. 51. Plus généralement, sur la datation des inscriptions de fondations, voir Mrozek 1975, 109-114. Je ne tiens pas compte, dans ces tableaux, de CIL, IX, 5074-5075, que A. Degrassi, on l’a vu, date du Ier siècle a.C.
- Voir par exemple, dans les tableaux n°12 et 13 p. 192 et 193, la répartition des inscriptions datables en rapport avec l’insertion économique et sociale du fondateur.
- On trouve par exemple ces données dans le tableau de Duncan-Jones 1974, 339.
- G. Susini, dans son compte-rendu de Mrozek 1973, insiste sur l’aspect “politique” de l’évergétisme, et en conséquence de l’activité épigraphique liée à l’évergétisme (Susini 1973).
- CIL, X, 107 ; XI, 4593 ; AE, 1940, 94. Dans CIL, V, 5282 et CIL, VI, 29906, l’identité de la collectivité fondée n’est pas connue ; dans CIL, V, 7454, elle reste incertaine.
- CIL, V, 47 ; V, 5128 ; V, 5262 ; V, 5279 ; V, 6522 ; V, 7637 ; IX, 23 ; IX, 1618 ; IX, 2226 ; IX, 3160 ; IX, 4971 ; IX, 5074 et 5075 ; IX, 5376 ; IX, 5854 ; X, 114 ; X, 3678 ; X, 3851 ; X, 4643 ; X, 4736 ; X, 5056 ; X, 5654 ; X, 5849 ; X, 5853 ; X, 5857 ; X, 6090 ; X, 6328 ; XI, 720 ; XI, 1602 ; XI, 2650 ; XI, 3009 ; XI, 3303 ; XI, 3890 ; XI, 4789 ; XI 4815 ; XI, 5722 ; XI, 5745 ; XI, 5963 ; XI, 6167 ; XI, 6173 ; XI, 6377 ; XIV, 353 ; XI, 2793 ; XIV, 2795 ; XIV, 2827 ; XIV, 2978-2979 ; XIV, 4450 ; D. 6468 ; AE, 1954, 168 ; AE, 1972, 118 ; BCAR, 1949-1950, p. 52-53 ; NSA, 1928, p. 283.
- CIL, V, 1978 ; V, 2864 ; V, 4203 ; V, 4294 ; V, 4418 ; V, 4449 ; V, 5272 ; V, 8654 ; V, 8655 ; VI, 1872 ; VI, 9254 ; VI, 10234 ; VI 10297 ; VI, 29700 ; VI, 29702 ; VI, 29736 ; IX, 4691 ; IX, 5568 ; X, 444 ; X, 451 ; X, 1880 ; X, 5654 ; X, 5657 ; X, 5809 ; XI, 126 ; XI, 4391 ; XI, 4815 ; XI, 6071 ; XI, 6520 ; XIV, 246 ; XIV, 367 ; XIV, 431 ; AE, 1940, 62 ; BCAR, 1949-1950, p. 52-53. Dans quatre inscriptions, la collectivité fondée est sans doute un collège, mais ce n’est pas certain (CIL, X, 6465 ; XI, 4404 ; XI, 7872 ; AE, 1960, 249). Je n’ai pas tenu compte, ici non plus, des deux fondations d’Ariminum, région VIII (CIL, XI, 379 et 419).
- Les fondations réflexes relatives à l’entretien d’une statue sont trop peu nombreuses pour qu’il vaille d’insister sur leur répartition géographique. Elles se trouvent dans les zones où le nombre total des fondations est abondant : soit dans le Nord de l’Italie (une dans la région X et trois dans la région XI) ; soit en Italie centrale, dans les régions proches de Rome (une dans la région VI ; deux à Ostie et une dans le reste de la région I ; une dans la partie méridionale de la région VII).
- Voir Duncan-Jones 1974, 339.
- Aucune fondation émanant de sénateurs ou de chevaliers n’est attestée dans les régions II, III, IV, V, VII et IX. Deux sont attestées dans la région VIII (CIL, X, 379, à Ariminum ; et AE, 1960, 249, à Parme) ; une dans la région XI (CIL, V, 47, à Pola) ; et deux dans la région X (CIL, V, 5128, à Bergame ; CIL, V, 5262 à Côme).
- CIL, V 1978 ; V, 2864 ; V, 4203 ; V, 4294 ; V, 4418 ; V, 4449 ; V, 8654 ; V, 8655.
- CIL, X, 107.
- Voir tableau n°17 et carte 3.
- Voir ci-dessus.
- Voir ci-dessus. Le nombre des inscriptions de fondations réflexes datables est trop réduit pour qu’il vaille d’en examiner la répartition géographique.
- Du moins si l’on donne à l’expression “classes sociales” le sens que j’ai défini plus haut (n. 36).