À Lima, l’une des filles de Paul Truel, de retour dans le pays sud-américain, a rapporté parmi les souvenirs personnels de ses cousines, plusieurs pages typographiées non signées. Lors d’un premier entretien avec Eduardo Barron en compagnie de Paquita Truel, j’ai pu les photographier et les retranscrire. Il s’agissait d’un hommage à l’abbé Paul Buffet et d’un récit intitulé « Histoire de Marie ». Le texte en hommage à l’abbé Paul Buffet disparu le 9 décembre 19411 est révélateur de l’attachement de la famille à ce prêtre peintre. Une lettre de Berthe Truel, la sœur aînée, évoquait son décès en écrivant à Lucha alors qu’elle était emprisonnée à Troyes.
L’autre texte, « Histoire de Marie » est un récit écrit par Pierre Courtade qui commençait ainsi : « Le vrai nom de Marie était Madeleine Truel. La dernière fois que je l’ai vue c’était en avril ou mai 1944, un dimanche après-midi, au Café des Ministères. Il y avait avec nous Annie et Pierre Hervé ». Pierre Courtade est arrêté le 6 juin 1944, en même temps que Madeleine Truel et Annie Hervé. Pierre Courtade est libéré et devient un journaliste influent après la guerre.
L’histoire de Marie est une biographie de Madeleine Truel devenue dans la résistance Marie Savin. Membre du même réseau de résistance, le journaliste proche du parti communiste a récrit le témoignage des compagnes de déportation de Madeleine Truel, en apportant des informations recueillies auprès d’Annie Hervé.
Les feuillets jaunis, retrouvés dactylographiés à Lima, ont été publiés en juin 1945 dans la revue Action (n° 39, p. 1), archivée à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (fonds Courtade). Pierre Courtade écrit :
Cela a commencé en 1942. Marie avait été à cette époque renversée par un camion allemand. Elle avait eu de multiples fractures, une au crâne et d’autres à la jambe. Depuis elle boitait un peu. Quand elle fut à peu près rétablie elle entra dans un service de la Résistance et depuis septembre 1943, elle avait travaillé avec Annie [Hervé].
Qui étaient les contacts de Madeleine et de Lucha Truel ? Comment se définissait leur engagement ? C’est ce que le présent chapitre exposera, en s’intéressant aux liens avec des intellectuels impliqués dans la vie politique, et avec des graphistes qui minimisent les activités risquées qu’ils ont eues dans la Résistance, selon les témoignages recueillis en 1946-1947 par la Commission d’Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France (CHOLF), au lendemain de la guerre. L’historien Laurent Douzou a présenté rétrospectivement la collecte mémorielle de la CHOLF comme « un travail de bénédictin mené tambour battant2 ». Ces témoignages quasi immédiats sont une source de première main essentielle pour comprendre le rôle des uns et des autres, quoique ces témoignages soient forcément incomplets. Le chapitre s’achèvera sur les circonstances de l’édition du livre des deux sœurs, L’enfant du métro en décembre 1943.
Le cercle des littéraires résistants : Annie et Pierre Hervé, Pierre Noël, Jacques d’Andurain …
Annie Noël-Hervé est engagée dans la Résistance bien avant que le mot résistance ne s’impose dans le vocabulaire de la presse clandestine en 1943. Le récit qu’Annie Hervé fit de ses activités en 1947, dans le cadre de la collecte nationale de la CHOLF (Commission d’Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France) est tout en modestie et discrétion, minimisant son action qui a débuté dès 19403. Annie Hervé participe à la diffusion de L’Université Libre aux côtés de Pierre Hervé. D’origine bretonne, Pierre Hervé remplace le philosophe communiste Georges Politzer au lycée de Saint-Maur lorsque celui-ci est expulsé du fait des lois antisémites. Annie Hervé arrivée du Morvan avant la guerre pour s’inscrire en philosophie à la Sorbonne, est recrutée comme institutrice à l’école de La Varenne-Saint Maur. Les numéros de l’Université Libre paraissent clandestinement entre novembre 1940 et février 1942 ; le réseau de résistance universitaire constitué autour de Georges Politzer, Jacques Decour et Jacques Solomon est découvert ; les trois hommes seront fusillés en mai 1942 au Mont Valérien.
Jacques d’Andurain4, qui préparait une licence de philosophie à la Sorbonne, a rapporté sa rencontre avec Pierre Hervé et Pierre Noël (le frère d’Annie Hervé) en août 40, le petit groupe engagé dans les premières mobilisations pour la libération du physicien antifasciste Paul Langevin et la célébration du 11 novembre. « Tous deux [Pierre Noël et Jacques d’Andurain] commencent à travailler avec quelques camarades ; ils reproduisent à la machine à écrire des passages de tracts communistes et les glissent à la bibliothèque de la Sorbonne dans des dictionnaires et des livres ».
Après l’évasion de Pierre Hervé en juillet 1941, dans laquelle Annie Hervé a joué un rôle essentiel tandis qu’une vingtaine de militants communistes restèrent emprisonnés pour suivre les consignes du parti5, Annie et Pierre Hervé vivent dans la clandestinité du Massif central aux Basses-Pyrénées, cachés en Savoie puis à Toulouse et à Limoges, avant d’arriver à Lyon en juillet – août 1942. En quête de contact, les Hervé renouent avec Lucie Aubrac, connue avant la guerre au sein des jeunes communistes. Pierre Hervé résume en 1950 sa position : « c’est dans la résistance gaulliste qu’il va désormais militer » du fait de sa défiance à l’égard du parti communiste après la signature du pacte germano-soviétique en août 1939. Il devient responsable régional du groupe Libération de la région de Lyon, puis de Toulouse, désigné par Emmanuel d’Astier de la Vigerie (août 1942-avril 1943). À la fin de l’été 43, secrétaire général des Mouvements Unis de la Résistance6, Hervé retourne à Paris pour s’occuper de la formation du Mouvement de Libération Nationale (MLN) ; il en est le secrétaire général jusqu’en mai 1944.
Annie Hervé retourne elle aussi à Paris à l’été 1943 et travaille pour le Comité d’Information et de Documentation, qui publie un bulletin clandestin plusieurs fois par semaine. C’est à ce moment-là, à partir de septembre 1943 –selon le témoignage de Pierre Courtade- que Madeleine Truel, incomplètement rétablie de l’accident provoqué par un camion allemand, commence à s’engager aux côtés d’Annie Hervé, qui avait contribué aux premiers contacts pour libérer Lucha en décembre 1941.
Dans la clandestinité, en 1942, Annie Hervé chiffrait des télégrammes du Bulletin de la France Combattante envoyés à Londres, pour informer sur le recensement antisémite ordonné par le gouvernement de Vichy et la manifestation du 14 juillet 42 à Lyon. Le Bulletin de la France Combattante ronéotypé renseigne concrètement sur l’Occupation. Le Conseil National de la Résistance a pris forme fin mai 1943, pour unifier les mouvements de la résistance sous la houlette de Max (Jean Moulin).
Après les arrestations du général Delestraint à Paris et de Jean Moulin près de Lyon en juin 1943, la nécessité d’unifier les groupes de résistance s’impose comme absolue nécessité. Georges Bidault, professeur d’histoire à Lyon comme Lucie Aubrac, prend alors la tête du Conseil National de la Résistance en septembre 1943 à la place de Jean Moulin. Sur la recommandation de Lucie Aubrac, Georges Bidault choisit comme secrétaires Annie Hervé7 (Antoinette, Isabelle) et Germaine Robin8 (Noëlle) qui codaient ensemble déjà en 1942 les nouvelles pour Londres. Madeleine Truel travaille aux côtés d’Annie Hervé, pour le Comité d’Information et de Documentation qui publie deux ou trois bulletins clandestins par semaine.
En mars 1944, le Comité d’Information et de Documentation fusionne avec le bulletin d’information du SuperNap9 pour devenir l’Agence d’Information et de Documentation (AID). Comme le CID, l’AID joue le rôle d’une agence de presse clandestine qui contredit les actualités de la collaboration et sera à l’origine de l’AFP à la Libération de Paris en août 1944.
Dans son témoignage, Annie Hervé10 explique le fonctionnement de l’Agence d’Information et de Documentation, où elle joue le rôle de responsable technique, ainsi que ses contacts avec les intellectuels et les petites mains engagées dans la production de la littérature clandestine, comme Yvonne Desvignes (pseudonyme d’Yvonne Paraf qui a fabriqué clandestinement Le silence de la mer, à l’origine des éditions de Minuit, en 1942) et Claude Morgan, directeur de la revue littéraire clandestine communiste des Lettres françaises.
Le cercle des artistes résistants : les Pontremoli et Robert Doisneau
La dessinatrice Jacqueline Duhême (1927-2024) appartient à la génération de l’après-guerre ; en 2014, elle remémore le monde artistique qu’elle a fréquenté très jeune :
Lucha Truel que j’admire qui a illustré le livre écrit par sa sœur morte en déportation ; Enrico Pontremoli qui créera une maison d’édition (Le Carrousel) pour les copains. Résistant avec Robert Doisneau, Raymond Savignac, Bernard Villemot, Paul Colin très grand seigneur. Cette nouvelle vie me plait11.
Lucha Truel a conservé la carte d’identité émise en août 1943 et visée en avril 1944, au moment où l’État Français entend remplacer les cartes d’électeur par un système d’identification infalsifiable.
Les amis de Lucha Truel ont été tout aussi discrets qu’Annie Hervé, sur leurs actions dans la résistance. Enrico Pontremoli et Robert Doisneau ont témoigné auprès des enquêteurs du Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale. Ils n’ont sans doute pas cherché à obtenir une homologation de leurs activités car elles n’entraient pas dans le cadre strict d’une reconnaissance de faits d’armes et de réseaux militaires, en tant qu’actions de propagande civile.
La procédure d’homologation ou liquidation mise en place après 1945 pour reconnaître les réseaux de résistance a défini quatre catégories d’engagement militaire à l’exclusion de la propagande civile, non prise en compte. L’agent classé P0 est occasionnel, P1 correspond à un agent permanent qui conserve son activité professionnelle, l’agent P2 est un agent permanent rétribué, à disposition totale du réseau. Au-delà de cette hiérarchie, l’arrestation rend automatique le classement en P2 pendant la détention12.
Une partie de l’atelier de la rue des Petits Champs a été transformé en imprimerie clandestine pour la fabrication de faux papiers. Les amis de tendances politiques diverses, fréquentent l’Atelier pendant ces années noires : Guiton Chabance, graphiste, Maurice Philippeaux, peintre et céramiste, Pierre et Génia Courtade, Pierre et Annie Hervé. Olga Pontremoli a rejoint le réseau Shelburn, chargé de récupérer et de rapatrier les aviateurs anglais13. Olga Pontremoli est reconnue après la guerre comme agent P1. Dans le témoignage recueilli par la Commission d’Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France (CHOLF), Enrico Pontremoli14 est direct à la différence d’autres témoins d’après-guerre moins catégoriques. L’enquêtrice Jeanne Patrimonio rapporte ses propos à la troisième personne, et son engagement vital quoiqu’oublié depuis :
Sans être inscrit au parti communiste, ce qui l’étonne lui-même, il est marxiste et reporte tout le mérite de la résistance aux partis de gauche […] il ne songea à faire de la résistance active qu’en 1941. C’est alors qu’il a commencé à utiliser ses talents de dessinateur pour fabriquer des faux papiers, destinés à des amis juifs et à des aviateurs alliés, une trentaine par mois jusqu’à l’arrestation des membres du réseau Vaneau en juillet 1943. Il a ronéoté la première charte du CNR, mais a préféré se consacrer à sa seule activité professionnelle au lieu de se disperser dans d’autres tâches publiques. Il a réalisé mille cinq cents cachets et fourni d’innombrables cartes d’alimentation mises au service du Mouvement de Libération National jusqu’au « coup dur » d’avril 1944 lorsque tout le service des faux papiers a été démantelé15.
Il prépare des macarons à l’effigie d’Hitler à coller sur l’Affiche rouge à la place des résistants condamnés. La photo d’Hitler est accompagnée du texte : « Adolf Hitler — Autrichien — 11 millions de morts, 25 millions de blessés16.
Enrico Pontremoli témoigne aussi pour sa femme dans l’entretien réalisé le 2 avril 1946. Il explique qu’Olga Pontremoli a voulu apprendre l’anglais pour communiquer avec des civils britanniques détenus à Saint-Denis ou hospitalisés à Limeil-Brévannes. Le couple a logé des aviateurs dans l’atelier de la rue des Petits Champs. Olga Pontremoli est active au sein du réseau monté par Élisabeth Barbier qui demeure rue Vaneau, le nom donné au réseau après la guerre. Élisabeth Barbier organise le rapatriement clandestin d’aviateurs en Angleterre avec de nombreux contacts qui formeront le réseau Shelburn. Une trace des activités d’Olga Pontremoli aux côtés d’Élisabeth Barbier concerne l’acheminement à Paris de cinq militaires arrivés en mai 1943 dans l’Oise. Élisabeth Barbier est arrêtée en juillet 1943 et déportée à Ravensbrück. Le couple Pontremoli averti par Paul Campinchi qui dirige le réseau d’évasion Shelburn, se réfugie sur la Côte d’Azur. À Nice, les Pontremoli font la connaissance de Pierre Hervé, et passent au service du Mouvement de Libération Nationale (MLN) en voie de réorganisation après les nombreuses arrestations de juin dont celles des chefs du Conseil National de la Résistance (Jean Moulin et le général Delestraint).
De retour à Paris, Olga Pontremoli continue d’aider des aviateurs étrangers comme en témoigne le récit de Jasper Knight arrivé en février 1944 et qui mentionne le nom de sa logeuse passée dans le réseau Comète/Marathon après la disparition du réseau Vaneau17.
La jeune femme aide aussi à l’imprimerie clandestine d’Enrico Pontremoli. Des photos prises par Robert Doisneau, en 1945, pour mettre en scène l’activité clandestine des imprimeurs, ont été conservés dans les archives du photographe qui les commente ainsi :
Monsieur Philippe a été pour moi la lampe de poche de l’ouvreuse me guidant dans le cinéma d’épouvante de l’Occupation. Le premier jour il m’avait fait un peu peur. Bien sûr, j’avais bricolé quelques papiers pour des amis dans la difficulté, mais il me déboulait dessus, bien renseigné, et me demanda de jouer avec lui de façon moins artisanale. À la Libération, comme d’autres quittant leurs noms de station de métro, il est devenu Enrico Pontremoli. On le voit ici avec Olga, sa femme, et Philippeaux confectionnant quelques papillons lithographiques destinés à être collés sur l’Affiche rouge18 .

Doisneau se remémore la première rencontre :
D’où sortait-il ce mystérieux Monsieur Philippe qui m’était tombé dessus sans crier gare en des temps couleur vert-de-gris et qui ne me demandait pas moins que de reproduire des papiers tamponnés avec un aigle dans le coin. Dans l’atelier flottait comme un parfum de piège […] Monsieur Philippe est revenu fidèlement. Pendant que je me livrais à mon travail de rat il me décrivait avec lucidité les épisodes du drame dans lequel nous barbotions. Mais jamais il ne m’a dit un mot sur son état de peintre19 .
Les filles du photographe, Annette Doisneau et Francine Deroudille conservent à l’Atelier Doisneau des clichés classés avec le nom des personnes photographies20. C’est le cas de Lucha Truel, proche de la famille. En 1945, Lucha est aux côtés de Pontremoli et Philippeaux au moment de la préparation du volume Imprimeries clandestines.
Les circonstances de l’édition de L’enfant du métro
Parallèlement à leur implication comme discrètes petites mains du Comité d’Information et de Documentation, Madeleine et Lucha Truel éditent L’enfant du métro, un livre pour enfants selon les témoins d’après-guerre, les résistants Pierre Courtade et Pierre Grappin qui mentionnent le livre en l’associant chaque fois au sort de Madeleine Truel, disparue en déportation.
Les éditions du Chêne sont nées en 1941, à l’initiative d’un jeune homme, Maurice Girodias, fils de Maurice Kahane qui importait en Angleterre des ouvrages à scandale imprimés en France comme Tropique du Cancer d’Henry Miller dans les années 30. Dans ses mémoires, Girodias qui, dans le contexte des lois antisémites, a compris le danger de son patronyme (Kahane), et a adopté le nom de sa mère, rapporte les circonstances du lancement des éditions du Chêne, « des projets faciles, des livres d’art répondant à un besoin tel que la vente ne poserait qu’un minimum de problèmes […] Ce serait le début d’une collection où nous traiterions tous les autres métiers d’art, mais en nous limitant à la France21 ».
L’équipe est réduite d’abord à deux personnes, le rédacteur communiste André Léjard, proche de Raymond Queneau et de Maurice Girodias, et la maquettiste, Guiton Chabance, « une femme d’une générosité inépuisable, de cœur et d’esprit22 », amie de longue date de Lucha et Madeleine Truel. Le sens commercial et aventureux de Girodias favorise son entreprise éditoriale en dépit de la pénurie de papier23; la vente des livres est confiée à la librairie Rombaldi du boulevard Saint-Germain, parallèlement au circuit d’Hachette. La vente se fait aussi par souscription comme c’est le cas d’un volume consacré à Delphes et aux recherches de l’École d’Athènes, coûtant « 3000 francs, le salaire mensuel d’un professeur du secondaire24 ». Les manuscrits doivent d’abord être transmis à la Commission de Contrôle française qui adresse ensuite une liste mensuelle aux autorités allemandes. Les ouvrages qui passent les différentes étapes se voient attribuer un numéro d’autorisation par lequel l’éditeur peut utiliser un contingent de papier. La moyenne mensuelle de papier consommée par l’édition est passée de 3500 tonnes en 1938 à 134 tonnes en 194325.
En octobre 1943, le fondateur des éditions du Chêne gagne la bataille contre une circulaire visant à mieux contrôler le marché du papier et le contenu des livres en remplissant une fiche réglementaire. La Directive 168 est annulée grâce à son entregent et aussi à une intervention de Marcel Déat dans « son affreux torchon » que Girodias cite sarcastique sous le titre « Le livre français en péril26 ». En 1946, les éditions du Chêne citées en justice pour leurs activités pendant les années d’Occupation, bénéficieront d’un non-lieu27.
En novembre 1943, le nom de Lucha Truel apparaît, une seule fois. Elle a participé à un ouvrage d’art luxueux, intitulé Un siècle d’élégance française. Cet album est paru sur papier glacé, et imprimé en Belgique, avec le visa de la commission du contrôle du papier. Guiton Chabance, amie de longue date, est responsable de la mise en page ; Lucha Truel est la créatrice du frontispice du volume. Le dessin, proche des figures de mode que réalisait Lucha Truel avant la guerre, représente une scène harmonieuse, à l’image du Paris élégant et hors du temps, sans rapport avec les restrictions qui caractérisent la vie de la majorité de la population parisienne dans les années 40.

Un mois après la parution d’Un siècle d’élégance française, le magazine féminin Marie-Claire du 20 décembre 1943 annonce L’enfant du métro par Lucha et Madeleine Truel, « un spirituel petit album de 22 planches pour jeunes enfants ».
Le volume porte l’indication des « Presses de Kapp » à Vanves, avec leur numéro « 310915 », sans la lisibilité de la mention « Visa de la commission du contrôle du papier N° 19219 imprimé en Belgique » apposée à Un siècle d’élégance française ni un numéro d’autorisation de publication.
L’enfant du métro diffère des orientations des autres livres des éditions du Chêne, consacrées aux arts décoratifs et à la littérature anglaise. Les clichés en couleur de L’enfant du métro ont été réalisés par l’imprimerie Union, propriété de deux directeurs d’origine juive contraints à une vente fictive en 194028 et spécialisée dans les livres d’art.
La diffusion de L’enfant du métro a été très limitée. Mise à part l’annonce dans Marie-Claire, le livre n’est plus mentionné dans la presse jusqu’au témoignage de Pierre Courtade dans la biographie « Histoire de Marie » d’Action en juin 1945. Puis en 1947, Pierre Grappin met en relation le nom de Madeleine Truel comme auteur d’un conte pour enfants « L’enfant du métro » et d’indiquer que plusieurs sœurs œuvraient au sein de la clandestine Agence d’Information et de Documentation :
Mme Michenon (Simone) et Christine Fontaine (Dorothée) étaient secrétaires. Il se joignait à ce groupe des collaborateurs techniques comme Madeleine Truelle [sic] (Marie) (l’auteur d’un conte pour enfants « L’enfant du métro ») et ses sœurs qui s’occupaient de l’impression (Mad. Truelle est morte en déportation). L’appartement où était installé le bureau avait été obtenu grâce au valet de chambre de la Fondation Thiers29.
Le contenu de L’enfant du métro est différent de la ligne éditoriale de Maurice Girodias, et aucun livre pour enfants n’a été publié entre 1941 et 1945 par les éditions du Chêne mis à part L’enfant du métro.
Notes
- Paul Buffet était peintre avant de devenir prêtre. Lauréat du prix national en 1896, il est ordonné prêtre en 1916 et devient l’aumônier de l’Union catholique des Beaux-Arts, le premier cercle dans lequel Lucha Truel s’insère comme jeune artiste. Marthe Flandrin et Élisabeth Faure font partie de l’Union et réalisent des fresques et des tapisseries. Lucha Truel a travaillé à leurs côtés ; c’est ce que la correspondance familiale permet de comprendre, lorsqu’elle participait avant-guerre à la décoration de l’église Sainte-Geneviève de Nanterre et de l’église du Saint-Esprit de Paris, près de Bastille.
- Douzou Laurent, La Résistance française : une histoire périlleuse, Paris, Seuil, 2005, p. 62.
- Le témoignage d’Annie Hervé recueilli par Louis Lecorvaisier, 7 janvier 1947, est numérisé dans le dossier du réseau Libération Sud. AN 72AJ/35-72AJ/89.https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/UD/FRAN_IR_053870/cu00dipf3xy–jwzkzk4de6mf
- Témoignage recueilli le 17 avril 1946 par Édouard Perroy, 72AJ/60, Dossier n° 3, pièce 30, Libération-Sud, III. Archives du Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale. 72AJ/35-72AJ/89https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/media/FRAN_IR_053870/cu00dipgiva–pmw9g1zae1o/FRAN_0086_018726_LJacques d’Andurain, à la tête de l’Union des Étudiants Communistes, comme Pierre Hervé qu’il contribua à faire évader, participa au premier attentat d’août 1941 à la station Barbès. Il retrouva les Hervé à Lyon puis fut envoyé dans le sud-ouest pour diriger des actions du maquis.
- Degliame-Fouché Marcel, Noguères Henri et Vigier Jean-Louis, Histoire de la résistance en France. Juin 1941-octobre 1942, Paris, Laffont, 1969, p. 27-31.
- Les Mouvements Unis de la Résistance ont vocation à fusionner des réseaux (Combat, Franc-Tireur et Libération Sud) en 1943.
- Georges Bidault rapporte « qu’il avait connue [Annie Hervé] comme petite fille à Reims mais qu’il n’avait pas reconnue […] il ignorait [ses] opinions politiques, ainsi que les opinions politiques de son mari ». Témoignage de Georges Bidault recueilli par Marie Granet, le 2 février 1949 et le 9 avril 1949, p. 6-7. Combat, II (72AJ/46 Dossier n° 2). 72AJ/35-72AJ/89 https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_053870https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/media/FRAN_IR_053870/cu00dio4d2m–1oa17c088kiw/FRAN_0086_007690_L
- Germaine Robin, originaire d’Indre et Loire, est arrêtée en décembre 1943 pour aide aux parachutistes britanniques et déportée en février 1944.
- Le SuperNap est un réseau clandestin qui a pour vocation de noyauter l’administration et d’informer la résistance, à l’instar du Nap, Noyautage des Administrations Publiques. Monique Vigneron-Lagorce, originaire de Charente, et dont la fille, Marie-Martine Sulkowki a rapporté le témoignage de déportation sur Madeleine Truel auprès de l’Amicale des Déportés de Sachsenhausen, intégrait le SuperNap et fut déportée par le même convoi d’août 1944.
- Dans le témoignage intégré aux Archives du Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale, Annie Hervé répond à Louis Lecorvaisier en janvier 1947. Le témoignage fait partie du dossier Libération Sud II 72AJ/42. Dossier 1 « CDLL » (Ceux de La Libération), pièce 15, « Témoignage d’Annie Hervé »https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_053870Pierre Hervé a remis les procès-verbaux du COMAC (Comité d’Action de la Résistance) au Comité d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale (CH2GM, 72AJ/35-72AJ/89). Sur Pierre Hervé et son indépendance à l’égard du parti communiste on se reportera à l’adresse : https://www.ex-pcf.com/index.php/311
- Duhême Jacqueline, Une vie en crobards, Paris, Gallimard, 2014, p. 75.
- Blanc Julien, « Une source irremplaçable mais biaisée : les dossiers d’homologation des résistants », Chercheurs en Résistance. Pistes et outils à l’usage des historiens, sous la direction de Julien Blanc et Cécile Vast, Presses Universitaires de Rennes (PUR), 2014, p. 135-150.
- « Biographie », Passeron Jean-Claude, Doisneau Robert, Truel Lucha et alii, Pontremoli. Catalogue de l’exposition Enrico Pontremoli 17 décembre 1993-14 janvier 1994, Marseille, Institut Méditerranéen de Recherche et de Création, Paris, Speed, 1993, p. 30.
- Témoignage d’Enrico Pontremoli alias Dantec et Eugène Petit recueilli par Jeanne Patrimonio, 2 avril 1946. MLN2 72 AJ/64 Dossier 2. Pièce 4. 6 feuillets.https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/UD/FRAN_IR_053870/cu00dipq1gm–mlcotcchn123
- Ibid, Feuillet 4.
- HIDA Graphisme et propagande L’Affiche rouge (1944) https://lefildelaure.wordpress.com/2015/05/09/3-hida-graphisme-et-propagande-laffiche-rouge-1944-4-interpretation/
- Fiche 132 sur le site du réseau Comète : http://www.cometeline.org/ficheD132.html. « Knight rencontre une femme russe, « Olga » (Olga Pontremoli. 95 Rue des Petits Champs Paris. Logeuse Shelburn puis Comète/Marathon), grande, mince, blonde, toujours vêtue d’un manteau de fourrure, qui venait pour voir Abraham Teitel. Comme Knight souffre des nerfs, Olga Pontremoli l’emmène alors en métro pour le confier à une petite rousse, ‘Monique’, qui le guide jusqu’à Nesles-la-Vallée chez Virginia et Philippe d’Albert-Lake ».
- Cité dans https://histoire-de-resistance-blog4ever-com.blog4ever.com/laimprimerie-de-la-rasistance.
- Robert Doisneau, « Monsieur Philippe, le client de l’ombre », Passeron Jean-Claude, Doisneau Robert, Truel Lucha et alii, Pontremoli. Catalogue de l’exposition Enrico Pontremoli 17 décembre 1993-14 janvier 1994, Marseille, Institut Méditerranéen de Recherche et de Création, Paris, Speed, 1993, p. 29.
- C’est ainsi que l’Atelier Doisneau m’a transmis les clichés classés au nom de Lucha Truel, amie depuis toujours.
- Girodias Maurice, Une journée sur la terre. L’arrivée, Paris, La Différence, 1990, p. 362.
- Ibid, p. 362.
- Cantier, Jacques, Lire sous l’Occupation, Paris, Cnrs, 2019, p. 127.
- Ibid, p. 147.
- Ibid, p. 264.
- Girodias Maurice, Une journée sur la terre. L’arrivée, Paris, La Différence, 1990, p. 449-450.
- Mollier Jean-Yves, Édition, presse et pouvoir en France au XXe siècle, Paris, Fayard, 2008, p. 1932.
- https://imprimerie-union.org/apollinaire-a-maeght/fernand-mourlot.
- Archives du Comité d’histoire de la Deuxième guerre mondiale. Cotes : 72AJ/35, Dossier n° 3. AID.Pierre Grappin rapporta à Marie Granet le 25 mars 1947 les activités du Bureau installé clandestinement rue des Belles Feuilles, devenu l’AID Agence d’information et de documentation avec une précision qui est absente de son autobiographie publiée en 1993 et où les sœurs Truel et les Hervé ne sont plus mentionnés.Le bureau de l’Agence d’information et de documentation se réunissait dans une chambre réservée pour Pierre Grappin comme pensionnaire de la fondation Thiers, lorsqu’il préparait des recherches dans son domaine de prédilection, la philosophie allemande (Grappin Pierre, L’île aux peupliers. De la Résistance à Mai 68 : Souvenirs du Doyen de Nanterre, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1991, p. 133-137).