Le souvenir de Madeleine Truel est resté ancré dans la mémoire de quelques résistantes qui l’ont côtoyée et ont rappelé son nom lors d’hommages ou dans des témoignages après leur retour de déportation en mai 1945.
Dans les publications tardives, fruits d’un travail à la fois scientifique et mémoriel, comme Les Françaises à Ravensbrück (1965) et Sachso (1982), le prénom de « Marie », pseudonyme de Madeleine Truel, est mentionné à son sujet, avec une grande émotion comme on le verra dans les citations de ce chapitre. La Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains de Caen, et le Musée d’Histoire de la Résistance et la Déportation de Besançon ont transmis des dossiers permettant d’avancer dans la reconstruction du parcours de la résistante née à Lima.
8 890 femmes ont été déportées par mesure de répression1 et longtemps effacées de l’histoire officielle, malgré l’engagement des rescapées contre l’oubli. Les archives de la famille Truel à Lima contenaient un récit tragique oublié et dactylographié de Pierre Courtade. J’ai transmis le texte retranscrit à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine dépositaire des archives du journaliste. L’IMEC m’a répondu en indiquant que le texte n’était pas resté seulement dactylographié mais avait été publié dans la revue Action en juin 1945, ce qui permettait de dater le témoignage comme coïncidant avec le retour des camps2.
Les archives de la famille Truel à Paris et Bordeaux, soigneusement gardées depuis des décennies, recelaient la confirmation des convictions et des dangers courus par Madeleine Truel. Plusieurs papillons étaient restés cachés au fond d’une enveloppe, trois petites croix de Lorraine et des rébus qui auraient suffi à une condamnation pour terrorisme antiallemand. Colette Nicot-Martinez les a découverts en exhumant les vieux papiers de la famille en mars 2023 pour cette investigation.
Les arrestations de l’Agence d’Information et de Documentation en juin 44
L’Agence d’Information et de Documentation (AID) a été créée en mars-avril 1944, rattachée directement au président du Conseil National de la Résistance (Georges Bidault, le successeur de Jean Moulin) et au secrétaire de l’Information du CNR (Philippe Teitgen). L’AID réorganisée après les arrestations parisiennes du 6 juin 1944, deviendra l’AFP à la libération de la capitale le 20 août 443.
Dans le numéro 39 d’Action, le journaliste Pierre Courtade, arrêté le 6 juin puis libéré, écrit dans « Histoire de Marie4 » :
Le vrai nom de Marie était Madeleine Truel. La dernière fois que je l’ai vue c’était en avril ou mai 1944, un dimanche après-midi, au Café des Ministères. Il y avait avec nous Annie et Pierre Hervé […] C’était le café le plus sage et le plus raisonnable de Paris. Nous avons bu, je crois, du vin blanc. Mais pas Marie. Dehors, dans les rues, il y avait ce silence de l’attente qui a duré jusqu’en juin.
Le récit devient ensuite indirect :
Annie fut arrêtée le 6 juin. Treize jours plus tard, le 19 juin5, Marie se rendit à un local tout simplement pour aller chercher de l’encre à ronéo, dont elle trouvait dommage qu’elle fût perdue. Simplement, cela devait la conduire à la mort.
Chaque témoignage est révélateur, restreint à une expérience individuelle et en même temps représentatif du sort collectif. En rassemblant les témoignages des résistantes et résistants de l’environnement de Madeleine Truel, mon intention est de représenter la dernière année de la guerre vécue par l’autrice de L’enfant du métro à partir de son emprisonnement à Fresnes.
La nouvelle du Débarquement est connue aussitôt le 6 juin, y compris en prison, selon le témoignage recueilli par France Hamelin6 de Gisèle Robert7, qui était détenue à Fresnes et se souvient : « 6 juin. Dès le matin, nous connaissons toutes la nouvelle du jour qui se communique comme une traînée de poudre. Les Alliés ont débarqué8! » et décrit la vie à Fresnes « avec de la nourriture encore plus infecte, les grabats encore plus souillés et puis la robe de bure, premières humiliations de condamnée9 ».
Auguste Anglès, proche de Pierre Hervé, a quitté Paris afin d’être utile à Lyon où il enseigne le latin et poursuit sur place l’activité de l’Agence d’Information et de Documentation avec des résistants lyonnais pour diffuser les actions de la résistance. Interrogé en 1946 pour la collecte d’archives du Comité d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, il se souvient de l’impact des arrestations du 6 juin pour l’AID, ancêtre de l’AFP, quoiqu’il n’y ait pas assisté et il mentionne l’arrestation de Madeleine Truel10 :
Le 6 juin Teitgen était arrêté ; quelques heures plus tard, dans le même café de Saint-Germain des Prés étaient arrêtés ensemble Grappin, Courtade, Kaufmann, Annie Hervé, Mlle Truel et deux autres personnes, bref tout le personnel de l’AID. La plupart (notamment Courtade et Kaufmann) parvinrent à se faire relâcher, mais la Gestapo garda Annie Hervé et Grappin, car il était clair, d’après les interrogatoires, qu’ils étaient à la recherche d’Isabelle et de Maréchal11
Le germaniste Pierre Grappin, interrogé lui aussi pour le Comité d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale en 1947, remémore les circonstances de son arrestation, son départ en déportation avant qu’il ne réussisse à s’évader du dernier convoi envoyé en Allemagne :
Un autre agent de liaison eut l’imprudence […] d’emporter sur lui un papier indiquant un rendez-vous pour le 6 juin ‘en clair’. Il ne remarqua pas que les Allemands étaient en surveillance. Il entra et fut pris. Le papier donnait les noms de Grappin et de Teitgen. Aussi Teitgen fut pris le 6 juin devant le Bon Marché, où il faisait les cent pas, et Grappin dans un restaurant, rue de l’Abbaye, près de Saint-Germain des Prés, avec Kaufmann, Courtade, Aucouturier. Les Allemands prirent aussi leurs voisins, soit 9 personnes. Annie Hervé qui avait sur elle un rapport fut gardée, ainsi que Grappin […] il fut emmené et interrogé avenue Foch, passé à tabac –durement- mais pas torturé. Il resta deux mois à Fresnes, fut envoyé à Compiègne le 27 juillet et embarqué le 24 août pour l’Allemagne12.
Grappin et Courtade mentionnent le mode de financement de l’AID qui grâce au budget reçu d’Alger et au bénévolat, a pu publier ses bulletins d’information et payer des salaires13. Annie Hervé est arrêtée le 6 juin 44 pour la seconde fois après l’avoir été en juin 41 avec Pierre Hervé et avoir réussi à le faire évader en juillet 41. Un lieu de rendez-vous était l’église espagnole de la rue de la Pompe, « le premier confessionnal » (Grappin, 1993, p. 132). Les témoignages des résistants de l’AID mentionnent les compétences linguistiques des résistants hommes en allemand, russe, anglais et hongrois (avec Georges Szekeres). Les compétences linguistiques en espagnol de Madeleine Truel ont pu aussi contribuer au partage d’informations, au-delà de la propagande officielle, pour être renseigné sur la péninsule ibérique, terre de passage vers l’Angleterre et l’Afrique. Comme Annie Hervé, son rôle est présenté par les hommes du réseau comme limité à des fonctions techniques (dactylographier et imprimer).
Le récit de déportation d’Annie Hervé, communiqué par le Musée de la Résistance et la Déportation de Besançon, permet d’appréhender les dix mois de survie en déportation avec Madeleine Truel, jusqu’en mai 194514.
Madeleine Truel est libérée après l’arrestation du 6 juin 44. Elle est à nouveau arrêtée sous le nom de Marie Savin dans un local de l’AID le 15 juin 1944, rue Jean-Jacques Rousseau, dans le centre de Paris, piégée au moment de récupérer de l’encre et du papier. Le lieu et la date du 15 juin 44 sont les informations collectées par le Ministère des Anciens Combattants en 1951, pour établir « que Mlle Truel Madeleine n’a pas reparu à son domicile depuis le 15 juin 1944 ».
Le dossier administratif conservé par la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains, résume les mois qui suivent l’arrestation : « séjourne successivement à Fresnes, Romainville, Ravensbrück, Siemenstadt d’où elle est évacuée le 1er avril 1945 à Sachsenhausen15 ».
Tout comme Annie Hervé, Madeleine Truel ne dévoile pas son identité tout au long de l’année 44-45. Elle demeure définitivement dans le souvenir d’autres déportées, identifiée au prénom de « Marie ». Le 10 juillet 1942, un décret avait été signé par le général SS Oberg16 qui élargissait la désignation des otages aux membres de la famille des « terroristes en fuite ». Grâce à son silence, ses quatre sœurs ne sont pas arrêtées par la Gestapo.
Pierre Courtade emprisonné à Fresnes après l’arrestation de Saint-Germain des Prés, rapporte dans Action le 1er juin 1945 :
Trois hommes l’attendaient [Marie]. Avenue Foch, Fresnes, Romainville, Ravensbrück.
Un déroulement de cruautés implacables à partir de ce petit acte tranquille.
Il faut dire tout de suite que ce local avait été donné « normalement », qu’il avait
toujours été convenu qu’il serait donné dix jours après l’arrestation de l’agent de
liaison qui le connaissait17. […] Donc, Marie fut arrêtée.
Les conditions de vie à Fresnes et à Romainville
L’historien de la littérature Julien Roumette définit l’esprit d’après-guerre auquel les rescapés des camps de concentration ont été confrontés :
L’après-guerre provoque incompréhension et amertume. Elle ne ressemble pas à ce dont avait rêvé pendant le conflit beaucoup de ceux qui s’étaient engagés […] tout a concouru à pousser vers l’ombre ce qui n’était pas directement utile politiquement à réécrire, à choisir et d’une certaine manière à déposséder et à faire taire ceux qui ne se reconnaissaient dans le récit […] les résistants ont tendance à minimiser leur rôle. À l’inverse de l’enflure héroïque qui marque les discours politiques et les surenchères mémorielles, ils évoquent la modestie de leur action18.
Selon Pierre Courtade, Madeleine Truel a été emmenée avenue Foch, où les services allemands occupent une dizaine d’immeubles et d’autres locaux rue des Saussaies19. Monique Vigneron, qui a témoigné sur « Marie » et avait été arrêtée elle aussi en juin 44 par la milice, a évoqué brièvement les tortures subies rue des Saussaies pendant deux jours (« la baignoire »), avant d’être envoyée à Fresnes où elle partage une cellule surpeuplée, puis part en déportation le 21 juillet de Romainville. Catherine Ammar, Georgette Fradin, Arlette Dreyfus, Jacqueline Lelong sont les noms des compagnes de Monique Vigneron dont se souvient Marie-Martine Sulkowski en plus de Marie, lors d’un entretien que j’ai réalisé en juin 2024. Monique Vigneron-Lagorce recueillait des informations pour le réseau SuperNap (Noyautage des Administrations Publiques). Tout l’entretien auprès de sa fille est révélateur de la tendance que les résistantes ont eu à minimiser l’action personnelle et le trauma pour ne pas affecter leurs enfants20. Les répertoires de la prison de Fresnes tenus par la Gestapo n’ont pas été conservés au cours de l’été 44, les archives ont été détruites à l’approche de la libération de sorte qu’on ne retrouve de trace de l’emprisonnement de Marie Savin en juillet 4421.
Le silence est la seule défense et implique une grande force intérieure pour résister aux violences physiques et aux pressions psychologiques. En 1946, Annie Hervé qui se souvient constamment de la « petite Marie », écrit sur son propre vécu et en particulier le « grand soulagement de ne plus être aux mains de la Gestapo22 », alors qu’elle est dans l’ignorance de ce que sera la déportation avant de partir vers une destination inconnue en Allemagne le 4 août.
Face aux réactions après le 8 mai 45, après les retours de déportation, l’historien Philippe Mezzasalma a observé l’infléchissement des témoignages sur le déroulé des arrestations et incarcérations :
Les premiers récits sont souvent très précis et très bruts sur les sévices subis ou observés, notamment lorsque ceux-ci furent subis de la part d’auxiliaires français de la Gestapo. On relèvera aussi que, témoignant de nouveau plusieurs années plus tard, en particulier à destination du public les mêmes rescapées ont passé sous silence les faits les plus graves ou les ont atténués sous la forme usuelle d’avoir été « battues », sans plus de précisions, ou dire avoir subi le supplice de la baignoire plutôt que d’avoir été torturées, terme qui revient peu avant le témoignage public par Lise Lesèvre au moment du procès Barbie23.
Le récit intitulé Six mois à Fresnes achevé en septembre 1945 par Noémi Hany-Lefebvre24, rend compte de la vie des femmes emprisonnées à Fresnes, entre juin et décembre 43. Noémi Hany-Lefebvre a réussi à nier l’accusation d’avoir hébergé des aviateurs ennemis et elle a fini par être libérée25. Son autobiographie commence par l’arrivée de policiers allemands qui fouillent son domicile. La vue de l’hymne anglais God save the king dactylographié cristallise leur hargne26. Après la perquisition, la jeune femme se refuse à préparer un bagage pour partir à un premier interrogatoire rue des Saussaies, devenu le quartier général de la Gestapo ; elle décline seulement son identité et ne rend pas compte de violences physiques à son égard lors du premier interrogatoire.
L’absence de preuves matérielles la préserve de sorte qu’elle est envoyée dans une cellule commune avec deux autres détenues, tandis que deux autres catégories de prisonniers à Fresnes sont les « solitaires » et les « secrets ».
Madeleine Truel entre dans l’une de ces deux catégories selon le récit rapporté par Pierre Courtade : « Annie dit qu’elle supporta la captivité mieux que tous les autres. À Fresnes elle lisait la Bible, priait et riait. Elle ne reconnaissait personne et ne savait rien27».
Noemi Hany-Lefebvre décrit le sort des solitaires et des secrets :
« Une ‘secret’ ne voyait elle jamais d’autre visage que celui des surveillantes. Elle
n’avait aucun droit : pas de colis, pas de lettres, pas d’ouvrage, pas de lecture.
Le seul livre qu’on n’osait lui enlever, parce qu’il lui était donné par l’aumônier,
était un tout petit évangile selon saint Mathieu, édité spécialement pour les captifs
[…] , dernier détail, peut-être le plus pénible, certaines d’entre elles n’avaient
même pas droit à l’oubli que dispense un sommeil profond, car le soir venu on allumait
leur lumière, qui brûlait toute la nuit, avec l’interdiction absolue d’en atténuer
par un moyen quelconque l’éclat aveuglant28.
La solidarité entre résistantes s’organise dans la mesure du possible :
Pour correspondre par la fenêtre, nous usons par prudence de pseudonymes. Quant à moi, prise de court lorsque Bohémienne me dit qu’il m’en fallait un, je pris le premier qui me vint à l’esprit ‘Poupée’, surnom que l’on m’avait donné autrefois29.
Le linge envoyé par la famille a un usage détourné : « les ourlets seront notre papier à lettres qui emporteront nos messages et nous rapporteront les nouvelles du dehors30 ». Rétablir la communication avec l’extérieur est essentiel. La plus grande ingéniosité est déployée aussi pour échanger avec l’intérieur de Fresnes. « La vie de la cellule avec son immobilité absolue est si malsaine que nous craignons de nous trouver un jour sans aucune force31 ».
Les bouches d’aération deviennent des voies d’évasion mentale pour parler aux autres, échanger sur chaque situation à toute heure du jour ou de la nuit, envoyer un aliment ou un vêtement, en surveillant le judas qui espionne chaque cellule depuis le couloir. Le haut des fenêtres est clandestinement décloué jusqu’à ce qu’une inspection révèle cette modalité de communication qui permettait aussi de respirer l’air frais et d’échapper à l’atmosphère viciée de la cellule faute de ventilation : « tous les visages sont tellement défigurés par la bouffissure consécutive au manque d’aération32.
Apprendre le morse pour communiquer est la solution pour continuer à dialoguer malgré tous les risques, comme lors des promenades ou des douches : « Un mot surpris suffit à faire remonter la camarade et à la priver de douche, et pourtant nous bavardons sans arrêt par signes, par clignements d’yeux et du bout des lèvres car nous acquérons toutes, au bout d’un certain temps, une très grande technique33 ».
La chaleur34, la faim, la promiscuité, l’insalubrité, la vermine sont les maux du quotidien. Des corvées sont imposées comme cirer le parquet à la force du poignet, dépiquer l’ourlet du sac des obus pour récupérer le plomb, ce que certaines prisonnières réussissent à refuser prétextant d’autres tâches exigées par les gardiennes allemandes. Noemi Hany-Lefebvre rapporte son second interrogatoire, dix jours après avoir été arrêtée :
ils m’enferment dans un étroit cabinet grillagé où se trouvent une chaise et quelques journaux. Une grosse barre de fer bloque la porte à l’extérieur, et l’attente recommence pire que la première fois. Sur les murs ici aussi, de nombreux graffitis, de simples noms, avec des âges, des dates, chacun répétant, telle une commune signature les mots : « N’avoue jamais, n’avoue pas » ou « il faut nier »35 .
« Juliette » arrêtée en août 43, est interrogée quatre jours d’affilée : « tellement meurtrie de coups que la surveillante devait elle-même la mettre sur le lit où elle eût été incapable de s’étendre seule36 ». Dans Un convoi de femmes 1944-1945, l’historien Pierre Emmanuel Dufayel décrit les tortures infligées à Anne-Marie Bauer suspendue à un mètre du sol, les bras en croix, tandis que Klaus Barbie passe sous ses pieds nus la flamme d’un journal ; la résistante rescapée de Ravensbrück, conclut : « on ne s’évanouit jamais lorsqu’on a trop mal et que la douleur s’intensifie indéfiniment37 ».
Les jugements collectifs devant un tribunal militaire sont organisés à Fresnes dans un baraquement au milieu de la prison, précédés de séances de photos individuelles. Les condamnations à mort sont prononcées contre un groupe de dix-huit prisonniers communistes qui entonnent en chœur : « le son grave et menaçant malgré tout de L’Internationale suivie du premier couplet de La Marseillaise. […] avec un haussement d’épaules et un sourire, ils redressent le menton, passent le tranchant de leur main droite sur leur cou, et laissent retomber leur bras le long du corps… Condamnés à mort38 ».
Pour les femmes, les départs de Fresnes vers l’Allemagne s’accélèrent. Les détenues reçoivent l’ordre de se préparer à partir, sans plus d’information. Les rumeurs courent sans qu’aucune ne sache le sort qui les attend : « Romainville c’est très bien ; c’est un camp pas très loin de Paris où elles sont beaucoup plus libres39 ».
De Fresnes, Marie Savin (Madeleine Truel) est transférée le 25 juillet 1944 au fort de Romainville, avec le matricule 656740. Le séjour bref a pour finalité de procéder à l’enregistrement et à l’immatriculation en transit avant le départ vers un camp de concentration allemand. Madeleine Truel reste dix jours à Romainville, jusqu’au 3 août 1944. 400 nouvelles détenues par mois arrivent à Romainville de toute la France, le temps que soit prêt un transport de déportés. Dans Les oubliés de Romainville. Un camp allemand en France (1940-1944)41, Thomas Fontaine a décrit les conditions de vie à Romainville. Plus de 2 300 résistantes sont déportées de Romainville à Ravensbrück entre avril et août 44.
La solidarité s’organise sur place dans l’attente du départ vers l’inconnu. Jean-Henri Tauzin détenu à Romainville en 1942 pendant dix-huit mois, a publié l’un des premiers témoignages sur son séjour dans le fort de l’Est parisien, à son retour de déportation en 1945 :
Le camp était partagé en deux par des fils de fer barbelés ; de l’autre côté, étaient internées les femmes. Malgré la défense formelle et malgré la sentinelle, nous arrivions cependant à communiquer […] notre tranquillité ne fut que relative ; les casemates se garnirent rapidement […] ces casemates à quatre mètres sous terre, aux murs suintants, avec une seule ouverture de 2 m sur 0.75, où des êtres humains vont vivre pendant d’interminables mois et où l’on viendra chercher continuellement des otages42.
Les déportées de Ravensbrück témoignent sur Romainville dans l’ouvrage collectif Les Françaises de Ravensbrück : « D’autres hommes étaient comme les femmes, rassemblés dans des chambrées du bâtiment central qui donnait sur une cour entourée et séparée en deux par un haut grillage. Après les cellules sombres et étroites, Romainville pouvait apparaître comme une bouffée d’air pur43 ».
Romainville représente une « explosion de liberté avec ces grandes chambrées » pour Catherine Roux44 arrêtée en février 44 ; c’est « une véritable bibliothèque à déchiffrer avec ses 600 prisonnières45 ». Mais, pour les autorités allemandes, à partir de la mi-juillet 44, l’urgence est d’évacuer en Allemagne tous les prisonniers politiques et user sans limites ces forces de travail transformées en esclaves.
La solidarité entre les détenus permet d’adoucir momentanément les conditions de l’incarcération, en partageant les colis remis par les organisations caritatives comme la Croix Rouge et les Quakers, ainsi que les familles lorsqu’elles savent où se trouvent leurs proches arrêtés. La brièveté du séjour des résistantes à Romainville en 44 et l’enfer qui a suivi, ont effacé cette trêve dans nombre de témoignages.
De la Gare de l’Est à Ravensbrück
La première quinzaine du mois d’août 44, les déportations des prisonniers constituent un flux intarissable et organisé systématiquement par les nazis malgré l’avancée des Alliés. Plus de 130 femmes quittent Romainville pour l’Allemagne les 3 et 4 août. Les 21 et 31 juillet, 154 sont déjà parties. 2 200 résistants détenus dans les prisons parisiennes partent encore encadrés par des soldats, le 15 août de la gare de Pantin, en dépit des voies ferrées endommagées. Les survivants de ces derniers convois d’août 44 subiront neuf mois de traitements inhumains dans les camps de concentration jusqu’à la délivrance au printemps 45.
Annie Hervé, Madeleine Truel, Catherine Ammar, Georgette Fradin, Arlette Gerhmann, Jacqueline Lelong, Renée Silhol-Dray sont quelques-unes des 68 déportées du convoi parti le 3-4 août 1944 de Paris pour Ravensbrück. Le dernier convoi pour le camp d’extermination d’Auschwitz quitte Lyon le 11 août, avec plus de 650 déportés raflés dans toute la France.
Le témoignage d’Annie Hervé46 mérite d’être cité du fait du regard singulier que la jeune femme projette sur l’expérience concentrationnaire, guidée constamment par ses convictions antifascistes et son engagement patriotique. Elle remémore d’abord les circonstances matérielles du départ de la gare de l’Est lorsque le groupe de Romainville entonne la Marseillaise et le Chant du départ au moment de monter dans les wagons sans imaginer le sort qui les attend :
Nous avons été déportées le 4 août 1944, dans un train de voyageurs aux compartiments confortables. Bien que chaque portière ait été gardée par un soldat, beaucoup d’entre nous ont pensé que ce traitement de faveur –nous connaissions les départs de Compiègne à 80 et plus dans les wagons à bestiaux- indiquait qu’on nous déportait pour le travail obligatoire47.
Certaines détenues croient ingénument qu’elles vont être employées comme des travailleurs libres et non comme des prisonniers politiques. Annie Hervé se rappelle qu’elle s’est réjouie de « rejoindre en exil des camarades de la lutte commune contre le nazisme, arrachées de tous les pays d’Europe pour être menées au cœur du pays ennemi […] une grande émotion me venait d’aller vivre la dernière étape du combat avec mes camarades hollandaises, russes, polonaises, yougoslaves48 ». Arrivées au camp de Neue Bremm, près de Sarrebrück, les résistantes françaises ont été dépouillées d’une partie de leurs bagages49. « Un rituel marque l’arrivée des nouvelles prisonnières au camp. Chaque cortège de détenues qui arrive de la gare, est forcé d’assister aux violences exercées sur les hommes, de l’autre côté du camp50 ». Cette vision de l’entraînement des jeunes SS a été transmise par Monique Vigneron-Lagorce à sa fille Marie-Martine Sulkowki. Le convoi parti de Romainville le 21 juillet dans lequel se trouvaient Monique Vigneron et Gisèle Chauvin (toutes deux originaires des Charentes et qui ont témoigné sur Marie Savin) a attendu les autres déportées françaises une dizaine de jours à Neue Bremm, pour ensuite repartir avec les dernières détenues convoyées de Romainville le 10 août, et arriver à Ravensbrück le 14 août, dans les blocks 23 et 24. Après Neue Bremm, les prisonnières parties le 4 août changent de train et doivent monter dans des wagons à bestiaux. Annie Hervé résume le désarroi et l’impuissance ressentis : « Nous y avons eu dès ce moment mieux à faire qu’à penser à ce qui nous attendait, nous avons commencé à lutter pour l’existence51 ».
Le nouveau convoi parvient à la gare de Fürstenberg, au nord de Berlin. Les déportées descendent du train et marchent à trois heures du matin jusqu’au camp de concentration de Ravensbrück :
Arrivée hallucinante […] Les femmes s’avançaient par une allée centrale et venaient se ranger en une espèce de bataillon sur cette esplanade en lisière de laquelle nous étions parquées. Elles restaient là des heures mais évoluaient aussi, formant de mystérieuses figures de ballet […] nous cherchions désespérément le visage de France qui lèverait vers nous des yeux amicaux52.
Le récit d’Annie Hervé est elliptique pour ne pas dire l’insoutenable, la « quarantaine » et les sélections, les appels interminables et les « transports noirs » qui emportent vers la mort les plus affaiblies et libèrent un espace pour le capital humain à peine débarqué. La violence est irrationnelle, omniprésente et communicative. Marie (Madeleine Truel), portée par l’esprit de solidarité des résistantes, est victime de l’ensauvagement d’autres déportées :
Mon amie Marie qui croyait non seulement à la fraternité humaine mais à la charité chrétienne, est allée vers elle [une Polonaise qui venait d’apprendre la mort de ses parents] pour l’embrasser. Marie a reçu un coup de pied de cette femme qui avait pris l’habitude de souffrir seule53 .
La destruction des archives, de ces fiches innombrables que le régime nazi a complétées pendant des mois, est évoquée au sujet de Ravensbrück, en 2020 par Marie-Claire Ruet, conservatrice du Musée de la Résistance et la Déportation de Besançon, qui conserve le Fonds Tillion sur les femmes françaises déportées à Ravensbrück. Marie-Claire Ruet rappelle que « les SS [ont] brûlé les documents pendant des journées entières à la fin du mois d’avril 1945. Impossible dès lors de s’appuyer sur ces archives manquantes : reste le témoignage des bourreaux et des victimes54 ».
Déportation et sabotage : Sachsenhausen, Gartenfeld, Siemensstadt
Le camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen réservé aux hommes, commence à recevoir au printemps 1944 plusieurs milliers de femmes transférées de Ravensbrück.
Le 26 août 1944, neuf cents déportées de Ravensbrück, dont soixante-dix Françaises, arrivent à Siemensstadt pour travailler aux usines Siemens. Elles y restent huit mois jusqu’en avril 45, lorsque les SS évacuent les camps à l’approche des armées étrangères. Les déportées en arrivant à Sachsenhausen, sont identifiées par un troisième matricule après ceux de Romainville et Ravensbrück, un labyrinthe d’identités qui efface au fur et à mesure les traces des déportées comme Marie Savin absente des Archives Arolsen.
La deuxième partie de la chronique d’Annie Hervé commence par le récit de vie au camp de Siemensstadt, à proximité immédiate de la gare de Gartenfeld, terminus du chemin de fer des usines Siemens, à une douzaine de kilomètres de Berlin :
Le lendemain de notre arrivée au camp de Siemenstadt, les négriers sont venus. On
nous a rangées toujours cinq par cinq […] ils faisaient leur métier de marchand d’esclaves,
moi je cherchais à enrayer leur mécanique si merveilleusement agencée […] Je commençais
à faire le contraire de ce qu’on me disait.
Après diverses autres sélections, nous restions une poignée de Françaises à ne pas
avoir déclaré de métier. Nous avons été immédiatement affectées à des ateliers de
bobinage […] Cinq Françaises seulement à ce K/W5, où je suis restée trois mois55.
Arrivée en même temps qu’Annie Hervé, dans le même convoi parti de Paris début août 44, Catherine Ammar témoigne dans Sachso. Au cœur du système concentrationnaire nazi, la publication collective de l’Amicale d’Oranienburg Sachsenhausen :
Une haie de militaires allemands, hommes et femmes nous encadre […] derrière des civils sont assis, graves ou goguenards, consultant des listes et nous examinant à tour de rôle. Devant certains, nous déclinons nos titres et qualités ; à d’autres, nous montrons nos mains, nos yeux ou nos dents […] véritable bétail humain, passant et repassant devant nos négriers fort affairés à nous bien choisir […] Toutes nous n’avons eu qu’un but : la Résistance. Pour les Françaises réunies là, le triangle rouge qui accompagne le numéro rappelle que toutes, directement ou indirectement, nous avons lutté contre le service obligatoire, cet esclavage que les Allemands ont inauguré dans les pays conquis […] toutes nous sommes réparties entre trois WerkKommandos (Kommandos d’usine) : les KW4, KKW5 et KW856.
Sachso évoque la vie quotidienne de ces résistantes qui travaillent dans la câblerie Siemens, dans l’usine de masques à gaz Auer, dans des entreprises d’armement, et réussissent à échanger avec les déportés français sur place, à s’informer mutuellement et à résister envers et contre tout :
Les liaisons entre les Françaises et les Français des Kommandos Siemens de Sachsenhausen se font au cours du trajet de Gartenfeld à l’usine. Les femmes partant toujours les premières, un trio de Français prend l’habitude de se placer en tête du groupe des hommes qui le suit […] René Petitjean a entre autres interlocutrices Renée Dray, de Marseille et plusieurs de ses amies : Annie Hervé qui se cache sous le faux nom de Annie Lechevalier […] Renée Dray travaille au KW5, dans un atelier de bobinage où il n’y a que six Françaises. Catherine Ammar est au KW4 avec Georgette Fradin, Denise Bachelier Proust, Monique Lagorce, dite Farfadet, Blanche, une Parisienne etc. Les unes et les autres s’ingénient à en faire le moins possible57.
Monique Lagorce est affectée à l’atelier de laquage des câbles sous-marins ; le travail sur place épuisant, est moins exténuant que les corvées de terrassiers auxquelles les corps exsangues sont exposés, confrontés à toutes les intempéries. « Le soir elles dorment au petit camp de Gartenfeld dans un block qu’elles partagent avec des Italiennes. L’hiver est rude, et les appels sans fin la nuit, difficiles à supporter58 ». Des promesses ont été faites par les Allemands à l’usine et au camp pour la célébration de Noël, mais le 24 décembre 1944, Catherine Ammar se souvient :
Le travail dure toute la journée, les distributions n’arrivent pas. En fait de surprise de Noël, nous sommes mises entièrement nues et fouillées comme nous ne l’avons jamais été. Nous parvenons à dissimuler tous nos trésors : mon journal, les décors en carton pour les chants religieux et surtout les cigarettes volées aux SS sous leurs yeux par d’astucieuses camarades. Un geste de solidarité éclaire toutefois ces heures sombres. Chaque Française reçoit des Français du Komando voisin à l’initiative de René Petitjean, une paire de minuscules sabots de Noël patiemment sculptés59.
Annie Hervé évoque elle aussi le travail harassant et le sabotage discret réalisé par les Françaises à Siemensstadt :
Douze heures de nuit debout devant les machines. Douze heures durant lesquelles il faut faire semblant de travailler, lutter contre le sommeil, dépister la surveillance des contremaîtres et gardiens, mettre en échec la malveillance des prisonnières qui par crainte ou habitude ancestrale de l’esclavage, travaillaient, et hélas ! travaillaient ferme […] je dois dire que mes quatre camarades, pas plus que moi, ne pourraient obtenir un bon certificat de notre employeur de ce temps-là60.
Annie Hervé rappelle la solidarité pratiquée constamment par Madeleine Truel à Siemensstadt, tout occupée à consoler, à partager et à aider malgré les risques et les interdictions :
Tous les jours elle allait à l’infirmerie, ce qui était interdit et très difficile. Elle consolait tout le monde. Elle envoyait aux malades de petits poèmes qu’elle composait, elle laissait dans nos paillasses des lettres qui étaient comme une histoire intérieure de la vie du camp. Nous l’appelions la petite Marie. C’était la plus mauvaise tête avec les Allemands et la meilleure avec nous. Elle nous avait fabriqué des couteaux avec des lames de scie qu’elle volait et des « tartineurs » en bois pyrogravés avec un clou, pour étaler sur notre pain les 20 grammes de margarine que nous touchions par semaine. Pour tout cela, elle récoltait pas mal de gifles et de coups61.
Le récit de Pierre Courtade reprend le témoignage d’Annie Hervé à son rapatriement en France en mai 45. Les usines de Siemenstadt ont été bombardées le 28 mars 1945 deux semaines après la destruction des bâtiments d’Auer ravagés par mille cinq cent tonnes de bombes lancées par les avions alliés. Tout travail devient impossible ; les camps sont réduits en décombres. Marie-Martine Sulkowski raconte :
les baraquements sont entièrement détruits par un bombardement au phosphore. Maman que l’on a surnommé Farfadet, avec trois de ses camarades [Jacqueline Ballenecker, Marie Jouanneau et Denise Guérin], arrivent à sortir plusieurs femmes du Revier (infirmerie) mais le camp est détruit et elles repartent vers le Grand Camp jusqu’au 20 avril 1945, où les SS décident de réunir les déportés pouvant marcher et de les mettre sur la route pour ce qu’on appellera ‘la marche de la mort’. Les Françaises quittent le camp les dernières. Il est deux heures du matin, il fait un froid mordant, elles sont encadrées par des SS armés qui les pressent, sur la route on se bat encore, il faut marcher de nuit, le jour on reste cachés62.
Après avoir recherché à tisser une solidarité internationale, après avoir évoqué les différentes nationalités rencontrées, les affinités et les inimitiés entre déportées russes, polonaises, lettones, italiennes et yougoslaves, Annie Hervé achève son récit avec la fin du cauchemar de la déportation grâce à l’arrivée des chars soviétiques et la débandade des geôliers nazis : « Je pense à tous mes amis morts, à toi, ma petite Marie, qui ne pourrez pas voir ça… Le bruit m’assourdit, je pleure au bord de la route. On ne peut pas s’habituer, en un instant, à croire que c’est fini63 ».
La Marche de la mort
Le camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen, situé à une trentaine de kilomètres au nord de Berlin, a été désigné en 1936 pour être le siège de l’inspection centrale de tous les camps de concentration nazis, être un modèle concentrationnaire et répressif mettant au pas les ouvriers résistants de toute l’Europe.
Le 21 avril 1945, neuf jours avant le suicide d’Hitler, l’évacuation générale du camp est ordonnée en pleine nuit pour plus de trente mille hommes et cinq mille femmes. L’objectif du commandement du camp est d’arriver sur les bords de la Baltique pour faire disparaître les déportés en les embarquant sur des navires qui seront sabordés. L’armée soviétique arrive quelques heures après l’évacuation forcée de Sachsenhausen et trouve trois mille détenus incapables de marcher et susceptibles d’entraver la fuite vers Lübeck. Les exécutions sommaires par les nazis se multiplient sur les chemins, ce que le délégué du Comité International de la Croix Rouge constate à partir du 22 avril confronté in situ à la barbarie des SS :
Il nous fut impossible d’apprendre le nombre exact des tués. Sur notre parcours, nous avons vu au total plusieurs centaines de morts. Je déduis des nombreux entretiens avec des détenus qu’environ 15 à 20% de l’effectif du camp de concentration d’Oranienbourg a été tué de la manière décrite plus haut [à coups de fusil dans la tête ou fusillé]64.
Plus de 80 000 déportés ont péri à Sachsenhausen65. Les tragédies individuelles sont innombrables. C’est pour elles que les associations de déportés se constituent, pour éviter que les générations suivantes n’oublient. Parmi toutes ces vies anéanties, la mort de Madeleine Truel a affecté très vivement ses compagnes de déportation qui ont survécu et ont honoré sa mémoire.
Sous des plumes différentes, éloignées pour la plupart du religieux, la répétition d’un discours de sacralisation reflète l’admiration inconditionnelle à l’égard de Madeleine Truel et la transmission de cet héritage mémoriel commun aux compagnes de celle qu’elles ont connue comme « Marie ».
Une trace de cet hommage se trouve dans le volume collectif Les Françaises à Ravensbrück : « le canon tonne toujours, les avions vrombissent. Rien à manger, rien à boire […] la crainte d’être battue par le SS qui a frappé à mort notre petite Marie. Puis ce sera la dernière étape où Marie, la sainte fut enterrée dans un petit village près de Neustadt66 ».
La plume de la résistante Renée Dray explicite elle dans Sachso, le sentiment collectif d’injustice et d’impuissance :
À l’orée du bois, on nous distribue des colis de camions de la Croix-Rouge et nous nous arrêtons dans une ferme. J’en garde un souvenir terrible, parce que c’est là qu’une de mes merveilleuses camarades, Marie Savin, est frappée à mort par le fameux Jacob. C’est un droit commun, un gros, une véritable brute que les SS ont enrôlée pour nous encadrer. À ce moment-là, il tape d’abord sur une déportée assez âgée, qui tombe. Marie Savin va à son secours pour l’aider à se relever. Jacob lui donne un grand coup de gourdin sur la tête. Comme elle a déjà été trépanée67, elle reste à moitié inanimée. Une longue agonie commence pour elle. Elle ne voit sans doute rien quand nous traversons Parchim […] Notre rage est d’autant plus grande qu’à l’heure même où nous allons être libérées, Marie Savin –cette camarade dont Annie Hervé disait : -Tu es trop parfaite !, est en train de mourir des suites du coup donné par Jacob. Une hémorragie méningée s’est sûrement déclarée. Georgette Fradin, qui est médecin, l’assiste dans ses derniers moments.
Nous pleurons la mort de Marie et nous sommes tellement affaiblies que nous n’avons
plus la force de faire tout ce à quoi nous avions pensé lorsque nous serions libres.
Nous avions pensé que nous danserions, que nous chanterions. Rien de cela ! […]
C’est seulement après une heure ou deux de récupération que nous allons à Stolpe,
où les troupes russes se battent encore. C’est le 3 mai 1945. Les Soviétiques nous
permettent d’amener le corps de Marie Savin. Nous l’enterrons dans le petit cimetière
de Stolpe, le lendemain de notre libération.
Dans chaque groupe de femmes, il s’en trouve, à l’exemple de Marie Savin, pour galvaniser
le courage des autres aux heures les plus difficiles 68.
L’histoire de Marie, inspirée par Annie Hervé à Pierre Courtade, paraît un mois plus tard, en juin 45, tout juste au retour d’Allemagne. Le récit s’achève entre hagiographie et mysticisme, un état d’esprit compréhensible après ces mois d’apocalypse :
Le lendemain, raconte Annie, nous avons enterré Marie. La pluie avait cessé, c’était
une très belle matinée de printemps, il y avait des fleurs partout dans la campagne.
Nous l’avons enveloppée dans une couverture et nous avons déposé son corps sur une
charrette de foin, le visage découvert. Nous sommes allées comme cela jusqu’au petit
cimetière du village. C’était un cimetière plein d’herbes folles. Des prisonniers
de guerre français avaient fait un cercueil avec des planches de sapin. L’aumônier
du Stalag II a dit les prières. À Auschwitz69 les déportés nous avaient donné de petits bracelets de cuivre qu’ils avaient fabriqués
et qui portaient nos initiales, et notre numéro matricule. Marie n’avait plus le sien.
Je lui ai mis le mien au poignet pour qu’on la reconnaisse plus tard. Le lendemain,
quand nous sommes parties, la tombe était couverte de géraniums rouges.
Voilà l’histoire de Marie.
Dans les archives familiales, une lettre envoyée à Lucha Truel, à l’adresse du 160 rue de Courcelles, a été conservée. Écrite le 23 avril 1980 de Chatel-Censoir, une petite ville de l’Yonne, elle est rédigée par Annie Hervé au retour d’un pèlerinage à Sachsenhausen, avec les autres survivantes :
Chère Lucha
Il doit y avoir près de 25 ans que je ne vous ai pas rencontrée. Mais comment vous
aurais-je oubliée ? Sophie, la fille de Jeannie ma filleule, est un lien avec vous,
un souvenir du temps de votre atelier, des amis. Germaine, Pontremoli, Doisneau, Olga…Comment
aurais-je oublié la sœur de Marie ?
J’ai voulu vous téléphoner hier, mais le numéro de mon ancien annuaire parisien n’est
plus le vôtre. C’est pourquoi je vous écris. C’est que sept amies déportées et moi
rentrons de Sachsenhausen où nous sommes allées en pèlerinage – pour la première fois
depuis 35 ans.
Nous avons pu obtenir qu’on nous mène à l’endroit, une ferme, où Marie est morte,
et au cimetière où nous l’avons enterrée. Sa tombe n’existe plus. Elle a été relevée
avec celle d’autres Français, mais un petit monument devant le cimetière rappelle
leur souvenir. C’est là que nous avons déposé le bouquet que mes camarades et moi
avons apporté pour Marie.
Je voulais vous le dire, Lucha, afin que vous sachiez comme Marie est restée proche
et chère à celles de notre groupe qui survivent. Aller sur sa tombe était la motivation
principale de ce pèlerinage dans cette lointaine DDR…
Me voici rentrée maintenant dans ma campagne où nous habitons depuis que nous sommes
en retraite. C’est tout près de Vézelay.
Si vous aviez l’occasion de venir par-là, je serais contente de vous voir…
Je vous embrasse
Annie Hervé
Notes
- On se reportera à la base de données de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation qui a recensé 88 597 déportés par mesure de répression et donne accès aux identités des déportés ainsi qu’aux listes des déportés par convoi, dont celui du 3 août 1944 qui transporta Madeleine Truel et Annie Hervé à Ravensbrück. http://www.bddm.org/liv/index_liv.php.
- Le nom de Madeleine Truel n’est pas répertorié dans les Archives Arolsen. C’est la réponse transmise par Heike Muller, des services Arolsen Archives qui conservent des fiches de 17.5 millions de victimes des persécutions nazies. (13 juin et 29 octobre 2024), https://arolsen-archives.org/fr/ : « dans ce fichier il n’existe aucune indication concernant la persécution et la clarification du destin de Madeleine Truel/Savin/Sabin », et d’ajouter: « bien que notre fonds soit très riche, il n’a pas la prétention d’être exhaustif. De nombreux documents ont été détruits pendant et peu après la guerre ».
- Azzoug Jade, L’AFP une entreprise unique des origines à l’histoire de son statut d’exception, 1832-2015, Paris, Université de Saclay, doctorat, 2019, p. 53-55.
- Courtade Pierre, « Histoire de Marie », Action, n° 39, 1er juin 1945. Source : Fonds Pierre Courtade, Institut mémoires de l’édition contemporaine. 7 feuillets. Pierre Courtade, militant communiste, était professeur d’anglais avant de devenir journaliste à Lyon.
- Selon le rapport du ministère des Anciens Combattants (infra figure 52) l’arrestation eut lieu le 15 juin rue Jean-Jacques Rousseau.
- France Hamelin était une militante communiste ; arrêtée en 1943, elle a dessiné clandestinement, en prison, la vie des détenues. Évadée après avoir accouché et échappé à la déportation, elle vit cachée dans le Lot-et-Garonne. Après la guerre, à Paris, elle devient enseignante et continue de dessiner et peindre pour dénoncer la répression subie dans les cellules parisiennes. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages dont Femmes en prison dans la nuit noire de l’Occupation, le Dépôt, la Petite Roquette, le camp des Tourelles, Tirésias, 2004.
- Gisèle Robert-Chauvin participe à la résistance en Gironde et en Haute-Garonne ; elle publie en 1988 son témoignage sous le titre Mes frères contre la Gestapo.
- Hamelin France, op. cit., p. 225.
- Ibid, p. 218.
- L’AID, avec 22 arrestations sur une quarantaine de résistants, après un temps d’incertitude, réussit à continuer son action d’information avant de devenir l’AFP à la libération de Paris. Le Bulletin d’Information de Presse, un simple feuillet ronéotypé, a commencé de paraître en mai : quelques numéros ont été numérisés par la Bibliothèque Nationale, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k871123q/.
- Témoignage recueilli par Edouard Perroy le 19 juin 1946 auprès d’Auguste Anglès, alias Duplessis. Dossier AID Pièce 4. Témoignage d’Auguste Anglés recueilli par Edouard Pérroy le 19 juin 1946. Pièce 4, p. 7, dans le dossier Agence d’Information et de Documentation, 72AJ/35 Dossier n° 3. 16 feuillets.https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/media/FRAN_IR_053870/cu00din6nc6-q2a8xwe731r1/FRAN_0086_000096_L
- Témoignage de Pierre Grappin recueilli par Marie Granet le 25 mars 1947, pièce 1, p. 4, dans le dossier Agence d’Information et de Documentation. 72AJ/35 Dossier n° 3, 5 feuillets. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/media/FRAN_IR_053870/cu00din5kra–k31h9i0gk0jm/FRAN_0086_000077_LPierre Grappin a écrit le récit de son arrestation, et la responsabilité qui fut la sienne dans l’envoi de messages non chiffrés dans ses souvenirs publiés sous le titre de L’île aux peupliers. De la résistance à Mai 68. Souvenirs du doyen de Nanterre (Nancy, 1993, Presses Universitaires de Nancy, p. 139).
- Un budget de 500 000 francs était envoyé d’Alger pour couvrir les salaires, les déplacements et le matériel d’impression. Après le 6 juin, toute l’organisation dut être reconsidérée.
- Hervé Annie, « Rencontres internationales », Chroniques de minuit, 3e cahier, Paris, 1946, Éditions de Minuit, Le texte m’a été communiqué par Adèle Delaune, Musée de la Résistance et la Déportation de Besançon.
- Dossier communiqué par le Service Historique de la Défense Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains, Caen. (SHD-DAVCC) AC 21 P 545361.
- Fontaine Thomas, Les oubliés de Romainville, 2005, Paris, Tallandier, p. 86.
- L’agent de liaison « Paul » « pour retarder l’interrogatoire, s’était brisé les lunettes sur l’artère du poignet » ; pour Pierre Courtade, » plus tard, il fut déporté. Nous ne savons pas ce qu’il est devenu» (« Histoire de Marie », Action, 39, 1er juin 1945). Pour Pierre Grappin, cet agent de liaison dont l’arrestation avait déclenché la sienne, « s’était suicidé dans sa cellule, s’ouvrant les veines du poignet à l’aide d’un verre de lunettes brisé ». L’île aux peupliers éd. cit., p. 143.
- Roumette Julien, « Ouverture », Littératures [En ligne], 82 | 2020, p. 9-30. Dossier « Vivre avec le deuil de la Résistance » http://journals.openedition.org/litteratures/2689 ; DOI : https://doi.org/10.4000/litteratures.2689
- Thoraval Anne, « Rue des Saussaies », Paris. Les lieux de la résistance, Paris, 2007, Parigramme, p. 111-113. Berlière Jean-Marc, Police des temps noirs : France 1939-1945, Perrin, 2018, p. 1117.
- Le témoignage écrit de Marie-Martine Sulkowki précise les lieux et les dates avec toute la violence subie et l’esprit d’entraide entre résistantes. Marie-Martine Sulkowski, « À ma mère », Souvenons-Nous Oranienburg Sachsenhausen, mars 2023, n°245, p. 10.
- Réponse de la direction des Archives départementales du Val de Marne interrogée en septembre 2024.
- Hervé Annie, « Rencontres internationales », Chroniques de minuit, 3ème cahier, Paris, 1946, Minuit, p. 174.
- Mezzasalma Philippe, « Témoigner. Les associations de déportées et la mémoire de la déportation », Femmes dans la déportation : transmettre d’hier à aujourd’hui, mars Enjeu. Histoire et mémoires vivantes, Paris, 2021, p. 100.
- Hany-Lefebvre Noemi, Six mois à Fresnes, Paris, 1946, Ernest Flammarion. Version consultée : ePub ISBN 9782403019926, 2019.Le réseau auquel elle a participé est le réseau Comète qui acheminait les aviateurs anglais vers l’Espagne. Après le passage des aviateurs américain Douglas Hoen et irlandais Alfred Martin logés à Paris du 30 mai au 2 juin, la ligne Comète est démantelée à partir du 7 juin. https://www.evasioncomete.be/fhoehndc.html
- « Juste avant Pâques, donc peu avant le 25 avril, Robert Aylé mène John Curry chez Mme Noémi Hany-Lefebvre, épouse Déon, au 28 rue Scheffer, dans le même quartier de Paris XVIe. Elle est en instance de divorce, et loge Curry du 21 au 27 avril » < https://www.evasioncomete.be/fcurryjh.html>Le divorce est prononcé alors que Noémi Hany Lefebre est en prison ; sa mère, d’origine suisse, la visite en prison et lui apporte une aide constante, rappelée dans Six mois à Fresnes.
- En décembre 2021, Annie Nicot-Truel, nièce de Lucha Truel, avait en mémoire que le motif de l’arrestation en 1941 était d’avoir entonné un hymne anglais.
- Courtade Pierre, « Histoire de Marie », Action, 39, 1er juin 1945)
- Hany-Lefebvre Noemi, Six mois à Fresnes, Paris, 1946, Ernest Flammarion. Version consultée : ePub ISBN 9782403019926, 2019, p. 2.
- Ibid, p. 12.
- Ibid, p. 12.
- Ibid, p. 7.
- Ibid, p. 13. »
- Ibid, p. 13.
- « Aujourd’hui la chaleur est si suffocante que même la fenêtre ne nous attire pas. Nous sommes toutes trois allongées, épuisées sur nos paillasses. Le ‘‘ Il pleut bergère ’’ traditionnel s’est fait entendre il y a un instant, mais malgré la clarté avec laquelle nous parviennent les sons de la T.S.F. nous n’avons pas même le courage de nous dresser pour essayer de distinguer les nouvelles », ibid, p. 11.
- Ibid, p. 5.
- Note de Noemi Hany-Lefebvre : « Juliette, de son vrai nom, Huguette Prunier, compagne de Robert Blache, rédacteur à L’Humanité et fondateur de La Défense. Arrêtée le 2 août 1943, au Raincy, fut mise au secret à Fresnes. Jugée en février 1944, pour correspondance par radio avec Moscou, fut condamnée à mort. Elle fut fusillée par les Allemands à Fresnes le 5 août 1944, à l’âge de 30 ans. Robert Blache avait été fusillé en février ».
- Dufayel Pierre Emmanuel, Un convoi de femmes 1944-1945, Paris, 2014, Vendémiaire, p. 64.
- Hany Lefebvre Noemi, 6 mois à Fresnes, op. cit., p. 18.
- Ibid, p. 8.
- Information communiquée par Thomas Fontaine consulté en décembre 2021 sur le dossier Madeleine Truel.
- Fontaine Thomas, Les oubliés de Romainville. Un camp allemand en France (1940-1944), Paris, Tallandier, 2005.
- Tauzin Jean-Henri, Quatre ans dans les bagnes hitlériens, Corbeil, Crété, 1945, p. 18.
- Amicale de Ravensbrück et Association des déportées et internées de la Résistance, Les Françaises à Ravensbrück, Paris, 1965, Gallimard, p. 53.
- Roux Catherine, Triangle rouge, Paris, France-Empire, 1968, p. 34.
- Ibid, p. 35.
- « Rencontres internationales », Chroniques de minuit, 3e cahier, Paris, 1946, Éditions de Minuit, p. 173-198.
- Hervé Annie, « Rencontres internationales », op. cit., p. 173.
- Ibid, p. 174-175.
- « Nous venons d’abandonner pêle-mêle sur le quai de la gare, nos petits colis des Quakers et nos affaires », Amicale de Ravensbrück et Association des déportées et internées de la Résistance, Les Françaises à Ravensbrück, op. cit., p. 71.
- Sur le camp de Neue Bremm, on se reportera à l’article de Pierre-Emmanuel Dufayel « Les femmes déportées de France via le camp de Neue Bremm, Mémoire vivante, juin 2009, n° 61, p. 1-7 (citation p. 5). La liste des convois (dont ceux de juillet-août 44 qui se rejoignent à Neue Bremm pour emporter ensuite les cargaisons humaines à Ravensbrück et Buchenwald), est publiée pour la première fois en 1965 par l’Amicale de Ravensbrück et Association des déportées et internées de la Résistance, dans Les Françaises à Ravensbrück, p. 343.
- Hervé Annie, « Rencontres internationales », op. cit., p. 176-177.
- Ibid, p. 176-177.
- Hervé Annie, « Rencontres internationales », op. cit., p. 179.
- Ruet Marie-Claire, « Anise Postel-Vinay (1922-2020) Sa contribution à l’écriture de l’histoire de la déportation », Femmes dans la déportation : transmettre d’hier à aujourd’hui. Numéro spécial de la revue Enjeu. Histoire et Mémoires vivantes, Paris, 2021, p. 107.
- Hervé Annie, « Rencontres internationales », op. cit., p. 183.
- Amicale d’Oranienburg Sachsenhausen, Sachso. Au cœur du système concentrationnaire nazi, Paris, 1982, Minuit Plon, p. 251-252.
- Amicale d’Oranienburg Sachsenhausen, Sachso. Au cœur du système concentrationnaire nazi, Paris, 1982, Minuit Plon, p. 252. Annie Hervé, Renée Dray, Georgette Fradin, Monique Lagorce-Vigneron sont ensemble jusqu’à la libération de mai 45 et témoins du décès de Madeleine Truel.
- Sulkowski Marie-Martine, « À ma mère », Souvenons-Nous Oranienburg Sachsenhausen, mars 2023, n°245, p. 10.
- Amicale d’Oranienburg Sachsenhausen, Sachso. Au cœur du système concentrationnaire nazi, Paris, 1982, Minuit Plon, p. 254.
- Hervé Annie, « Rencontres internationales », op. cit., p. 184.
- Courtade Pierre, « Histoire de Marie, Action, n° 39, 1er juin 1945, p. 7.
- Sulkowski Marie-Martine, « À ma mère », Souvenons-Nous Oranienburg Sachsenhausen, mars 2023, n°245, p. 10.
- Hervé Annie, « Rencontres internationales », op. cit., p. 198.
- Témoignage de M. de Coquatrix, chargé par la Croix Rouge de ravitailler les détenus de Sachsenhausen. Amicale d’Orianenburg – Sachsenhausen, Sachso, Paris, Minuit 1982, p. 531.
- Le camp de Sachsenhausen passe en zone soviétique en 1945 jusqu’à la fin de la République Démocratique Allemande et la réunification de 1990.
- Amicale de Ravensbrück et Association des déportées et internées de la résistance, Les Françaises à Ravensbrück, Paris, Gallimard, 1965, p. 281. Neustadt Glewe se trouve dans l’arrondissement de Ludwiglust- Parchim, en Poméranie (ex RDA).
- Madeleine Truel avait été grièvement blessée en 1942 dans un accident de circulation par un camion militaire allemand.
- Amicale d’Oranienburg-Sachsenhausen, Sachso. Au cœur du système concentrationnaire nazi, Paris, Minuit Plon, collection Terre Humaine, 1982, p. 534-535.
- Il s’agit probablement de déportées transférées d’Auschwitz.