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De maître à élève !

À propos de :
Marquette, J. B. (2000a) : “Le Bazadais méridional dans l’œuvre de Léo Drouyn”, in : Larrieu, B., dir., Léo Drouyn. Les albums de dessins, vol. 6. Léo Drouyn et le Bazadais méridional, Camiac et Saint Denis.
Marquette, J. B. (2000b) : “Pierre Lacour, Léo Drouyn et les portails de la cathédrale de Bazas. Itinéraires et catalogue”, in : Larrieu, B., dir., Léo Drouyn. Les albums de dessins, vol. 6. Léo Drouyn et le Bazadais méridional, Camiac et Saint Denis. 
Marquette, J. B. (2003) : “Sur quelques plans de résidences médocaines au Moyen Âge”, in : Larrieu, B., dir., Léo Drouyn. Les albums de dessins, vol. 10. Léo Drouyn et le Médoc, Camiac et Saint Denis. 

J’avais onze ans lorsque je rencontrai pour la première fois Jean Bernard Marquette et j’eus le privilège de passer trois heures par semaine, pendant deux ans, en sa compagnie et à son écoute. J’étais alors en sixième et cinquième au lycée Montesquieu de Bordeaux et il était mon professeur d’histoire-géographie. 

Pour l’enfant déjà féru de mythologie grecque que j’étais, ces deux années d’enseignement furent une confirmation : il n’était pas de discipline plus intéressante que l’histoire – et de professeur plus passionnant qu’un jeune enseignant habité par sa matière. Ma sixième fut également marquée par un remarquable professeur de français-latin, que je fus fort déçu de ne point retrouver à l’entrée en cinquième ; mais c’est sans doute cette année-là que Paul Roudié quitta le lycée pour enseigner l’histoire de l’art à la faculté.

Ce n’était pas encore le cas de Jean Bernard Marquette, que j’eus le bonheur de retrouver, à l’âge de 17 ans, en terminale, pour trois heures hebdomadaires d’un enseignement toujours aussi attrayant. J’ai gardé en mémoire la dernière heure de cours de l’année, peu avant l’épreuve du baccalauréat. Il demanda à chacun ce qu’il comptait faire l’année suivante en cas de succès et vers quelle profession chacun pensait se diriger. Lorsque je lui répondis que je comptais entreprendre des études d’histoire – et j’étais le seul de la classe de philo dans ce cas ! –, il leva un sourcil quelque peu surpris et émit un “ah !” perplexe, avant de laisser tomber après quelques secondes de réflexion un “pourquoi pas ?” mi-dubitatif mi-bienveillant – qui eut bien sûr pour moi valeur totale d’approbation !

De fait, nous quittâmes ensemble le lycée pour la faculté à la rentrée 1967, lui pour un poste d’assistant et moi comme étudiant en première année de la section Histoire, mais, curieusement, ma route ne le recroisa plus dans les années suivantes, que ce soit cours Pasteur ou ensuite à Pessac. 

Nos relations reprirent une vingtaine d’années plus tard, en 1986, lorsque je lui envoyai par la poste la première livraison des “Mémoire des Pays de Branne”, première publication de la toute jeune association historique que je venais de créer à Branne, où j’enseignai alors. Je me prévalus d’avoir été son élève, sollicitai une conférence et il eut l’amabilité de m’envoyer une longue lettre d’encouragement. S’il ne dit mot du contenu de la nouvelle publication, qui était en intérêt bien loin de la revue des Amis du Bazadais, il eut la gentillesse de me féliciter de sa qualité éditoriale, n’ayant, dit-il, “après un quart de siècle de combats… jamais réussi à donner aux Cahiers du Bazadais une publication qui s’apparente même de loin à ce magnifique ouvrage”. Quant à parler devant notre association du Brannais, sise en sénéchaussée et diocèse de Bazas, il évoqua un étudiant faisant sous sa direction un mémoire de maîtrise sur cette zone et une étudiante préparant une thèse de 3e cycle sur l’Entre-deux-Mers bazadais, et l’intérêt que nous aurions à les connaître – ce qui était de bon conseil, comme Frédéric Boutoulle et Sylvie Faravel s’en souviennent sans doute.

Lettre de Jean Bernard Marquette à Bernard Larrieu, 1986.
Lettre de Jean Bernard Marquette, 1986.

Cette lettre, pieusement conservée, témoigne d’un engagement singulier de Jean Bernard Marquette : son investissement associatif – qu’il ne dissociait pas de ses recherches. Animant en Bazadais une société savante modèle dont il dirigea la publication de 1961 à 2015, il apportait son soutien aux associations locales, s’il en jugeait utiles les travaux de recherche et de vulgarisation.

Cette curiosité généreuse se manifesta à mon égard dès l’année suivante, lorsque j’eus l’idée d’organiser un premier colloque sur l’Entre-deux-Mers, et l’identité de cet espace géographique. Malgré sa perplexité quant à la problématique nouvelle de ces journées, il accepta d’ouvrir les séances par une conférence introductive et de présider les débats d’une première journée au château de Mouchac, à Grézillac. Il synthétisa ensuite son analyse dans un “Avant-propos” qu’il signa et qui ouvrit en 1988 la publication des actes du premier colloque L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Il y décrivait parfaitement toutes les difficultés et ambigüités d’un pays dont le nom seul définit un territoire, sans que ce dernier ne semble avoir quelque réalité objective – se demandant in fine, si, du fait des restructurations liées à l’évolution de l’économie, de l’emprise croissante des vallées et de l’écartèlement entre l’Entre-deux-Mers bordelais et celui du nord de l’ancien Bazadais, “la recherche de l’identité d’un grand Entre-deux-Mers n’est pas un faux problème, et si ce n’est pas dans le cadre de nouveaux ensembles établis sur les deux rives de la Dordogne et de la Garonne et ayant pour centre  Libourne et Langon et plus en amont Bergerac et Marmande que s’organisera, de plus en plus la vie de cette partie de l’Aquitaine, à l’ombre plus ou moins pesante de la métropole bordelaise”. 

Jean Bernard Marquette, 19 septembre 1987, ouverture 1er colloque Entre-deux-Mers, Grézillac.
Jean Bernard Marquette, 19 septembre 1987, ouverture 1er colloque Entre-deux-Mers, Grézillac.

Nonobstant, Jean Bernard Marquette participa par la suite à plusieurs de ces colloques Entre-deux-Mers, organisés tous les deux ans par le CLEM, structure inter-associative fondée à l’issue du premier colloque brannais : en 1995, lors du Ve colloque tenu à La Sauve, avec une étude sur “Le rôle des prieurés et des sauvetés de La Sauve dans le peuplement du Bazadais méridional, du Marsan et du Gabardan” ; puis en 2003, lors du IXe colloque, avec une communication sur “Les seigneurs de Rions (vers 1225-1234)” ; en 2015, lors du XIVe colloque, avec une conférence intitulée “Comment les Albret sont-ils devenus seigneurs de Gensac et Castelmoron ?” ; enfin en 2019, à Rions, au XVIIe colloque, avec une communication sur “La renaissance de Rions (1305-1346)”. Décédé au mois de novembre 2020, Jean Bernard Marquette ne put achever sa communication écrite et nous la transmettre. Mais son intervention avait été enregistrée et filmée et c’est la très fidèle transcription de celle-ci qui fut publiée, non sans émotion, en 2021, dans les actes de ce dix-septième colloque.

Lorsque nous eûmes le bonheur, avec Jean-François Duclot, de commencer à publier en 1997 les albums de dessins perdus et retrouvés de Leo Drouyn, Jean Bernard Marquette porta un vif intérêt à cette nouvelle aventure et accepta de participer à un éphémère comité de suivi, créé pour l’occasion, où il participa, accompagné de Sylvie Faravel, aux côtés de Jean-Paul Avisseau, Jean-Claude Lasserre, Dany Barraud, Jean-Bernard Faivre, Jacques Lacoste et Michèle Gaborit. Lorsque nous abordâmes, en 1999, la future publication des dessins de Drouyn sur le Bazadais, il déclara en faire sa chose – non sans quelque tension avec les historiens de l’art ! –, prenant pour lui l’ensemble des notices de ce volume, qu’elles soient historiques ou architecturales. Nul mieux que lui, en effet, ne connaissait le patrimoine et l’histoire du “Bazadais méridional” – titre qu’il tint à apporter au sixième volume de la collection des dessins inédits de Leo Drouyn, publié sous sa direction en l’an 2000, signifiant par cette précision géographique que le Bazadais ne s’arrêtait pas à la rive gauche de la Garonne !

Jean Bernard Marquette apporta à l’édition de ce volume son exigence habituelle, s’attachant d’abord à l’inventaire exhaustif et chronologique de toutes les notes, notices, croquis, dessins, gravures et publications de Drouyn sur les paroisses de la zone étudiée. Il croisa systématiquement, davantage que cela n’avait été fait dans les cinq premiers volumes, les dessins récemment découverts avec les textes et croquis des Notes manuscrites (présentés en regard des dessins des albums), ainsi qu’avec l’oeuvre gravée et imprimée de Drouyn. Cette méthode fut, à partir de là, appliquée dans tous les volumes suivants. 

À partir de l’analyse critique de cette masse remarquable et inattendue de documents jusqu’alors inconnus, Jean Bernard Marquette rédigea des notices historiques et descriptives nouvelles sur chaque monument évoqué, que ce soit pour de grands sites comme Bazas, Roquetaillade, Préchac, ou de plus humbles localités comme Sendets, Sauviac ou Savignac  Il prit le parti, avec la réalisation d’une belle cartographie qui était sa marque de fabrique, de présenter la matière de l’ouvrage géographiquement, par bassins versants, du nord-est au sud-ouest : vallée de la Bassanne d’abord, puis du Beuve, du Brion, et enfin du Ciron. Publié en 2000, avec seulement les dessins issus du fonds Teisseire, ce sixième volume sur le Bazadais méridional ne contient pas les dessins découverts ultérieurement, comme ceux du fonds Beraud-Sudreau. Ces documents inédits sur le Bazadais, prochainement publiés (2025/2026), viendront compléter la connaissance d’une œuvre qui, pour Jean Bernard Marquette, s’était radicalement distinguée de celle de ses prédécesseurs ou contemporains “par son ampleur, le nombre et la qualité des dessins, la richesse des commentaires qui l’accompagnent”.


Un peu plus tard, en 2003, Jean Bernard Marquette accepta de rédiger dans le dixième volume une préface sur quelques plans de sites castraux en Médoc, puis de commenter en 2007, dans le treizième volume de cette collection, les dessins de Leo Drouyn concernant le château de Vayres, seigneurie qui fut propriété des Albret – comme il accepta de participer au mois de juillet 2017, au Cercle de Saint-Symphorien, à l’une des journées de la “Fête à Léo”, pour évoquer, en soirée, l’habitat rural landais, en un véritable show qui fit date, car il était également un conférencier hors pair.

J’eus le privilège, au long des vingt premières années du XXIe siècle, d’apporter à Caudéran, chez lui et son épouse, chacun des volumes de cette collection, qui reçut par deux fois, en 2001 et 2018, le Grand Prix de l’Académie de Bordeaux – et je subodore que l’académicien n’a pas été pour rien dans ces récompenses à son ancien élève… Il me recevait toujours avec cette bienveillance curieuse, perplexe et interrogative qui lui était particulière et lorsque je fis déposer en 2003 aux Archives départementales de la Gironde, avec Hervé Béraud-Sudraut, le fonds des plaques en cuivre de Drouyn que le père de ce dernier avait acheté en salle des ventes en 1940, il me montra dans ses collections, comme exemple de filiation, une plaque en cuivre de Drouyn, de Villandraut je crois, que lui avait offert Louis Cadis, qui l’avait lui-même reçue de Joseph Béraud-Sudraut…

Jean Bernard Marquette avait le souci constant, comme professeur, comme chercheur, comme conférencier, de la transmission – d’assurer le relai des connaissances. De ce devoir, pratiqué avec exigence, générosité et bienveillance, j’ai eu la chance d’être très tôt l’un des heureux bénéficiaires – et cet hommage est une ultime manière pour moi, son ancien élève, de lui exprimer mon affectueuse gratitude.

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EAN html : 9782356136541
ISBN html : 978-2-35613-654-1
ISBN pdf : 978-2-35613-655-8
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
5 p.
Code CLIL : 3385
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Larrieu, Bernard, “De maître à élève ! », in : Boutoulle, F., éd., Jean Bernard Marquette, historien de la Haute Lande, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, vol. 3, 2025, [en ligne] https://una-editions.fr/marquette-de-maitre-a-eleve [consulté le 15/11/2025].
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